WIPO

 

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Vente-Privee.Com contre Charbonnier Hugues

Litige n° D2007-1756

 

1. Les parties

Le Requérant est la société Vente-Privee.Com, Saint-Denis, France, représentée par le Cabinet Degret, France.

Le Défendeur est M. Charbonnier Hugues, France.

 

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <ventz-privee.com>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est OVH.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par la société Vente-Privee.Com auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 28 novembre 2007 par courrier électronique et sur support papier le 3 décembre 2007.

En date du 3 décembre 2007, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, OVH, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 4 décembre 2007.

Le 5 décembre 2007, par courrier électronique et le 10 décembre 2007, sur support papier, le Centre a reçu du Requérant un amendement à sa plainte, aux fins de prendre en compte les données d’identification du Défendeur fournies par l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 6 décembre 2007, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 26 décembre 2007. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 27 décembre 2007, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 4 janvier 2008, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Christiane Féral-Schuhl. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

Le contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux est rédigé en français, de sorte que la présente procédure sera conduite en langue française, conformément au paragraphe 11(a) des Règles d’application.

 

4. Les faits

Le Requérant est la société Vente-Privee.Com qui a pour activité l’achat et la revente par correspondance de tous produits de consommation.

Le Requérant exploite en particulier un site de commerce électronique qui propose à ses membres des ventes évènementielles de produits bénéficiant de fortes décotes. Pour accéder au statut de membre, l’internaute doit avoir été parrainé par une personne étant déjà membre du site internet car il doit indiquer l’adresse électronique d’un membre dans le formulaire d’inscription du site internet. Le parrain bénéficie alors d’un bon d’achat d’une valeur de huit euros à valoir sur les produits commercialisés sur le site internet du Requérant.

Le site internet du Requérant est accessible via les noms de domaine <vente-privee.com>, <venteprivee.com>, <vente-privee.fr>, <vente-privee.net>, <vente-privee.be> ou <vente-privee.eu>, que le Requérant justifie avoir enregistrés entre le 30 mars 2000 et le 7 avril 2006.

Le Requérant justifie par ailleurs être titulaire des marques suivantes :

- marque française VENTE PRIVEE.COM (semi-figurative) n° 03 3 263 431 déposée le 17 décembre 2003 auprès de l’INPI pour des produits ou services de classes 35, 38 et 41;

- marque française VENTE-PRIVEE.COM (semi-figurative) n° 04 3 318 310 déposée le 14 octobre 2004 auprès de l’INPI pour des produits ou services de classes 35, 38 et 41;

- marque française VENTE-PRIVEE (semi-figurative) n° 05 3 393 310 déposée le 23 novembre 2005 auprès de l’INPI pour des produits ou services de classes 35, 38 et 41;

- marque française VENTE-PRIVEE.COM FAITES VOUS INTERDIRE n° 06 3 440 679 déposée le 13 juillet 2006 auprès de l’INPI pour des produits ou services de classe 16, 35 et 38;

- marque communautaire VENTE-PRIVEE.COM (semi-figurative) n° 004079554 déposée le 18 octobre 2004 pour des produits ou services de classes 35, 38 et 41;

- marque communautaire VENTE-PRIVEE.COM (semi-figurative) n° 004079554 déposée le 24 octobre 2006 pour des produits ou services des classes 1 à 45.

Le Défendeur est M. Hugues Charbonnier qui a enregistré le nom de domaine <ventz-prive.com> le 7 septembre 2007.

Lorsque le Requérant a engagé la présente procédure, le nom de domaine litigieux redirigeait vers une page internet ayant pour url “http://sharky172.free.fr/services/vente_privee.html”, composée en son centre d’un lien hypertexte intitulé “Accèder à Vente-privee.com” et, sur deux colonnes à gauche et à droite de ce lien, de liens hypertextes publicitaires relatifs à des services de vente évènementielle.

Le lien hypertexte “Accèder à Vente-privee.com” renvoyait à une page du site internet exploité par le Requérant constituée du formulaire d’inscription au service que le Requérant exploite sur son site internet, la rubrique “Entrez l’adresse e-mail de votre parrain” étant d’ores et déjà complétée par un e-mail reprenant une partie de l’url http://sharky172.free.fr/services/vente_privee.html.

C’est dans ce contexte que le Requérant a engagé la présente procédure à l’encontre du Défendeur.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

A titre liminaire, le Requérant expose les éléments relatifs à sa notoriété en tant qu’acteur du commerce électronique, en produisant notamment une importante revue de presse ainsi que des statistiques de fréquentation très détaillées de son site internet.

