Le Requérant est l'Association des Centres Distributeurs E. Leclerc - A.C.D Lec, Ivry-Sur-Seine, France, représenté par INLEX IP, France.
Le Défendeur est TCENTER SARL, Hesingue, France.
Le litige concerne le nom de domaine <hyper-leclerc.com>.
L'unité d'enregistrement, auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré, est OVH.
Une plainte a été déposée par l'Association des Centres Distributeurs E. Leclerc - A.C.D Lec auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 14 janvier 2010.
En date du 15 janvier 2010, le Centre a adressé une requête à l'unité d'enregistrement du nom de domaine litigieux, OVH, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 18 janvier 2010, l'unité d'enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l'ensemble des données du litige.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d'application”), et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l'application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d'application, le 20 janvier 2010, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 9 février 2010. Le Défendeur n'a fait parvenir aucune réponse. En date du 10 février 2010, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.
En date du 16 février 2010, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Olivier E. Itéanu. La Commission administrative constate qu'elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d'application.
Le Requérant est actif dans le domaine de la distribution de commerce de détail libre-service de grande superficie et est titulaire des enregistrements suivants :
- Marque communautaire LECLERC, déposée le 17 mai 2002 et enregistrée le 26 février 2004 pour des produits et services dans les classes suivantes : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44 et 45.
- Marque communautaire E LECLERC, déposée le 17 mai 2002 et enregistrée le 31 janvier 2005 pour des produits et services dans les classes suivantes : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44 et 45.
Le nom de domaine litigieux a été enregistré par le Défendeur le 2 juillet 2008 auprès de l'unité d'enregistrement OVH.
Le Requérant indique que le nom de domaine litigieux reprend à l'identique l'élément distinctif et dominant de la marque LECLERC et que l'ajout du terme “hyper” n'est pas de nature à exclure le risque de confusion.
En outre, le Requérant soutient que le Défendeur n'a aucun droit légitime sur le terme “leclerc”. Il précise qu'aucune relation commerciale n'existe entre les parties et que le Défendeur n'a jamais obtenu le consentement du Requérant pour réserver ou exploiter le nom de domaine litigieux.
Enfin, pour démontrer la mauvaise foi du Défendeur, le Requérant soutient que-
- Le Défendeur ne pouvait ignorer l'activité du Requérant compte tenu de la notoriété de celui-ci. Selon le Requérant, le Défendeur a même reconnu d'une part, qu'il avait connaissance de l'activité du Requérant et d'autre part, qu'il n'avait pas reçu d'autorisation directe des établissements LECLERC pour réserver le nom de domaine litigieux.
- Le Défendeur a recherché à tirer profit de la réservation du nom de domaine litigieux en proposant au Requérant de le racheter.
- Le Défendeur a réservé d'autres noms de domaine reproduisant le terme “leclerc”, ce qui manifeste sa volonté d'empêcher le Requérant de réserver les noms de domaine qui pourraient s'avérer utile dans le développement de son activité commerciale.
Le Requérant demande en conséquence le transfert du nom de domaine litigieux.
Le Défendeur n'a pas présenté d'observations dans le cadre de la présente procédure. Il est en conséquence défaillant.
Selon le paragraphe 15(a) des Règles d'application, “la Commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux Principes directeurs, aux présentes Règles et à tout Principe ou Règle de droit qu'elle juge applicable”.
Par ailleurs, le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au Requérant de prouver que :
(a) le nom de domaine du Défendeur est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produit ou de service sur laquelle le Requérant a des droits; et
(b) le Défendeur n'a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s'y rattache; et
(c) le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
Dès lors, il appartient à la Commission de vérifier si les conditions prévues par le paragraphe 4(a) des Principes directeurs sont toutes réunies.
Il ressort des pièces communiquées par le Requérant que ce dernier est titulaire des marques communautaires LECLERC et E LECLERC.
