WIPO

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Amanresorts Limited, Amanresorts International Pte Ltd. contre Garnier Thierry / Amangani Resorts

Litige n° D2008-0221

 

1. Les parties

Les Requérantes sont Amanresorts Limited et Amanresorts International Pte Limited, Hong Kong, RAS de Chine, et Singapore, respectivement, représentées par le Cabinet Schmit-Chretien-Schihin SNC, France.

Le Défendeur est Garnier Thierry / Amangani Resorts, Cannes, France, représenté par le Cabinet BRM AVOCATS, France.

 

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <amanganiresort.com>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est OVH.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Amanresorts Ltd et Amanresorts International Pte Ltd. auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 13 février 2008.

En date du 14 février 2008, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, OVH, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par les Requérantes. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 18 février 2008.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 20 février 2008, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 11 mars 2008. Le Défendeur a fait parvenir sa réponse le 11 mars 2008.

En date du 20 mars 2008, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique Monsieur Thomas Legler. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

Par courriers simple et électronique du 21 mars 2008, les Requérantes ont fait parvenir spontanément une réplique sans en avoir été requis par l’Expert soussigné.

Le Défendeur a fait parvenir une duplique le 26 mars 2008 également sans en avoir été requis par l’Expert soussigné.

En date du 2 avril 2008, le délai pour rendre la présente décision a été prorogée au 21 avril 2008.

 

4. Les faits

Les Requérantes fondent leur plainte sur les marques américaine, française et communautaires suivantes déposées par AMANRESORT limited :

- AMANGANI n° 2 590 185 déposée le 15 janvier 1999 en classes 3, 25, 35 et 42 (marque américaine).

- AMAN n° 3165458 déposée le 23 mai 2002 en classes 3, 35, 39, 41, 43, 44 (marque française)

- AMANRESORTS n° 1322338 déposée 21 septembre 1999 en classes 35, 39, 41, 42 (marque communautaire)

- AMANDARI n° 1839729 déposée le 5 septembre 2000 en classes 3, 16, 25, 39, 41, 42 (marque communautaire)

Elles affirment en outre qu’AMANRESORT limited a déposé dans d’autres pays du monde la marque AMAN ou des marques contenant le terme “aman”.

Les Requérantes expliquent qu’elles exploitent une chaîne de 18 hôtels de luxe dans le monde depuis 1998 et que chacun de ses hôtels possède un nom original et distinctif qui est une déclinaison du radical “aman”, dont notamment l’hôtel Amangani aux Etats-Unis ouvert en 1998 et l’hôtel Amanresorts Le Melezin à Courchevel (France) acquis en 1992.

Les Requérantes ajoutent qu’Amanresorts International Pte Limited est titulaire de divers noms de domaines contenant les termes “aman” ou “amanresorts” afin de présenter les hôtels et leurs services dont notamment:

- <amanresorts.com>

- <amangani.com>

Le nom de domaine litigieux <amanganiresort.com> a été enregistré le 23 novembre 2004, selon l’extrait communiqué par les Requérantes sous annexe 1, au nom de Amangani Resort / Garnier Thierry.

Le site “www.amanganiresort.com” présente un hôtel situé à Cannes dénommé Amangani Resort Hotel.

La Société Hôtelière de la Croix des Gardes (dont le Défendeur est le Président) exploite l’hôtel susmentionné depuis fin 2003 et a déposé le 18 octobre 2004 la marque française RESORT HOTEL AMANGANI.

Enfin, il ressort des pièces produites par le Défendeur que les parties sont en litige depuis l’été 2006 (annexes n° 2 et 12 du Défendeur).

 

5. Argumentation des parties

A. Requérantes

Les Requérantes font valoir leur droit sur leurs marques et indiquent que leur chaîne d’hôtel a acquis une notoriété certaine compte tenu de la large publicité dont elle est l’objet.

Elles précisent par ailleurs que leurs hôtels font l’objet d’une large diffusion sur internet qui est associé à la promotion du Groupe Amanresorts.

