Le Requérant est LIDL Stiftung & Co. KG (LIDL International), de Neckarsulm, Allemagne et SNC LIDL (LIDL France), de Strasbourg, France, représenté par Addax Avocats, France.
Le Défendeur est Registration Private, Domains By Proxy LLC de Scottsdale, Arizona, Etats-Unis d’Amérique / Nom anonymisé.1
Le nom de domaine litigieux <france-lidl.com> est enregistré auprès de GoDaddy.com, LLC (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).
Une plainte en français a été déposée par LIDL Stiftung & Co. KG (LIDL International) et SNC LIDL (LIDL France) auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 31 mai 2018. En date du 31 mai 2018, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 1er juin 2018, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 4 juin 2018, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre une plainte amendée. Le même jour, le Centre a également notifié aux Parties, en anglais et en français, que la langue du contrat d’enregistrement était l’anglais. Le 5 juin 2018, le Requérant a déposé une plainte amendée reflétant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, et apportant des arguments au soutien de cette demande afin que le français soit la langue de la procédure. Le Défendeur n’a pas apporté de commentaires concernant la langue de la procédure.
Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répondaient bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 14 juin 2018, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur en anglais et en français. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 4 juillet 2018. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 5 juillet 2018, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.
En date du 24 juillet 2018, le Centre nommait Louis-Bernard Buchman comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
LIDL Stiftung & Co. KG (LIDL International) exploite au travers de ses filiales une chaîne de supermarchés à dominante alimentaire dans de nombreux pays d’Europe, dont plus de 1500 supermarchés en France.
Elle est titulaire de marques comprenant le terme LIDL, dont les marques suivantes :
- la marque de l’Union Européenne verbale LIDL No. 001778679 déposée le 27 juillet 2000 et enregistrée le 22 août 2002;
- la marque de l’Union Européenne figurative LIDL No. 001779784 également déposée le 27 juillet 2000 et enregistrée le 12 novembre 2001.
La société LIDL France, co-requérant, est bénéficiaire d’une licence d’exploitation octroyée par LIDL International en sa faveur, portant sur les marques précitées (ci-après désignées ensemble : “la Marque”).
LIDL International est par ailleurs titulaire de nombreux noms de domaine, parmi lesquels :
- <lidl.com>, enregistré depuis le 20 février 2000;
- <lidl.net>, enregistré depuis le 17 avril 2009.
LIDL France est de son côté titulaire du nom de domaine <lidl.fr>, enregistré depuis le 21 juillet 1998.
Le nom de domaine litigieux a été enregistré par le Défendeur le 19 janvier 2018. Le nom de domaine litigieux n’est pas utilisé pour exploiter un site Internet, mais a servi à créer des adresses électroniques contenant la Marque, sous la forme “[…]@france-lidl.com”,afin d’envoyer des courriers électroniques à des entreprises pour leur faire croire que le Requérant souhaite obtenir la livraison de quantités importantes de marchandises.
(i) Le Requérant dispose de droits sur la Marque.
(ii) Le nom de domaine litigieux porte atteinte aux droits dont est titulaire le Requérant, en ce qu’il imite la Marque, et est susceptible de créer un risque de confusion dans l’esprit des internautes en leur laissant croire que le Requérant est lié directement ou indirectement au nom de domaine litigieux, ce qui n’est pas le cas.
(iii) Le nom de domaine litigieux est constitué de la partie distinctive de la Marque.
(iv) Le Défendeur n’a jamais été autorisé par le Requérant à procéder à l’enregistrement du nom de domaine litigieux. Le Défendeur ne peut justifier d’aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.
(v) Le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux et l’utilise de mauvaise foi.
(vi) Le Requérant demande que le nom de domaine litigieux lui soit transféré.
Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.
En ce qui concerne la langue de la procédure, l’Unité d’enregistrement a indiqué que la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux est l’anglais. Dans la mesure où la plainte du Requérant est rédigée en français, le Centre a invité le 4 juin 2018 le Requérant à soumettre une requête contenant des arguments pour que la langue de la procédure soit le français, et le Défendeur à contester la langue dans laquelle la plainte a été déposée. Le Requérant a requis le 5 juin 2018 dans sa plainte amendée que le français soit la langue de la procédure, en arguant du fait que tous les messages envoyés depuis les adresses électroniques créées à partir du nom de domaine litigieux sont rédigés en français, ce qui démontrerait selon le Requérant que le nom de domaine litigieux a été enregistré par une personne qui maîtrise la langue française, et que l’adresse du Défendeur figurant sur la base de données de l’Unité d’enregistrement est située en France.
