Le Requérant est Les Editions Neressis, de Paris, France, représenté par le Cabinet André R. Bertrand & Associés, France.
Le Défendeur est Corail Jeans - David Bitton de Casablanca, Maroc.
Le litige concerne le nom de domaine <papmaroc.com> (“le Nom de Domaine”).
L'unité d'enregistrement auprès de laquelle le Nom de Domaine est enregistré est OVH.
Une plainte a été déposée par Les Editions Neressis auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 1er avril 2009.
En date du 2 avril 2009, le Centre a adressé une requête à l'unité d'enregistrement du nom de domaine litigieux, OVH, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 3 avril 2009, l'unité d'enregistrement a transmis sa vérification au Centre en révélant une adresse (de l'unité d'enregistrement) qui était différente de celle figurant dans la plainte. Le 6 avril 2009, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant en communiquant la nouvelle adresse de l'unité d'enregistrement et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte prenant en compte cette nouvelle adresse. Le Requérant a déposé un amendement le 6 avril 2009.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d'application”), et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l'application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d'application, le 15 avril 2009, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 5 mai 2009. Le Défendeur a fait parvenir sa réponse sous forme de trois courriers électroniques respectivement datés des 15, 20 et 21 avril 2009.
Par courrier électronique du 23 avril 2009, le Requérant a soumis spontanément des observations additionnelles en réaction à la réponse du Défendeur.
En date du 6 mai 2009, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique Jacques de Werra. La Commission administrative constate qu'elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d'application.
Le Requérant est une société française qui est titulaire de deux marques françaises comportant les termes “DE PARTICULIER A PARTICULIER”, soit la marque verbale P.A.P. DE PARTICULIER A PARTICULIER No. 1 518 035 déposée le 17 mai 1988 portant sur des produits et services en classes 16, 35 et 41 et la marque semi-figurative DE PARTICULIER A PARTICULIER No. 07 3 503 106 déposée le 25 mai 2007 et portant sur des produits et services en classes 16, 35, 38 et 41 (ci-après désignées les “Marques”). Le Requérant exploite les Marques en relation avec des services immobiliers, notamment d'annonces immobilières entre particuliers et diffuse un hebdomadaire sous le titre “DE PARTICULIER A PARTICULIER” dans toute la France. Dans ce cadre, il est titulaire d'un nom de domaine <pap.fr> depuis le 24 juillet 1996 et exploite ce site à ces fins. Ce site Internet jouit d'un taux de fréquentation très élevé (7 millions de visiteurs mensuels).
Le Défendeur est une société basée à Casablanca au Maroc active dans le textile dont l'exploitant (M. David Bitton) a enregistré le Nom de Domaine le 13 février 2007. Le Nom de Domaine qui comportait précédemment une reproduction à l'identique du graphisme d'une des Marques du Requérant comporte actuellement un texte indiquant que le site sera utilisé pour des annonces immobilières entre particuliers pour le Maroc.
Le Requérant soutient que le Nom de Domaine reproduit les dénominations d'attaque des Marques, soit l'élément “pap” et que l'adjonction géographique constitue un facteur aggravant du risque de confusion, le public étant amené à croire que le Requérant dispose d'un portail spécialisé dans les annonces immobilières au Maroc, ce risque de confusion étant d'autant plus grand que le Défendeur a repris de manière quasi-identique l'apparence graphique d'une des deux Marques de sorte à conduire les visiteurs à constater que le Nom de Domaine est un actif du Requérant.
Le Requérant indique en outre que le Défendeur n'a aucun droit ni aucun intérêt légitime sur le Nom de Domaine, le Défendeur ayant sans doute tenté de revendre ce dernier au Requérant en escomptant un profit rapide.
Le Requérant soutient enfin que le Nom de Domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi par le Défendeur. En effet, le Requérant considère que le Défendeur ne pouvait ignorer l'existence de la désignation “PAP” lors de l'enregistrement du Nom de Domaine de sorte qu'un tel enregistrement n'avait que pour but de créer une confusion avec les activités du Requérant ou de permettre au Défendeur de revendre le Nom de Domaine à un prix prohibitif.
