WIPO

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE L’EXPERT

SNCF contre Jean-Yves Creusot

Litige n° DFR2007-0062

 

1. Les parties

Le Requérant est la SNCF, Paris, France, représentée par le Cabinet Santarelli, Paris, France, et par Ordipat, Paris, France.

Le Défendeur est Jean-Yves Creusot, Le Thillot, France.

 

2. Nom de domaine et prestataire Internet

Le litige concerne le nom de domaine <tgv-est.fr> enregistré le 6 juin 2005.

Le prestataire Internet est la société Namebay, Monaco.

 

3. Rappel de la procédure

Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 3 janvier 2008, par courrier postal et le 16 janvier 2008, par courrier électronique.

Le 3 janvier 2008, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.

Le 3 janvier 2008, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige.

Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci-après la “Charte”).

Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 16 janvier 2008. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 6 février 2008. Le défendeur a fait parvenir sa réponse le 1er février 2008.

Le 12 février 2008, le Centre nommait Christophe Caron comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.

 

4. Les faits

Le Requérant est la Société Nationale des Chemins de Fer Français (ci-après la “SNCF”), établissement public à caractère industriel ou commercial. Le Requérant exploite les chemins de fer français et jouit donc d’une très grande notoriété parmi le public.

Le Requérant a récemment ouvert une ligne de train à grande vitesse (TGV), vers l’est de la France, afin notamment de relier Paris à Strasbourg par ce type de train.

A ce titre, il est titulaire de plusieurs marques constituées des dénominations “TGV” et “TGV Esteuropéen”.

Parmi ces marques, il est possible de citer les titres suivants :

- Marque française n° 1 566 899 TGV du 17 août 1978, dûment renouvelée;

- Marque française n° 1 704 927 T.G.V. du 12 novembre 1991, dûment renouvelée;

- Marque française n° 94 506 076 TGV du 11 février 1994, dûment renouvelée;

- Marque française n° 06 3 405 710 TGV Esteuropéen du 25 janvier 2006;

- Marque internationale n° 908 267 TGV Esteuropéen du 21 juillet 2006.

Le Requérant exploite également les sites Internet désignés par les noms de domaine <tgv.com> et <tgesteuropeen.com>.

Le Requérant a découvert que le Défendeur avait enregistré le nom de domaine <tgv-est.fr>. Il a également constaté que le Défendeur exploite à cette adresse un site qui reproduit une plaquette commerciale du Requérant indiquant les temps de trajet du TGV Est tout en renvoyant vers ses sites officiels.

C’est alors que le Requérant a décidé de déposer une demande auprès du Centre afin d’obtenir la transmission du nom de domaine <tgv-est.fr>.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant considère que l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine par le Défendeur constitue une atteinte à ses droits. Il prouve qu’il est titulaire de plusieurs marques constituées des expressions “TGV Esteuropéen” et “TGV”.

Il estime donc que le nom de domaine litigieux reproduit intégralement ses marques TGV, ainsi que la partie principale des marques TGV ESTEUROPEEN, ce qui engendre un risque de confusion pour l’internaute.

Le Requérant souligne également que le Défendeur n’a aucun droit de propriété intellectuelle sur le signe “TGV Est” et n’a obtenu davantage une autorisation pour l’exploiter en tant que nom de domaine. Il n’a donc pas d’intérêt légitime pour réserver et utiliser le nom de domaine litigieux. En revanche, le Requérant considère que le Défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine de mauvaise foi.

Le Requérant réclame donc que le nom de domaine <tgv-est.fr> lui sont transféré.

B. Défendeur

Le Défendeur estime que le nom de domaine litigieux ne porte pas atteinte aux droits de propriété intellectuelle du Requérant. Il souligne que l’expression “TGV Est” n’a pas fait l’objet d’un dépôt de marque par le Requérant et que l’activité de son site ne concerne que des services d’information. Le Requérant ajoute que son nom de domaine a été déposé conformément à la Charte. Il précise également qu’il a un intérêt légitime à utiliser le nom de domaine litigieux car il habite dans une région dessertie par le TGV- Est et qu’il souhaite promouvoir le tourisme dans sa région. Par ailleurs, le Requérant rappelle qu’il n’a pas voulu vendre le nom de domaine litigieux, ni exploiter commercialement le nom de domaine et que les visiteurs de son site sont dirigés vers les sites officiels dédiés au TGV.

Il en conclut qu’il est victime d’une tentative d’intimidation avec un objectif de recapture illicite du nom de domaine, que le litige est inexistant et que les arguments du Requérant sont sans fondement réel.

 

6. Discussion

L’Expert constate que le Requérant invoque un enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur en violation de ses droits et sollicite, en conséquence, la transmission des noms de domaine à son profit.

