Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI
DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE
Société Nomen International contre Gilles Chenaille
Litige n° D2001-1257
1. Les parties
Le requérant est la Société Anonyme Nomen International dont le siège social est situé 102 rue du Faubourg Saint Honoré, 75008 Paris (France).
Le défendeur est Monsieur Gilles Chenaille, 148 avenue Felix Faure, 75015 Paris (France).
2. Les noms de domaine et l'unité d'enregistrement
Les noms de domaine concernés sont :
<nomename.com>
<nominem.com>
<nominem.net>
L'unité d'enregistrement est Gandi, 38 rue Notre Dame de Nazareth, 75003 Paris (France).
3. Rappel de la procédure
Le Centre d'Arbitrage et de Médiation de l'OMPI (ci-après dénommé le "Centre") a reçu une plainte par e-mail le 17 octobre 2001, de la Société Nomen International avec copie au défendeur M. Gilles Chenaille et à l'Unité d'enregistrement GANDI.
Dans cette plainte le requérant désigne un mandataire habilité à agir en son nom en la personne de Isabelle Charreau-Droupy, Conseil en propriété industrielle, Legi-Mark, 102 rue du Faubourg Saint Honoré, 75008 Paris.
Le 24 octobre le Centre adresse par e-mail une notification au requérant au sujet de la langue de procédure en français avec copie au défendeur et à l'unité d'enregistrement. Le 26 octobre le requérant y répond par e-mail et par courrier normal en maintenant son souhait que la langue de procédure soit le français.
Le 30 octobre 2001, le requérant modifie sa plainte par e-mail en demandant que la Commission Administrative ordonne le transfert des noms de domaine litigieux et non la radiation. Cette demande a été actée par le Centre et est acceptée par la Commission Administrative.
Le 30 octobre le Centre vérifie sur la checklist que la plainte répond bien aux Principes Directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaines (ci-après dénommés les "Principes directeurs"), aux Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommés les "Règles") approuvés par l'ICANN le 24 octobre 1999, et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les "Règles supplémentaires") pour l'application des Principes directeurs précités. Il a notamment été vérifié que la taxe requise a été effectuée par virement le 17 octobre, 2001.
Le même jour, le centre notifie par e-mail et par fax la plainte, ainsi que l'avis d'ouverture de la procédure administrative, avec copie au requérant, à Gandi et à l’ICANN. Ces documents sont également transmis par courrier DHL du 31 octobre au défendeur.
Le 19 novembre, le défendeur envoie sa réponse en e-mail ainsi qu'en lettre recommandée avec accusé de réception. Le même dossier est transmis de la même manière au requérant.
Le 20 novembre, le Centre accuse réception au défendeur de son mémoire en réponse avec fichier joint. Le courrier papier parvient avec toutes ses annexes au Centre et est enregistré par celui-ci le 26 novembre.
Le même jour le Centre notifie aux deux parties la nomination de la Commission administrative composée de Jean-Claude Combaldieu, expert unique. Le même jour le Centre nous transmet le dossier papier in extenso.
Toute la procédure est donc régulière en application des Principes directeurs, des Règles et des Règles supplémentaires.
Comme le propose le requérant, la langue de procédure est le français en application de l'article 11.a) des Règles compte tenu du fait que les deux parties en présence sont de nationalité française et que le site de l'unité d'enregistrement fonctionne aussi bien en français qu'en anglais.
4. Les faits
La plainte est basée sur les éléments suivants :
Le requérant est titulaires des marques suivantes :
- marque française NOMEN n° 1.710.782 déposée le 7 mai 1982, et dûment renouvelée en classe 16, 35 et 42 notamment pour désigner des services de publicité ;
- marque française NOMEN n°1.450.807 déposée le 8 février 1988, et dûment renouvelée en classes 1 à 34 compris et 36 à 41 compris, notamment pour désigner des services de création de marques ;
- marque communautaire NOMEN n° 201.202 déposée le 1er avril 1996, en classes 16,35 et 42 notamment pour des services de création de marques.
Selon le WHOIS,
- le nom de domaine <Nomename.com> a été créé
le 16 septembre 2000,
- le nom de domaine <Nominem.net> a été créé
le 13 septembre 2000,
- le nom de domaine <Nominem.com> a été créé
le 14 septembre 2000.
