Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

DÉCISION DE L'EXPERT

Telecom Italia S.P.A. contre M. Cédric Faubert

Litige n° DFR2009-0013

1. Les parties

Le requérant est Telecom Italia S.P.A., Milano, Italie, représenté par le cabinet Fasano e Avvocati, Italie.

Le défendeur est M. Cédric Faubert, Paris, France.

2. Nom de domaine et prestataire Internet

Le litige concerne le nom de domaine <alicefrance.fr> enregistré le 11 juillet 2008.

Le prestataire Internet est la société Euro DNS S.A.

3. Rappel de la procédure

Une demande déposée par le requérant auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 27 mars 2009 par courrier électronique et le 31 mars 2009 par courrier postal.

Le 27 mars 2009, le Centre a adressé à l'Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l'“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.

Le 1er avril 2009, l'Afnic a confirmé l'ensemble des données du litige et a confirmé qu'aucune procédure administrative applicable au nom de domaine objet du litige n'était pendante.

Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 22 juillet 2008, et applicable à l'ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l'Afnic applicable (ci-après la “Charte”).

Conformément à l'article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur le 6 avril 2009. Conformément à l'article 15 du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 26 avril 2009. Dû à des problèmes techniques relatifs aux pièces jointes électroniques de la demande, la notification de la demande a été adressée le 15 avril 2009 au défendeur, et le nouveau délai de réponse a été fixé le 6 mai 2009. Le défendeur n'a pas fait parvenir sa réponse. Le Centre a notifié le défaut du défendeur le 7 mai 2009.

Le 15 mai 2009, le Centre nommait Michel Vivant comme Expert dans le présent litige. L'Expert constate qu'il a été nommé conformément au Règlement. L'Expert a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément à l'article 4 du Règlement.

4. Les faits

La société Telecom Italia S.P.A., de droit italien, est titulaire de longue date de la marque ALICE ainsi que de diverses autres marques construites autour du nom “Alice” telles que ALICEMIA, ALICEMAIL ou ALICEBUSINESS.

Or, le 11 juillet 2008, M. Cédric Faubert a enregistré, par l'intermédiaire du prestataire Euro DNS S.A., le nom de domaine <alicefrance.fr>.

Ce nom de domaine est utilisé et donne accès à un site qui propose des liens vers des sites intéressant télécommunication et téléphonie (c'est-à-dire de services de même nature que ceux fournis par Telecom Italia), l'internaute pouvant par ailleurs être envoyé par un lien vers un autre site qui, lui, propose à la vente le nom de domaine <alicefrance.fr>.

Le 3 novembre 2008, Telecom Italia a, par l'intermédiaire du cabinet Beau de Loménie, adressé à M. Faubert une lettre recommandée déclarant la réservation et l'usage du nom de domaine de nature à porter atteinte à ses droits sur ses marques et le mettant en demeure de procéder au transfert volontaire du nom de domaine et de s'engager par écrit à ne plus utiliser “la dénomination Alice ou une dénomination similaire sous quelque forme et à quelque titre que ce soit”. Mais la lettre a été retournée avec la mention “Destinataire non trouvé”.

C'est en cet état que Telecom Italia a déposé auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle la demande visée plus haut.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le requérant fait valoir qu'en enregistrant le nom de domaine <alicefrance.fr>, le défendeur a créé, de par l'identité ou la similitude de ce nom avec ses marques, un risque de confusion et/ou d'association de la part du public de référence.

Il fait également grief au défendeur de proposer sur son site de la “publicité de services de télécommunication” (à savoir des services de même nature que ceux fournis par Telecom Italia) et d'offrir à la vente le nom de domaine <alicefrance.fr>.

Pour le requérant, “un tel comportement est une atteinte aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale en droit français ou communautaire”.

Il vise en particulier en appui de sa demande la décision Crédit Industriel et Commercial (CIC) contre Pneuboat Sud, Litige OMPI No. DFR 2004-0005, <cic-banque.fr>.

B. Défendeur

Le défendeur est défaillant.

6. Discussion

(i) Droits du requérant sur le nom de domaine

Bien que ne fournissant pas les certificats d'enregistrement, Telecom Italia produit un document – dont la teneur n'a pas lieu d'être mise en cause – d'où il résulte qu'elle est titulaire, comme il a été dit plus haut, de la marque ALICE ainsi que de diverses autres marques construites autour du nom “Alice”, marques françaises ou communautaires selon les cas comme il est d'ailleurs possible de le vérifier sur le site de l'INPI.

La question qui se pose est donc de savoir si les droits existant sur ces diverses dénominations permettent à Telecom Italia de prétendre à des droits sur le nom de domaine, tels que ceci est requis à l'article 12 (b) vi du Règlement présentement applicable.

