Le Requérant est la Confédération Nationale du Crédit Mutuel, Paris, France, représenté par Meyer & Partenaires, Strasbourg, France.
Le Défendeur est Fernand Guilon, Aulnay-sous-Bois, France.
Le litige concerne le nom de domaine <mutuelcredit.fr> enregistré le 22 octobre 2008.
Le prestataire Internet est la société 1&1 Internet Sarl.
Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 8 janvier 2009, par courrier électronique et le 13 janvier 2009, par courrier postal.
Le 9 janvier 2009, le Centre a adressé à l'Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l'“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.
À la levée de l'anonymat du titulaire du nom de domaine par l'Afnic le 9 janvier 2009, le Centre a invité le Requérant, le 12 janvier 2009, à déposer un amendement à la demande afin de préciser l'identité du Défendeur.
Cet amendement a été reçu par le Centre par courrier électronique le 13 janvier 2009 et par courrier postal le 16 janvier 2009.
Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 22 juillet 2008, et applicable à l'ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l'Afnic applicable (ci-après la “Charte”).
Conformément à l'article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 20 janvier 2009. Conformément au paragraphe 15(a) du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 9 février 2009.
Le Défendeur n'ayant adressé aucune réponse, le Centre a notifié le défaut de Défendeur en date du 11 février 2009.
Le 17 février 2009, le Défendeur a néanmoins fait parvenir une communication au Centre faisant part de ses observations.
Le 5 mars 2009, le Centre nommait Isabelle Leroux comme Expert dans le présent litige. L'Expert constate qu'il a été nommé conformément au Règlement. L'Expert a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément à l'article 4 du Règlement.
Le Requérant est l'Association Confédération Nationale du Crédit Mutuel (ci-après dénommée “Crédit Mutuel”), deuxième banque de détail en France.
Le Crédit Mutuel, disposant de 5.148 points de vente au service de près de 15 millions de clients, bénéficie d'une grande notoriété.
En vertu des dispositions de l'ordonnance n° 58-966 du 16 octobre 1958, l'utilisation du terme “Crédit Mutuel” est réservée à la Confédération Nationale du Crédit Mutuel et à toutes les caisses de Crédit Mutuel affiliées à cette confédération.
Le Requérant est titulaire de nombreux noms de domaine incluant les termes “Crédit Mutuel” tels que :
- <creditmutuel.fr>, réservé depuis le 10 août 1995;
- <creditmutuel.com>, réservé depuis le 28 octobre 1995;
- <creditmutuel.net>, réservé depuis le 3 octobre 1996 par la filiale informatique du groupe Crédit Mutuel, la société Euro-Information SAS;
- <creditmutuel.info>, réservé depuis le 13 septembre 2001 par la société Euro-Information SAS;
- <creditmutuel.mobi>, réservé depuis le 26 septembre 2006 ; et
- <creditmutuel.eu>, réservé depuis le 13 mars 2006.
L'ensemble de ces noms de domaine renvoie vers le portail Internet du Requérant depuis octobre 1996.
Le Requérant est également titulaire de plusieurs marques françaises et internationales, régulièrement renouvelées, composées des termes “Crédit Mutuel” telles que :
- la marque française semi-figurative CREDIT MUTUEL déposée le 8 juillet 1988 sous le n° 1 475 940 et enregistrée pour des services des classes 35 et 36;
- la marque française semi-figurative CREDIT MUTUEL déposée le 20 mai 1990 sous le n° 1 646 012 et enregistrée pour des produits et services des classes 16, 35, 36, 38 et 41;
- la marque internationale CREDIT MUTUEL déposée le 17 mai 1991 sous le n° 570182 et enregistrée pour des produits et services des classes 16, 35, 36, 38 et 41, désignant le Benelux, l'Italie et le Portugal;
- la marque communautaire CREDIT MUTUEL, LA BANQUE À QUI PARLER déposée le 19 juin 2006 sous le n° 005 146 162 et enregistrée pour des produits et services des classes 9, 16, 35, 36, 37, 38, 39, 41, 42, 43, 44 et 45.
Le Défendeur a procédé à l'enregistrement du nom de domaine <mutuelcredit.fr> le 22 octobre 2008 de façon anonyme.
Le Requérant a décidé d'avoir recours à la présente procédure administrative pour obtenir la divulgation des coordonnées du titulaire du nom de domaine.
L'AFNIC a transmis les informations relatives à l'identification du titulaire du nom de domaine contesté au Centre le 12 janvier 2009.
A la demande du Centre, le Requérant a ainsi déposé une demande amendée, comprenant le nom et les coordonnées du titulaire du nom de domaine contesté, le 13 janvier 2009.