L’Expert rappelle que, conformément à l’article 20(c) du Règlement: “Il fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le Défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers tels que définis à l’article 1 du présent Règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le Requérant a justifié de ses droits sur l’élément, objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.

L’Expert rappelle également que l’article 1 du Règlement dispose que l’on entend par “atteinte aux droits des tiers”, au titre de la Charte, “une atteinte aux droits des tiers protégés en France et en particulier à la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale et aux droits au nom, au prénom et au pseudonyme d’une personne”.

En conséquence, l’Expert s’est attaché à vérifier, au vu des arguments et pièces soumis par les parties, si l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux portait atteinte aux droits du Requérant et, le Requérant sollicitant la transmission des noms de domaine à son profit, s’il justifiait de droits sur ce nom de domaine.

(i) Enregistrement du nom de domaine litigieux

L’article 19 (1) de la Charte de nommage de l’AFNIC demande au déposant d’un nom de domaine de s’assurer avant l’enregistrement que ce dernier ne porte pas atteinte aux droits des tiers.

Lors de l’enregistrement, qui a été effectué en 2005, le Défendeur ne pouvait pas porter atteinte aux marques du Requérant qui reproduisent l’expression “TGV Esteuropéen” car elles ont été déposées postérieurement en 2006 (marque française n° 06 3 405 710 TGV ESTEUROPEEN du 25 janvier 2006; marque internationale n° 908 267 TGV ESTEUROPEEN du 21 juillet 2006).

Mais, lors de l’enregistrement, le Défendeur ne pouvait pas ignorer qu’il portait atteinte aux droits du Requérant sur ses marques notoires, déposées antérieurement, qui protègent le sigle “TGV” (marque française n° 1 566 899 TGV du 17 août 1978, dûment renouvelée; marque française n° 1 704 927 T.G.V. du 12 novembre 1991, dûment renouvelée; marque française n° 94 506 076 TGV du 11 février 1994, dûment renouvelée). Ces marques étant notoires, elles bénéficient d’une protection élargie. Or, en l’espèce, le nom de domaine litigieux reproduit, en tant qu’élément premier et dominant, l’intégralité des marques du Requérant, ce qui ne peut qu’entraîner un risque de confusion pour l’internaute d’attention moyenne. Par ailleurs, le site désigné par le nom de domaine litigieux a une activité identique et similaire à celle des sites officiels exploités par le Requérant car il consiste à livrer des informations sur le TGV Est.

Par ailleurs, le Défendeur n’avait aucun intérêt légitime à enregistrer le nom de domaine litigieux car il ne disposait pas de droits de propriété intellectuelle sur l’expression “TGV Est” et n’a pas davantage obtenu une autorisation d’utilisation de la part du Requérant. Le fait d’habiter dans la région traversée par le TGV Est et de souhaiter promouvoir le tourisme dans cette région ne constitue pas un intérêt légitime susceptible de permettre l’enregistrement du nom de domaine litigieux en violation des droits des tiers.

Enfin, le fait de vouloir sauvegarder les intérêts du Requérant en enregistrant un nom de domaine ne constitue nullement un intérêt légitime, d’autant plus que cette attention louable ne s’est jamais concrétisée par une offre gracieuse de transfert à son profit.

L’enregistrement du nom de domaine <tgv-est.fr> porte donc incontestablement atteinte aux droits de propriété intellectuelle du Requérant.

(ii) Utilisation du nom de domaine en violation des droits des tiers

En utilisant le nom de domaine <tgv-est.fr> dont la première partie comporte l’expression “TGV” et la seconde désigne la région emblématique de l’expansion récente du TGV, annoncée depuis plusieurs années, le Défendeur a provoqué un risque de confusion chez les internautes d’attention moyenne qui pouvaient avoir légitimement le sentiment d’entrer en relation avec un site officiel de la SNCF ou avec un site partenaire de cette dernière. Ce risque de confusion est d’autant plus avéré que le site offre des liens hypertextes vers d’autres sites de la SNCF, ce qui peut laisser croire que le site désigné par le nom de domaine litigieux est l’un des sites de la SNCF offrant des informations sur le TGV Est. Or, il apparaît que le Défendeur n’a fait aucun effort pour distinguer clairement son site de ceux de la SNCF, entraînant sciemment ou par négligence une confusion préjudiciable pour la SNCF.

Si l’intention lucrative dans l’utilisation d’un nom de domaine en violation des droits des tiers constitue un facteur aggravant, force est de constater que l’absence de recherche de lucre ne rend pas pour autant l’utilisation du nom de domaine licite dès lors qu’elle porte atteinte aux droits des tiers.

L’utilisation du nom de domaine <tgv-est.fr> porte donc incontestablement atteinte aux droits de propriété intellectuelle du Requérant.

 

7. Décision

Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine <tgv-est.fr>.


Christophe Caron
Expert

Date : Le 26 février 2008