La Requérante est l’Oréal de Paris, France, représenté par Dreyfus & associés, France.
La Défenderesse est Sylvain Cosse de Paris, France.
Le litige concerne le nom de domaine <loreal-france.info>.
L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est 1&1 Internet AG.
Une plainte a été déposée par l’Oréal auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le "Centre") en date du 12 octobre 2011.
En date du 13 octobre 2011, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, 1&1 Internet AG, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par la Requérante. Le 14 octobre 2011, l’unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés "Principes directeurs"), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les "Règles d’application"), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les "Règles supplémentaires") pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 21 octobre 2011, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée à la Défenderesse. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 10 novembre 2011. La Défenderesse n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 11 novembre 2011, le Centre notifiait le défaut de la Défenderesse.
En date du 5 décembre 2011, le Centre nommait dans le présent litige comme Expert unique Emmanuelle Ragot. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
La Requérante est un groupe français, spécialisé dans les cosmétiques et les produits de beauté de renommée internationale.
Leader dans son secteur sur une échelle internationale avec notamment une présence dans plus de 130 pays et plus de 64,000 salariés, la Requérante détient environ 500 marques dont 23 mondiales.
Le siège social de la Requérante se situe en France.
La Requérante est titulaire de marques enregistrées en France et au plan communautaire, notamment les marques suivantes:
- marque française L’OREAL N° 1342758 en date du 14 février 1986, renouvelée et couvrant les produits des classes 35, 36, 37, 38, 39, 40 , 41, 42, 43, 44, 45;
- marque française L’OREAL N° 1236954 en date du 27 mai 1983, renouvelée et couvrant les produits des classes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34;
- marque française L’OREAL N° 1219209 en date du 19 novembre 1982, renouvelée et couvrant les produits de la classe 3;
- marque française L’OREAL N° 1211633 en date du 20 août 1982 renouvelée et couvrant les produis des classes 22 et 26;
- marque communautaire L’OREAL N° 767285 en date du 5 mars 1998, renouvelée et couvrant les produits de la classe 25.
La Requérante est en outre titulaire de différents noms de domaine dont les suivants:
- <loreal.fr> enregistré le 14 octobre 1997;
- <loreal.com> enregistré le 24 octobre 1997.
Selon les données Whois, le nom de domaine litigieux <loreal-france.info> a été crée en date du 23 avril 2011.
La Requérante a constaté que le nom de domaine litigieux renvoyait vers une page de parking mise à disposition par l’unité d’enregistrement 1&1 Internet AG précisant que le nom de domaine litigieux <loreal-france.info> était en vente sur Sedo.
Actuellement, la Commission administrative constate que le nom de domaine litigieux est inactif.
Ayant constaté l’enregistrement du nom de domaine litigieux <loreal-france.info> à une date non précisée mais au plus tard à la date certaine de la première lettre recommandée adressée avec accusé réception et par email par la Requérante, la Requérante a notifié le 31 mai 2011 à la Défenderesse l’atteinte portée à ses droits et a tenté d’obtenir le transfert du nom de domaine litigieux à l’amiable.
La Défenderesse n’ayant pas répondu, la Requérante a adressé un rappel par email en date du 8 juin 2011.
Le recommandé adressé à la Défenderesse n’a jamais été réclamé.
La Défenderesse a fait savoir lors d’une conversation téléphonique avec la Requérante qu’elle était le titulaire du nom de domaine litigieux et qu’elle refusait de transférer le nom de domaine à titre gratuit.
La Défenderesse a lors de ce même entretien indiqué, être disposée à vendre ce nom de domaine litigieux à la Requérante.
La Défenderesse a le même jour adressé un email à la Requérante lui indiquant qu’elle attendait un rappel de la Requérante sur cette démarche.
La Requérante a réitéré sa volonté d’obtenir la cessation de l’usage du nom de domaine litigieux et son transfert à titre gratuit.
La Défenderesse n’a transmis aucune réponse écrite.
La Commission administrative doit déterminer si les trois conditions posées par le paragraphe 4(a) des Principes directeurs sont réunies, à savoir:
i) le nom de domaine est identique ou similaire au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits,
ii) le défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache, et
iii) le défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine de mauvaise foi.
Le nom de domaine litigieux est <loreal-france.info>.
La Requérante justifie des droits privatifs qu’elle détient sur L’OREAL au titre des enregistrements de marques antérieurs au nom de domaine litigieux dont elle est titulaire, notamment en France (N° 1342758, N° 1236954, N° 1219209 et N° 1211633) et au plan communautaire (N° 767285).
La Requérante est aussi titulaire de plusieurs noms de domaine enregistrés antérieurement au nom de domaine litigieux dont:
- <loreal.fr>;
- <loreal.com>.
Le nom de domaine litigieux se distingue de la marque L’OREAL uniquement par la suppression de l’apostrophe, l’adjonction d’un trait d’union, du terme géographique "France" et de l’extension générique "info".