Considérant que le Défendeur n’a pas objecté à cette requête, la Commission administrative, faisant application du pouvoir discrétionnaire qu’elle tient du paragraphe 11(a) des Règles d’application, décide que le français sera la langue de la procédure.
La Commission administrative est tenue d’appliquer le paragraphe 15(a) des Règles d’application qui prévoit que : “La commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux principes directeurs, aux présentes règles et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicable.”
Le paragraphe 10(a) des Règles d’application donne à la Commission administrative un large pouvoir de conduire la procédure administrative de la manière qu’elle juge appropriée, conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application, et elle doit aussi veiller à ce que la procédure soit conduite avec célérité (paragraphe 10(c) des Règles d’application).
En conséquence, la Commission administrative s’est attachée à vérifier, au vu des arguments et pièces disponibles, si l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux portaient atteinte aux droits du Requérant et si le Défendeur pouvait justifier de droits sur ce nom de domaine.
Selon le paragraphe 14(b) des Règles d’application, la Commission administrative a le pouvoir de tirer du défaut du Défendeur toutes conclusions qu’elle juge appropriées.
Au cas présent, la Commission administrative constate que le Défendeur n’a réfuté aucun des faits allégués par le Requérant.
En particulier, le Défendeur, par son défaut, n’a fourni à la Commission administrative aucun des éléments prévus par les paragraphes 4(b) et (c) des Principes directeurs qui lui aurait permis de conclure que le Défendeur jouit de droits ou justifie d’intérêts légitimes concernant le nom de domaine litigieux, ou qu’il a agi de bonne foi en enregistrant et utilisant le nom de domaine litigieux.
Dans le cadre de l’analyse de la première condition du paragraphe 4(a), la Commission administrative doit d’abord constater si le droit du Requérant sur la Marque existe objectivement ou non.
Au vu des pièces versées au dossier, la Commission administrative considère que le Requérant justifie de droits exclusifs sur la dénomination “LIDL” à titre de marque enregistrée.
Demeure alors la question de la comparaison entre cette dénomination d’une part et le nom de domaine litigieux d’autre part.
Or, le nom de domaine litigieux reproduit totalement l’élément distinctif LIDL.
En ce qui concerne l’identité ou la similitude de la Marque par rapport au nom de domaine litigieux, la seule différence consiste en la présence dans le nom de domaine litigieux du préfixe “france-”. Cette différence ne saurait aux yeux de la Commission administrative conférer un autre sens au nom de domaine litigieux ni permettre de le distinguer de la Marque du Requérant.
Il est établi par ailleurs que les extensions de nom de domaine (telles que “.com”), suffixes nécessaires pour leur enregistrement, sont sans incidence sur l’appréciation du risque de confusion, les extensions pouvant donc ne pas être prises en considération pour examiner la similarité entre les Marques du Requérant et le nom de domaine litigieux, conformément à nombre de décisions déjà rendues (Voir Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003; Accor c. Accors, Litige OMPI No. D2004-0998).
La Commission administrative estime que le nom de domaine litigieux est similaire à la Marque sur laquelle le Requérant a des droits, au point de prêter à confusion (voir Citibank Privatkunden AG & Co. KGaA c. PrivacyProtect.org / N/A, indishi india mr.ugala, Litige OMPI No. D2010-1147; Credit Industriel et Commercial S.A., Banque Fédérative du Credit Mutuel c. Headwaters MB, Litige OMPI No. D2008-1892; Banque Saudi Fransi c. ABCIB, Litige OMPI No. D2003-0656; Islamic Bank of Britain Plc c. Ifena Consulting, Charles Shrimpton, Litige OMPI No. D2010-0509; BPCE c. PrivacyProtect.org / Maksym Pastukhov, Litige OMPI No. D2010-1666).
Dans ces conditions, la Commission administrative constate que l’exigence du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est satisfaite.
