Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Bouygues contre Nom anonymisé

Litige No. D2018-1898

1. Les parties

Le Requérant est Bouygues de Paris, France, représenté par Nameshield, France.

Le Défendeur est anonymisé.1

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le nom de domaine litigieux <bouygues-services.com> est enregistré auprès de Ligne Web Services SARL (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Bouygues auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 21 août 2018. En date du 21 août 2018, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Les 27, 28 août et 5 septembre 2018, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 5 septembre 2018, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte ou une plainte amendée. Le Requérant a déposé une plainte amendée le 6 septembre 2018.

Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répondaient bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 13 septembre 2018, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur.

Elle a été adressée par mail à l’adresse indiquée sur l’extrait Whois. Cet envoi a été suivi d’un avis indiquant qu’il n’avait pas été remis. Un avis de notification par écrit de la plainte a également été envoyé par courrier au titulaire selon les données de l’extrait Whois.

Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 3 octobre 2018. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 5 octobre 2018, le Centre notifiait le défaut du Défendeur. Le 12 octobre 2018, un tiers a envoyé un email au Centre indiquant avoir reçu l’avis de notification par écrit de la plainte envoyé par courrier du 13 septembre 2018 et être victime d’une usurpation d’identité.

En date du 26 octobre 2018, le Centre nommait Marie-Emmanuelle Haas comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant est un groupe industriel français fondé en 1952 par Francis Bouygues, et dirigé aujourd’hui par son fils Martin Bouygues. Le groupe est structuré autour de trois activités :

- la construction : Bouygues Construction, Bouygues Immobilier et Colas

- les télécommunications : Bouygues Telecom

- les médias : TF1

En 2016, le chiffre d’affaires de Bouygues s’élève à 31,768 milliards EUR. Le groupe est présent dans près de 90 pays sur les cinq continents et emploie près de 118 000 collaborateurs dont 44 pour cent à l’international.

Le Requérant déclare être titulaire des marques suivantes sur la dénomination BOUYGUES :

- marque internationale BOUYGUES n°949188, enregistrée le 27 septembre 2007 ;

- marque internationale BOUYGUES n°390771, enregistrée le 1er septembre 1972 ;

- marque internationale BOUYGUES n°390770, enregistrée le 1er septembre 1972.

Le Requérant déclare également être titulaire de nombreux noms de domaine incluant le terme “bouygues”, dont les suivants :

- <bouygues.com>, enregistré le 31 décembre 1997 ;

- <bouygues.fr>, enregistré le 13 juin 1996.

Le Requérant met en cause le nom de domaine <bouygues-services.com>, enregistré le 24 juillet 2018, dont le titulaire a été identifié suite au dépôt de la plainte, selon les données communiquées par l’unité d’enregistrement. Au moment du dépôt de la plainte, le nom de domaine litigieux redirigeait vers le site officiel du Requérant. Le Requérant a fourni la preuve que le nom de domaine litigieux a été utilisé pour créer une adresse email dans une démarche de tentative d’hameçonnage.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant soutient que le nom de domaine litigieux <bouygues-services.com> est semblable au point de prêter à confusion avec les marques et noms de domaine associés lui appartenant.

Le Requérant fait valoir que l’ajout du terme générique “services” à la marque du Requérant n’est pas suffisant pour échapper à la conclusion que le nom de domaine litigieux est semblable au point de prêter à confusion avec les marques du Requérant.

L’ajout du terme “services” litigieux ne permet pas de modifier l’impression d’ensemble selon laquelle le nom de domaine litigieux est lié à la marque du Requérant.

Le Requérant affirme que le Défendeur n’est pas affilié à sa société, ni autorisé par lui-même de quelque sorte que ce soit. Le Requérant n’a jamais mené une quelconque activité avec le Défendeur. Ainsi, aucune licence ni autorisation n’a été accordée au Défendeur de faire une quelconque utilisation des marques du Requérant, ou une demande d’enregistrement du nom de domaine litigieux.

Le Requérant affirme que le nom de domaine litigieux <bouygues-services.com> redirige vers l’un de ses sites à l’adresse internet : “www.bouygues-es.fr ”.

Il ajoute que le Défendeur a, par le biais du nom de domaine litigieux, envoyé un email en se faisant passer pour un collaborateur du Requérant.

Le Requérant soutient que sa société et ses marques sont connues en Europe, et plus spécialement en France. Compte tenu du caractère distinctif de la marque du Requérant et de l’utilisation du nom de domaine litigieux, le Requérant estime comme hautement probable que le Défendeur avait connaissance de cette marque au moment où il a enregistré le nom de domaine litigieux.

Le Défendeur a utilisé le nom de domaine litigieux pour créer une adresse email dans une démarche de tentative d’hameçonnage.

Le Requérant conclut que le Défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine litigieux <bouygues-services.com> de mauvaise foi.

Par conséquent, le Requérant demande à la Commission administrative de rendre une décision ordonnant que le nom de domaine litigieux <bouygues-services.com> soit transféré au Requérant.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant dans le délai imparti.

