Centre d’Arbitrage et de Médiation de l’OMPI
DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE
Air Tahiti contre Yves Courbet
Litige n° D2006 - 0335
1. Les parties au litige
La Requérante est la Société Air Tahiti, Tahiti, Polynésie française.
Le Défendeur est Monsieur Yves Courbet, Los Angeles, Etats-Unis d’Amérique.
2. Le nom de domaine et l’unité d’enregistrement
Le nom de domaine litigieux est <airtahiti.com>.
L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine litigieux a été enregistré est 4DOMAINS.com.
3. Rappel de la procédure
Une plainte a été déposée par la Société Air Tahiti auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) le 17 mars 2006, par courrier électronique, et reçue sur support papier le 30 mars 2006, et ce conformément aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après désignés les “Principes directeurs”) adoptés et publiés par l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN) et aux Règles supplémentaires de l’OMPI pour l’application des Principes directeurs précités (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”).
Le 17 mars 2006, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par la Requérante. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige le 23 mars 2006.
Le 4 avril 2006, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative a été adressée au Défendeur.
Le 19 avril 2006, le Défendeur a adressé au Centre sa réponse par courrier électronique et le même jour le Centre a accusé réception au Défendeur de sa réponse.
Le 24 avril 2006, le Centre a notifié la nomination de M. Thomas Webster comme expert unique dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
4. Langue de la procédure
En application de l’article 11 des Règles d’application des Principes directeurs, la Commission décide que la langue de la procédure est le français, dans la mesure où la plainte a été rédigée en français et les parties ont échangé pendant plusieurs mois des courriers électroniques en français.
En outre, dans son courrier électronique du 3 avril 2006, le Défendeur n’a soulevé aucune objection à la proposition du Centre que la procédure se déroule en français. Néanmoins, le Défendeur a choisi de rédiger sa réponse en anglais.
Il a été retenu dans plusieurs décisions OMPI qu’une langue différente de la langue du contrat d’enregistrement peut être retenue par la Commission administrative si cette langue est maîtrisée par le Défendeur. Voir Groupe Industriel Marcel Dassault, Dassault Aviation v. Mr. Minwoo Park –OMPI Litige n° D2003-0989; Société Nationale des Chemins de Fer Français (SNCF) v. Paco Elmundo –OMPI Litige n° D2002-1079; Société Berluti c. Monsieur Frederic Stefanovic, OMPI Litige n° D2004-0278.
5. Les faits
Air Tahiti est une société anonyme immatriculée auprès du Registre du Commerce de Papeete depuis février 1958. La société utilise la dénomination commerciale Air Tahiti depuis le 1er janvier 1987.
Depuis le 17 août 2004, la marque “Air Tahiti” fait l’objet du dépôt n° 04 3 309 239 à l’INPI Paris, pour (notamment) les produits ou services suivants : transport aérien, organisation de voyages, agence de voyages (à l’exception de la réservation d’hôtels, de pensions), réservation de places de voyage.
Le site Internet d’Air Tahiti est accessible notamment via les domaines suivants :
<airtahiti.pf>, <airtahiti.fr>, <air-tahiti.fr>, <air-tahiti.com>, <airtahiti.aero>.
Le Défendeur a enregistré le nom de domaine <airtahiti.com> le 30 septembre 2003.
Le Défendeur soutient qu’il est connu dans le monde des affaires sous la dénomination de Tahiti TravelNet et qu’il est dans le commerce de packages de voyage sur Internet depuis 1998.
Le Défendeur n’invoque aucun droit au titre de dénomination sociale, de nom commercial, d’enseigne ou encore un droit de marque sur la dénomination <airtahiti.com>.
Il est établi que le Défendeur a procédé à l’enregistrement de son nom de domaine auprès de 4DOMAINS.com.
6. Argumentation des parties
A. La Requérante :
Au soutien de sa plainte, sur le fondement du paragraphe 4. a) b) c) des Principes directeurs et paragraphe 3( b)(viii) et paragraphe 3(b)(ix)(1) des Règles d’application, elle avance les arguments suivants:
En premier lieu, la Requérante soutient que le nom de domaine <airtahiti.com> est identique à sa marque “Air Tahiti” et donc prête à la confusion.
