WIPO

 

Centre d'arbitrage et de médiation

 

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Redcats SA contre Eric Vaudon

Litige n° D2007-1126

 

1. Les parties

Le requérant est Redcats SA, Roubaix, France, représenté par le Cabinet André R. Bertrand & Associés, France.

Le défendeur est Eric Vaudon, Leguevin, France, représenté par SCP Corone & Barassi, France.

 

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <soredoute.com>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est Schlund + Partner.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Redcats SA auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 1er août 2007.

En date du 3 août 2007, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, Schlund + Partner, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 7 août 2007.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Le Centre a constaté la non-conformité de la plainte au paragraphe 4(b) des Règles d’application, au motif que la plainte indique que “le requérant choisit de faire statuer sur le litige une commission administrative composée de trois membres parmi lesquels : …”, en versant toutefois la taxe requise pour faire statuer le litige par un expert unique. Le 8 août 2007, le Centre a donc notifié au requérant l’irrégularité de forme de la plainte, demandant au requérant de confirmer son choix entre un expert unique ou une commission composée de trois membres. Le 10 août 2007, le requérant adressait un correctif à la plainte indiquant qu’il décidait, en adéquation avec le montant de la taxe versée, de soumettre la plainte à l’appréciation d’un expert unique.

Par ailleurs, conformément au paragraphe 11 des Règles d’application, sauf convention contraire entre les parties ou sauf stipulation contraire du contrat d’enregistrement du nom de domaine, la langue de la procédure est la langue du contrat d’enregistrement. Or, d’après les informations reçues par le Centre de l’unité d’enregistrement, la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine en conflit est l’anglais, alors que la plainte a été déposée en français. Le Centre a donc notifié au requérant le 8 août 2007, qu’il lui appartenait de lui adresser avant le 13 août 2007 (a) un accord avec le défendeur prévoyant que la procédure se déroule en français, ou (b) une demande afin que le français soit la langue de la procédure, faute de quoi la plainte serait considérée comme retirée. Le 13 août 2007, le requérant confirmait sa requête que la procédure et l’échange des fins, moyens et arguments des parties se déroulent en langue française et transmettait également l’accord du représentant du défendeur pour que la procédure se déroule en langue française.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 14 août 2007, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 3 septembre 2007. Le défendeur a fait parvenir sa réponse le 31 août 2007.

En date du 14 septembre 2007, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique Christiane Féral-Schuhl. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

Le 14 septembre 2007, le requérant adressait au Centre et au défendeur une réplique additionnelle à la réponse du défendeur. Le 24 septembre 2007, le défendeur adressait à son tour une réponse au Centre et au requérant. La Commission tient à rappeler que la faculté de déposer des répliques additionnelles n’est pas expressément ouverte aux parties, sauf demande spécifique en ce sens de la Commission et ce, afin de ne pas conduire à un rallongement des délais de la procédure administrative mise en place par les Règles d’application, lequel nuirait à la finalité première de cette procédure. Dans le cadre de son pouvoir d’appréciation de la recevabilité des éléments de preuve, la Commission a décidé de ne pas prendre en compte les répliques additionnelles des deux parties afin de respecter l’objectif de célérité qui s’attache à la présente procédure. Les mémoires additionnels ont ainsi été rejetés.

 

4. Les faits

Le requérant, la société Redcats SA, est un groupe multimarques et multicanaux dans le domaine de la mode et de la décoration.

Le requérant est titulaire de nombreuses marques françaises et communautaires dont :

- au niveau communautaire : la marque LA REDOUTE depuis le 3 avril 1997, pour viser les produits et services des classes 1 à 42, ainsi que la marque REDOUTE depuis le 16 octobre 2006 pour viser les produits et services des classes 16, 25 et 38;

- en France : la marque LA REDOUTE depuis le 6 avril 1987, pour viser les produits et services des classes 1 à 34, ainsi que la marque REDOUTE depuis le 6 octobre 2006 pour viser les produits et services des classes 16, 25 et 38.