5. Argumentation des parties
A. Le requérant
Le requérant expose en premier lieu que les noms de domaine incriminés sont semblables au point de prêter à confusion avec les marques de produits ou services dont il est titulaire.
En comparaison avec ses marques NOMEN le requérant fait valoir :
- concernant NOMINEM, que les terminaisons "em" et "en" sont quasiment identiques et que l'adjonction de "in" entre le M et le N n'atténue pas le risque de confusion. Les dénominations Nomen et Nominem ont un rythme et une consonance d'ensemble des plus proches.
- concernant NOMENAME, les 5 premières lettres sont identiques dans le même ordre. L'adjonction de AME en finale n'atténue pas le risque de confusion.
Enfin, les ressemblances intellectuelles sont certaines. Le terme Nominem évoque une fausse déclinaison du terme latin Nomen. Quant à Nomename, il est constitué de la marque Nomen avec la terminaison "name" qui signifie "nom" en anglais.
Le requérant expose aussi que le défendeur n'a aucun droit ni intérêt légitime. En effet, ce dernier, non content d'utiliser des signes prêtant à confusion, propose aussi des services identiques à ceux de Nomen International, c'est à dire la création de nom de marques et de noms de domaines. Il cherche à se placer dans le sillage de Nomen International qui est une société internationale existant depuis plus de 20 ans en France ayant des filiales dans de nombreux pays et qui a acquis une renommée incontestable. Les références produites par le requérant lui paraissent éloquentes.
Le défendeur cherche à tirer un profit indu des efforts du requérant et à détourner le public à des fins lucratives.
Le requérant estime enfin que les noms de domaine ont été enregistrés et utilisés de mauvaise foi en vue de rechercher la confusion. De plus les sites du défendeur comportent des liens avec des sites érotiques ou pornographiques ce qui nuit à la réputation de Nomen International. Il est fait référence à des décisions antérieures de la Commission Administrative (Hewlett-Packard/laserjets.com) qui ont reconnu la mauvaise foi et l'absence d'intérêt légitime lorsque le domaine litigieux porte sur un site à caractère pornographique ou dont certaines informations sont à caractère pornographique.
Après avoir demandé la radiation des sites litigieux, le requérant en a finalement demandé le transfert par courrier du 30 octobre 2001.
B. Le défendeur
Dans son mémoire en défense, le défendeur fait valoir les arguments suivants avec de nombreuse annexes à l'appui :
Il réfute d'abord les possibilités de confusion en raison des ressemblances visuelles, structurelles ou phonétiques. En effet, les clients de Nomen ne sont pas des "consommateurs d'attention moyenne" mais des professionnels le plus souvent d'envergure nationale ou internationale ce qui exclut toute approximation dans la recherche de l'interlocuteur souhaité ou des prestations recherchées.
En l'espèce, NOMEN, NOMINEM ou NOMENAME ont en commun la racine "nom" sur laquelle personne ne peut prétendre avoir un droit réservé et exclusif.
NOMENAME est composé de la racine NOM, de la lettre E (abréviation de "electronic") et de NAME qui veut dire "nom" en anglais.
Quant aux terminaisons "en" de NOMEN et "inem" de NOMINEM, elles sont loin d'être semblables.
Le défendeur note d'ailleurs dans son mémoire et dans les annexes des noms de marques ou de sites ayant le radical "nom" avec diverses terminaisons par exemple le serveur "Nominum" ou la société d'avocats "Nomos" spécialisée en propriété intellectuelle.
En deuxième lieu, le défendeur argue que le requérant ne peut prétendre être victime d'actes de contrefaçon et de parasitisme. Il développe l'idée que le mot Nomen étant le substantif latin du mot français "nom", il ne peut constituer une marque valable car c'est la désignation usuelle ou générique (voir Jurisprudence Loto). Nomen est un mot latin générique que les juristes utilisent parfois et qui figure dans des dictionnaires juridiques. D'ailleurs beaucoup d'entreprises ayant une activité liée aux marques ou noms en général ont choisi des appellations dérivées de "nom" ou de "nomen".
Selon le défendeur le requérant souhaite s'approprier la désignation "nominem" qu'il a d'ailleurs déposée comme marque à l'INPI en décembre 2000. En prétendant que le défendeur a inventé une fausse déclinaison de Nomen en choisissant Nominem pour capter la clientèle, le requérant se trompe car Nominem est la première personne du subjonctif du verbe "Nominare" et est aussi employé fréquemment dans la locution "ad nominem".