Le Requérant requiert en conséquence le transfert du Nom de Domaine à son profit.
Dans son courrier électronique du 15 avril 2009, le Défendeur expose qu'il n'a aucune attache avec la France. Il expose avoir déposé le Nom de Domaine pour l'utiliser comme nom de domaine pour des annonces immobilières couvrant exclusivement le Maroc et qu'il est sur le point de lancer une revue. Il relève que le mot “PAP” n'est déposé qu'en Europe et pas ailleurs. Il indique qu'il n'a pas l'intention de revendre le nom de domaine, mais qu'il souhaite au contraire l'exploiter. Sur cette base, il considère que la plainte du Requérant est sans fondement. Par un courrier électronique du 20 avril 2009, le Défendeur reconnaît qu'à la base son projet était de faire un projet semblable à “www.pap.fr” destiné exclusivement aux annonces marocaines entre particuliers marocains. Il indique toutefois que le terme “PAP” n'appartient pas au Requérant au Maroc. Il reconnaît cependant qu'à la base le logo figurant sur le site associé au Nom de Domaine était semblable à celui du Requérant, mais qu'il l'a modifié après avoir été contacté par le président-directeur-général du Requérant. Par un troisième courrier électronique du 21 avril 2009, le Défendeur a rejeté les arguments du Requérant en indiquant encore une fois qu'il a son domicile à Casablanca au Maroc est que la plainte est sans fondement.
Par courrier électronique du 23 avril 2009, le Requérant a soumis spontanément des observations additionnelles en réaction à la réponse du Défendeur de sorte que la Commission administrative doit décider si celles-ci sont admissibles dans présente procédure.
La Commission administrative relève en premier lieu qu'il est de son pouvoir discrétionnaire de décider de l'admissibilité de telles observations additionnelles. Elle note en outre que des observations additionnelles ne sont admissibles que dans des circonstances exceptionnelles, soit lorsque la partie concernée ne pouvait raisonnablement pas faire valoir un argument ou un fait dans le cadre de son mémoire de demande/de réponse, dès lors que de telles observations additionnelles sont contraires au principe de célérité de la procédure fondée sur les Principes directeurs. Voir, p.ex., Lloyds TSB Bank PLC v. Daniel Carmel-Brown, Litige OMPI No. D2008-1889.
En l'espèce, la Commission administrative constate que les observations additionnelles du Requérant consistent en des références aux informations factuelles figurant dans la réponse du Défendeur et en des documents accessibles en ligne dont l'intérêt pour la procédure n'est pas avéré. En tout état, le Requérant ne fait valoir aucun motif particulier justifiant l'admission exceptionnelle de ses observations additionnelles dans le cadre de la présente procédure.
La Commmission administrative constate ainsi que l'existence de circonstances exceptionnelles justifiant l'admission des observations additionnelles du Requérant n'a pas été établi, et note au demeurant que le contenu de celles-ci est de toute manière sans pertinence sur le litige. Elle décide sur cette base de ne pas accepter les observations additionnelles du Requérant dans la présente procédure.
Conformément au paragraphe 4.a. des Principes directeurs, la Commission administrative doit déterminer si les trois conditions posées par celui-ci sont réunies, à savoir: A) si le Nom de Domaine est identique à une marque de produit ou de service appartenant au Requérant ou semblable au point de prêter à confusion, B) si le Défendeur n'a pas un droit ou un intérêt légitime à l'utilisation du Nom de Domaine et C) si le Défendeur a enregistré et utilise le Nom de Domaine avec mauvaise foi.
La Commission administrative constate que le Requérant est titulaire des Marques comportant les termes “DE PARTICULIER A PARTICULIER” et pour l'une d'entre elles, l'abréviation de ces termes “P.A.P.” Elle relève en outre, ce qui n'a pas été contesté par le Défendeur, que les Marques et l'abréviation PAP jouissent d'un grand caractère distinctif et d'une notoriété en France en matière d'annonces immobilières, notamment grâce à l'exploitation intensive du site “www.pap.fr”. La Commission administrative relève que le Nom de Domaine est composé du terme “pap” (qui correspond à l'élément initial de la plus ancienne des Marques, qui a été enregistrée plusieurs années avant l'enregistrement du Nom de Domaine) auquel est ajouté le terme descriptif “maroc”.
