Le Requérant est Globesailor, France, représenté par le cabinet Avrillon Huet, France.
Le Défendeur est Desarnaud Patrice, France.
Les noms de domaine litigieux <globesailor.com> and <globesailor.net> sont enregistrés auprès de OVH (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).
Une plainte a été déposée par Globesailor auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 13 septembre 2021. En date du 14 septembre 2021, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 15 septembre 2021, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 17 septembre 2021, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 7 octobre 2021. Le Défendeur a soumis une réponse le 6 octobre 2021.
En date du 15 octobre 2021, le Centre nommait Christiane Féral-Schuhl comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
Le 25 octobre 2021, le Requérant a adressé au Centre ses observations sur la réponse soumise par le Défendeur le 6 octobre 2021. Le 26 octobre 2021, le Centre transmettait ces observations à la Commission administrative.
Le 26 octobre, le Défendeur a adressé au Centre des observations en réponse à celles soumises par le Requérant le 25 octobre 2021. Le 27 octobre 2021, le Centre transmettait ces observations à la Commission administrative.
La Requérante est la société Globesailor, qui a pour activité la gestion d’une plateforme destinée à offrir aux plaisanciers la possibilité de réserver des navires de plaisance.
Dans le cadre de l’exercice de ses activités, la Requérante est titulaire de droits de propriété intellectuelle, parmi lesquels :
- la marque verbale européenne GLOBESAILOR No. 017000051, enregistrée le 1er novembre 2017 pour les classes 12 et 39;
De plus la Requérante est titulaire des noms de domaine suivants :
- <globesailor.co.uk>, <globesailor.fr>, <globesailor.it>, <globesailor.es>, <globesailor.ch> et <globesailor.de>.
Les noms de domaine litigieux <globesailor.com> et <globesailor.net> ont été enregistrés respectivement le 8 et 9 novembre 2000.
Au jour du dépôt de la plainte et de la présente décision, les noms de domaine litigieux redirigent vers une page inactive intitulée “test gs”.
La Requérante avance tout d’abord que les noms de domaine litigieux sont identiques à sa marque GLOBESAILOR dès lors qu’ils la retranscrivent littéralement.
La Requérante argue en outre que le Défendeur n’a aucun droit ni intérêt légitime sur les noms de domaine litigieux, dès lors que, bien qu’il en soit titulaire depuis 2000, il n’en a jamais fait usage, si bien qu’ils redirigent vers des pages sans contenu, qu’il n’est pas connu sous les noms de domaine litigieux et n’en fait ni un usage non commercial légitime, ni un usage loyal.
Enfin, la Requérante considère que les noms de domaine litigieux ont été enregistrés et sont utilisés de mauvaise foi, soulignant que plusieurs utilisateurs souhaitant consulter les services proposés par la Requérante se sont rendus par erreur sur les sites Internet vers lesquels redirigent les noms de domaine litigieux, et ont pensé que la plateforme gérée par la Requérante était en panne puisque ces sites Internet n’affichent aucun contenu, se tournant alors vers des concurrents de la Requérante, ce qui nuit gravement à son image et diminue le trafic de sa plateforme.
La Requérante insiste par ailleurs sur le fait que ces agissements durent depuis presque 10 ans, la première mise en demeure relative aux noms de domaine litigieux et adressée au Défendeur par l’intermédiaire de son avocat datant de 2012.
C’est au regard de l’ensemble de ces éléments que la Requérante sollicite que les noms de domaine litigieux lui soient transféré.
Tout d’abord, le Défendeur ne conteste pas que les noms de domaine litigieux soient identiques à la marque GLOBESAILOR de la Requérante.
Ensuite, le Défendeur souligne que le terme “Globe Sailor” est un nom générique se voulant le pendant du terme “Globe-trotter”, appliqué au monde du nautisme.
Enfin, le Défendeur indique avoir enregistré les noms de domaine litigieux les 8 et 9 novembre 2000 et rappelle que la marque GLOBESAILOR a commencé à être exploitée par la Requérante en 2008, et que la marque GLOBESAILOR dont elle se prévaut aujourd’hui a été enregistrée le 1er novembre 2017.
Le Défendeur considère ainsi qu’il a effectué l’enregistrement des noms de domaine litigieux de bonne foi, car à la date de leur enregistrement, la marque GLOBESAILOR sur laquelle la Requérante a des droits n’existait pas.
Le Défendeur ajoute que les site web vers lesquels redirigent les noms de domaine litigieux n’ont jamais affiché de contenu, l’usage d’un nom de domaine ne se limitant pas à un site web et pouvant servir à d’autres usages (SMTP, FTP, VPN, API Web, WEB Service), ce qui est le cas pour ses serveurs.
Selon le paragraphe 4(a) des Principes directeurs, la Requérante doit prouver que :
(i) le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle la Requérante a des droits; et
(ii) le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache; et
(iii) le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
La Requérante et le Défendeur ont, respectivement les 25 et 26 octobre 2021, adressé au Centre des observations complémentaires non sollicitées par la Commission administrative.
Conformément aux paragraphes 10 et 12 des Règles d’application, l’admissibilité de tels dépôts supplémentaires non sollicités est déterminée à la seule discrétion de la Commission administrative.