Selon elles, il existe un risque de confusion avec leurs marques car, d’une part, l’adjonction du terme “resort” et de l’extension générique “.com” ne permet pas de distinguer le nom de domaine litigieux <amanganiresort.com> des marques AMANGANI et AMANRESORTS et/ou des noms de domaines associés et, d’autre part, le Défendeur exerce sur le site internet litigieux une activité concurrente à la leur s’agissant de présenter un hôtel.

Par ailleurs, les Requérantes précisent que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine ni un intérêt légitime qui s’y attache, car elles ne l’ont pas autorisé à utiliser leurs marques AMANGANI et AMANRESORTS ni à enregistrer un nom de domaine incluant le terme “amangani”.

Enfin, les Requérantes estiment que le Défendeur a enregistré et utilise de mauvaise foi le nom de domaine litigieux car :

- en tant que professionnel de l’hôtellerie, il ne pouvait ignorer l’existence des hôtels des Requérantes et notamment celle de l’hôtel AMANGANI ouvert aux Etats-Unis en 1998 et qui connaît un succès important;

- la langue, le lieu d’établissement ou l’activité du Défendeur ne présentent aucun lien avec la combinaison originale des termes “aman” (“paix” en Sanskritt) et “gani” (“maison” en indien) ;

- il a cherché a créer une confusion dans l’esprit du public car son hôtel vise la même clientèle (internationale et américaine) et propose des prestations similaires aux hôtels du groupe AMANRESORTS. A cet égard, les Requérantes soulignent que le site internet litigieux présente une version anglaise et que si l’on recherche (au moyen d’un moteur de recherche) un hôtel du groupe AMANRESORTS en France, on est dirigé vers le site internet du Défendeur.

B. Défendeur

Le Défendeur fait quant à lui valoir que les Requérantes ne démontrent pas que les marques AMANGANI et AMANRESORTS bénéficient en France d’une quelconque renommée ou notoriété. En effet, le seul hôtel géré par les Requérantes en Europe est situé à Courchevel et est exploité sous le nom commercial “LE MEZELIN”.

En outre, le risque de confusion entre la marque AMANRESORTS et le nom de domaine <amangani.com> peut être écarté au vu des différences visuelles et phonétiques (nombre de mots et de syllabes) qu’ils présentent et au vu de la signification différente des termes “aman” et “amangani”, le premier faisant référence à une fête juive et le deuxième pouvant être traduit par “maison paisible”.

Par ailleurs, le Défendeur estime qu’il a un intérêt légitime à réserver et utiliser le nom de domaine litigieux <amanganiresort.com> car, d’une part, au moment de l’enregistrement, le nom de domaine <amangani.com> n’était pas exploité et faisait l’objet d’une redirection automatique et systématique vers le site <amanresorts.com> et, d’autre part, le nom de domaine litigieux ne fait que reprendre celui de l’hôtel Amangani Resort présenté sur le site et correspondre à la marque française RESORT HOTEL AMANGANI déposée le 18 octobre 2004 par la Société Hôtelière de la Croix des Gardes dont il est le Président et qui exploite l’hôtel français Amangani Resort.

Enfin, le Défendeur soutient que le site internet litigieux n’a pas été enregistré ni n’a été utilisé de mauvaise foi.

D’une part, il n’avait pas connaissance du groupe Amanresorts et de son activité en France au jour de l’enregistrement du nom de domaine au vu de son absence de notoriété. A l’appui de cette affirmation, il expose notamment que :

- les Requérantes n’ont pas démontré que la marque ou l’hôtel AMANGANI jouissait d’une quelconque notoriété (internationale ou américaine), en particulier auprès du public français, étant précisé que le caractère luxueux de l’hôtel Amangani ne suffisait pas à lui conférer une telle renommée;

- le seul hôtel géré en Europe par le groupe Amanresorts, situé à Courchevel, est dénommé “Le Mezelin” et ne commence pas par le terme “aman”;

- la communication de l’hôtel “Le Mezelin” se fait uniquement sous ce nom et principalement en anglais;

- les documents produits par les Requérantes démontrent que le groupe Amanresorts ne communique, en France, que sur les hôtels luxueux à l’autre bout du monde.