Le défendeur, Monsieur Eric Vaudon, photographe professionnel, a enregistré le nom de domaine <soredoute.com> le 4 octobre 2006 et l’exploite en tant que portail, le site <soredoute.com> renvoyant vers les autres sites internet du défendeur via lesquels il exploite ses différentes activités de photographe.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le requérant soutient que le nom de domaine <soredoute.com> constitue une imitation illicite au point de prêter à confusion avec le signe LA REDOUTE utilisé à titre de marque par le requérant. Le requérant indique que la marque LA REDOUTE est une marque notoire faisant l’objet d’un usage de longue durée, d’une activité publicitaire importante, ainsi que d’une exploitation constante et massive.

Le requérant soutient également que le défendeur n’a aucun droit ni aucun intérêt légitime dans l’enregistrement du nom de domaine <soredoute.com>.

Le requérant considère enfin que le nom de domaine a été enregistré de mauvaise foi par le défendeur. Selon le requérant, le défendeur, en tant que résident français, ne pouvait ignorer l’existence de la dénomination/marque LA REDOUTE compte tenu de sa très forte notoriété sur le territoire français. Le requérant ajoute que le défendeur a pris connaissance de l’ouverture d’enseignes SO REDOUTE par la filiale LA REDOUTE du requérant, antérieures à l’enregistrement du nom de domaine litigieux et ainsi enregistré ledit nom de domaine en vue d’empêcher le propriétaire légitime de cette marque d’y procéder.

Par conséquent, le requérant sollicite le transfert du nom de domaine <soredoute.com> à son profit.

B. Défendeur

Le défendeur indique tout d’abord que les marques française et communautaire REDOUTE ont été déposées respectivement les 6 et 16 octobre 2006 par le requérant, soit postérieurement à l’enregistrement du nom de domaine <soredoute.com> et sont donc inopposables au défendeur. Le défendeur ajoute que le requérant n’apporte la preuve d’aucun droit sur la dénomination SO REDOUTE à titre de nom commercial ou d’enseigne.

Le défendeur soutient que le requérant ne prouve pas que le nom de domaine <soredoute.com> est identique ou semblable à une marque sur laquelle il aurait des droits au point de prêter à confusion avec celle-ci. En effet, le défendeur indique qu’il n’existe aucun rapport entre les sonorités “so” et “la”, que le terme “so” n’a aucune signification en français et enfin que le terme “so” donne une connotation anglo-saxone globale à la dénomination SO REDOUTE alors que la marque LA REDOUTE a une forte connotation française. Le défendeur met également en exergue l’absence de similitude entre les produits vendus par la filiale du requérant et l’activité de photographe professionnel du défendeur.

Le défendeur soutient encore que le requérant ne rapporte pas la preuve de l’absence d’intérêt légitime du défendeur sur le nom de domaine <soredoute.com>, le requérant ne démontrant aucunement la volonté du défendeur d’entretenir dans l’esprit du public une confusion avec la marque notoire LA REDOUTE.

Le défendeur invoque également la signification du terme “so” en anglais, ainsi qu’un texte sur le thème du “doute permanent de l’artiste” apparaissant sur le site référencé sous le nom de domaine litigieux:

“So, so, and so…

So Velvet, So muXe, …

Doutes, des doutes, encore des doutes, toujours des doutes, re-doutes…

Parce que la création photographique est violente, épuisante mais tellement excitante.

Bienvenue sur le portail de mon travail…

je suis à votre disposition.

Merci.”

Enfin, le défendeur expose que le requérant ne rapporte pas la preuve que le nom de domaine <soredoute.com> a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi. En effet, le requérant explique que le requérant ne démontre aucun des faits tels que ceux mentionnés à l’article 4(b) des Principes directeurs, à savoir que :

- le défendeur ait eu l’intention de vendre, louer ou céder l’enregistrement du nom de domaine litigieux au requérant ou à un concurrent de celui-ci;

- le dépôt du nom de domaine <soredoute.com> aurait été effectué en vue d’empêcher le requérant de déposer la marque SO REDOUTE;

- le défendeur ait cherché à perturber les opérations commerciales du requérant;

- l’utilisation du nom de domaine litigieux ait eu pour but ou pour effet d’attirer des utilisateurs de l’internet sur son site web à des fins lucratives ou aux fins d’opérer une confusion avec la marque LA REDOUTE ou avec les sites internet exploités par la filiale LA REDOUTE du requérant.