Le défendeur ajoute enfin dans ce volet de son argumentation que Nomen étant inconnu du grand public, le requérant ne saurait arguer d'une quelconque distinctivité du fait d'un long usage.
En troisième et dernier lieu le défendeur souligne qu'il n'y a aucune mauvaise foi dans l'enregistrement du nom de domaine <nominem>. Outre les arguments précédemment développées, les activités sont différentes. <nominem.com> est essentiellement dédié à la vente de noms de domaine en stock et ce n'est que très accessoirement qu'il est proposé la création de marques. Quant aux liens avec des sites de charme, il ne s'agit pas d'activités illicites ou illégales et ne font d'ailleurs qu'accentuer la différence avec les sites de Nomen.
Bref le défendeur accuse à son tour le requérant de mauvaise foi car en déposant "NOMINEM" comme marque à l'INPI en décembre 2000, sans en référer à quiconque et en s'abstenant d'en parler dans le présent arbitrage il a révélé que son objectif était de récupérer les appellations NOMINEM et NOMINAME.
Finalement le défendeur demande à la Commission administrative de rejeter l'ensemble des prétentions du requérant comme étant non fondées.
6. Discussion et conclusions
Le paragraphe 15) a) des Règles indique à la Commission administrative les principes de base à utiliser pour se déterminer à l'occasion d'une plainte : la Commission doit décider sur la base des exposés et documents soumis selon les Principes directeurs et les Règles d'application ainsi que toutes les règles ou principes légaux qui lui semblent applicables.
Appliqué à ce cas, le paragraphe 4)a) des Principes directeurs indique que le requérant doit prouver chacun des points suivants :
(1) le nom de domaine enregistré par le défendeur est identique, ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits,
(2) le défendeur n'a aucun droit sur le nom de domaine ni intérêt légitime qui s'y attache,
(3) le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
A. Identité ou similitude prêtant à confusion
Il n'est pas de la compétence de la Commission Administrative de statuer sur la validité ou la non validité d'une marque. Cependant, il est un fait couramment admis qu'un terme latin, en relation avec les produits et services désignés dans les dépôts peut constituer une marque valable dès lors qu'elle remplit les critères absolus de validité, et notamment le caractère distinctif.
La loi française sur les marques d'aujourd'hui et le règlement sur la marque communautaire prévoient des procédures d'examen des marques quant aux critères absolus de validité, puis une procédure d'opposition.
La marque Nomen communautaire a passé le cap des procédures d'examen et d'opposition sans difficulté. Nous considérerons donc qu'elle est valable et que tous les arguments développés par le défendeur sur la validité ne sauraient être retenus. Au demeurant la bonne notoriété de la Société Nomen dans le domaine de la création de marques, de la communication et de la publicité contribue, s'il en était besoin, à la distinctivité et donc à la validité de sa marque. Reste l'examen de l'identité ou de la similitude.
A l'évidence il n'y a pas identité entre la marque Nomen et les noms de domaine Nominem et Nomename.
La similitude au point de prêter à confusion ne paraît pas non plus évidente à la Commission Administrative.
Sur le plan verbal l'insertion de "in" dans Nominem fait passer le mot à trois syllabes au lieu de deux dans Nomen. De plus la terminaison "nem" est différente de la terminaison "men".
Quant au terme Nomename, il est beaucoup plus proche de Nominem que de Nomen. Le défendeur expose lui-même qu'il a acquis Nomename en raison d'une phonétique extrêmement proche de Nominem. Il semble qu'il ait parfaitement raison sur ce point.
Sur le plan visuel la ressemblance porte sur la racine "nom" et, dans une moindre mesure, sur la syllabe finale qui, nous l'avons déjà vu, n'est pas identique. Toutefois la longueur des mots, ainsi que l'aspect anglo-saxon pour Nomename nous conduisent à penser qu'il ne peut y avoir confusion.
Sur le plan conceptuel, un latiniste (peu averti) pourrait penser que Nominem est la déclinaison de Nomen et que par conséquent le titulaire pourrait être le même.