L'analyse du nom de domaine litigieux démontre que celui-ci est composé de la marque LECLERC et du terme descriptif “hyper”. Dès lors, il convient d'étudier si ce terme est de nature à écarter le risque de confusion avec la marque du Requérant.
Il est admis que l'ajout d'un terme descriptif à une marque n'est pas de nature à écarter le risque de confusion avec celle-ci.
En outre, le terme “hyper” est une abréviation usuelle du terme “hypermarché” qui est étroitement lié au domaine d'activité principal du Requérant. Dès lors, l'adjonction du terme “hyper” avec la marque du Requérant ne fait qu'accroitre le risque de confusion avec celle-ci compte tenu de l'activité du Requérant dans le domaine de la grande distribution.
En conséquence, la Commission considère que le nom de domaine litigieux est similaire à la marque LECLERC au point de prêter à confusion avec celle-ci au sens du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.
Selon les termes 4(a)(ii) des Principes directeurs, le Requérant doit démontrer que le Défendeur n'a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s'y rattache.
B.1 Il est admis que la Commission peut considérer cette condition comme remplie dès lors que le Requérant apporte la preuve prima facie de l'absence de droits ou intérêts légitimes du Défendeur et que cette preuve n'est pas renversée par le Défendeur (Croatia Airlines d.d. v. Modern Empire Internet Ltd., Litige OMPI No. D2003-0455 et Belupo d.d. v. WACHEM d.o.o, Litige OMPI No. D2004-0110.).
Pour étayer cette preuve prima facie, le Requérant fournit un certain nombre d'arguments.
B.2 Le Requérant affirme (sic) que : “le site interne www.hyper-leclerc.com renvoie au site “http://www.bing.com/search?q=www.hyper-leclerc.com&src=IE-SearchBox&FORM=IE8SRC” lequel répertorie des informations sur l'activité de sociétés concurrentes du Mouvement Leclerc” et ajoute “[l]e fait que ce nom de domaine ne soit nullement utilisé par le Défendeur pour promouvoir son activité prouve son défaut d'intérêt sérieux et légitime dans la réservation et l'exploitation du nom de domaine”.
Il semble au soussigné que cette allégation est factuellement erronée. Il ne ressort d'aucun élément documentaire que le nom d'hôte “www.hyper-leclerc.com” soit activé pour diriger un utilisateur sur un résultat de recherche du moteur de recherche “Bing.com”.
Au contraire, une impression de page fournie en Annexe 2 de la plainte montre une page d'erreur de Firefox en date du 16 novembre 2009 “Serveur Introuvable” dont l'URL interne au navigateur visible sur l'impression est “about:neterror?e=dnsNotFound&http%3A//www.hyper-leclerc.com/(…)”.
Il apparaît, en revanche, exact que le site “www.hyper-leclerc.com” n'est pas utilisé par le Défendeur, cette entrée n'étant pas définie dans le DNS. Toutefois, la Commission Administrative ne considère pas le défaut d'usage d'un nom de domaine sous la forme d'un site Web comme un élément déterminant de la preuve d'absence d'intérêt légitime requise par les Principes directeurs, d'autres usages légitimes d'un nom de domaine étant possibles.
B.3 Le Requérant indique que le terme “leclerc” ne correspond nullement au patronyme du Défendeur, que ce dernier n'a aucun droit sur le mot “leclerc” et que le “Défendeur n'a jamais obtenu le consentement du Requérant pour réserver et exploiter le nom de domaine litigieux”.
Le Défendeur est défaillant dans la présente procédure, et n'a, par conséquent, pas combattu cette preuve prima facie de l'absence de droits ou intérêts légitimes du Défendeur.
Néanmoins, les éléments documentaires fournis par le Requérant à l'appui de sa Plainte, comportent la reproduction d'une série de courriers électroniques échangés entre le Conseil du Requérant et le Défendeur, suite à une mise en demeure adressé par le Requérant à l'adresse e-mail de contact mentionnée sur le WHOIS du nom de domaine litigieux.