Comme constaté par d'autres commissions administratives, l'adjonction d'un terme géographique à une marque n'est pas susceptible d'écarter le risque de confusion. Voir, par exemple, Microsoft Corporation v. Luong Xuan Vinh, Litige OMPI No. D2007-0580 (concernant le nom de domaine <microsoftvietnam.net>). Au contraire, l'adjonction est même susceptible d'augmenter le risque de confusion, sachant que les activités commerciales du Requérant et les Marques relèvent essentiellement du domaine de l'immobilier, pour lequel l'adjonction du terme “maroc” peut créer un risque de confusion supplémentaire, cette adjonction laissant en effet entendre que le Requérant offrirait un service spécialisé destiné à couvrir le territoire marocain.
De plus, la Commission administrative constate que la reprise de l'abréviation “PAP” dans le Nom de Domaine crée un risque de confusion entre les Marques et le Nom de Domaine, des abréviations de marques qui figurent dans des noms de domaine pouvant effectivement être propres à créer une confusion avec les marques correspondantes. Voir Banque Saudi Fransi v. ABCIB, Litige OMPI No. D2003-0656.
La Commission administrative relève en outre, contrairement à ce que semble estimer le Défendeur, qu'il n'est pas pertinent pour ce qui concerne la condition du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs que les Marques ne soient pas protégées sur le territoire sur lequel le Défendeur est établi (soit le Maroc), seule une marque protégée étant requise (voir le ch. 1.1 de l'Index des décisions des commissions administratives de l'OMPI).
Dans ces circonstances, la Commission administrative considère que la première condition du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est remplie.
Si le fardeau de la preuve de l'absence de droits ou intérêts légitimes du défendeur incombe au requérant, les commissions administratives considèrent qu'il est difficile de prouver un fait négatif. Il est donc généralement admis que le requérant doit établir prima facie que le défendeur n'a pas de droit ni d'intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux. Il incombe ensuite au défendeur d'établir le contraire. S'il n'y parvient pas, les affirmations du requérant sont réputées exactes. Voir Denios Sarl contre Telemediatique France, Litige OMPI No. D2007-0698.
En l'espèce, la Commission administrative constate tout d'abord que le Défendeur a admis s'être inspiré du projet et du site du Requérant “www.pap.fr” pour créer son propre site d'annonces immobilières au Maroc, ce qui explique la reprise des lettres “PAP” comme élément distinctif du Nom de Domaine. Or, une telle reprise ne peut pas démontrer un quelconque droit ou intérêt légitime à l'utilisation du Nom de Domaine, le Nom de Domaine ne correspondant aucunement au nom officiel du Défendeur, ce dernier n'ayant au demeurant donné aucune explication à propos du choix des lettres “PAP” figurant dans le Nom de Domaine, ces lettres n'ayant comme telles aucune signification linguistique autre que l'abrévation des éléments verbaux des Marques du Requérant.
La Commission administrative relève ensuite que les Marques du Requérant sont distinctives de sorte que l'enregistrement par le Défendeur du Nom de Domaine qui comporte l'abréviation “PAP” comme élément distinctif unique (le terme “maroc” étant descriptif) ne peut être le fruit du hasard, la Commission administrative notant en outre que le Défendeur n'est pas affilié au Requérant et n'a pas été autorisé par ce dernier à utiliser un élément des Marques du Requérant dans le Nom de Domaine.
