Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI
DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE
SFMI - Micromania contre Domain Drop S.A.
Litige n° D2008-0081
1. Les parties
Le Requérant est SFMI - Micromania, Valbonne, France, représenté par Cabinet Germain & Maureau, France.
Le Défendeur est Domain Drop S.A, Charleston, Fédération des Indes occidentales, Saint-Kitts-et-Nevis.
2. Nom de domaine et unité d’enregistrement
Le litige concerne le nom de domaine <micromania.net> (ci-après désigné le “Nom de Domaine”).
L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le Nom de Domaine est enregistré est DomainDoorman, LLC.
3. Rappel de la procédure
Une plainte a été déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 22 janvier 2008.
En date du 22 janvier 2008, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, DomainDoorman, LLC, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 24 janvier 2008.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 30 janvier 2008, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 19 février 2008. Le défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 20 février 2008, le Centre notifiait le défaut du défendeur.
En date du 28 février 2008, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Jacques de Werra. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
4. Les faits
Le Requérant est une société française qui est active dans le domaine de la distribution de jeux vidéo et de consoles de jeux. Elle exploite 280 boutiques en France.
Le Requérant est titulaire de marques enregistrées sur le plan international et en France, soit nommément la marque internationale “MICROMANIA” 572,955 enregistrée le 24 juin 1991 couvrant divers pays, et portant sur des produits et services en classes 9, 25, 28, 35, 38, 41 et 42, et la marque française “MICROMANIA” n° 3173019 déposée le 8 juillet 2002 portant sur des produits et services en classes 9, 25, 28, 35, 38, 41 et 42.
Le Requérant est en outre titulaire de différents noms de domaine parmi lesquels figurent en particulier <micromania.fr> (qui est actif depuis le 20 décembre 1996), <micromania.eu> et <micromania.tv>.
Le Défendeur a enregistré le Nom de Domaine le 29 juillet 2006. Le Nom de Domaine est utilisé par le Défendeur pour pointer vers des sites commercialisant des jeux vidéo et des consoles de jeux identiques ou concurrents à ceux commercialisés par le Requérant.
5. Argumentation des parties
A. Requérant
Le Requérant soutient en premier lieu que le Nom de Domaine reproduit sa marque “MICROMANIA” à l’identique.
Le Requérant indique ensuite que le Défendeur n’a aucun droit ni aucun intérêt légitime sur le Nom de Domaine, le Défendeur n’ayant pas été autorisé à enregistrer ou à utiliser un nom de domaine comportant la marque du Requérant et n’étant pas un distributeur ou un détaillant légitime des produits et services du Requérant. Le Défendeur n’a en outre pas utilisé le Nom de Domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services ou fait des préparatifs sérieux à cet effet. Il n’est pas non plus connu sous le Nom de Domaine. Il n’a enfin pas fait un quelconque usage non commercial légitime ou loyal du Nom de Domaine.
Le Requérant soutient enfin que le Nom de Domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi par le Défendeur. En effet, le Requérant considère que le Nom de Domaine a été enregistré par le Défendeur alors que ce dernier avait à l’esprit sa marque “MICROMANIA”, sachant que cette marque et le nom correspondant sont bien connus en France dans le domaine des jeux vidéo et des consoles de jeux. Le Requérant relève à cet égard que le Défendeur utilise le Nom de Domaine pour pointer vers une page rédigée en langue française et comportant des liens qui sont tous relatifs au domaine des jeux vidéo. Dans ces circonstances, le Requérant considère que le Nom de Domaine est utilisé de mauvaise foi par le Défendeur.
Le Requérant requiert en conséquent le transfert du Nom de Domaine.
B. Défendeur
Le Défendeur n’a transmis aucune réponse.
6. Langue de la procédure
Le paragraphe 11(a) des Règles d’application prévoit que, sauf convention contraire, la langue de la procédure entre les parties est celle du contrat d’enregistrement. Toutefois, la Commission administrative peut décider qu’il en sera autrement, compte tenu des circonstances de la procédure administrative.