C'est dans ces conditions que le Centre a été saisi du présent litige.
Le Requérant soutient qu'il est détenteur de droits antérieurs sur le signe “Crédit Mutuel” à titre de noms de domaine et de marques françaises et internationales.
Le Requérant fait également valoir qu'en vertu des dispositions de l'ordonnance
n° 58-966 du 16 octobre 1958, l'utilisation des termes “Crédit Mutuel” lui est réservée.
Le Requérant soutient que la dénomination “Crédit Mutuel” bénéficie, en France, d'une réputation certaine dans le domaine bancaire et financier, eu égard à son exploitation intensive et soutenue depuis plusieurs années.
Le Requérant soutient, tout d'abord, que le nom de domaine <mutuelcredit.fr> est fortement similaire à la marque antérieure CREDIT MUTUEL; la seule différence entre le nom de domaine litigieux et les marques du Requérant consistant en l'inversion des termes “Crédit” et “Mutuel” au sein du nom de domaine litigieux.
Le Requérant soutient que cette seule inversion ne suffit pas per se à écarter, dans l'esprit des internautes, le risque de confusion existant entre le nom de domaine <mutuelcredit.fr> et la marque antérieure renommée CREDIT MUTUEL.
Le Requérant fait également valoir que la simple adjonction de l'extension nationale “.fr” n'est liée qu'à des considérations techniques et n'a donc pas à être prise en considération pour l'appréciation de l'identité ou de la similitude du nom de domaine contesté avec la marque antérieure renommée CREDIT MUTUEL.
Le Requérant constate, en outre, que le nom de domaine <mutuelcredit.fr> renvoie vers une page Internet unique, fournie par le bureau d'enregistrement du nom de domaine, 1&1 Internet Sarl.
Le Requérant en déduit que le nom de domaine <mutuelcredit.fr> est détenu passivement par le Défendeur, cette détention passive étant de nature à engager la responsabilité du titulaire du nom de domaine.
Le Requérant fait également valoir que sa notoriété en France n'est pas contestable et ne pouvait être ignorée du Défendeur.
Le Requérant en déduit que le simple fait d'avoir enregistré un nom de domaine intégrant une dénomination connue des internautes engendrerait une confusion dans l'esprit du public, préjudiciable au Requérant qui, de fait, verrait une partie de sa clientèle détournée.
Enfin, le Requérant soutient que l'absence d'actes préparatifs sérieux en vue de l'utilisation du nom de domaine litigieux depuis sa date d'enregistrement caractérise la mauvaise foi dans l'utilisation de la dénomination “mutuelcredit”.
Le Requérant soutient que l'enregistrement et l'utilisation du nom de domaine litigieux <mutuelcredit.fr> constitueraient donc une atteinte aux droits de propriété intellectuelle dont il est titulaire ainsi qu'un détournement de clientèle de la part du Défendeur.
En conséquence, le Requérant sollicite le transfert du nom de domaine <mutuelcredit.fr> à son profit.
Le Défendeur n'a adressé aucune réponse au Centre dans le délai imparti, qui prenait fin le 9 février 2009.
Néanmoins, par un courrier électronique du 17 février 2009, le Défendeur fait valoir qu'il n'a aucune intention de détourner la clientèle du Crédit Mutuel.
Le Défendeur soutient également que le nom de domaine <mutuelcredit.fr> serait destiné à des personnes souhaitant être informées sur les crédits proposés par des sociétés mutualistes.
Le Défendeur demande, en conséquence, à conserver la titularité du nom de domaine <mutuelcredit.fr>.
L'Expert constate que le Requérant invoque un enregistrement et/ou une utilisation d'un nom de domaine litigieux par le Défendeur en violation de ses droits et sollicite, en conséquence, la transmission de ce nom de domaine à son profit.
Conformément au paragraphe 20(c) du Règlement, l'Expert “fait droit à la demande lorsque l'enregistrement ou l'utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers ou aux règles de la concurrence telles que définies à l'article 1 du présent règlement et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l'élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte applicable”.
L'Expert rappelle que, conformément à l'article 1 du Règlement, l'atteinte aux droits des tiers s'entend comme “une atteinte aux droits des tiers en particulier lorsque le nom de domaine est identique ou susceptible d'être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle française ou communautaire (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), ou est identique au nom patronymique d'une personne, sauf si le défendeur fait valoir un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine et agit de bonne foi.”
Conformément à l'article 1 du Règlement, l'atteinte aux règles de la concurrence s'entend comme une “atteinte aux règles de la concurrence, une atteinte aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale en droit français ou communautaire.”