En l’occurrence, la Commission administrative considère que les dépôts non sollicités de la Requérante et le Défendeur n’apportent pas d’élément nouveau utile à la solution du présent litige, les observations soumises par la Requérante faisant étant de décisions judiciaires non applicables à l’espèce, et celles soumises par le Défendeur faisant état de décisions rendues antérieurement dans le cadre de procédures menées selon les principes UDRP dont la Commission administrative avait déjà connaissance.
En outre, dans ses observations complémentaires non sollicitées, le Défendeur sollicite que la Commission administrative se prononce sur la tentative de détournement de nom de domaine inversé (“RDNH”) opérée par la Requérante par le biais de sa plainte, qui aurait été déposée de mauvaise foi et serait constitutive d’un abus de la procédure administrative.
Toutefois, conformément au paragraphe 15(e) des Règles d’application, la Commission administrative doit quoiqu’il en soit déclarer dans sa décision que la plainte a été introduite de mauvaise foi et constitue un abus de la procédure administrative si elle constate qu’elle a été déposée dans le cadre d’une tentative de détournement de nom de domaine inversé, et ce que le Défendeur ait soulevé ce point ou non (voir Insight Energy Ventures LLC v. Alois Muehlberger, L.M.Berger Co.Ltd., Litige OMPI No. D2016-2010).
Par conséquent, la Commission administrative refuse d’admettre dans la présente procédure les dépôts supplémentaires non sollicités de la Requérante et du Défendeur, considérant qu’aucun élément issu de ces observations ne modifierait sa décision.
Selon le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs, la Requérante doit démontrer que les noms de domaine litigieux sont identiques ou semblables au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle la Requérante a des droits.
La Commission administrative estime que la Requérante a fourni des éléments prouvant qu’elle est titulaire de droits sur la marque GLOBESAILOR.
En l’espèce, les noms de domaine litigieux <globesailor.com> et <globesailor.net> reprennent intégralement et exclusivement la marque GLOBESAILOR, y adjoignant les extensions “.com” et “.net”.
De nombreuses décisions rendues sur le fondement des Principes directeurs, ont déjà constaté que l’incorporation d’une marque reproduite à l’identique au sein d’un nom de domaine est suffisante pour établir que le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion à la marque sur laquelle le requérant a des droits. Ainsi, il existe un consensus des commissions administratives qui estiment que la simple adjonction d’un mot à une marque est insuffisante pour éviter un tel risque de confusion. Dès lors, il est constant dans les précédentes décisions UDRP que le fait qu’un nom de domaine intègre la marque enregistrée par un requérant est suffisante à caractériser un risque de confusion et que la simple adjonction d’un terme est insuffisante pour éviter un tel risque (voir Hoffmann-La Roche Inc., Roche Products Limited v. Vladimir Ulyanov, Litige OMPI No. D2011-1474; Magnum Piering, Inc. v. The Mudjackers and Garwood S. Wilson, Sr., Litige OMPI No. D2000-1525; Bayerische Motoren Werke AG v. bmwcar.com, Litige OMPI No. D2002-0615; Swarovski Aktiengesellschaft v. mei xudong, Litige OMPI No. D2013-0150; RapidShare AG, Christian Schmid v. InvisibleRegistration.com, Domain Admin, Litige OMPI No. D2010-1059).
La Commission administrative estime que la reproduction intégrale et à l’identique dans les noms de domaine litigieux de la marque GLOBESAILOR rend les noms de domaine litigieux identiques à la marque GLOBESAILOR, ou du moins similaires à cette marque au point de prêter à confusion.
Par ailleurs, la Commission administrative rappelle que les extensions “.com” et “.net” ne sont pas à prendre en considération dans la comparaison des noms de domaine litigieux et de la marque GLOBESAILOR, comme les décisions fondées sur les Principes directeurs le jugent depuis longtemps.
En tout état de cause, le Défendeur a déclaré ne pas contester que les noms de domaine litigieux sont bel et bien identiques à la marque GLOBESAILOR sur laquelle la Requérante a des droits.
La Commission administrative estime donc que les noms de domaine litigieux sont identiques ou similaires au point de prêter à confusion avec la marque détenue par la Requérante, au sens du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.
Aux termes du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs, la Requérante doit être en mesure de démontrer que le Défendeur n’a aucun droit sur les noms de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache.
Si la charge de la preuve de l’absence de droit ou d’intérêt légitime du Défendeur incombe à la Requérante, les commissions administratives considèrent qu’il est difficile de prouver un fait négatif. Conformément à la Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux principes UDRP, troisième édition (“Synthèse de l’OMPI, version 3.0”), section 2,1, il est donc généralement admis que la Requérante doit établir prima facie que le Défendeur n’a pas de droit ni d’intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux (voir par exemple Croatia Airlines d.d. v. Modern Empire Internet Ltd., Litige OMPI No. D2003-0455). Il incombe ensuite au Défendeur de renverser cette présomption. S’il n’y parvient pas, la Requérante est présumée avoir satisfait aux exigences posées par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs (voir par exemple Denios Sarl v. Telemediatique France, Litige OMPI No. D2007-0698).
