WIPO

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Pneus-online Holding contre Thierry Maille

Litige n° D2008-1098

 

1. Les parties

La requérante est la société Pneus-online Holding, Genève, Suisse, représentée par CMS Bureau Francis Lefebvre, Lyon, France.

Le défendeur est Thierry Maille, Evian, France.

 

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne les noms de domaine <pneuonline.biz> et <pneusonline.biz>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle les noms de domaine sont enregistrés est Gandi SARL.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Pneus-online Holding auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 21 juillet 2008.

En date du 22 juillet 2008, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, Gandi SARL, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par la requérante. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 23 juillet 2008.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 28 juillet 2008, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 17 août 2008. Le défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 18 août 2008, le Centre notifiait le défaut du défendeur.

En date du 22 août 2008, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Richard Hill. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

 

4. Les faits

La requérante détient la marque nominale française PNEUS-ONLINE.COM, déposée le 7 août, la marque semi-figurative internationale, PNEUSONLINE.COM , déposée le 28 juillet 2004, ainsi que la marque française nominale PNEU ONLINE, déposée le 24 mai 2007.

La requérante utilise sa marque pour identifier des services de vente en ligne de pneumatiques.

La requérante a eu recours aux services du défendeur, informaticien indépendant, afin de développer des sites web. Selon la requérante, ces relations ont pris fin en janvier 2005.

A cette époque, le défendeur a créé une société concurrente ayant pour objet la commercialisation de pneumatiques par Internet et il a développé un site Internet copiant de nombreux éléments du site Internet de la requérante.

Les noms de domaines litigieux ont été enregistrés le 4 juin 2006.

Le défendeur n’a pas d’autorisation de la part de la requérante concernant l’utilisation de sa marque et il a porté atteinte au nom commercial de la requérante en enregistrant les noms de domaines litigieux.

Le défendeur utilise les noms de domaine litigieux afin de nuire aux activités commerciales de la requérante et afin de favoriser un concurrent de la requérante.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

La requérante a fait valoir ce qui suit :

La requérante a été constituée au mois d’avril 2001 et elle a créé des filiales par la suite. Ces sociétés ont pour activité la commercialisation de pneumatiques, par le vecteur d’Internet, sous le nom commercial PNEUS-ONLINE. Ce projet commercial a débuté dès le début de l’année 2001; sous des noms de domaine comme ”www.pneus-online.com”, actif depuis juin 2001.

La requérante est devenu une référence en matière de vente de pneus sur Internet, avec un chiffre d’affaires de plus de 11 millions d’euros.

La requérante est notamment titulaire légitime de la marque française PNEUS-ONLINE.COM, déposée le 7 août 2003, et de la marque française PNEUS ONLINE, déposée le 24 mai 2007.

L’identité entre les noms de domaine litigieux et les marques de la requérante d’autre part est incontestable.

Le dépôt des noms de domaine litigieux est postérieur au lancement de l’activité de la requérante, au dépôt de plusieurs noms de domaine <pneusonline> et aux dépôts des deux marques PNEUS ONLINE.COM et de la marque PNEUS ONLINE.

Le défendeur n’a jamais utilisé les noms de domaine litigieux en relation avec une offre de bonne foi de produits ou services et ce, depuis leur enregistrement jusqu’au dépôt de la présente plainte. La requérante certifie qu’elle n’a concédé aucune licence au défendeur aux termes de laquelle ce dernier serait autorisé à utiliser les marques de la requérante. Ces éléments permettent, au sens des décisions précédemment rendues par les commissions administratives de l’OMPI, de retenir l’absence d’intérêt légitime du défendeur sur les noms de domaine litigieux.

Courant 2004, la requérante et ses filiales ont eu recours aux services du défendeur, informaticien indépendant, afin notamment de développer le site Internet “www.pneus-online.fr”. Ces relations ont pris fin en janvier 2005.

La requérante devait par la suite constater que le défendeur a :

- créé une société concurrente ayant pour objet la commercialisation de pneumatiques via le vecteur Internet,

- enregistré le nom de domaine <discount-pneus.fr> à une époque où il travaillait encore avec la requérante,

- développé un site Internet copiant de nombreux éléments du site Internet des requérantes.

Ainsi, il importe de souligner que le défendeur, avant de travailler pour le compte de la requérante, n’avait développé aucune activité de vente de pneumatiques via le vecteur Internet.

C’est dans ces conditions que par actes des 12 et 19 septembre 2006, la requérante a assigné le défendeur devant le Tribunal de Grande Instance de THONON LES BAINS afin de voir constatés et condamnés les agissements déloyaux commis par ce dernier. Alors même que ce litige était en cours, le défendeur a enregistré plusieurs noms de domaines dont les noms de domaine litigieux.

Dans de nombreuses décisions, les commissions administratives ont retenu que constitue un enregistrement de mauvaise foi l’enregistrement du nom de domaine effectué alors que le déposant ne pouvait valablement ignorer les droits du requérant sur la dénomination et le fait que cet “enregistrement était susceptible de gêner le requérant pour refléter sur le réseau l’opération publicitaire qu’il menait depuis longtemps” (voir par exemple, Litige Société Groupe Danone SA contre Société B & D (Business & Decision), OMPI No. D2000-1801, et Litige General Growth Properties, Inc., Provo Mall L.L.C. v. Steven Rasmussen/Provo Towne Centre Online, OMPI No. D2003-0845).

