Les Requérantes sont LIDL Stiftung & Co. KG (LIDL International) de Neckarsulm, Allemagne et SNC LIDL (LIDL France) de Strasbourg, France, toutes deux représentées par Addax Avocats, France.
Les Défendeurs sont au nombre de quatre : Lydia Perez, de Londres, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (“Royaume-Uni”), ainsi que trois autres personnes respectivement domiciliées prétendument à Londres, Royaume-Uni, et à Strasbourg, France pour les deux dernières. Pour les raisons qui seront explicitées plus bas, les identités de ces personnes ne seront pas révélées.1
Les noms de domaine litigieux <fr-lidl.com>, <lidl-france.com> et <lidlfrance.com> sont enregistrés auprès de GoDaddy.com, LLC, tandis que les noms de domaine litigieux <lidl-fr.com> et <snc-lidl.com> sont enregistrés auprès d’eNom, Inc. (ci-après désigné “les Unités d’enregistrement”).
Une plainte a été déposée par LIDL Stiftung & Co. KG (LIDL International) et SNC LIDL (LIDL France) auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 10 août 2017. En date du 10 août 2017, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Les 10, 11 et 29 août 2017, les Unités d’enregistrement ont transmis leur vérification au Centre révélant l’identité des titulaires des noms de domaine litigieux et leurs coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignées dans la plainte. Le 1er septembre 2017, le Centre a envoyé un courrier électronique aux Requérantes avec les données relatives aux titulaires des noms de domaine litigieux telles que communiquées par les Unités d’enregistrement, les invitant à soumettre un amendement à la plainte/une plainte amendée. Le Centre a le même jour également notifié aux parties en français ainsi qu’en anglais que la langue du contrat d’enregistrement était l’anglais, invitant du même coup les parties à se déterminer sur la langue de la procédure. Les Requérantes ont déposé deux plaintes amendées, successivement les 3 et 4 septembre 2017, reflétant d’une part les données relatives aux titulaires des noms de domaine litigieux telles que communiquées par les Unités d’enregistrement, et sollicitant d’autre part que le français soit la langue de la procédure, demande à laquelle les Défendeurs n’ont pas répondu.
Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répondaient bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 13 septembre 2017, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée aux Défendeurs. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 3 octobre 2017. Les Défendeurs n’ont fait parvenir aucune réponse. En date du 6 octobre 2017, le Centre notifiait le défaut des Défendeurs.
En date du 25 octobre 2017, le Centre nommait Philippe Gilliéron comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
LIDL Stiftung & Co. KG (LIDL International) exploite au travers de ses filiales une chaîne de supermarchés composée de plus de 10,000 magasins implantés dans 26 pays d’Europe. Elle est titulaire de très nombreuses marques verbales et semi-figuratives nationales, européennes et internationales comprenant le terme LIDL. Ainsi peut-on mentionner, parmi d’autres:
- La marque européenne verbale LIDL No. 001778679 déposée le 27 juillet 2000 et enregistrée le 22 août 2002 en de très nombreuses classes de la Classification de Nice.
- La marque européenne semi-figurative LIDL No. 001779784 déposée ce même 27 juillet 2000 et enregistrée le 24 décembre 2001 en de très nombreuses classes de la Classification de Nice.
La société LIDL France, co-requérante, est au bénéfice d’une licence d’exploitation octroyée par LIDL International en sa faveur portant sur plusieurs marques, dont les marques précitées.
LIDL International est en outre titulaire de nombreux noms de domaine, parmi lesquels :
- <lidl.com>, enregistré depuis le 20 février 2000;
- <lidl.net>, enregistré depuis le 17 avril 2009;
LIDL France est de son côté titulaire du nom de domaine <lidl.fr>, enregistré depuis le 21 juillet 1998.
La marque LIDL jouit d’une notoriété indubitable dans le domaine de la grande distribution.
Depuis le début du mois de décembre 2015, LIDL France a été alertée par des entreprises françaises et étrangères que ces dernières recevaient des courriels de personnes se présentant sous les identités de certains gérants, envoyés depuis différentes adresses comportant toutes la marque LIDL (tels “lidl.serviceachat@[...]”; “[…]@groupe-lidl.com”; “[…]@groupe-lidl.com”; “[…]@lidl-fr.com”; “[…]@snc-lidl.com”; “[…]@fr-lidl.com”; “[…]@lidl-france.com”; “[…]@lidlfrance.com”).
Les noms de domaine litigieux ont été enregistrés le 8 février 2016, le 16 juin 2016, le 26 octobre 2017 le 20 février 2017 et le 15 mars 2017. Ils ne renvoient à aucun site actif et semblent uniquement être destinés à créer des adresses électroniques contenant la marque LIDL, ce dans l’optique d’adresser ensuite des courriels à des entreprises pour leur faire croire que les Requérantes seraient intéressées à acquérir certains de leurs produits et en obtenir des quantités importantes sans en avoir à payer le prix. Rédigés tantôt en français, tantôt en anglais, ces courriels étaient tous prétendument signés par des représentants de LIDL France, dont des signataires correspondant aux identités de trois des Défendeurs, tous gérants de sociétés appartenant à LIDL France. Les identités de ces représentants ont ainsi été usurpées que ce soit pour enregistrer les noms de domaine litigieux ou pour adresser des courriels à des sociétés étrangères, raison pour laquelle leur divulgation apparaît inopportune.
