WIPO

Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Patrick Carre - SARL Tahiti Pearl Trading contre Henri Mauger

Litige n° D2009-0282

1. Les parties

Le Requérant est Patrick Carre - SARL Tahiti Pearl Trading, de Papeete, Polynésie française, représenté par Maître Rabal, France.

Le Défendeur est Henri Mauger, Rouen, France.

2. Noms de domaine et unités d'enregistrement

Le litige concerne les noms de domaine <pearlstrading.com>, <tahitipearlstrading.com> et <tahitipearltrading.com>.

Les unités d'enregistrement, auprès desquelles les noms de domaine sont enregistrés, est sont ELB Group Inc et Computer Service Langenbach GmbH dba Joker.com.

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Patrick Carre - SARL Tahiti Pearl Trading auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 4 mars 2009.

En date du 5 mars 2009, le Centre a adressé une requête aux unités d'enregistrement des noms de domaine litigieux, ELB Group Inc et CSL Computer Service Langenbach GmbH dba Joker.com, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 27 mars 2009, les deux unités d'enregistrement ont transmis leur réponse complète. Le Requérant a déposé deux amendements le 6 mars 2009 et le 1 avril 2009.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d'application”), et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l'application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d'application, le 2 avril 2009, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 22 avril 2009. Le Défendeur a fait parvenir sa réponse le 21 avril 2009.

En date du 5 mai 2009, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique Christophe Caron. La Commission administrative constate qu'elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d'application.

4. Les faits

Le Requérant est la société Tahiti Pearl Trading qui a pour objet le négoce en Polynésie et à l'étranger de perles de culture tahitiennes et, plus généralement, de bijoux. Il considère que les trois noms de domaine litigieux - <pearlstrading.com>, <tahitipearlstrading.com> et <tahitipearltrading.com>, qui ont été enregistrés par le Défendeur en 2004, portent atteinte à ses prérogatives.

Le Requérant sollicite le transfert à son profit des noms de domaine <pearlstrading.com>, <tahitipearlstrading.com> et <tahitipearltrading.com>, qui ont été enregistres le 19 août 2004 pour le premier et le 6 août 2004 pour le seconde et le troisième.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant considère que les trois noms de domaine litigieux (<pearlstrading.com>, <tahitipearlstrading.com> et <tahitipearltrading.com>) sont semblables à sa raison sociale “Tahiti Pearl Trading” et que l'ajout d'un simple “s” entre les termes “pearl” et “trading” ne dissipe pas la confusion. Tout en reconnaissant qu'il n'a pas déposé de marque, il considère néanmoins être titulaire d'un droit de marque.

Il considère également que ces trois noms de domaine renvoient vers le site internet du Défendeur qui aurait dû enregistrer un nom de domaine reproduisant sa dénomination sociale, c'est-à-dire “Tahiti Pearls Company”. Le Requérant souligne aussi que les perles vendues par le Défendeur sont de qualité moindre que les siennes et que, de surcroît, il n'est pas attesté qu'elles soient d'origine tahitienne puisque le Défendeur est domicilié à Rouen.

Le Requérant, s'estimant victime d'un risque de confusion et d'un détournement de clientèle, sollicite le transfert à son profit des noms de domaine <pearlstrading.com>, <tahitipearlstrading.com> et <tahitipearltrading.com>.

B. Défendeur

Le Défendeur souligne que le Requérant ne dispose pas de marques déposées qui permettraient de protéger l'expression “Tahiti Pearl trading” pour désigner des perles et des bijoux. D'ailleurs, le Défendeur considère que, si une telle marque existait, elle serait dépourvue de caractère distinctif car le signe serait purement descriptif. Il ajoute que l'expression “Tahiti Pearl trading” n'est pas notoire et que le Requérant ne peut prétendre à avoir un droit sur des noms de domaine génériques déposés antérieurement par autrui.

Le Défendeur indique aussi qu'il n'existe aucune confusion entre ses activités et celles du Requérant. En effet, le Défendeur vend directement des perles aux consommateurs, alors même que le Requérant pratique exclusivement une vente aux commerçants et intermédiaires. Le Défendeur indique également que son logo apparaît sur son site, ce qui dissipe tout risque de confusion avec la société du Requérant. Il conteste aussi la validité du constat d'huissier diligenté par le Requérant.

De plus, il prétend avoir un intérêt légitime à utiliser l'expression “Tahiti Pearl trading” puisqu'il commercialise des perles de Tahiti.

C'est pourquoi il considère qu'il a enregistré de bonne foi les noms de domaine litigieux et que, de plus, il les utilise de bonne foi sans détourner la clientèle du Requérant qui n'est pas la même que la sienne.

Le Défendeur conclut donc au rejet de la plainte.

6. Discussion et conclusions

La Commission administrative constituée pour trancher le présent litige se cantonnera à l'application des Principes directeurs régissant le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine. Il s'agit donc de vérifier, pour prononcer ou refuser un transfert de nom de domaine, que les conditions exprimées par les Principes directeurs soient cumulativement réunies.

En vertu du paragraphe 4 (a) des Principes directeurs, la procédure administrative n'est applicable qu'en ce qui concerne un litige relatif à une accusation d'enregistrement abusif d'un nom de domaine sur la base des critères suivants:

i) Le nom de domaine enregistré par le titulaire du nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits; et

ii) Le titulaire du nom de domaine n'a aucun droit sur le nom de domaine, ni aucun intérêt légitime qui s'y attache; et

iii) Le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi, dont le paragraphe 4 (b) des Principes directeurs donne quelques exemples non limitatifs.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

En vertu du paragraphe 4 (a) des Principes directeurs, les noms de domaine litigieux <pearlstrading.com>, <tahitipearlstrading.com> et <tahitipearltrading.com> doivent être identiques ou semblables au point de prêter à confusion, à une ou plusieurs marques de produits ou de services sur lesquelles le Requérant a des droits.