D’autre part, il n’existe pas de risque de confusion et de détournement de clientèle car l’internaute qui effectue une recherche en insérant les mots-clés “aman” et “amanresorts” dans le moteur recherche est directement dirigé vers le site internet <amanresorts.com> sans que n’apparaisse sur la page de résultats le nom de domaine litigieux <amanganiresort.com>.

En outre, tous les sites internet exploités par le groupe Amanresorts sont présentés en langue anglaise et même la brochure consacrée à l’hôtel “Le Mezelin” est présentée prioritairement en langue anglaise alors que le site du Défendeur et la brochure de son hôtel sont présentés prioritairement en français car les premiers visent un public anglophone alors que les seconds un public francophone.

Enfin, le Défendeur indique qu’il est normal qu’il propose des prestations similaires à celles du groupe Amanganiresorts puisque tous les deux sont actifs dans le secteur de l’hôtellerie.

 

6. Autres écritures

Conformément à l’article 12 des Règles d’application, l’Expert/Commission peut requérir la production d’autres écritures ou pièces par les parties.

Dans la décision Harvey Norman Retailing Pty Ltd v. gghome.com Pty Ltd., Litige OMPI No. D2000-0945, la commission administrative a considéré que des écritures supplémentaires ne devaient être requises que dans des cas exceptionnels. En effet, si la requête d’écritures supplémentaires devenait habituelle, la résolution des litiges prendrait beaucoup plus de temps pour tous (les parties, la commission et l’administrateur du litige) et un tel résultat serait contraire à l’intention de l’ICANN qui a adopté les Principes directeurs et leurs Règles d’application.

Pour le surplus, les Règles d’application ne contiennent pas de dispositions spécifiques concernant des écritures ou éléments de preuves supplémentaires apportés par les parties spontanément (soit sans qu’elles en soient requises par l’expert/commission), de sorte que leur recevabilité, pertinence, la matérialité et poids doivent être déterminés par l’expert/commission conformément à l’article 10 des Règles d’application.

En l’espèce, le Défendeur n’a pas contesté la recevabilité de la réplique des Requérantes et a fait parvenir sa duplique, de sorte que le droit d’être entendu des parties serait, en principe, respecté.

L’Expert soussigné ne prendra cependant pas en compte lesdites écritures supplémentaires compte tenu que, d’une part, de telles écritures n’auraient pas été demandées par l’Expert, la cause pouvant être jugée sur la base de la plainte et de la réponse à celle-ci transmises par les parties et, d’autre part, que la présente procédure administrative est dictée par un souci de simplicité et de célérité ainsi que le rappelle la décision susmentionnée.

 

7. Discussion et conclusions

Aux termes du paragraphe 4(a) des Principes directeurs, le Requérant doit faire valoir que

(i) le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits;

(ii) le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache; et

(iii) le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

La société Amanresorts Limited dispose notamment de la marque américaine AMANGANI depuis le 15 janvier 1999 et de diverses marques contenant le terme “aman”.

Le nom de domaine litigieux <amanganiresort.com> est sans doute similaire à la marque AMANGANI compte tenu du fait que l’adjonction du terme générique “resort” n’a pas de force distinctive particulière et n’influence dès lors pas sur le caractère similaire existant entre les deux signes distinctifs en question.

Par conséquent, l’Expert retient que les Requérantes ont apporté la preuve que le nom de domaine est semblable au point de prêter à confusion avec une marque de produits ou de service sur laquelle Amanresort Limited a des droits, conformément au paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.

Compte tenu de ce qui précède, il n’est pas nécessaire de déterminer si le nom de domaine litigieux est également similaire aux marques contenant le terme “aman”.

B. Droits ou légitimes intérêts

Les Requérantes affirment que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine, ni d’intérêt légitime s’y rapportant.