Le message envoyé le 12 octobre 2018 par la personne répondant aux données d’identification de l’extrait Whois n’est pas pris en compte par la Commission administrative. Les pièces communiquées par le Requérant sont suffisantes.

6. Discussion et conclusions

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Le Requérant justifie de ses droits sur les marques suivantes :

- marque internationale BOUYGUES n°949188, enregistrée le 27 septembre 2007 ;

- marque internationale BOUYGUES n°390771, enregistrée le 1er septembre 1972 ;

- marque internationale BOUYGUES n°390770, enregistrée le 1er septembre 1972.

La seule différence entre le nom de domaine litigieux <bouygues-services.com> et les marques BOUYGUES est l’ajout du terme “services”. La marque du Requérant étant facilement identifiée dans le nom de domaine litigieux, la Commission administrative considère que la condition prévue au paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est remplie.

B. Droits ou intérêts légitimes

La preuve des droits sur un nom de domaine ou de l’intérêt légitime qui s’y attache peut être constituée, en vertu des paragraphes 4(a)(ii) et 4(c) des Principes directeurs, en particulier, par l’une des circonstances ci-après :

(i) avant d’avoir eu connaissance du litige, le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services a été utilisé ou des préparatifs sérieux ont été mis en œuvre à cet effet ;

(ii) le titulaire est connu sous le nom de domaine considéré, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services; ou

(iii) il fait un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.

Le Défendeur n’est titulaire d’aucun droit de marque sur la dénomination BOUYGUES, il n’est pas autorisé à exploiter la marque BOUYGUES et n’est pas connu pour exercer une quelconque activité sous le nom de domaine litigieux <bouygues-services.com>.

Le Requérant ne prouve pas que le nom de domaine <bouygues-services.com> renvoie vers le site internet “www.bouygues-es.fr”. En revanche, il prouve que le nom de domaine litigieux a été utilisé par le Défendeur pour envoyer des emails via l’adresse “[...]@bouygues-services.com”. L’email communiqué par le Requérant a été envoyé pour proposer d’initier un courant d’affaires en se présentant comme faisant partie de Bouygues Énergies et Services. Le Requérant certifiant que le titulaire du nom de domaine litigieux n’est pas un tiers autorisé, cet email a été envoyé en revendiquant faussement l’appartenance au groupe du Requérant.

Compte tenu des faits décrits par le Requérant, non contestés en l’absence de toute réponse, et des moyens de preuve apportés à l’appui de la plainte, la Commission administrative considère que la condition du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est remplie.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Aux fins du paragraphe (4)(a)(iii) des Principes directeurs, la preuve de ce que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi peut être constituée, en particulier, pour autant que leur réalité soit constatée par la Commission administrative, par les circonstances ci-après (paragraphe 4(b) des Principes directeurs) :

(i) les faits montrent que le nom de domaine a été enregistré ou acquis essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais déboursés par le titulaire en rapport direct avec ce nom de domaine ;

(ii) le nom de domaine a été enregistré en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, le titulaire étant coutumier d’une telle pratique ;

(iii) le nom de domaine a été enregistré essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent ; ou

(iv) en utilisant ce nom de domaine, le titulaire a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les internautes sur un site Web ou autre espace en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du Requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de son site ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé.

L’ancienneté de l’activité du Requérant, sa renommée et sa présence dans de nombreux pays attestent de sa visibilité.

Les marques BOUYGUES du Requérant sont distinctives et renommées. Ainsi, leur reprise quasi à l’identique ne peut être le fait du hasard, d’autant plus que le nom de domaine litigieux a ensuite été utilisé en prétendant faire partie du groupe Bouygues.

A défaut de réponse à la plainte, le Défendeur n’a fourni aucune preuve de tout éventuel usage de bonne foi, actuel ou envisagé du nom de domaine litigieux <bouygues-service.com>. Les pièces communiquées prouvent le contraire.

Le Requérant démontre que le Défendeur a mis en place un serveur de courrier électronique pour le nom de domaine contesté et qu’il a utilisé une adresse “[...]@bouygues-services.com” pour se faire passer pour un commercial de Bouygues.

Cette pratique constitue la revendication d’une fausse qualité et une manœuvre frauduleuse, caractérisant par nature la mauvaise foi du Défendeur.

Compte tenu des faits décrits par le Requérant, non contestés en l’absence de toute réponse, et des moyens de preuve apportés à l’appui de la plainte, la Commission administrative considère que la condition du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs est remplie.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <bouygues-services.com> soit transféré au Requérant.

Marie-Emmanuelle Haas
Expert Unique
Le 9 novembre 2018


1 Est attachée à la présente décision, comme Annexe 1, l’instruction de la Commission administrative donnée à l’Unité d’enregistrement en ce qui concerne le transfert du nom de domaine litigieux, incluant le nom du Défendeur. La Commission administrative a déterminé que le nom de domaine litigieux a été enregistré de manière frauduleuse par un tiers en effectuant une usurpation d’identité. La Commission administrative a autorisé le Centre à transmettre l’Annexe 1 à l’Unité d’enregistrement comme faisant partie du dispositif dans la présente procédure mais a indiqué que l’Annexe 1 de la décision ne doit pas être publiée dû aux circonstances du litige.