Grâce à ce système, il est établi que les expéditeurs de ces courriels ont pu obtenir plusieurs commandes, soit notamment des commandes de vins pour des montants totalisant plus de EUR 400,000.
Une plainte pénale a été posée le 6 janvier 2016 auprès du Procureur de la République du Tribunal de grande instance de Strasbourg par LIDL France.
Les Requérantes font tout d’abord valoir le fait que les noms de domaine <lidl-fr.com>, <fr-lidl.com>, <lidl-france.com> et <lidlfrance.com> sont similaires aux marques de LIDL International, l’adjonction de l’abréviation “fr” et du mot “France” étant impropre à écarter le risque de confusion résultant de la reprise de la marque LIDL puisqu’elle tend, au contraire à le renforcer en évoquant le pays dans lequel l’une des Requérantes a son siège. Il en va de même du nom de domaine <snc-lidl.com>, l’adjonction de l’élément “snc” étant également impropre à écarter le risque de confusion résultant de la reprise de la marque LIDL, puisqu’elle ne fait que se référer à une forme juridique du Requérant LIDL France, à savoir une société en nom collectif.
Les Requérantes sont ensuite d’avis que les Défendeurs n’ont aucun droit ni aucun intérêt légitime sur les noms de domaine litigieux. Elles n’ont aucune relation d’affaire avec les Défendeurs qu’elles ne connaissent pas et ne leur ont jamais octroyé de licence. Les Défendeurs ne sont pas connus sous les noms de domaine litigieux et n’ont pas utilisé les noms de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, bien au contraire puisqu’ils l’ont été afin de perpétrer des infractions dont sont victimes LIDL France et des tiers.
Les Requérantes considèrent pour terminer que les noms de domaine litigieux ont été enregistrés et qu’ils sont utilisés de mauvaise foi. Au vu de la notoriété de la marque LIDL, les Défendeurs ne pouvaient en ignorer l’existence lorsqu’ils ont enregistré les noms de domaine litigieux. Au vu de l’utilisation frauduleuse commise au moyen des adresses emails susmentionnés, l’utilisation des noms de domaine litigieux a enfin lieu de mauvaise foi.
Les Défendeurs n’ont pas répondu aux arguments des Requérantes.
Conformément au paragraphe 4(a) des Principes directeurs, la commission administrative doit déterminer si sont réunies les trois conditions posées par ceux-ci, à savoir:
(i) si les noms de domaine sont identiques ou semblables au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle la requérante a des droits; et
(ii) si le défendeur n’a aucun droit ou un intérêt légitime sur les noms de domaine; et
(iii) si le défendeur a enregistré et utilise les noms de domaine de mauvaise foi.
Avant d’aborder les questions de fond, il convient de trancher à titre liminaire une question procédurale, celle de la langue de la procédure:
Aux termes du paragraphe 11(a) des Règles d’application, “sauf convention contraire entre les parties ou stipulation contraire du contrat d’enregistrement, la langue de la procédure est la langue du contrat d’enregistrement; toutefois, la commission peut décider qu’il en sera autrement, compte tenu des circonstances de la procédure administrative”.
En l’espèce, les Requérantes allèguent le fait qu’en dépit de la langue du contrat d’enregistrement, c’est-à-dire l’anglais, les Défendeurs ont adressé de nombreux courriels en français démontrant leur maîtrise de cette langue. Elles sollicitent dès lors que la langue de la procédure soit le français.
La Commission administrative accepte la requête des Requérantes. L’examen du dossier montre en effet que les Défendeurs ont envoyé de nombreux courriels en français à des tiers, langue qu’ils maîtrisent manifestement parfaitement. Les Défendeurs, invités à se déterminer, ne l’ont du reste pas fait et ne se sont ainsi pas opposés à ce que la langue de la procédure soit le français.
Au vu de ce qui précède, rien ne justifie dès lors que l’anglais soit maintenu comme langue de la procédure. La Commission administrative considère dès lors que le français sera la langue de la procédure.
En vertu du paragraphe 3(c) des Règles d’application “[l]a plainte peut porter sur plusieurs noms de domaine, à condition que ces noms de domaine soient enregistrés par le même titulaire.”
Les Requérantes fournissent dans leur plainte amendée des arguments démontrant que tous les noms de domaine sont sous contrôle commun et peuvent ainsi faire l’objet d’une même procédure.