Selon le paragraphe 4(c)(i) des Principes directeurs, un Défendeur peut prouver ses droits sur un nom de domaine et les intérêts légitimes qui s’y rattachent en démontrant qu’ “avant d’avoir eu connaissance du litige, vous [Défendeur] avez utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services ou fait des préparatifs sérieux à cet effet”.

Il n’est pas contesté

- que le Défendeur est le Président de la Société Hôtelière de la Croix des Gardes,

- que cette dernière exploite depuis le 12 décembre 2003 l’hôtel “Amangani Resort”,

- que le Défendeur a enregistré le 23 novembre 2004 le nom de domaine litigieux,

- et qu’il a déposé la marque française RESORT HOTEL AMANGANI le 18 octobre 2004.

Ces actes se sont ainsi passés bien avant que le Défendeur ait eu connaissance du litige que l’on se réfère à la présente procédure initiée le 13 février 2008 ou aux courriers échangés entre les parties depuis l’été 2006 selon les pièces produites par le Défendeur.

Par ailleurs, il n’y a apparemment pas eu d’opposition à la marque française du Défendeur RESORT HOTEL AMANGANI.

Enfin, le Défendeur semble avoir exploité son hôtel sous le nom “Resort Hotel Amangani” depuis plus de 4 ans sans que les Requérantes l’ait poursuivi en justice pour un acte de violation d’un droit de la propriété intellectuelle ou de la concurrence déloyale.

Il va en outre sans dire que l’exploitation d’un hôtel est une offre de services parfaitement de bonne foi au sens du paragraphe 4(c)(i) des Principes directeurs.

En conséquence, les Requérantes n’ont pas démontré que le Défendeur n’a pas d’intérêts légitimes. La plainte pourrait dès lors déjà être rejetée sur la base de ce qui précède.

Toutefois, par souci d’exhaustivité, l’Expert vérifie par la suite également si l’enregistrement ou l’usage du nom de domaine par le Défendeur a été de mauvaise foi.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Les Requérantes prétendent que le Défendeur a enregistré et utilise de mauvaise foi le nom de domaine litigieux.

Il sied de rappeler que conformément au paragraphe 4(a)(dernière phrase) des Principes directeurs, il appartient au Requérant d’apporter la preuve que cet élément est rempli.

En l’espèce, les Requérantes n’ont pas établi que le Défendeur connaissait, au moment d’enregistrer le nom de domaine litigieux, les marques dont elles se prévalent. En effet, on ne saurait exiger d’une personne qui enregistre un nom de domaine qu’elle procède à une recherche de marques au niveau mondial s’il s’agit d’une activité hôtelière aussi locale que celle du Défendeur.

De plus, les Requérantes n’ont pas établi que leur marque AMANGANI serait une marque de haute renommée telle que le Défendeur ne pouvait pas ne pas la connaître.

En outre, les Requérantes n’ont pas établi que le Défendeur avait “sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’internet sur un site Web ou autre espace en ligne vous appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du Requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de votre site ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé” (paragraphe 4(b)(iv) des Principes directeurs). En effet, les Requérantes n’ont pas démontré que le Défendeur aurait sciemment conçu un site Web sous le nom de domaine litigieux d’une telle façon à ce que les internautes puissent le confondre avec le site du Groupe d’hôtellerie des Requérantes.

De même, les Requérantes n’ont pas non plus démontré que le Défendeur aurait enregistré le nom de domaine essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent (paragraphe 4(b)(iii) des Principes directeurs).

Enfin, il n’y a ni affirmation ni indice dans le dossier à ce que le Défendeur aurait commis un acte conformément au paragraphe 4(b)(i) ou (ii) des Principes directeurs.

Par conséquent, l’Expert retient que le Défendeur n’a pas enregistré ni fait un usage de mauvaise foi du nom de domaine litigieux.

 

8. Décision

Vu les paragraphes 4(a) des Principes directeurs et 15 des Règles, l’Expert décide de rejeter la requête visant au transfert du nom de domaine <amanganiresort.com>.


Thomas Legler
Expert Unique

Le 21 avril 2008