En l’espèce, l’unité d’enregistrement auprès de laquelle le Nom de Domaine a été enregistré a informé le Centre le 24 janvier 2008 que la langue du contrat d’enregistrement était l’anglais.
Le Requérant a toutefois déposé sa plainte en français et requis dans sa plainte que la langue de la procédure soit le français compte tenu du fait que le Requérant est une société française dont le nom et la marque sont largement connus en France, que le Nom de Domaine est utilisé par le Défendeur pour pointer vers une page rédigée en français qui cible ainsi le public français et que le Défendeur a choisi d’enregistrer le Nom de Domaine reprenant le nom et la marque du Requérant pour le faire pointer vers un site français.
Le choix fait par le Défendeur d’enregistrer le Nom de Domaine qui correspond à l’identique au nom et à la marque d’une société française et l’utilisation faite par le Défendeur du Nom de Domaine qui vise un public français (ou à tout le moins un public francophone) permettent à la Commission administrative de considérer que le Défendeur doit se laisser imputer une maîtrise suffisante de la langue française. Voir Société d’information et de créations SIC contre Pierre Guynot, Litige OMPI No. D2006-0944, (retenant que le fait que le site Internet auquel le nom de domaine renvoyait ait été rédigé en français comme un élément permettant de retenir, en l’absence de contestation du défendeur, que la procédure peut être conduite en français).
Au demeurant, le Défendeur avait la possibilité de faire valoir dans le cadre de la procédure qu’il souhaitait que la langue de la procédure soit l’anglais (qui est la langue du contrat d’enregistrement relatif au Nom de Domaine), ce qu’il a choisi de ne pas faire. Voir Société des Hôtels Méridien v. ABC-Consulting, Litige OMPI No. D2004-0792. Il est précisé à ce propos que lors de la notification de la requête le 30 janvier 2008, le Défendeur a été expressément invité, en anglais et en français, par le Centre à notifier à ce dernier s’il avait des difficultés linguistiques au sujet de la requête jusqu’au 6 février 2008, ce qu’il n’a pas fait.
Par conséquent, au vu des circonstances du cas d’espèce, la Commission décide que la langue de la procédure administrative est le français.
7. Discussion et conclusions
Conformément au paragraphe 4.a. des Principes directeurs, la Commission administrative doit déterminer si sont réunies les trois conditions posées par celui-ci, à savoir:
i) si le Nom de Domaine est identique à une marque de produit ou de service appartenant au Requérant ou suffisamment proche pour engendrer la confusion,
ii) si le Défendeur n’a pas un droit ou un intérêt légitime à l’utilisation du Nom de Domaine et
iii) si le Défendeur a enregistré et utilise le Nom de Domaine avec mauvaise foi.
A. Identité ou similitude prêtant à confusion
La Commission administrative constate que le Requérant est titulaire d’une marque internationale et d’une marque française portant sur le terme “MICROMANIA”. Sur cette base, la Commission administrative peut conclure que le Nom de Domaine est identique au Nom de Domaine.
Dans ces circonstances, la Commission administrative considère que la première condition du paragraphe 4.a.i) des Principes directeurs est remplie.
B. Droits ou légitimes intérêts
Si la charge de la preuve de l’absence de droits ou intérêts légitimes du défendeur incombe au requérant, les commissions administratives considèrent qu’il est difficile de prouver un fait négatif. Il est donc généralement admis que le requérant doit établir prima facie que le défendeur n’a pas de droit ni d’intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux. Il incombe ensuite au défendeur d’établir le contraire. S’il n’y parvient pas, les affirmations du requérant sont réputées exactes. Voir Denios Sarl contre Telemediatique France, Litige OMPI No. D2007-0698.
En l’espèce, la Commission administrative constate tout d’abord que le Défendeur n’a pas contesté les affirmations du Requérant ni fourni d’informations de nature à démontrer un quelconque droit ou intérêt légitime à l’utilisation du Nom de Domaine.