Par conséquence, le défendeur sollicite le rejet de la plainte du requérant.

 

6. Discussion et conclusions

L’Expert constate que le requérant invoque un enregistrement et une utilisation du nom de domaine <soredoute.com> par le défendeur en violation de ses droits et sollicite en conséquence le transfert dudit nom de domaine.

Conformément au paragraphe 4(a) des Principes directeurs, l’Expert s’est attaché à rechercher si les trois conditions cumulatives posées par celui-ci sont réunies, à savoir :

A) Si le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produit ou de services sur laquelle le requérant a des droits ;

B) Si le défendeur n’a aucun droit ou sur le nom de domaine, ni aucun intérêt légitime qui s’y attache ; et

C) Si le défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine de mauvaise foi.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Il est rappelé que l’identité ou la similitude pouvant engendrer un risque de confusion doit porter sur une marque de produits ou services sur laquelle le requérant a des droits.

En l’espèce, le requérant rapporte la preuve qu’il est titulaire de la marque LA REDOUTE que ce soit en France ou au niveau communautaire. Même si cela est plus pertinent au regard du deuxième et troisième élément, l’Expert constate que l’enregistrement de la marque LA REDOUTE a eu lieu avant l’enregistrement du nom de domaine litigieux. La marque REDOUTE a toutefois été déposée postérieurement à l’enregistrement du nom de domaine litigieux et les termes “so redoute” n’ont pas été déposés à titre de marque par le requérant.

Le nom de domaine <soredoute.com> n’étant pas identique à la marque LA REDOUTE du requérant, l’Expert s’est attaché à déterminer s’il existe une similitude prêtant à confusion entre ledit nom de domaine et la marque du requérant.

Dans la décision Hachette Filipacchi Presse v. Shi Cheng, Litige OMPI N° D2005-1240, relative au nom de domaine <elleilove.com>, l’Expert a estimé que la combinaison de la marque ELLE avec les termes génériques de langue anglaise “i” et “love” entraînait une confusion entre le nom de domaine litigieux et la marque ELLE. Il rappelle à cet égard qu’un nom de domaine composé d’une marque et de termes génériques peut toujours être considéré comme créant une similarité de nature à engendrer une confusion avec la marque.

L’Expert constate en l’espèce que l’ajout du terme “so” – “tellement” en langue anglaise – et la suppression de l’article “la”, ne permettent pas de distinguer significativement le nom de domaine en cause de la marque LA REDOUTE et ce, d’autant que cette marque est une marque notoire, et que le requérant démontre utiliser à titre d’enseigne les termes SO REDOUTE.

Par conséquent, et au regard des circonstances de la présente espèce, l’Expert considère que le nom de domaine <soredoute.com> est similaire à la marque LA REDOUTE détenue par le requérant, au point de créer une confusion avec cette dernière dans l’esprit du public, conformément au paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.

B. Droits ou légitimes intérêts

Il appartient au requérant d’établir que le défendeur n’a pas de droit ni d’intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.

Conscients de la difficulté pour le requérant de rapporter la preuve négative du défaut de droits ou d’intérêt légitime du défendeur sur le nom de domaine, les experts admettent communément que l’obligation de prouver à la charge du requérant est allégée. Ainsi, il est seulement demandé au requérant de démontrer qu’à première vue, le défendeur n’a pas de droit ou d’intérêt légitime sur le nom de domaine. Ce faisant, la charge de la preuve est alors transmise au défendeur et ce dernier doit prouver qu’il détient des droits ou qu’il a un intérêt légitime sur le nom de domaine objet du litige (décisions The Vanguard Group, Inc. v. Lorna Kang, Litige OMPI N° D2002-1064, et Hachette Filipacchi Presse contre Henri Wichlacz, Litige OMPI N° D2006-1614).

