Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Blédina contre Malek Hocini

Litige n° D2010-1216

1. Les parties

Le Requérant est la société Blédina, Villefranche-sur-Saône, France, représenté par Dreyfus & associés, France.

Le Défendeur est Malek Hocini, Boulogne Billancourt, France.

2. Noms de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne les noms de domaine <blédichef.com> [xn--bldichef-c1a.com] et <blédilait.com> [xn--bldilait-c1a.com].

L'unité d'enregistrement auprès de laquelle les noms de domaine sont enregistrés est1&1 Internet AG

1&1 Internet AG.

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Blédina auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le "Centre") en date du 22 juillet 2010.

En date du 22 juillet 2010, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, 1&1 Internet AG, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 26 juillet 2010, l’unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés "Principes directeurs"), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les "Règles d’application"), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les "Règles supplémentaires") pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 29 juillet 2010, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 18 août 2010. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 19 août 2010, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 6 septembre 2010, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Michel Vivant. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

La société Blédina, filiale du groupe Danone, est bien connue dans le secteur de l’alimentation infantile où certains de ses produits occupent une position "phare". Installée en France, elle exporte dans de nombreux pays d’Afrique et d’Europe, utilisant notamment pour cela les marques BLEDICHEF, BLEDILAIT et BLÉDILAIT.

Elle est également titulaire des noms de domaine <bledichef.com> et <bledilait.com>.

Elle a constaté l’enregistrement par le Défendeur, le 31 décembre 2009, des noms de domaine <blédichef.com> et <blédilait.com>, après que celui-ci a pris contact avec elle le 15 février 2010 pour l’informer qu’il avait un "projet d’activité dans un toute autre secteur que votre groupe" et qu’il attandait un "partenariat" ou " toutes autres propositions" de la part de la société Blédina.

Celle-ci ayant demandé au Défendeur le transfert à son profit des noms en cause et n’ayant pu trouver aucune solution amiable avec lui qui réclamait un "dédommagement minimum", elle a déposé une plainte auprès du Centre.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

La Requérant, sollicitant le transfert des noms de domaine litigieux, fait valoir, conformément au paragraphe 4(b)(i) des Principes directeurs, qu’il est titulaire de diverses marques :

- BLEDICHEF

- BLÉDILAIT ou BLEDILAIT, avec ou sans accent,

- et enfin BLÉDINA ou BLEDINA, là encore avec ou sans accent.

Il fait aussi état des noms de domaine <bledichef.com> et <bledilait.com> qu’il détient.

Sa plainte se fonde sur les motifs suivants :

En premier lieu, le Requérant fait valoir que les noms de domaine litigieux sont identiques, ou semblables, au point de prêter à confusion, à ses propres marques. Visant plusieurs décisions antérieures des Commissions administratives, le Requérant fait valoir que le nom de domaine <blédilait.com> reproduit intégralement sa marque BLÉDILAIT et que, s’agissant du nom de domaine <blédichef.com>, il importe peu qu’un accent ait été ajouté. Il rappelle en outre que l’extension n’a pas à être prise en cause. En conséquence, le risque de confusion est, dit-il, indiscutable.

Le Requérant fait ensuite valoir que le Défendeur n’a aucun droit sur les noms de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache, comme n’ayant aucun lien avec lui, ne pouvant avancer aucuns droits antérieurs, n’ayant d’ailleurs pas utilisé les noms en cause ni fait état d’aucun projet, et ayant fait le choix de reproduire dans les noms de domaines litigieux des marques dont la renommée n’est plus à démontrer. Il ajoute que le Défendeur a déjà fait l’objet d’une sentence d’une Commission administrative pour des faits analogues.

Enfin, s’agissant de la mauvaise foi requise par les Principes directeurs, le Requérant fait valoir que le Défendeur a procédé aux enregistrements en connaissance de cause, spécialement eu égard à la notoriété des marques en cause. S’agissant de l’usage de mauvaise foi, il met en avant que les noms litigieux sont restés inactifs mais qu’en revanche le Défendeur a tenté de les monnayer, adoptant en cela un comportement qui avait été déjà le sien dans l’affaire sus-évoquée.

B. Défendeur

Le Défendeur, comme il a été dit, a fait défaut.

6. Discussion et conclusions

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

S’agissant des droits du Requérant sur les diverses marques qu’il vise dans sa plainte (marques françaises et communautaire BLEDICHEF et marques françaises BLEDILAIT et BLÉDILAIT), ils sont établis par la production des justificatifs issus des bases de l’INPI et de l’OHMI.

