Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Le Duff Industries contre [Nom anonymisé1]

Litige No. D2018-1102

1. Les parties

Le Requérant est Le Duff Industries de Servon-Sur-Vilaine, France, représenté par SCAN Avocats, France.

Le Défendeur est F. B. d’Abbeville, France, sans représentation.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le nom de domaine litigieux <bridorde-france.com> est enregistré auprès de Register.IT SPA (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Le Duff Industries auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 16 mai 2018. En date du 16 mai 2018, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 17 mai 2018, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 23 mai 2018, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 12 juin 2018. Le Défendeur a envoyé des courriers électroniques mais n’a fait parvenir aucune réponse formelle. En date du 14 juin 2018, le Centre notifiait les Parties qu’il procédera à la nomination de la Commission administrative.

En date du 19 juin 2018, le Centre nommait Christian André Le Stanc comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles. d’application.

La plainte a été déposée en anglais car d’après les recherches du Requérant le contrat d’enregistrement était en anglais ou en italien. Cependant le Centre a informé le Requérant que le contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux était en français. Le Requérant a alors fourni une traduction de la plainte en français, le 22 mai 2018, en acquiesçant à ce que la langue de la procédure soit le français. Le Requérant est une entreprise française et le Défendeur a donné une adresse en France. La procédure sera dès lors menée en français conformément au paragraphe 11 (a) des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant, société Le Duff Industries, dénommée anciennement Bridor Holding jusqu’en mars 2018, est une entreprise importante dans la réalisation de pâtisseries et la production de pain sous les marques BRIDOR et BRIDOR DE France.

Le Requérant est titulaire et exploite les marques suivantes :

- BRIDOR DE FRANCE, marque verbale française n° (11)3804816, déposée le 9 février 2011 en classes 29, 30 et 43;

- BRIDOR DE FRANCE, marque verbale de l’Union Européenne n°9738485, déposée le 15 février 2011 en classes 29, 30 et 43;

- BRIDOR, marque semi-figurative française n° (16)4248273, déposée le 10 février 2016 en classes 29, 30 et 43;

- BRIDOR, enregistrement international désignant notamment l’Union Européenne n° 1321566 déposée le 1er août 2016 en classes 29, 30 et 43;

- BRIDOR, marque verbale française n° (87)1416167, déposée le 29 juin 1987 (dûment renouvelée) en classes 30 et 43;

- BRIDOR, marque semi-figurative de l’Union Européenne n°0088336 déposée le 1er avril 1996 (dûment renouvelée) en classes 30 et 42;

- BRIDOR, marque semi-figurative de l’Union Européenne n°1430107 déposée le 17 décembre 1999 (dûment renouvelée) en classes 29, 30 et 42;

- BRIDOR, marque semi-figurative de l’Union Européenne n° 15049372 déposée le 28 janvier 2016 en classes 29, 30 et 43.

Le Requérant est également titulaire des noms de domaine ci-après qu’elle exploite.

- <bridor-de-france.fr> réservé le 14 avril 2011;

- <bridordefrance.fr> réservé le 14 avril 2011;

- <bridor-de-france.com> réservé le 14 avril 2011;

- <bridordefrance.com> réservé le 9 septembre 2009;

- <bridor.fr> réservé le 8 juin 1999.

Ces marques et noms de domaine sont tous antérieurs au nom de domaine litigieux <bridorde-france.com>, enregistré le 21 décembre 2017.

Le Défendeur, réservataire du nom de domaine litigieux, d’après la base Whois, est F. B. de France et a pour adresse e-mail “…@netc.fr”. Le 2 mars 2018, le Requérant, par son conseil, a écrit en recommandé avec accusé de réception au Défendeur pour le mettre en demeure de cesser les atteintes portées aux marques du Requérant et a doublé cette lettre d’un courriel. F. B. a répondu le 5 mars 2018 que son adresse physique était un peu différente de l’adresse prétendue du titulaire du nom de domaine litigieux; que l’adresse e-mail “…@netc.fr” n’était pas la sienne, qu’il n’était pas concerné et qu’il s’agissait sans doute d’un homonyme. F. B. a ajouté le 6 mars 2018 qu’il ne pouvait s’agir que d’une usurpation d’identité.

