Le Requérant est la Société Air France, Paris, France, représenté par le Cabinet Meyer & Partenaires, France.
Le Défendeur est Alliance Transport et Proximité, La Courneuve, France.
Le litige concerne les noms de domaine <airfrance-navette-aeroport.fr>, <airfrancenavetteaeroport.fr>, <airfrance-shuttle.fr> et <airfranceshuttle.fr>.
L'unité d'enregistrement auprès de laquelle les noms de domaine sont enregistrés est OVH Net.
Une demande a été déposée par le Requérant Air France auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 18 mai 2010.
En date du 18 mai 2010, le Centre a adressé à l'Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l'“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.
Le 18 mai 2010, l'Afnic a confirmé l'ensemble des données du litige, ainsi qu'aucune procédure administrative applicable aux noms de domaine objets du litige n'est pendante.
Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 22 juillet 2008, et applicable à l'ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l'Afnic applicable (ci-après la “Charte”).
Conformément à l'article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 21 mai 2010. Conformément à l'article 15(a) du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 10 juin 2010. Le Défendeur a fait parvenir sa réponse le 26 mai 2010. Les parties ont essayé de trouver un accord amiable. Sans succès, le Requérant a informé le Centre qu'il souhaitait continuer la procédure le 27 mai 2010.
Le 17 juin 2010, le Centre nommait Martine Dehaut comme Expert dans le présent litige. L'Expert constate qu'il a été nommé conformément au Règlement. L'Expert a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément à l'article 4 du Règlement.
Le Requérant est la Société Air France, titulaire entre autres de la marque AIR FRANCE, et dont les activités de transporteur aérien sont mondialement connues. L'alliance Air France-KLM est, de fait, l'un des premiers transporteurs mondiaux, tant en terme de flotte d'avions, que de passagers ou de fret transportés. La notoriété de la marque AIR FRANCE est expressément reconnue dans plusieurs décisions en vertu des Principes directeurs régissant le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (“UDRP”) ou en vertu du Règlement et n'est nullement contestée par le Défendeur.
Entre autres nombreuses marques, le Requérant est titulaire des enregistrements français et communautaires suivants visant notamment les services de transport aérien et les services de navettes automobiles :
- Marque française AIR FRANCE No. 99811269 du 6 octobre 1999 ;
- Marque française AIR FRANCE No. 083575442 du 15 mai 2008 ;
- Marque française AIR FRANCE No. 2528461 du 9 janvier 2002 ;
Pour le développement de ses activités, le Requérant est fortement présent sur l'Internet, et exploite notamment les noms de domaine <airfrance.com> (12 millions de trafic mensuel de visiteurs uniques) et <airfrance.fr>.
Le Défendeur est la société Alliance Transport et Proximité Shuttle, également dénommée ATPS par son gérant. Cette société exerce des activités de transport de et vers les aéroports, et a son siège près de l'aéroport parisien Roissy Charles de Gaulle.
Les noms de domaine litigieux ont été enregistrés en juillet et septembre 2009 par un ancien salarié du Défendeur, Monsieur M. Jolivet (sous le pseudonyme “Ano Nymous”). Cette personne a également enregistré en son nom propre et exactement à la même époque les noms de domaine <airfranceshuttle.com>, <airfrance-shuttle.com> et <airfrance-navette-aeroport.com> ; ces derniers font d'ailleurs l'objet d'une procédure UDRP introduite par le Requérant.
Ces noms de domaine ont été utilisés pour rediriger les internautes vers des pages Internet de la société OVH, et plus particulièrement vers une page permettant l'accès à des interfaces libres de droits.
A l'automne 2009, le conseil du Requérant a mis Monsieur M. Jolivet en demeure de procéder au transfert des noms de domaine litigieux au profit de sa mandante.
Nonobstant les échanges téléphoniques maintenus entre Monsieur M. Jolivet et le conseil du Requérant, qui laissaient présager un transfert amiable des noms de domaines litigieux, ces derniers ont finalement été cédés en avril 2010 au Défendeur. Cette cession concernait au total environ 200 noms de domaine, tous construits autour de l'idée de transport de et vers des aéroports (par exemple <airportsshuttle.fr>, <beauvais-airport-taxi.com>, etc).
Le Requérant a alors pris la décision de saisir le Centre afin d'obtenir le transfert à son profit des quatre noms de domaine litigieux.
Les arguments de la Société Air France peuvent être résumés comme suit :
Le Requérant dispose de nombreux droits sur l'élément objet de l'atteinte, à savoir essentiellement le signe AIR FRANCE, à titre de marque, mais également à titre de dénomination sociale, de nom commercial et de noms de domaine.
Les noms de domaine litigieux imitent les marques AIR FRANCE du Requérant, reproduites à l'identique, et associent celles-ci des termes descriptifs (“navette”, “aeroport”, “shuttle”), et de ce fait l'enregistrement desdits noms de domaine porte atteinte aux droits du Requérant.
L'usage des noms de domaine litigieux porte également atteinte aux droits du Requérant, en lui causant essentiellement un préjudice d'image.