La Commission administrative relève ensuite que la marque “MICROMANIA” du Requérant est une marque distinctive de sorte que l’enregistrement par le Défendeur de la marque du Requérant comme nom de domaine ne peut être le fruit du hasard, la Commission administrative notant en outre que le Défendeur n’est pas affilié au Requérant et n’a pas été autorisé par ce dernier à enregistrer un nom de domaine comportant la marque “MICROMANIA” du Requérant.
La Commission administrative constate enfin que le Nom de Domaine est utilisé par le Défendeur comme page commerciale contenant des liens vers des sites offrant des produits identiques ou concurrents à ceux commercialisés par le Requérant (soit des jeux vidéos et des consoles de jeux) dont le Défendeur tire certainement des revenus (par le système des liens sponsorisés). Or, un tel usage du Nom de Domaine ne crée pas de droit ou d’intérêt légitime du Défendeur sur le Nom de Domaine, comme constaté à propos du même Défendeur dans d’autres procédures. Voir, notamment, Autoridad Portuaria de Santander v. Domain Drop, S.A., Litige OMPI No. D2007-1601, et The Southern Company, Georgia Power Company and Gulf Power Company v. Marketing Total S.A., Keyword Marketing, Inc., and Domain Drop S.A., Litige OMPI No. D2007-1048.
La Commission administrative estime sur cette base que le Défendeur n’a pas de droit ni d’intérêt légitime sur le Nom de Domaine et que, partant, la seconde condition figurant au paragraphe 4.a.ii) des Principes directeurs est également remplie.
C. Enregistrement et usage de mauvaise foi
La Commission administrative constate qu’en raison du caractère distinctif de la marque “MICROMANIA”, le Défendeur ne pouvait pas ignorer celle-ci au moment de l’enregistrement du Nom de Domaine qui reproduit cette marque à l’identique de sorte que la Commission administrative peut en conclure que le Nom de Domaine a été enregistré de mauvaise foi par le Défendeur.
De plus, l’utilisation du Nom de Domaine faite par le Défendeur confirme que ce dernier exploite le nom et la réputation de la marque “MICROMANIA” du Requérant en utilisant le Nom de Domaine à des fins commerciales pour pointer vers des site des produits qui sont identiques ou concurrents à ceux commercialisés par le Requérant.
Or, il est acquis qu’une telle utilisation d’un Nom de Domaine constitue une utilisation de mauvaise foi, le Défendeur ayant tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un site Web ou autre espace en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du Requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation du site ou espace Web du Défendeur ou d’un produit ou service qui y est proposé au sens du paragraphe 4.b.iv) des Principes directeurs. Voir Autoridad Portuaria de Santander v. Domain Drop, S.A., Litige OMPI No. D2007-1601 (concernant le même Défendeur).
En outre, la Commission administrative constate que le Défendeur a été partie défenderesse à plusieurs autres procédures administratives au terme desquelles les noms de domaine concernés ont été transférés aux demandeurs en cause, ce qui constitue une autre preuve de sa mauvaise foi au sens du paragraphe 4.b.ii) des Principes directeurs (en vertu duquel le Défendeur a enregistré le nom de domaine en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, lorsque le défendeur est coutumier d’une telle pratique, ce qui est le cas en l’espèce). Voir, notamment, Autoridad Portuaria de Santander v. Domain Drop, S.A., Litige OMPI No. D2007-1601, Kooks Custom Headers, Inc. v. Domain Drop S.A., Litige OMPI No. D2007-1590, et, The Southern Company, Georgia Power Company and Gulf Power Company v. Marketing Total S.A., Keyword Marketing, Inc., and Domain Drop S.A., Litige OMPI No. D2007-1048 (citant différentes autres procédures concernant le même Défendeur).
La Commission administrative estime dès lors que le Défendeur a enregistré et utilise de mauvaise foi le Nom de Domaine et que la troisième condition figurant au paragraphe 4.a.iii) des Principes directeurs est ainsi remplie.
8. Décision
Au regard des éléments développés ci-dessus et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine <micromania.net> soit transféré au Requérant.
Jacques de Werra
Expert Unique
Le 13 mars 2008