Suite à la communication des informations sur l’identité des titulaires des noms de domaine objets de la plainte par les unités d’enregistrement, il apparaît que ces noms de domaine ont été enregistrés par quatre personnes différentes. Les Requérantes déclarent que trois sur les quatre titulaires des noms de domaine n’ont cependant jamais enregistré ces noms de domaine et ont été victimes d’une usurpation d’identité.
Vu les soumissions des Requérantes avec les preuves en appui, la Commission considère que, même s’il y a plusieurs Défendeurs, tous les noms de domaine litigieux sont sous contrôle commun et sont utilisés à des fins délictuelles.
En l’espèce, la Commission considère que les domaine litigieux sont sous contrôle commun et peuvent ainsi faire l’objet d’une même procédure.
Selon le paragraphe 4(a)(i), la requérante doit démontrer que les noms de domaine litigieux sont identiques ou semblables au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle la requérante a des droits.
En l’espèce, il est établi que la Requérante LIDL International est titulaire de la marque verbale de l’Union européenne LIDL.
Il est largement admis que le fait de reprendre à l’identique la marque de la requérante dans un nom de domaine peut suffire à établir que ce nom de domaine est identique ou similaire au point de prêter à confusion avec la marque sur laquelle la requérante a des droits.
Cela vaut également lorsque la marque constitue l’élément prédominant du nom de domaine litigieux, et que l’élément ajouté constitue un terme descriptif.
Ainsi en va-t-il en l’espèce. L’adjonction des abréviations “snc” et “fr”, respectivement “société en nom collectif” et “France”, est impropre à écarter le risque de confusion résultant de la reprise pure et simple par les Défendeurs de la marque de la Requérante LIDL International comme élément principal des noms de domaine litigieux.
Au vu de ce qui précède, la Commission administrative considère que la condition posée par le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est remplie.
Selon les Principes directeurs, paragraphe 4(a)(ii), la requérante doit démontrer que le défendeur n’a pas de droit ou d’intérêt légitime sur les noms de domaine litigieux.
Dans la décision Do The Hustle, LLC c. Tropic Web, Litige OMPI No. D2000-0624, la commission administrative a considéré que, s’agissant d’un fait négatif presque impossible à démontrer, à partir du moment où le requérant a allégué que le défendeur n’a aucun droit ni intérêt légitime en relation avec le nom de domaine, c’est au défendeur qu’il incombe d’établir l’existence de ses droits. Partant, il suffit que le requérant établisse prima facie que le défendeur ne détient aucun droit ou intérêt légitime pour qu’il revienne au défendeur de produire des arguments ou des preuves pour établir ses droits. A défaut, le requérant est présumé avoir satisfait aux exigences posées par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs.
Tel est le cas en l’espèce. Les Requérantes ont allégué n’avoir jamais consenti de droit ni d’autorisation aux Défendeurs en relation avec l’enregistrement et l’exploitation de noms de domaine reprenant la marque LIDL. Or, les Défendeurs ne fournissent aucune explication quant au choix des noms de domaine litigieux. En l’absence d’une quelconque explication, force est d’admettre que les Défendeurs n’ont apporté aucun élément à même de démontrer un droit ou à tout le moins un intérêt légitime sur les noms de domaine litigieux.
Partant, la Commission administrative considère que la condition posée par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est satisfaite.
Selon les Principes directeurs, paragraphe 4(a)(iii), la requérante doit démontrer que le défendeur a enregistré et qu’il utilise les noms de domaine litigieux de mauvaise foi.
L’enregistrement de mauvaise foi présuppose que le défendeur connaissait la marque de la requérante. En l’espèce, il ne fait aucun doute au vu de la notoriété de la marque LIDL et de l’usurpation qu’ils en ont fait que les Défendeurs connaissaient parfaitement la marque de la Requérante LIDL International. Quant à l’utilisation de mauvaise foi, elle est patente de par les infractions perpétrées par les courriels générés au moyen d’adresses électroniques reprenant la marque LIDL, prétendument envoyés par des représentants autorisés de LIDL France pour obtenir des quantités importantes de produits sans jamais les payer.
Au vu de ce qui précède, la Commission administrative considère que les conditions posées par le paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs est satisfaite.
Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que les noms de domaine litigieux <fr-lidl.com>, <lidl-france.com>, <lidlfrance.com>, <lidl-fr.com>, <snc-lidl.com> soient transférés à LIDL Stiftung & Co. KG (LIDL International).
Philippe Gilliéron
Expert Unique
Le 9 novembre 2017
1 Est attachée comme Annexe 1 à la présente Décision, l’instruction de la Commission administrative donnée aux Unités d’enregistrement en ce qui concerne le transfert des noms de domaine litigieux, incluant les noms du Défendeur. La Commission administrative a autorisé le Centre à transmettre l’Annexe 1 aux Unités d’enregistrement comme faisant partie du dispositif dans la présente procédure mais a indiqué que l’Annexe 1 de la Décision ne doit pas être publiée dû aux circonstances du litige.