Sur le fond du litige, le Requérant fait valoir, en premier lieu, que le nom de domaine litigieux est similaire à ses marques antérieures. Il considère que l’élément essentiel et dominant des ses marques est bien l’expression “vente-privee” quand bien même ses marques sont semi-figuratives.

De même le Requérant estime que la substitution du dernier “e” du mot “vente” par un “z” dans le nom de domaine litigieux n’est guère perceptible et ne suffit pas à rendre ce nom de domaine différent de ses marques antérieures.

Le Requérant fait de plus remarquer la proximité des lettres “e” et “z” sur un clavier de type “Azerty” et conclut que cette circonstance contribue à la proximité de ses marques avec le nom de domaine litigieux.

En second lieu, le Requérant fait valoir que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache, dès lors :

- que le Défendeur n’est pas connu sous le nom de domaine litigieux ou sous une partie de ce nom de domaine;

- qu’au terme de recherches menées dans les bases de données des marques en vigueur en France, le Défendeur ne détient aucun droit sur tout ou partie de la dénomination correspondant au nom de domaine litigieux;

- que le Défendeur n’a jamais formé de réclamation à l’encontre de l’exploitation de la dénomination VENTE-PRIVEE.COM par le Requérant;

- que le Requérant n’a en aucune manière autorisé le Défendeur à faire usage du nom de domaine contesté;

- que le Défendeur ne fait ni un usage non commercial légitime, ni un usage loyal du nom de domaine litigieux mais au contraire utilise celui-ci dans l’optique de détourner à des fins lucratives les internautes en créant une confusion;

- que le Défendeur n’a jamais utilisé le nom de domaine litigieux en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services.

En troisième lieu, le Requérant fait valoir que le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

Le Requérant considère qu’en utilisant le nom de domaine litigieux, le Défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les internautes sur un site internet lui appartenant et ce, en créant un risque de confusion avec les marques du Requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation du site ou d’un produit ou service qui y est proposé.

Le Requérant estime que la réunion des circonstances suivantes caractérise la mauvaise foi du Défendeur :

- le Défendeur a opté pour les services d’anonymisation offerts par son unité d’enregistrement;

- la dénomination “ventz-privee.com” n’a de sens que prise en relation avec les marques enregistrées du Requérant;

- le Défendeur ne pouvait ignorer les droits du Requérant compte tenu (i) de la notoriété de celui-ci, (ii) de l’existence sur le site “www.ventz-privee.com” d’une redirection vers le site internet du Requérant et (iii) de son plus que probable statut de membre du site internet du Requérant;

- en enregistrant le nom de domaine litigieux, le Défendeur s’est livré à une pratique dite de “typosquatting”, qui est en elle-même une preuve de la mauvaise foi de celui qui s’y livre.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas présenté d’observations dans le cadre de la présente procédure.

 

6. Discussion et conclusions

Le paragraphe 15(a) des Règles d’application prévoit que “la Commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux Principes directeurs, aux présentes Règles et à tout Principe ou Règle de droit qu’elle juge applicable”.

Au demeurant, le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au Requérant de prouver contre le Défendeur cumulativement que :

(i) son nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produit ou de service sur laquelle le Requérant a des droits;

(ii) le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y rattache;

(iii) son nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

En conséquence, il y a lieu de s’attacher à vérifier que chacune de ces conditions est bien remplie par le Requérant.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

La Commission constate que le Requérant a établi détenir des droits de marque sur plusieurs dénominations contenant l’expression “vente-privee” et plus particulièrement sur la dénomination VENTE-PRIVEE.COM.

La Commission relève que le nom de domaine litigieux ne diffère de la dénomination VENTE-PRIVEE.COM enregistrée par le Requérant que d’une seule lettre. En effet, le “e” figurant à la fin du mot “vente” a été substitué par la lettre “z” dans le nom de domaine litigieux. A l’exception de cette substitution, le nom de domaine litigieux reproduit au même rang et dans le même ordre l’ensemble des lettres constituant la dénomination VENTE-PRIVEE.COM.

La Commission constate de plus que les lettres ainsi substituées sont situées l’une à côté de l’autre sur un clavier de type “Azerty”, de sorte qu’un internaute d’attention moyenne peut, du fait d’une simple et commune faute de frappe, être amené à saisir le nom de domaine litigieux et non, comme il l’entendait, l’expression “vente-privee.com”. La Commission est d’avis que cette circonstance accroît encore le risque de confusion entre le nom de domaine litigieux et l’expression “vente-privee.com” qui constitue l’élément essentiel des marques du Requérant.