Il est admis que, s’agissant de la preuve d’un fait négatif, une commission administrative ne saurait se montrer trop exigeante vis-à-vis d’un requérant. Lorsqu’un requérant a allégué le fait que le défendeur n’a aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine, il incombe au défendeur d’établir le contraire, puisque lui seul détient les informations nécessaires pour ce faire. S’il n’y parvient pas, les affirmations vraisemblables du requérant sont réputées exactes (Eli Lilly and Company c. Xigris Internet Services, Litige OMPI No. D2001-1086; Do The Hustle, LLC c. Tropic Web, Litige OMPI No. D2000-0624).
Le Défendeur ayant usurpé l’identité d’un employé du Requérant n’est pas connu sous le nom de domaine litigieux - la légitimité des intérêts du Défendeur sur le nom de domaine litigieux n’est pas établie (voir Owens Corning Fiberglas Technology, Inc. c. Hammerstone, Litige OMPI No. D2003-0903).
Le Défendeur n’a pas été autorisé par le Requérant à utiliser la Marque ou à procéder à l’enregistrement d’un nom de domaine incluant la Marque.
Par ailleurs, le mutisme conservé par le Défendeur, qui a choisi de ne pas répondre à la plainte dans la présente procédure, ne permet pas de penser qu’il ferait un usage légitime et non commercial du nom de domaine litigieux.
Enfin, le Défendeur ayant délibérément dissimulé son identité, aucun intérêt légitime relatif au nom de domaine litigieux n’est manifeste de sa part.
La Commission administrative note que le nom de domaine litigieux est utilisé afin de permettre la commission de fraudes au détriment de LIDL France et de tiers.
La Commission administrative est d’avis, dans ces conditions, que le Défendeur n’a pas de droits ou d’intérêts légitimes qui s’attachent au nom de domaine litigieux.
La mauvaise foi doit être prouvée dans l’enregistrement comme dans l’utilisation.
En ce qui concerne l’enregistrement de mauvaise foi, la Commission administrative estime que le choix comme nom de domaine d’une marque notoire, en la faisant simplement précéder de l’indication géographique “france” (qui ne saurait conférer un sens différent à la dénomination “lidl”, ni permettre de la distinguer de la Marque), ne peut être le fruit d’une simple coïncidence, la notoriété de la Marque ayant été reconnue par de nombreuses décisions rendues sous les Principes directeurs (par exemple LIDL Stiftung & Co. KG (LIDL International) et LIDL France c. WHOIS Agent, Whois Privacy Protection Service, Inc./Défendeur inconnu, Litige OMPI No. D2016-0316; LIDL Stiftung & Co. KG (LIDL International), SNC LIDL (LIDL France) contre nom anonymisé, nom anonymisé, nom anonymisé, Lydia Perez, Litige OMPI No. D2017-1548).
L’indication par le Défendeur à l’unité d’enregistrement d’un nom correspondant à celle de l’un des représentants légaux du co-requérant et d’une adresse correspondant à celle du siège du co-requérant traduit manifestement une volonté d’usurpation d’identité.
Dans ces circonstances, il est impossible selon la Commission administrative qu’au moment où il a enregistré le nom de domaine litigieux, le Défendeur ait pu ne pas avoir connaissance de la Marque.
De surcroît, le Défendeur a effectué cette réservation dans le but d’hameçonner les internautes en créant une grande similitude avec la Marque et le nom de domaine principal du Requérant.
En effet, le nom de domaine litigieux renvoie à un site inactif, mais une adresse de messagerie associée à ce nom de domaine était exploitée pour diffuser des messages frauduleux, depuis un serveur de mail relié à ce nom de domaine.
La Commission administrative conclut qu’en utilisant le nom de domaine litigieux à des fins frauduleuses, le Défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.
Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <france-lidl.com> soit transféré au Requérant, LIDL Stiftung & Co. KG (LIDL International).
Louis-Bernard Buchman
Expert Unique
Le 7 août 2018
1 Est attaché à la présente décision, comme Annexe 1, l’instruction de la Commission administrative donnée à l’Unité d’enregistrement en ce qui concerne le transfert du nom de domaine litigieux, incluant le nom du Défendeur. La Commission administrative a déterminé que le nom de domaine litigieux a été enregistré par un tiers qui a usurpé l’identité d’un des employés du Requérant. La Commission administrative a autorisé le Centre à transmettre l’Annexe 1 à l’Unité d’enregistrement comme faisant partie du dispositif dans la présente procédure mais a indiqué que l’Annexe 1 de la décision ne doit pas être publiée dû aux circonstances du litige.