La plainte ultérieurement a été notifiée au Défendeur apparent F. B., lequel a répondu au Centre, le 24 mai 2018, sans arguments sur le fond du litige, qu’il avait déjà fait savoir au conseil du Requérant qu’il était étranger à cette affaire.

Il demeure que la présente procédure administrative est régulièrement menée à l’encontre de la personne figurant au registre WhoIs, même si l’on peut regretter que l’identité des auteurs d’enregistrements de noms de domaine puisse être fantaisiste et ne soit pas plus fermement vérifiée, à l’exception de l’adresse e-mail nécessaire à l’enregistrement.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant fait état de ses nombreuses marques antérieures visées ci-dessus, exploitées et connues, ainsi que des noms de domaine dont il est titulaire.

Le Requérant estime que le nom de domaine litigieux <bridorde-france.com> est similaire au point de prêter à confusion avec les marques BRIDOR DE FRANCE en ce que ce nom reproduit intégralement les marques avec les seules différences, minimes, de l’absence d’espace entre “bridor” et “de”, de la présence d’un tiret entre “de” et “france” et de la présence nécessaire de l’extension technique du gTLD : “.com”.

Le Requérant estime que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache. Le Requérant soutient que les recherches qu’il a menées ne permettent pas de constater que le Défendeur, F. B. ou un usurpateur de ce patronyme, soit communément connu par le nom de “bridor de france” ou “bridor”. Le Requérant affirme n’avoir jamais autorisé le Défendeur à utiliser les marques BRIDOR DE FRANCE, ou BRIDOR et n’être lié d’aucune manière au Défendeur.

Le Requérant ajoute que le Défendeur a enregistré de mauvaise foi le nom de domaine litigieux et prétend l’établir en raison de l’ancienneté et la notoriété des marques BRIDOR; au fait que le terme “BRIDOR” ne fait pas partie du langage courant et au fait que le Défendeur réserve de manière habituelle des noms de domaine composées de marque de tiers. Ceci révélant que l’enregistrement du nom de domaine litigieux ne peut être fortuit et n’est destiné qu’à tenter d’en tirer profit.

Le Requérant enfin avance que le Défendeur fait un usage de mauvaise foi du nom de domaine litigieux. Le Requérant a en effet constaté la détention passive du nom de domaine litigieux par le Défendeur renvoyant à une page inaccessible et souligne notamment que le Défendeur a caché son identité; qu’il n’a pas répondu aux lettre et courriel (2 et 5 mars 2018) que le Requérant lui avait envoyés et que le Défendeur est coutumier des dépôts de noms de domaine reproduisant des marques de tiers.

C’est la raison pour laquelle le Requérant dans sa plainte demande le transfert du nom de domaine <bridorde-france.com>.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant explicités dans sa plainte.

6. Discussion et conclusions

Le paragraphe 15(a) des Règles d’application prévoit: “La commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux Principes directeurs, aux présentes Règles et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicable.”

Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au requérant désireux d’obtenir le transfert à son profit de nom de domaine enregistré par le défendeur de prouver contre ledit défendeur, cumulativement, que :

(i) Le nom de domaine enregistré par le défendeur “est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou services sur laquelle le requérant a des droits”;

(ii) Le défendeur “n’[a] aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache”; et

(iii) Le nom de domaine “a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi”.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

La Commission administrative constate qu’effectivement, au vu du dossier communiqué, le Requérant dispose de droits de marque antérieurs à l’enregistrement du nom de domaine litigieux. Elle estime que le nom de domaine <bridorde-france.com> est pratiquement identique à la marque BRIDOR DE FRANCE et, en tous cas, semblable au point de prêter à confusion. Peu importe, en effet, aux yeux de la Commission, l’absence de séparation entre “bridor” et l’article “de” ou le tiret placé entre “bridorde” et “france”. Peu importe également l’adjonction dans le nom de domaine de l’extension “.com”, nécessaire on le sait pour des raisons techniques. L’internaute d’attention moyenne ne fera pas de différences entre la marque et le nom de domaine litigieux et aura la conviction que ledit nom de domaine traduit la marque par ailleurs connue.