Enfin, le Requérant estime que l'enregistrement et l'usage des noms de domaine litigieux sont intervenus en violation du principe de loyauté dans les relations commerciales. Sur ce point, le Requérant souligne le Centre sur le fait que le Défendeur a également enregistré des noms de domaine reprenant les marques notoires EASYJET (par exemple <easyjetshuttle.com>) et DISNEYLAND (par exemple <disneyland-paris-shuttle.fr>), tous utilisés pour présenter les services de transport offerts par le Défendeur. Le Requérant ajoute qu' “en utilisant illégitimement des noms de domaine imitant la marque AIR FRANCE, le Défendeur, dont l'activité consiste en des services de navette automobile, porte une atteinte évidente aux règles de la concurrence en perturbant l'exploitation en ligne de la marque LES CARS AIR FRANCE consistant en un service de navettes autocar exploité dans la zone géographique d'activité du Défendeur”.
Dans sa réponse, le Défendeur se dit à la fois victime des agissements de son ancien salarié, Monsieur M. Jolivet, et d'une procédure abusive de la Société Air France. Après avoir rappelé que les noms de domaine litigieux n'ont pas fait l'objet d'une exploitation commerciale, le Défendeur indique par ailleurs vouloir les supprimer et a de fait effectué une demande en ce sens auprès de la société OVH (demande formulée toutefois quelques jours après le dépôt de la demande du Requérant).
Conformément à l'article 20(c) du Règlement, “L'Expert fait droit à la demande lorsque l'enregistrement ou l'utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers ou aux règles de la concurrence telles que définies à l'article 1 du présent règlement et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l'élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte applicable”.
Au terme de l'article 1 du Règlement, on entend par atteinte aux droits des tiers “une atteinte aux droits des tiers, en particulier, lorsque le nom de domaine est identique ou susceptible d'être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle français ou communautaire (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), ou est identique au nom patronymique d'une personne, sauf si le défendeur fait valoir un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine et agit de bonne foi”, et on entend par atteinte aux règles de la concurrence, “une atteinte aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale en droit français ou communautaire”.
Les noms de domaine <airfrance-navette-aeroport.fr>, <airfrancenavetteaeroport.fr>, <airfrance-shuttle.fr> et <airfranceshuttle.fr> associent la marque AIR FRANCE, placé en position d'attaque, aux termes navette, aeroport et shuttle, tous dénués de caractère distinctif en liaison avec les services de transport.
Ainsi qu'il a été rappelé dans l'exposé des faits, le Requérant a amplement justifié de ses droits sur le signe AIR FRANCE, notamment à titre de marque.
En droit français, l'existence d'une atteinte à un droit de marque est essentiellement subordonnée à la reconnaissance d'un risque de confusion. Le risque de confusion s'apprécie au regard de la similitude des signes comparés, en tenant compte de leur caractère distinctif intrinsèque ou acquis par l'usage, et de la similitude des produits et services couverts par les marques (voir en ce sens et à titre d'illustration les dispositions de l'article L. 713-3 du Code de la Propriété Intellectuelle). A titre exceptionnel, une protection accrue est conférée aux marques jouissant d'une renommée. L'article L. 713-5 du Code de la Propriété Intellectuelle stipule en effet que “l'emploi d'une marque jouissant d'une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l'enregistrement engage la responsabilité de son auteur s'il est susceptible de porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cet emploi constitue une exploitation injustifiée de cette dernière (…)”.
Tel que rédigé, le Règlement permet de constater que le simple “enregistrement” d'un nom de domaine peut porter atteinte aux droits détenus par le Requérant. Or, en vertu des dispositions nationales et communautaires applicables, l'atteinte à un droit de marque ne peut en principe être évaluée qu'à la lumière des produits et services en liaison avec lesquels est effectué l'usage incriminé.
Néanmoins, il suffit de constater en l'espèce que la marque AIR FRANCE, mondialement connue, est associée dans les noms de domaine litigieux à des termes qui évoquent nécessairement, dans l'esprit du public, l'idée de transport de ou vers des aéroports. Dans ces conditions, le simple enregistrement des noms de domaine <airfrance-navette-aeroport.fr>, <airfrancenavetteaeroport.fr>, <airfrance-shuttle.fr> et <airfranceshuttle.fr> porte nécessairement atteinte aux droits du Requérant, dont il convient de rappeler que les activités – et les droits de marque – ne concernent pas uniquement le transport aérien de passagers et de fret, mais s'étendent également au transport des usagers vers les aéroports parisiens (sous la déclinaison LES CARS AIR FRANCE). En tout état de cause, il est difficilement concevable que les noms de domaine litigieux fassent l'objet d'une utilisation légitime, qui plus est de la part d'une société active dans le domaine du transport vers les aéroports et qui exerce, de ce fait, des activités concurrentielles à celles offertes par la Société Air France.
A titre surabondant, il convient de rappeler que la marque AIR FRANCE jouit, du fait de son immense notoriété et par la mise en jeu des dispositions de l'article L. 713-5 du Code de la Propriété Intellectuelle susmentionné, d'une protection allant bien au-delà du domaine d'activités de la Société Air France.
Dans la mesure où le Défendeur ne fait valoir aucun droit ou intérêt légitime sur les noms de domaine litigieux, il convient alors d'ordonner le transfert des noms de domaine litigieux au profit du Requérant, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres motifs invoqués à l'appui de la demande. Et ce d'autant plus que la société Alliance Transport et Proximité Shuttle a clairement manifesté sa volonté de ne pas en conserver la titularité.
Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l'Expert ordonne le transfert des noms de domaine <airfrance-navette-aeroport.fr>, <airfrancenavetteaeroport.fr>, <airfrance-shuttle.fr> et <airfranceshuttle.fr> au profit du Requérant.
Martine DEHAUT
Expert
Le 30 juin 2010