Il peut certes être observé que d'autres marques ALICE coexistent avec celles du requérant dont il pourrait être soutenu que leurs titulaires peuvent, eux aussi, prétendre à des droits sur le nom de domaine litigieux.

Néanmoins la logique qui sous-tend le Règlement veut qu'il soit procédé à la seule confrontation des droits éventuels du requérant et du défendeur.

Les choses ainsi cadrées, en l'absence d'identité entre marque et nom de domaine, la question est donc ici de savoir si la titularité d'une marque ALICE comme de marques construites sur la dénomination “Alice” peuvent fonder des prétentions sur un nom de domaine qui constitue une “déclinaison” de cette appellation “Alice” par adjonction du terme “France” dans la mesure où l'article 1 du Règlement nécessite que “le nom de domaine soit identique ou susceptible d'être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle français ou communautaire”.

Or, en application du présent Règlement, c'est bien ce qui a été retenu dans une affaire où La Française des Jeux faisait notamment valoir sa marque LOTO à l'encontre de noms de domaine construits avec adjonction d'une finale tels que <lotobeaute.fr>, <lotochat.fr>, <lotochien.fr>, <lotofamille.fr>, <lotomode.fr>, etc., l'expert ayant jugé qu'en procédant à l'enregistrement de ces noms de domaine, le défendeur s'était “sciemment placé dans le sillage du Requérant afin de pouvoir, le cas échéant, bénéficier de sa notoriété”, ce qui était la manifestation d'un comportement déloyal (La Française des Jeux v. André Darmon, Litige OMPI No. DFR2008-0015).

Les décisions rendues au titre de la procédure UDRP peuvent également éclairer la question quand les experts doivent juger de la proximité du nom de domaine revendiqué et de la marque, ce qui les conduit indirectement à se prononcer sur la portée du droit de marque. Or la solution est bien acquise que “the addition of the geographical location to a trade mark does not prevent the domain name from being confusingly similar to the trade mark” (Rolls-Royce PLC v. Hallofpain, WIPO Case No. D2000-1709 où la marque en cause était ROLLS-ROYCE et le nom de domaine <rollsroycecanada.com> et <rollsroycecanada.net>; V. encore, par exemple, KPMG International v. H. S. Youn, WIPO Case No. D2008-0037 ; BP p.l.c. v. Kang-Sungkun Portraits Production, WIPO Case No. D2001-1097; The Nasdaq Stock Market, Inc. v. Vidudala Prasad, WIPO Case No. D2001-1493) et donc qu'un tel nom de domaine est susceptible d'être confondu avec la marque en cause.

Considérant dès lors que l'adjonction du nom “France” à la dénomination “Alice” ne confère aucune autonomie réelle au nom de domaine par rapport à la marque, seront reconnus les droits du requérant sur le nom de domaine litigieux.

(ii) Enregistrement ou utilisation du nom de domaine litigieux en violation des droits des tiers ou des règles de la concurrence

Les droits du requérant établis, aux termes du Règlement, il appartient à l'Expert de déterminer si l'enregistrement ou l'utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers, atteinte que l'article 1er dudit Règlement définit comme “une atteinte aux droits des tiers, en particulier, lorsque le nom de domaine est identique ou susceptible d'être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle français ou communautaire (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), ou est identique au nom patronymique d'une personne, sauf si le défendeur fait valoir un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine et agit de bonne foi”.

Or en l'espèce il a été précédemment observé que l'adoption du nom de domaine <alicefrance.fr> constitue la reprise de la marque ALICE, reprise indue dès lors que faite sans droit.

Qui plus est, le nom de domaine litigieux donne accès à un site qui propose des liens vers d'autres sites intéressant télécommunication et téléphonie, soit, comme il a déjà été relevé, des services de même nature que ceux fournis par le requérant, comportement manifestement déloyal en tant qu'il est de nature à tromper une clientèle abusé par l'appellation adoptée et d'ailleurs déjà stigmatisé dans des décisions antérieures sur la base du Règlement du “.fr” (cf. Crédit Industriel et Commercial (CIC) contre Pneuboat Sud, Litige OMPI No. DFR2004-0005).

Enfin, l'offre en ligne du nom de domaine, si elle n'est pas identique à la tentative directe de monnayage du nom de domaine, classiquement retenue comme preuve manifeste de la mauvaise foi de l'auteur de l'enregistrement, vient ici conforter le sentiment que l'enregistrement du nom de domaine litigieux ne poursuivait aucune fin légitime.

L'enregistrement et l'utilisation du nom doivent être considérés comme constituant une atteinte aux droits des tiers au sens du Règlement.

7. Décision

En conséquence, conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l'Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine <alicefrance.fr>.


Michel Vivant
Expert

Le 26 mai 2009