Si le nom de domaine litigieux et la marque VENTE-PRIVEE.COM ne sont donc pas strictement identiques, il existe entre eux une similitude telle qu’elle est effectivement de nature à prêter à confusion.

La Commission considère en conséquence que le nom de domaine litigieux est similaire au point de prêter à confusion aux marques détenues par le Requérant et que le critère posé à l’article 4(a)(i) des Principes directeurs se trouve donc rempli.

B. Droits ou légitimes intérêts

L’Expert relève qu’aucun des éléments auquel elle a pu avoir accès dans le cadre de la présente procédure n’est de nature à la conduire à considérer que le Défendeur disposerait de droits ou d’intérêts légitime sur le nom de domaine litigieux. En particulier, la Commission constate, même si cette seule circonstance n’est pas de nature à emporter sa conviction, que le Défendeur n’a présenté aucune observation dans le cadre de la présente procédure.

A l’inverse, la Commission constate que le Requérant, d’une part, établit qu’il n’a jamais autorisé le Défendeur à utiliser le nom de domaine litigieux à quel que titre que ce soit et, d’autre part, justifie qu’il est improbable que le Défendeur dispose de droits ou d’intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux.

A ce titre, la Commission retient que le Requérant rapporte pertinemment qu’aucune dénomination sociale, ni aucune marque française ne peuvent être manifestement mises en relation avec l’identité du Défendeur, ni qu’aucun élément ne permet de considérer que le Défendeur serait connu sous le nom de domaine litigieux.

De même, la Commission constate qu’il ne peut être mis au crédit du Défendeur la volonté de faire du nom de domaine litigieux une exploitation non commerciale légitime ou un usage loyal.

La Commission retient en effet qu’en exploitant le nom de domaine litigieux le Défendeur a manifestement eu l’intention de créer une confusion dans l’esprit des internautes et ce à des fins lucratives.

La Commission fonde cette conviction tant au regard de la confusion que le Défendeur a cherché à créer entre le nom de domaine litigieux et la marque VENTE-PRIVEE.COM - confusion relevant d’une pratique de typosquatting - que du but poursuivi par le Défendeur en exploitant le nom de domaine litigieux.

Cette exploitation conférait en effet au Défendeur une double source de revenus, d’une part du fait de la présence de liens commerciaux sur son site internet et d’autre part du fait des bons d’achat à valoir sur le site internet du Requérant dont, selon toute vraisemblance, le Défendeur se voyait gratifié lorsqu’un internaute devenait membre de ce site en remplissant le formulaire d’inscription rendu accessible via le lien “Accèder à Vente-privee.com” proposé sur le site internet du Défendeur.

En conséquence de ce qui précède, la Commission retient que le critère posé à l’article 4(a)(ii) des Principes directeurs est rempli.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

La Commission considère qu’il ressort des éléments de la procédure que l’enregistrement du nom de domaine litigieux par le Défendeur relève manifestement d’une pratique dite de typosquatting.

En effet, le fait que les lettres “e” et “z”, qui constituent la seule différence entre le nom de domaine litigieux et la marque VENTE-PRIVEE.COM, soient situées l’une à côté de l’autre sur un clavier “Azerty”, conduit la Commission à considérer que la volonté du Défendeur en enregistrant le nom de domaine litigieux était bien de profiter des éventuelles fautes de frappe des internautes pour générer du trafic sur son site internet et ainsi augmenter ses chances de gains.

La Commission constate que l’usage de mauvaise foi du nom de domaine litigieux est également caractérisé au regard de l’ensemble des circonstances du litige.

En particulier, le fait pour le Défendeur d’avoir utilisé le nom de domaine litigieux aux fins de créer un site internet sur lequel figure un lien renvoyant à une page du site internet du Requérant en violation des conditions d’utilisations de ce site et aux fins d’obtenir un avantage pécuniaire caractérise cette mauvaise foi.

La Commission considère que relève également de l’usage de mauvaise foi le fait pour le Défendeur d’avoir fait figurer sur son site internet des liens commerciaux relatifs à des services concurrents de ceux proposés par le Requérant.

La Commission estime en effet que l’utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur a été de nature à perturber l’exploitation du site internet du Requérant et à porter atteinte à l’image de marque et à la notoriété que le Requérant a justifié avoir acquises sur internet.

En conséquence de quoi, la Commission retient que le critère posé à l’article 4(a)(iii) des Principes directeurs est rempli.

 

7. Décision

Au regard des éléments développés ci-dessus et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles, la Commission ordonne le transfert du nom de domaine <ventz-privee.com> au profit du Requérant.


Christiane Féral-Schuhl
Expert Unique

Date : Le 18 janvier 2008