Il est donc exigé que le Requérant apporte la preuve qu'il est bien propriétaire d'une ou plusieurs marques et qu'il peut donc opposer, au Défendeur, un ou plusieurs droits de propriété intellectuelle. Il est précisé qu'un nom commercial, une dénomination sociale ou une enseigne ne sauraient être assimilés, en tant que tels, à une marque de produits ou de services, seule visée dans le paragraphe 4 (a) des Principes directeurs.

Il appartient à la Commission administrative de vérifier que les marques dont se prévaut le Requérant existent.

Il est constant que le Requérant n'est pas propriétaire, en France et à l'étranger, d'une marque déposée qui lui permettrait de protéger les expressions “pearlstrading.com”, “tahitipearlstrading.com” et “tahitipearltrading.com” afin de désigner des produits et services de vente de perles et de bijoux. D'ailleurs, le Requérant reconnaît lui-même que “Tahiti Pearl Trading est bien une marque, certes pas déposée”.

Il importe de rappeler que, en droit français, le droit sur la marque s'acquiert par l'enregistrement du signe et non par son simple usage comme le précise l'article L. 712-1 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose que “la propriété de la marque s'acquiert par l'enregistrement”. Dès lors, parce qu'il n'a pas pris la précaution de déposer, en tant que marque française, les signes litigieux, le Requérant ne peut pas revendiquer un droit de propriété intellectuelle opposable au Défendeur.

La notoriété des expressions “pearlstrading”, “tahitipearlstrading” et “tahitipearltrading” n'est pas prouvée par le Requérant. Il n'est donc pas davantage possible d'arguer que, dans l'esprit du consommateur d'attention moyenne, ces différents signes sont perçus comme étant des marques aptes à distinguer des produits ou des services.

Certaines législations admettent que l'usage d'un signe non enregistré, notamment lorsqu'il est établi sur le marché, est susceptible de faire naître un droit de marque. Mais le Requérant n'apporte pas la preuve d'un tel usage des signes litigieux dans un ou plusieurs pays qui admettent qu'un droit de marque puisse s'acquérir par l'usage. En effet, le Requérant n'apporte, à la Commission administrative, que des preuves d'usage des expressions litigieuses sur le territoire français.

De plus, la Commission administrative considère que les expressions constituant les noms de domaine litigieux sont de nature générique, étant donné que “Tahiti”, “pearl(s)” et “trading” sont communément utilisés par d'autres entités dans le marché de vente de perles à Tahiti.

Il en résulte que le Requérant ne rapporte pas la preuve qu'il est propriétaire de marques de produits ou de services.

En l'absence de marques dont l'existence serait avérée et prouvée par le Requérant, il n'est donc pas possible à la Commission administrative de vérifier si les noms de domaine litigieux <pearlstrading.com>, <tahitipearlstrading.com> et <tahitipearltrading.com>, enregistrés par le Défendeur, sont identiques ou semblables à des marques de produits ou de services, faute pour le Requérant de rapporter la preuve qu'il a des droits sur ces dernières.

En conclusion, la Commission constate que le premier des trois critères cumulatifs n'est pas rempli.

B. Droits ou légitimes intérêts

Le paragraphe 4 (a), dernier alinéa, des Principes directeurs dispose qu' “il appartient au requérant d'apporter la preuve que ces trois éléments sont réunis”.

Etant donné que le premier critère n'est pas rempli, il est sans objet d'étudier le second critère selon lequel “le détenteur du nom de domaine n'a aucun droit sur le nom de domaine, ni aucun intérêt légitime qui s'y attache” puisqu'il est demandé que ces critères soient cumulativement réunis.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Etant donné que le premier critère n'est pas rempli, il est également sans objet d'étudier le troisième critère selon lequel les noms de domaine litigieux ont été “enregistrés et utilisés de mauvaise foi”.

La Commission administrative note que la séquence des expressions dans les noms de domaine litigieux <tahitipearlstrading.com> et <tahitipearltrading.com> est identique à la dénomination sociale du Requérant. Cependant, elle constate également que, en l'absence de preuve que ces expressions soient protégées en tant que marques enregistrées ou aient acquis une notoriété par l'usage, il n'est pas possible d'en tirer des conséquences, en application des Principes directeurs, dans le cadre de la présente procédure, ce qui n'empêche néanmoins pas les parties de saisir, le cas échéant, le juge judiciaire si elles le souhaitent.

7. Décision

Vu les paragraphes 4 (a) et 4 (i) des Principes directeurs et 15 des Règles, la Commission administrative constate que :

- les noms de domaine <pearlstrading.com>, <tahitipearlstrading.com> et <tahitipearltrading.com> ne sont pas identiques ou semblables, au point de prêter à confusion, avec des marques de produits ou de services du Requérant puisque ces dernières n'existent pas.

- le premier des trois critères qui doivent être cumulativement réunis pour que la Commission administrative puisse décider du transfert des noms de domaine litigieux n'étant pas rempli, il est sans objet d'étudier si les second et troisième critères le sont.

La Commission administrative constate que les trois conditions requises par le paragraphe 4 (a) des Principes directeurs ne sont pas cumulativement réunies et rejette en conséquence la plainte du Requérant.


Christophe Caron
Expert Unique

Le 11 mai 2009