Ce type de rapprochement intellectuel ne saurait être retenu car on ne peut exiger de l'utilisateur d'Internet d'avoir une culture latine. De surcroit, et à titre subsidiaire, Nominem n'est pas une déclinaison latine de Nomen. L'expression "ad nominem" évoquée par le défendeur est barbarisme même si on la trouve dans des documents d'origine officielle. Le mot latin Nomen, nominis, est neutre de sorte qu'il conviendrait de dire "ad nomen". Il y a sans doute confusion avec la locution correcte "ad hominem".
S'ajoute à ces considérations le fait qu'à partir de la racine "nom", que le requérant ne saurait revendiquer, et de ses variantes plus ou moins pseudo latines, il s'est construit de nombreux noms de domaines proches les uns des autres (et même de nombreuses marques) que le défendeur cite abondamment dans sa réponse.
Ce foisonnement de noms de domaine, inhérent au système Internet, conduit à considérer que l'on ne saurait apprécier les critères de similitudes dans le même esprit que dans le système des marques. Nous sommes dans le cadre juridique de l'UDRP, très respectueux du droit des titulaires de marques, mais qui ne saurait conduire à limiter le système Internet lorsque la similarité n'est pas telle qu'elle puisse prêter à confusion.
Il en est d'autant plus ainsi dans le présent litige que la clientèle n'est pas, comme le souligne le défendeur, l'internaute de base mais plutôt un responsable d'entreprise à la recherche d'un nom de domaine, d'une marque ou d'une autre prestation intellectuelle d'un certain niveau. A ce stade il est peu probable qu'il puisse se tromper de site.
Au demeurant la notoriété de Nomen International nous parait la mettre à l'abri d'une concurrence ayant pour origine la confusion des sites.
B. Droits ou intérêts légitimes
Il apparaît à la Commission Administrative que le défendeur a le droit et des intérêts légitimes sur les noms de domaine litigieux au sens des Principes directeurs notamment l'article 4 c.
Aucun élément du dossier ne permet de contester les droits du défendeur sur les noms de domaine incriminés si on considère qu'il n'y a pas de confusion possible.
Il utilise son nom de domaine pour accéder à son site sur lequel il offre des services variés allant de la vente de noms de domaine à la recherche de marques en passant par l'audit logique, l'ergonomie des sites ou la création de logotypes.
Le défendeur a un intérêt légitime dans l'offre de ces services dans un but commercial dès lors qu'il ne cherche pas à tromper le consommateur sur l'origine de cette offre ni à ternir la marque du requérant.
C. Enregistrement et usage de mauvaise foi
Le défendeur a enregistré puis utilisé ses noms de domaine paisiblement jusqu'à l'introduction du présent arbitrage. Le dossier ne mentionne pas qu'il y ait eu des contacts entre les parties au préalable ni que le défendeur ait cherché à négocier son nom de domaine.
Il n'est pas non plus démontré qu'il ait voulu nuire à la réputation du requérant ni lui soustraire des clients. Nous avons même le sentiment que ce n'est pas exactement le même type de clientèle qui s'adresse à l'un et à l'autre ne serais ce qu'en raison de la notoriété du requérant et de la création relativement récente du site du défendeur.
L'architecture des sites est différente. Par exemple les liens du site du défendeur avec des sites appelés pudiquement "de charme" marquent une différence avec Nomen qui ne saurait tromper les clients de ce dernier.
Enfin nous mentionnerons que le dépôt par le requérant de la marque "Nominem" en décembre 2000 est sans incidence dans le présent arbitrage puisqu'il est postérieur à l'enregistrement des noms de domaine par le défendeur. Le requérant lui-même n'évoque absolument pas ladite marque.
7. Décision
Vu les paragraphes 4) i) des Principes directeurs et 15 des Règles, la Commission Administrative décide:
a) que les noms les noms de domaine:
<nominem.com>
<nominem.net>
<nomename.com>
enregistrés par Monsieur Gilles Chenaille ne sont pas similaires aux marques "Nomen" du requérant au point de prêter à confusion,
b) que Monsieur Gilles Chenaille a un droit et des intérêts légitimes à disposer des noms de domaine précités,
c) que la preuve n'est pas apportée de l'enregistrement et de l'utilisation de mauvaise foi.
En conséquence la demande du requérant visant au transfert des noms de domaine précités est rejetée.
Jean-Claude Combaldieu
Expert unique
le 12 janvier 2002