En l’espèce, le requérant a apporté la preuve de sa titularité sur la marque LA REDOUTE et indique que le défendeur ne dispose d’aucun intérêt légitime dans l’enregistrement du nom de domaine <soredoute.com>, sa seule motivation étant d’entretenir dans l’esprit du public, une confusion avec la marque notoire LA REDOUTE. En effet, les explications fournies par le défendeur pour justifier du choix de ce nom de domaine ne sont pas convaincantes. Contrairement aux autres noms de domaine enregistrés par le défendeur, celui-ci est le seul à utiliser des termes anglais et français. Ainsi, les termes qui composent le nom de domaine litigieux n’ont aucune signification sauf à se référer à la marque notoire du requérant. Il n’existe d’ailleurs aucune indication au dossier permettant d’établir que le défendeur dispose d’un droit de marque sur la dénomination litigieuse, ni que le défendeur soit connu sous le nom de domaine litigieux, d’autant qu’il a enregistré de nombreux autres noms de domaines pour présenter ses différentes activités. Enfin, la marque du requérant étant notoire, notamment en France, pays d’origine du défendeur, l’utilisation de cette marque par le défendeur ne peut être considérée comme une utilisation légitime du nom de domaine.

L’Expert considère donc que le requérant a démontré qu’à première vue, le défendeur ne dispose pas de droits et n’a pas d’intérêt légitime à l’enregistrement et l’exploitation du nom de domaine <soredoute.com>.

En réponse, le défendeur avait la possibilité d’établir, l’une des circonstances prévues par le paragraphe 4(c) des Principes directeurs, afin de faire la preuve de son droit ou intérêt légitime, à savoir :

i) avant d’avoir eu connaissance du litige, le défendeur a utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet ;

ii) le défendeur est connu sous le nom de domaine considéré, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services ; ou

iii) le défendeur fait un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.

Le défendeur a notamment invoqué la signification du terme “so” en anglais, ainsi que le texte apparaissant sur le site référencé sous le nom de domaine litigieux qui exprimerait le “doute permanent de l’artiste”. Or, l’Expert considère, au regard notamment de la notoriété de la marque du requérant, qu’il parait plus probable que le défendeur a enregistré nom de domaine dans le but d’attirer des internautes sur son site et en conséquence d’en retirer un avantage commercial. L’Expert estime alors que le défendeur ne peut se prévaloir d’aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.

Dès lors, l’Expert considère que le requérant a satisfait au critère posé par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

L’Expert rappelle que la mauvaise foi du défendeur doit être établie concernant l’enregistrement du nom de domaine ainsi que son usage.

L’Expert constate tout d’abord que du fait de la renommée de la marque LA REDOUTE, le défendeur ne pouvait ignorer qu’il violait les droits du requérant au moment de l’enregistrement du nom de domaine. En outre, le requérant indique que l’ouverture des magasins “SO REDOUTE” par la filiale LA REDOUTE du requérant a fait l’objet de publications nationales faisant état de la réorganisation du groupe. Les pièces produites au dossier par le requérant démontrent que les premières publications nationales relatant l’adoption des enseignes “so redoute” destinées à remplacer l’ensemble des enseignes des magasins LA REDOUTE en France, sont datées des 2 et 3 octobre 2006, le nom de domaine <soredoute.com> ayant été enregistré par le défendeur le 4 octobre 2006.

Par conséquent, l’Expert estime que le défendeur, en enregistrant et en utilisant le nom de domaine <soredoute.com>, a sciemment tenté de créer une confusion dans l’esprit des utilisateurs de l’internet avec la marque LA REDOUTE et avec les nouvelles enseignes SO REDOUTE du groupe du requérant afin de les attirer sur les sites qu’il exploite, sans qu’il soit nécessaire pour l’Expert d’analyser s’il existe un risque de confusion entre l’activité du défendeur et celle du requérant.

Par conséquent, l’Expert décide que le défendeur a enregistré et qu’il utilise le nom de domaine <soredoute.com> de mauvaise foi.

 

7. Décision

Conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, l’Expert ordonne le transfert du nom de domaine <soredoute.com> au Requérant.


Christiane Féral-Schuhl
Expert Unique

Le 28 septembre 2007