Le Défendeur, qui n’a pas répondu à la plainte, n’a pas contesté cette similitude.

B. Droits ou intérêts légitimes

La Commission administrative relève que le Requérant, titulaire de marques passablement connues (requêtes sur le moteur de recherches Google figurant au dossier, Annexe I) de la plainte, avance sans être contredit que le Défendeur n’a aucune relation avec le Requérant qui ne lui a concédé aucune autorisation d’enregistrer et d’utiliser le nom de domaine litigieux et que ce Défendeur, ou un usurpateur du nom F. B., n’a jamais été connu par la dénomination “Bridor” ou “Bridor de France”. La Commission décide que la preuve prima facie de l’absence de droit ou d’intérêt légitime est ainsi rapportée, d’autant que ce nom de domaine qui ne dirigeait pas vers un site actif ne pouvait permettre des offres de bonne foi de biens ou de services ni d’utilisation non commerciale légitime ou loyale du nom de domaine en cause.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

La Commission administrative estime effectivement qu’est établie par le Requérant la mauvaise foi du Défendeur dans l’enregistrement du nom de domaine litigieux. Des indices de cette mauvaise foi, outre le fait pour le Défendeur d’avoir dissimulé son identité, tiennent à l’ancienneté des marques du Requérant, sinon notoires, du moins connues et au fait que le nom de domaine reprend au quasi identique les marques du Requérant qui sont des termes arbitraires (bridor) et ne font pas partie du langage courant. En enregistrant le nom de domaine litigieux le Défendeur ne pouvait pas ignorer l’existence des marques du Requérant et a nécessairement agi en vue d’en retirer un profit indû. Un indice supplémentaire de cette mauvaise foi est également constaté en ce que le Défendeur est coutumier de l’enregistrement de noms de domaines reflétant des dénominations sociales ou marques de grandes entreprises (Calcia, Thyssen, Mercura, Vitafrais etc.), tous déposés, comme le nom de domaine litigieux, en décembre 2017. Le Requérant établit ce fait par une recherche inversée de la base WhoIs à partir de l’adresse e-mail “…@netc.fr” du Défendeur (Annexe J du dossier du Requérant).

De la même manière, la Commission administrative estime que la détention passive du nom de domaine litigieux qui ne renvoyait pas à une page active peut constituer un usage de mauvaise foi du nom de domaine en cause (voir WIPO Overview of WIPO Panel Views on Selected UDRP Questions, Third Edition (“WIPO Overview 3.0”), section 3.3). Spécialement les circonstances suivantes militent en ce sens: Le réservataire du nom de domaine litigieux n’a pas révélé son identité, et il y a lieu de penser que ledit réservataire a usurpé le nom de F. B., lequel F. B. a fait savoir qu’il n’était pas concerné par le problème. Le réservataire du nom de domaine litigieux a enregistré force noms de domaine comportant les dénominations ou marques de grandes entreprises et ces noms ne correspondent pas à des pages actives. Le titulaire de l’adresse e-mail “…@netc.fr” n’a pas répondu aux mises en demeure des 2 et 5 mars 2018 et n’a pas davantage répondu à la plainte qui lui a été notifiée notamment à cette adresse e-mail, ne contestant pas ce faisant les arguments du Requérant.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4 (i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <bridorde-france.com> soit transféré au Requérant.

Christian André Le Stanc
Expert Unique
Le 26 juin 2018


1 La Commission administrative ayant déterminé que le nom de domaine litigieux avait été enregistré de manière frauduleuse en effectuant une usurpation d’identité, la Commission administrative a décidé d’anonymiser le nom du Défendeur dans la décision Litige OMPI No. D2018-1102. Est attachée comme Annexe 1 à la présente Décision, l’instruction de la Commission administrative donnée à l’Unité d’enregistrement en ce qui concerne le transfert du nom de domaine litigieux, incluant le nom du Défendeur. La Commission administrative a autorisé le Centre à transmettre l’Annexe 1 à l’Unité d’enregistrement comme faisant partie du dispositif dans la présente procédure mais a indiqué que l’Annexe 1 de la Décision ne doit pas être publiée dû aux circonstances du litige.