L’enregistrement des noms de domaine litigieux, reprenant à l’identique la marque utilisé depuis plusieurs années par la requérante et pour laquelle cette dernière avait développé d’importants efforts de communication et de publicité traduit, la mauvaise foi du défendeur.

En l’espèce, ce dernier, qui a travaillé pour le compte de la requérante pendant plusieurs mois et développé son site Internet, ne pouvait ignorer les droits de la requérante sur la dénomination “pneus online” correspondant à une marque déposée par la requérante.

Il importe de rappeler que l’enregistrement des noms de domaine litigieux est intervenu alors même qu’une action en justice avait été engagée par la requérante à l’encontre du défendeur.

Ce dernier a manifestement enregistré les noms de domaine litigieux afin de priver la requérante de la possibilité d’en faire usage et de promouvoir son activité à travers ces noms de domaine.

Les noms de domaine litigieux n’ont, à la connaissance de la requérante, fait l’objet d’aucune exploitation depuis leur enregistrement.

Dans de nombreuses décisions, les commissions administratives ont retenu que la détention d’un nom de domaine sans qu’un site actif y corresponde pouvait, dans certains cas, être considérée comme une utilisation de mauvaise foi dudit nom de domaine.

La détention inactive des noms de domaine litigieux constitue indéniablement une utilisation de mauvaise foi de ces noms de domaine.

Par jugement du 5 février 2008, le Tribunal de Grande Instance de THONON LES BAINS a jugé que l’enregistrement de ces noms de domaine constituait une atteinte aux droits de la requérante.

Suite au prononcé de ce jugement, soit le 3 juin 2008, le défendeur n’a pourtant pas hésité à renouveler l’enregistrement de ces noms de domaine, démontrant ainsi sa volonté de priver la requérante de la possibilité de récupérer normalement et amiablement ces noms de domaine, de reprendre leurs marques déposées sous forme de noms de domaine et donc de perturber les activités de la requérante, dont il est devenu un concurrent.

B. Défendeur

Le défendeur n’a pas répondu à la plainte.

 

6. Discussion et conclusions

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Il est évident qu’il y a une identité ou similitude prêtant à confusion entre les marques de la requérante et les noms de domaine litigieux, au sens des Principes directeurs.

B. Droits ou légitimes intérêts

La requérante a établi que le défendeur n’a pas d’autorisation de sa part concernant l’utilisation de ses marques. Par jugement du 5 février 2008, le Tribunal de Grande Instance de THONON LES BAINS a statué (entre-autres) comme suit :

- le défendeur a commis une faute et violé l’engagement de confidentialité souscrit au profit de la requérante en copiant les sites Internet de la requérante et en utilisant cette copie au profit d’un concurrent de la requérante,

- le défendeur a porté atteinte au nom commercial de la requérante en déposant les noms de domaines litigieux.

Il est donc établi que le défendeur n’a pas de droit ou légitimes intérêts aux noms de domaine litigieux.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Par jugement du 31 janvier 2008, la Cour d’appel de LYON a déterminé (entre-autres) que :

- le concurrent pour lequel le défendeur a travaillé après avoir travaillé pour la requérante a fait preuve de mauvaise foi lorsque, dûment averti des marques de la requérante, il a persévéré à utiliser des noms de domaine contenant ces marques, même en sachant qu’ils créaient ou risquaient de créer une grande confusion dans l’esprit des internautes,

- que le comportement fautif de ce concurrent a fait perdre à la requérante une chance de conquérir une part plus importante du marché, alors émergent, de la vente de pneus en ligne.

Au simples, la commission constate que la requérante a établi que les relations professionnelles entre les parties ont pris fin en janvier 2005, avant l’enregistrement des noms de domaine litigieux.

Il est donc établi que le défendeur, qui ne pouvait ignorer les droits de la requérante, a enregistré les noms de domaine litigieux principalement dans le but de nuire aux activités commerciales de la requérante, ce qui constitue une mauvaise foi au sens du paragraphe 4(b)(iii) des Principes directeurs, voir par exemple Ticketmaster Corporation v. Woofer Smith, Litige OMPI No. D2003-0346.

En ne pas affichant des pages web aux noms de domaine litigieux, le défendeur utilise sciemment, en l’espèce, les noms de domaine litigieux dans le but d’affaiblir l’essor et le rayonnement de la requérante, de ses marques et des ses activités, ainsi que de ses sites web. Cette détention passive des noms de domaine constitue dans ces circonstances un usage de mauvaise foi, voir également Telstra Corporation Limited v. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003.

En conséquence, la commission retient que le défendeur a enregistré et utilise les noms de domaine litigieux de mauvaise foi.

 

7. Décision

Pour toutes ces raisons, conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la commission ordonne le transfert des noms de domaine <pneuonline.biz> et <pneusonline.biz> à la requérante.


Richard Hill
Expert Unique

Date : Le 5 septembre 2008