Ces éléments faisant partie des éléments documentaires soumis à la Commission Administrative, il nous apparaît nécessaire de les envisager, notamment les deux e-mails adressés par le Défendeur reproduits en Annexe 7 de la Plainte, afin de déterminer s'ils sont de nature à établir l'existence d'un intérêt légitime du Défendeur.
B.4 Dans ces e-mails, le Défendeur affirme qu'il a réservé ce nom de domaine (ainsi que deux autres qui ne font pas partie de la présente procédure) “pour l'un de [ses] clients”.
Il affirme :
- que “son” client a “passé commande uniquement pour les sous-domaines “galerie” et différents autres sous-domaines en rapport direct avec les domaines réservés”,
- que la finalité de ces différents noms de domaines est “la promotion de plusieurs galeries commerciales situées à l'intérieur de centres Leclerc”,
- que les “sous-domaines seront créés uniquement pour des locataires qui se situent dans les centres commerciaux Leclerc”,
- que son “client principal dans ce dossier a obligation de publicité pour le centre commercial Leclerc dans lequel il se situe” et dit avoir pris connaissance d'un “acte notarié stipulant ceci”.
La Commission Administrative observe que le Défendeur allègue être mandaté par un client (ou plusieurs, l'e-mail étant confus sur cette question), lui ayant semble-t-il déclaré être autorisé par un “acte notarié” et avoir vérifié ceci par la lecture de cet acte.
Cependant, le Défendeur semble n'avoir jamais révélé l'identité de son (ou ses “clients”) et le Requérant indique que le Défendeur n'a jamais adressé la copie de cet “acte notarié” supposé justifier le dépôt du nom de domaine litigieux, en dépit de ses nombreuses demandes.
L'hypothétique existence de “clients” mandants du Défendeur pour le dépôt du nom de domaine ou d'un “acte notarié” justifiant les droits de ses supposés mandants ne repose que sur ces pures affirmations.
Par ailleurs, il ressort des échanges communiqués par le Requérant que le Défendeur reconnait qu'il n'était pas autorisé “directement par les établissements leclerc” à réserver le nom de domaine litigieux.
En l'absence d'autres éléments documentaires, la Commission Administrative ne peut que considérer que la preuve prima facie de l'absence de droits ou intérêts légitime du Défendeur n'est pas renversée.
En conséquence, la Commission considère que le Défendeur n'a aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux au sens du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs.
C.1 Le Requérant a communiqué des éléments démontrant la notoriété de sa marque LECLERC notamment en France.
Le Défendeur, domicilié en France, ne pouvait ignorer l'existence des droits du Requérant au moment de la réservation du nom de domaine litigieux.
De surcroit, il ressort des échanges entre les parties que le Défendeur avait clairement connaissance de l'activité du Requérant : “bien entendu, nous connaissons les établissements Leclerc”.
La réservation d'un nom de domaine reprenant une marque dont le réservataire ne pouvait ignorer qu'elle appartient à un tiers, est de nature à constituer un enregistrement de mauvaise foi, sauf à ce que le Défendeur établisse être investit de droits lui-même (ou la personne pour le compte laquelle le dépôt est fait).
La réalité d'un éventuel mandat de dépôt n'est pas établie comme observé ci-avant en B.4, ni son étendue ou la réalité des droits des hypothétiques “clients” du Défendeur.
La Commission Administrative observe, en outre, que l'allégation de ce que le nom de domaine litigieux a été réservé “pour l'un de [ses] clients” contraste singulièrement avec le fait que le nom de domaine litigieux est déposé au nom du Défendeur, et non de son hypothétique “client”.
En conséquence de ce qui précède, la Commission considère que le nom de domaine litigieux a été réservé de mauvaise foi.
C.2 Il convient à présent d'examiner si le nom de domaine litigieux a été utilisé de mauvaise foi.