Par ailleurs, la Requérante expose que le Défendeur n’a aucun enregistrement de société, ni de marque connu justifiant l’utilisation du nom de domaine <airtahiti.com>.
La Société Air Tahiti invoque, en outre, le fait que le domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi, le Défendeur proposant sur son site de packages de voyage. Parce que la Société Air Tahiti commercialise également ce type de packages de voyage, le Défendeur profite ainsi de la confusion due à l’utilisation du domaine <airtahiti.com>.
La Société Air Tahiti fait observer également que le nom de domaine <airtahiti.com> est utilisé de mauvaise foi, parce que, en 2004, le Défendeur, à l’issue d’une négociation portant sur la propriété du domaine <air-tahiti.com>, avait consenti de céder le domaine <air-tahiti.com> à la Requérante pour le montant des frais d’enregistrement déboursé.
La Requérante demande à la Commission administrative constituée dans le cadre de la présente procédure administrative de rendre une décision ordonnant que le nom de domaine <airtahiti.com> soit transféré à la Requérante.
B. Le Défendeur :
Le Défendeur, quant à lui, fait valoir les arguments suivants :
En premier lieu, le Défendeur considère que, en proposant, dans les packages de voyages qu’il commercialise, exclusivement les vols Air Tahiti, il a un intérêt légitime dans le nom de domaine <airtahiti.com>.
Par ailleurs, le Défendeur nie d’avoir enregistré et utilisé le nom de domaine de mauvaise foi. Il nie également toute intention de nuire ou de tirer bénéfice de la réputation de la Requérante. Il soutient avoir enregistré le nom de domaine pour son propre bénéfice mais également pour le bénéfice de la Société Air Tahiti qui ne dispose d’une présence sur Internet que depuis récemment.
Le Défendeur soutient également qu’il n’y a aucun risque de confusion ou de possible dommage pour la Requérante.
En outre, le Défendeur entend réfuter les allégations qui tendraient à démontrer qu’il a enregistré le nom de domaine dans le but de le vendre, louer ou transférer à la Requérante moyennant un gain financier ou pour empêcher la Requérante de faire état de la marque “Air Tahiti” dans un nom de domaine ou pour attirer et tromper les personnes qui cherchent le site de la Société Air Tahiti.
Le Défendeur montre aussi que la Requérante dispose déjà de noms de domaine lui servant à exercer son activité sur Internet et que son activité d’offre de voyages s’adresse à un marché international, différent de celui de la Requérante, qui elle oriente son offre de services vers le marché local.
Le Défendeur demande à la Commission administrative constituée dans le cadre de la présente procédure administrative de rendre une décision ordonnant que la plainte de la Requérante soit rejetée.
7. Discussion
Le paragraphe 15 (a) des Règles d’application prévoit que “la Commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux Principes directeurs, aux présentes Règles et à tout Principe ou Règle de droit qu’elle juge applicable”.
Au demeurant, le paragraphe 4 (a) des Principes directeurs impose au Requérant de prouver contre le Défendeur cumulativement que :
i) son nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produit ou de service sur laquelle le Requérant a des droits;
ii) il n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y rattache;
iii) son nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
En conséquence, il y a lieu de s’attacher à répondre à chacune des trois conditions prévues par le paragraphe 4 (a) des Principes directeurs.
i) Identité ou similitude prêtant à la confusion
La Requérante a établi détenir des droits à titre de marque sur la dénomination “Air Tahiti”, et ce pour désigner des produits et services en relation avec le transport aérien, l’organisation de voyages, les agences de voyage, les télécommunications et informations en matière de télécommunication, la communication par terminaux d’ordinateurs ou par réseau de fibres optiques, les services d’affichage électronique.