La Commission administrative constate enfin que le Nom de Domaine va être utilisé commercialement par le Défendeur pour un site d'annonces immobilières entre particuliers au Maroc, ceci créant manifestement l'apparence d'une affiliation avec le Requérant et partant un risque de confusion, cette apparence découlant en particulier de la reprise du graphisme d'une des Marques utilisées sur le site officiel du Requérant (avant que le Défendeur ne l'enlève après avoir été contacté par le Requérant). Dans ces circonstances, sur la base des documents et informations fournies par le Requérant, la Commission administrative ne peut pas admettre que l'utilisation commerciale du site lié au Nom de Domaine est faite de bonne foi au sens du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs.
La Commission administrative relève que le Défendeur n'a d'ailleurs pas démontré faire un usage de bonne foi du Nom de Domaine, ce dernier s'étant essentiellement limité à constater que les Marques du Requérant - dont il a repris l'élément caractéristique “PAP” qui est distinctif des activités en ligne du Requérant - ne sont pas protégées au Maroc, tout en reconnaissant s'être inspiré du site du Requérant dans ce cadre.
Dans cette mesure, force est de constater que le Défendeur n'utilise pas le Nom de Domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services pas plus qu'il ne fait un usage non commercial légitime ou loyal du Nom de Domaine.
La Commission administrative estime sur cette base que le Défendeur n'a pas de droit ni d'intérêt légitime sur le Nom de Domaine et que, partant, la seconde condition figurant au paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est également remplie.
La Commission administrative constate qu'en raison du caractère distinctif du terme “PAP” qui figure comme élément initial dans la plus ancienne des Marques (et constitue l'abréviation de l'élément verbal de l'autre des Marques), le Défendeur qui n'avait aucune autre raison légitime de choisir ce terme comme élément d'un nom de domaine ne pouvait pas ignorer l'existence de celles-ci ni les services d'annonces immobilières du Requérant au moment de l'enregistrement du Nom de Domaine. Le Défendeur a d'ailleurs lui-même admis s'être inspiré des services du Requérant pour en offrir de similaires sur le territoire marocain. Sur cette base, la Commission administrative peut en conclure que le Nom de Domaine a été enregistré de mauvaise foi par le Défendeur.
De plus, l'utilisation du Nom de Domaine faite par le Défendeur confirme que ce dernier exploite indûment le nom et la réputation du Requérant ainsi que les Marques en utilisant le Nom de Domaine à des fins commerciales dans l'intention de promouvoir et de commercialiser des services identiques à ceux offerts par le Requérant.
Or, il est clair qu'une telle utilisation d'un Nom de Domaine constitue une utilisation de mauvaise foi, le Défendeur ayant tenté d'attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l'Internet sur un site Web ou autre espace en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec les Marques et services du Requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l'affiliation ou l'approbation du site ou espace Web du Défendeur ou d'un produit ou service qui y est proposé au sens du paragraphe 4(b)(iv) des Principes directeurs, dès lors que le Défendeur crée l'apparence erronée que le site qu'il contrôle est lié au Requérant, ce qui n'est précisément pas le cas en l'espèce. Voir, p.ex., Houghton Mifflin Co. v. Weatherman, Inc., Litige OMPI No. D2001-0211.
Il n'est pas pertinent à cet égard que, contrairement à ce qu'argumente le Requérant, il n'est pas démontré que le Défendeur ait l'intention de revendre le Nom de Domaine au Requérant à un prix élevé dès lors que la mauvaise foi peut résulter d'autres circonstances, ce qui est précisément le cas en l'espèce.
La Commission administrative estime dès lors que le Défendeur a enregistré et utilise de mauvaise foi le Nom de Domaine et que la troisième condition figurant au paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs est ainsi remplie.
Pour les motifs ci-dessus exposés, la Commission administrative décide que le Nom de Domaine enregistré par le Défendeur présente une similarité propre à créer une confusion avec les Marques dont le Requérant est titulaire, que le Défendeur n'a aucun intérêt légitime sur le Nom de Domaine, et que ce dernier a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi par le Défendeur.
Conformément au principe des paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d'application, la Commission administrative ordonne le transfert au Requérant du nom de domaine <papmaroc.com>.
Jacques de Werra
Expert Unique
Le 20 mai 2009