C.2.1 Le Défendeur a, en effet, reconnu connaître la marque du Requérant, mais prétend pouvoir cependant s'approprier le nom de domaine reproduisant cette marque dans le but de créer des sous-domaines “uniquement pour des locataires qui se situent dans les centres commerciaux Leclerc”.
La Commission Administrative considère que l'activité de création de sous-domaines sous un nom de domaine reproduisant une marque constitue un acte d'exploitation de la marque de la Requérante par le Défendeur, cette marque étant, bien évidemment, reproduite à chaque usage du nom de domaine pour créer un nouveau sous-domaine.
Il en est ainsi du sous-domaine “galerie” que le Défendeur affirme avoir créé et l'avoir fait légitimement selon ses affirmations. En effet ce sous-domaine n'a, par définition, d'existence que lié au nom de domaine litigieux, l'URL complète de la ressource de nommage créée étant “www.galerie.hyper-leclerc.com”.
Ce faisant, le Défendeur utilise sciemment la marque du Requérant, dont il reconnaît connaître l'existence. La Commission Administrative considère par conséquent ces actes comme révélant l'usage du nom de domaine de mauvaise foi par le Défendeur.
C.2.2 En outre, il ressort des éléments communiqués par le Requérant que le Défendeur a proposé de lui vendre le nom de domaine à condition de bénéficier “d'une location gratuite à vie pour les sous- domaines”.
Il est admis que le fait de proposer un nom de domaine à la vente n'est pas suffisant à lui seul pour prouver la mauvaise foi du Défendeur.
Cependant, le fait d'exiger une location gratuite des sous-domaines démontre que le Défendeur avait l'intention de tirer indument profit de la réservation du nom de domaine litigieux et suffit dès lors, à établir sa mauvaise foi.
Bien que la valeur d'une licence “à vie” de la marque du Requérant pour l'usage de sous-domaines sous un nom de domaine utilisant la marque de la Requérante ne soit pas quantifiée par le Requérant, il semble à la Commission Administrative, compte tenu de la notoriété de cette marque établie par de nombreux documents fournis par le Requérant, que la valeur d'un telle licence entrerait dans ce que les Principes directeurs désignent en article 4(b)(i) comme “valuable consideration in excess of your documented out-of-pocket costs directly related to the domain name” (ou en langue française “à titre onéreux pour une contrepartie dépassant vos débours documentés liés directement au nom de domaine”).
En l'espèce, le fait pour le Défendeur d'exiger une location gratuite à vie des sous-domaines du nom de domaine litigieux établit la mauvaise foi du Défendeur.
C.2.3 Enfin, la Commission relève que le Défendeur fait référence, dans un de ses e-mails précités, à des offres de rachat du nom de domaine litigieux que le Défendeur aurait reçues et qu'il aurait refusées : la première provenant selon lui d'un éditeur pornographique (que le Défendeur décrit de “particulièrement alléchante”) et l'autre d'une enseigne concurrente. Ces affirmations, comme les autres figurant dans ces communications du Défendeur avant l'introduction de la présente Plainte, ne sont supportées par aucune preuve documentaire. En outre, elles apparaissent peu crédibles à la Commission Administrative.
Si cet élément n'est pas décisif dans la détermination de la mauvaise foi du Défendeur dans l'usage du nom de domaine, le contexte de la présente Plainte semble accréditer le fait que cette allégation figurant dans l'e-mail du Défendeur n'a d'autre objet que de pousser le Requérant à accepter le “partenariat” proposé. Un tel comportement ne peut que confirmer la mauvaise foi du Défendeur.
En conséquence, la Commission considère que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
Conformément aux paragraphes 4.i) des Principes directeurs et 15 des Règles d'application, la Commission Administrative décide le transfert du nom de domaine <hyper-leclerc.com> au Requérant.
Olivier E. Itéanu
Expert Unique
Le 2 mars 2010