En conséquence, l'Expert s'est attaché à vérifier, au vu des arguments et pièces soumis par les parties, si l'enregistrement et/ou l'utilisation du nom de domaine <mutuelcredit.fr> portait atteinte aux droits du Requérant et, le Requérant sollicitant la transmission de ce nom de domaine à son profit, si celui-ci justifie de droits sur ce nom de domaine.
La reproduction et/ou l'imitation de marques ou autres droits privatifs appartenant à un tiers ou exploités par un tiers sans autorisation constituent une atteinte qui doit être sanctionnée.
En l'espèce, l'Expert constate que le Requérant justifie être titulaire de droits privatifs antérieurs sur la dénomination “Crédit Mutuel” visant le territoire français depuis au moins 1988, et ce notamment par le biais de plusieurs marques françaises et internationales, toutes ces marques ayant été régulièrement renouvelées.
L'Expert constate également que le Requérant est titulaire de plusieurs noms de domaine comportant la marque CREDIT MUTUEL, enregistrés antérieurement au nom de domaine litigieux.
L'Expert constate que le Requérant justifié aussi des droits sur l'élément objet de la demande, à titre de marque française et internationale, dénomination sociale et nom de domaine.
De plus, l'Expert constate que la dénomination “Crédit Mutuel” jouit d'une certaine renommée s'agissant, plus particulièrement, des services bancaires.
L'Expert constate que le nom de domaine litigieux reproduit les termes “Crédit” et “Mutuel” présents dans toutes les marques et les noms de domaine précités dont est titulaire le Requérant.
A cet égard, il est admis que la présence de l'extension “.fr” au sein du nom de domaine litigieux – inhérente au fonctionnement des noms de domaine – ne permet pas d'écarter tout risque de confusion (SARL Abcyne contre Jeremie Guyot, Litige OMPI n° DFR2007-0001).
Le Défendeur est domicilié en France comme le Requérant.
Dès lors, compte tenu de la notoriété des marques CREDIT MUTUEL, mais également de la forte présence du Requérant sous cette dénomination depuis 1958, le Défendeur ne pouvait ignorer, au jour de l'enregistrement du nom de domaine litigieux, à savoir en octobre 2008, l'existence du Requérant, de son activité et de l'exploitation du site Internet “www.creditmutuel.fr”.
En tout état de cause, il appartenait au Défendeur, avant de procéder à l'enregistrement du nom de domaine, conformément à l'article 12(1) de la Charte de vérifier que cet enregistrement ne portait pas atteinte aux droits des tiers.
L'Expert constate que le nom de domaine <mutuelcredit.fr> renvoie vers une page web unique.
En application de la jurisprudence française actuelle, laquelle est d'ailleurs reprise au sein des décisions antérieures de l'OMPI concernant le “.fr” (Euro-Information contre Skiwebcenter, Litige OMPI n° DFF2004-0001; Artcurial contre Kangaroo, Litige OMPI n° DFR2004-0004), la seule réservation d'un nom de domaine est neutre et ne constitue pas en soi un acte de contrefaçon.
En revanche, il convient d'analyser en quoi la détention passive d'un nom de domaine n'est pas de nature à engager la responsabilité de son titulaire.
En l'espèce, la notoriété du Requérant et de son activité, que ce soit par la présence de ses nombreuses agences sur le territoire français ou par le biais du site Internet “www.creditmutuel.fr” est incontestable et peut difficilement être ignorée du Défendeur.
Compte tenu notamment de cette notoriété, il est très probable que le simple fait d'avoir enregistré un nom de domaine intégrant une dénomination connue des internautes, a induit ces derniers en erreur sur la réalité de l'activité du Requérant. En effet, les internautes, en se connectant au site Internet “www.mutuelcredit.fr” accèdent à une page mentionnant que ce site n'est pas le site Internet d'une banque.
La confusion engendrée dans l'esprit du public entre les marques du Requérant et le nom de domaine litigieux apparaît évidente, et ce d'autant plus que la marque CREDIT MUTUEL bénéficie d'une réelle notoriété sur le territoire français.
Le Défendeur ne saurait s'en défendre alors même que le site Internet accessible à l'adresse “www.mutuelcredit.fr” se présente, comme par hasard, comme un annuaire de sociétés mutualistes proposant des crédits à leurs clients, ces derniers étant au surplus en concurrence avec le Requérant.
La détention de ce nom de domaine peut donc s'analyser en une rétention non seulement injustifiée, mais encore fautive.
En conséquence, l'Expert considère que l'enregistrement et l'utilisation du nom de domaine <mutuelcredit.fr> par le Défendeur constitue une appropriation en violation des droits de la Requérante de même que des règles normales de concurrence.
Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l'Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine <mutuelcredit.fr>.
Isabelle Leroux
Expert
Le 30 mars 2009