La Commission considère que le nom de domaine <airtahiti.com> est identique à la marque appartenant à la Requérante, l’adjonction du suffixe “.com” ne revêtant pas de caractère distinctif dans le domaine des services rendus sur Internet.
En effet, l’adjonction de “.com” est inopérante dans la mesure où elle ne confère pas au nouvel ensemble ainsi composé un sens nouveau de nature à éviter un risque de confusion avec la marque “Air Tahiti” (Voir CBS Broadcasting Inc. c./ Worldwide Web Inc.- OMPI Litige n° D2000-0834 du 4 septembre 2000).
En conséquence, il y a lieu de considérer que le nom de domaine <airtahiti.com> est identique à la marque “Air Tahiti” détenue et exploitée par la Requérante.
ii) Droits ou légitimes intérêts
Il ressort des éléments du dossier que le Défendeur n’a aucun droit de propriété intellectuelle ou autre sur la dénomination “Air Tahiti”.
En outre, il n’est pas contesté que le Défendeur n’ait obtenu une quelconque autorisation de la part de la Société Air Tahiti pour exploiter cette dénomination à titre de nom de domaine.
Par ailleurs, l’allégation du Défendeur selon laquelle le nom de domaine <airtahiti.com> a été enregistré parce que le Défendeur utilise les services de la Requérante ne saurait reconnaître à ce dernier un quelconque droit sur cette dénomination dans l’absence d’un lien juridique quant à cette utilisation entre les deux parties.
En conséquence, la Commission considère que le Défendeur n’établit en rien l’existence d’un intérêt légitime à la détention du nom de domaine <airtahiti.com>.
iii) Enregistrement et usage de mauvaise foi
Le paragraphe 4(b) des Principes directeurs liste quatre conditions qui peuvent être constitutives de l’enregistrement et usage d’un nom de domaine de mauvaise foi. En particulier, le paragraphe 4(b) (iv) mentionne la circonstance suivante :
“en utilisant ce nom de domaine, vous [le Défendeur] avez sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un site Web ou autre espace en ligne vous appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque de la Requérante en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de votre site ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé.”
Il doit être précisé que les circonstances listées dans le paragraphe 4(b) des Principes directeurs ne sont pas exhaustives.
Il ressort clairement du dossier que le Défendeur a utilisé le nom de domaine pour offrir lui-même des produits et services qui sont en concurrence directe avec ceux de la Requérante. Le site auquel le nom de domaine renvoie est le site d’une entreprise commerciale qui offre des produits et services à des fins lucratives. Ce faisant, le Défendeur a manifestement tenté de concurrencer la Requérante en créant une confusion initiale entre la marque de celle-ci et le nom de domaine.
D’ailleurs, dans un courrier électronique du 20 janvier 2004, le Défendeur prétend que des consommateurs cherchant un concurrent de la Requérante, “Air Tahiti Nui”, arrivent sur son site après avoir tapé “AirTahiti.com”. Or, il semble évident que davantage de consommateurs cherchant la Société “Air Tahiti” taperaient “AirTahiti.com” que ceux cherchant un concurrent. Donc, il est difficile pour le Défendeur de nier le fait que son domaine attire les consommateurs cherchant à contacter la Requérante.
Le Défendeur est apparemment un agent de voyages s’occupant en particulier des voyages à Tahiti et, selon ses affirmations, il exerce des activités dans ce domaine depuis 1998. Donc, il paraît également comme acquis que le Défendeur était au courant des activités de la Société Air Tahiti et qu’il cherchait d’en profiter quand il a enregistré le nom de domaine en septembre 2003. Par conséquent, l’enregistrement a été également fait de mauvaise foi.
La Commission administrative considère que les circonstances qui précèdent suffisent à retenir que le Défendeur a enregistré et utilisé les noms de domaine de mauvaise foi.
8. Décision
Les conditions posées à l’article 4(a) des Principes directeurs régissant le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine étant réunies, la Commission administrative décide en conséquence le transfert du nom de domaine <airtahiti.com> au profit de la Société Air Tahiti.
Thomas H. Webster
Expert Unique
Le 3 mai 2006