D’après le paragraphe 4(c) des Principes directeurs, si la Commission administrative considère les faits comme établis au vu de tous les éléments de preuve présentés par le Défendeur, la preuve de ses droits sur le nom de domaine ou de son intérêt légitime qui s’y attache peut être constituée, en particulier, par l’une des circonstances ci-après :
i) avant d’avoir eu connaissance du litige, le Défendeur a utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet;
ii) le Défendeur (individu, entreprise ou autre organisation) est connu sous le nom de domaine considéré, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services;
iii) ou le Défendeur fait un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.
La Commission a noté que la Requérante considère que le Défendeur n’a aucun droit ni intérêt légitime sur les noms de domaine litigieux, dès lors qu’il n’en a jamais fait usage depuis qu’il en est titulaire, soit depuis 2000, chacun d’eux redirigeant vers des pages web sans contenu.
La Commission a également constaté que le Défendeur indique avoir enregistré les noms de domaine litigieux en raison de son intérêt pour le monde du nautisme et à d’autres fins que la redirection vers des sites Internet (à savoir pour des usages SMTP, FTP, VPN, API Web, ou encore WEB Service).
Toutefois et en tout état de cause, à la lumière de ses constations ci-dessous relatives à l’enregistrement et l’usage de mauvaise foi des noms de domaine litigieux, il n’apparaît pas utile que la Commission administrative tranche la question de savoir si la Requérante a apporté la preuve que le Défendeur a des droits ou intérêts légitimes sur les noms de domaine litigieux.
Selon le paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs, la Requérante doit démontrer que les noms de domaine litigieux ont été enregistrés et sont utilisés de mauvaise foi par le Défendeur.
Le paragraphe 4(b) ajoute que la preuve de ce que le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi peut être constituée, en particulier, pour autant que leur réalité soit constatée par la Commission administrative, par les circonstances ci-après :
(i) les faits montrent que le nom de domaine a été enregistré ou acquis essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au Requérant qui est propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celle-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais qu’elle peut prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine;
(ii) le nom de domaine a été enregistré en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine;
(iii) le nom de domaine a été enregistré essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent; ou
(iv) en utilisant le nom de domaine, le Défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les internautes sur un site Web ou autre espace en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du Requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation du site ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé.
En l’espèce, la Commission administrative constate que le Défendeur a enregistré les noms de domaine litigieux les 8 et 9 novembre 2000, soit de nombreuses années avant, non seulement, l’enregistrement de la marque GLOBESAILOR par la Requérante, intervenu le 1er novembre 2017, mais aussi le début de son exploitation, initiée en 2008.
Le Défendeur ne pouvait dès lors avoir aucune connaissance de la marque de la Requérante préalablement à l’enregistrement des noms de domaine litigieux, de sorte qu’il n’a pas pu y procéder de mauvaise foi. Il y a en effet aucun élément dans ce dossier qui permettent d’établir que le Défendeur ciblait la marque du Requérant au moment de l’enregistrement des noms de domaine.
En effet, hormis les rares cas de connaissance préalable d’une marque par un défendeur, il n’est logiquement pas possible pour un défendeur d’enregistrer un nom de domaine en visant de mauvaise foi une marque qui n’existe pas encore ou dont il n’a pas connaissance (voir les décisions citées à la section 3.8 de la Synthèse de l’OMPI, version 3.0).
Or, le consensus depuis la mise en œuvre des Principes UDRP est que le “et” conjonctif du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs, qui prévoit que la Requérante doit démontrer que le nom de domaine litigieux “a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi” par le Défendeur, indique que la mauvaise foi du Défendeur doit être caractérisée à la fois au moment de l’enregistrement du nom de domaine litigieux et par la suite.
De nombreuses décisions rendues sur le fondement des Principes directeurs ont ainsi déjà refusé de caractériser la mauvaise foi d’un défendeur lorsqu’il avait enregistré un nom de domaine avant la naissance des droits de marque du requérant (voir Mile, Inc. v. Michael Burg, Litige OMPI No. D2010-2011; KION Material Handling GmbH v. Kion Printing Inc., Litige OMPI No. D2017-0025; Insight Energy Ventures LLC v. Alois Muehlberger, L.M.Berger Co.Ltd., Litige OMPI No. D2016-2010; Coolside Limited v. Get On The Web Limited, Litige OMPI No. D2016-0335).
Au regard de l’ensemble de ces éléments et circonstances, la Commission administrative considère que les noms de domaine litigieux n’ont pas été enregistrés de mauvaise foi par le Défendeur et que, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur leur usage de mauvaise foi, la condition prévue aux paragraphes 4(a)(iii) et 4(b) des Principes directeurs n’est pas remplie.
Sur la question du RDNH, la Commission administrative ne considère pas que la plainte a été introduite de mauvaise foi de la part du Requérant et ne constitue pas un abus de la procédure administrative.
Pour les raisons exposées ci-dessus, la Commission administrative rejette la plainte.
Christiane Féral-Schuhl
Expert Unique
Le 3 novembre 2021