Les noms de domaine litigieux, à savoir <blédichef.com> et <blédilait.com> dont le Requérant sollicite le transfert, à l’évidence décalqués des marques BLEDICHEF, BLEDILAIT et BLÉDILAIT du Requérant doivent être considérés comme identiques ou fortement similaires à celles-ci.

En effet, la reprise intégrale de la marque du Requérant dans un nom de domaine a pu et peut être retenue comme établissant la similitude entre la marque et le nom en cause (voir Quixtar Investments, Inc. v. Dennis Hoffman, Litige OMPI No. D2000-0253 et AT&T Corp. v. William Gormally, Litige OMPI No. D2005-0758), voire manifester une pleine identité des signes si rien ne vient modifier la marque reprise dans le nom de domaine.

Et il est acquis et raisonnable de considérer que l’adjonction d’un accent est un élément dépourvu de pertinence (cf. par exemple Fortuneo v. Johann Guinebert, Litige OMPI No. D2001-0781, France Maternite v. Adlatus-of-the Day, Litige OMPI No. D2001-0239 et CELIO France, SAS contre Monsieur Ken Hocini, Litige OMPI No. D2010-0444).

Quant à l’extension, il est de jurisprudence constante que ce n’est pas un élément à prendre en considération.

Ainsi donc la première condition d’identité ou de similitude prêtant à confusion doit être considérée comme satisfaite.

B. Droits ou légitimes intérêts

Quant à la seconde condition posée par les Principes directeurs, il ressort des éléments du dossier que le Défendeur ne saurait faire valoir aucun droit sur les noms de domaine en cause ni aucun intérêt légitime qui s’y attache.

Les éléments du dossier démontrent que le Défendeur n’est pas connu sous les noms de domaine litigieux, qu’il n’a pas été autorisé par le Requérant à les utiliser et qu’il, après enregistrement, n’a jamais fait état du moindre projet pouvant expliquer le choix fait. En revanche, il appert qu’il a procédé à l’enregistrement des noms de domaine litigieux en toute connaissance de cause, comme cela résulte, sans avoir à considérer le caractère connu des marques en cause, du fait qu’il a rapidement pris contact de lui-même avec la société Blédina après avoir enregistré les noms de domaine litigieux.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Si l’enregistrement d’un nom de domaine incorporant une marque en connaissance de cause a pu être considéré comme réalisé de mauvaise foi (cf. Carrefour SA contre Eric Langlois, Litige OMPI No. D2007-0067), cette mauvaise foi est en l’espèce hors de doute dès lors que le fait pour le Défendeur d’avoir pris rapidement contact avec la société Blédina après qu’il a procédé aux enregistrements, démontre clairement que ceux-ci n’avaient d’autre but. Le caractère connu ou bien connu des marques en cause ne fait que renforcer l’analyse menée.

Quant à l’usage de mauvaise foi, il peut sans doute être caractérisé par le non-usage du nom de domaine enregistré, comme l’avance le Requérant, une telle caractérisation étant faite de longue date par les Commissions administratives puisqu’on la trouve déjà dans une des premières décisions rendues comme la décision Telstra Corporation Limited v. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003. L’offre de monnayage du nom de domaine est en soi également suffisante pour caractériser l’usage de mauvaise foi, ici encore suivant une jurisprudence constante des Commissions (par exemple Parfums Christian Dior v. QTR Corporation, Litige OMPI No. D2000-0023 et Veuve Clicquot Ponsardin, Maison Fondée en 1772 v. The Polygenix Group Co., Litige OMPI No. D2000-0163). La mauvaise foi est en l’espèce d’autant plus flagrante que l’offre est empreinte de contradiction puisque le Défendeur a dans le même temps fait état d’un "projet d’activité dans un toute autre secteur que (celui du Requérant)" et proposé au Requérant "un partenariat" , ce qui, incohérent, ne peut être que le masque grossier d’une demande de paiement, caractéristique des pratiques de "cybersquatting".

Enfin il ne peut être que relevé que le Défendeur n’en est pas à son coup d’essai puisqu’il a déjà fait l’objet d’une sentence pour le règlement des litiges au Domaine ".eu", la Sentence ADR n° 05709, dans une affaire où il avait enregistré les noms de domaine <carrefourmarket.eu> et <carrefour-market.eu>, reprenant la marque CARREFOUR. Cela vient au renfort de la conclusion selon laquelle le Défendeur a opéré de mauvaise foi.

7. Décision

Au regard des éléments développés ci-dessus et conformément aux paragraphes 4.i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’applications, la Commission administrative ordonne que les noms de domaine

- <blédichef.com>

- et <blédilait.com>

soient transférés au Requérant.

Michel Vivant
Expert Unique
Le 20 septembre 2010