D’une part, dans des décisions UDRP antérieures, des commissions administratives de l'OMPI ont considéré que la suppression de l’apostrophe entre "L" et "O" n’est pas de nature à écarter tout risque de confusion entre le nom de domaine litigieux et la marque (cf. L’Oréal contre Tracey Johnson, Litige OMPI No. D2008-1721).
D’autre part, l’adjonction de l’extension générique ".info" n’est pas un élément distinctif suffisant à lui seul pour différencier le nom de domaine litigieux de la marque de la Requérante. Il est de jurisprudence constante conformément aux Principes UDRP que l’extension d’un nom de domaine litigieux n’est pas un élément distinctif à prendre en considération lors de l’évaluation du risque de confusion entre la marque du requérant et le nom de domaine objet du litige car il s’agit d’un élément nécessaire pour l’enregistrement du nom de domaine (cf. à cet égard Deutsche Telekom AG contre Registrant Name: Jan Haedicke, Registrant Organization:Dr Meyor, Litige OMPI No. D2009-1382).
De surcroît, l’adjonction d’un trait d’union et l’absence d’accent sur la lettre "e" dans le nom de domaine litigieux <loreal-france.info> ne modifient pas la reproduction ou la très forte similitude avec la marque de la Requérante que ce soit visuellement ou phonétiquement.
Enfin, l’adjonction du terme géographique "France" est insuffisante pour créer une distinction entre la marque et le nom de domaine litigieux. Le terme "France" est issu du langage courant qui fait référence au pays d’établissement de la Requérante. Dans la décision L’Oréal contre Chenxiansheng, Litige OMPI No. D2009-0242, la commission administrative a rappelé que l’adjonction d’un terme géographique à une marque dans un nom de domaine n’est pas suffisante pour distinguer ledit nom de domaine de la marque du requérant.
L’adjonction du terme géographique "France" au sein du nom de domaine litigieux ne lui confère aucun caractère distinctif et ne permet pas de le différencier de la marque L’OREAL de la Requérante.
La Défenderesse a créé un risque de confusion avec la marque de la Requérante en enregistrant le nom de domaine litigieux; les internautes pouvant légitimement croire que le nom de domaine litigieux appartient à la Requérante ou qu’il existe un lien entre la Requérante et la Défenderesse.
Par conséquent, la Commission administrative conclut que les conditions posées au paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs sont satisfaites.
La Défenderesse n’est en aucune manière affiliée à la Requérante et n’a pas été autorisée par cette dernière à enregistrer ou à utiliser sa marque L’OREAL ou encore à procéder à l’enregistrement de noms de domaine incluant la marque en question.
La Défenderesse n’est donc ni licenciée, ni tiers autorisée à utiliser la marque, y compris à titre de nom de domaine.
Les nombreuses marques et noms de domaine de la Requérante sont antérieurs au nom de domaine litigieux.
Ainsi par exemple, les noms de domaine <loreal.fr> et <loreal.com> sont enregistrés depuis 1997.
Par ailleurs, la Défenderesse ne fait pas non plus un usage légitime et non commercial du nom commercial du nom de domaine litigieux comme en atteste le fait qu’il n’y ait eu aucune réponse de sa part autre qu’une proposition de vente du nom de domaine litigieux à la Requérante.
La Défenderesse ne fait état d’aucun site exploité à partir du nom de domaine litigieux et elle a d’abord activé une page de parking de l’unité d’enregistrement 1&1 Internet AG, qui est actuellement inactive.
D’après les éléments figurant au dossier, il apparaît que la Défenderesse a souhaité négocier le transfert du nom de domaine litigieux eu égard à la renommée de la marque, le nom de domaine litigieux étant proposé à la vente sur le site "www.sedo.fr".
La Commission administrative en déduit que l’intention de la Défenderesse était de tenter d’obtenir un gain commercial avec la revente du nom de domaine litigieux. La Commission administrative est d’avis, dans ces conditions, que la Défenderesse n’a pas de droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache en vertu du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs.
Le paragraphe 4(b) des Principes directeurs prévoit que "aux fins du paragraphe 4(a)(iii), la preuve de ce que le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi peut-être constituée, en particulier, pour autant que leur réalité soit constatée par la commission administrative, par les circonstances ci-après:
(i) les faits montrent que vous avez enregistré ou acquis le nom de domaine essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais que vous pouvez prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine; ou
(ii) vous avez enregistré le nom de domaine en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et vous êtes coutumier d’une telle pratique; ou
(Iii) vous avez enregistré le nom de domaine essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent; ou
(iv) en utilisant ce nom de domaine, vous avez sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un site Web ou autre espace en ligne vous appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de votre site ou l’espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé".
La Commission administrative examine si l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux ont été effectués de mauvaise foi.
La Requérante fait valoir qu’en raison de la notoriété de sa marque L’OREAL, la Défenderesse avait nécessairement à l’esprit cette dernière lorsqu’elle a enregistré le nom de domaine litigieux, dans le but de détourner et tirer un profit indu de la réputation attachée à la marque.
Au vu des éléments du dossier et de plusieurs décisions de l’OMPI en vertu des Principes directeurs UDRP qui ont adressé la même Requérante (cf. Lancôme Parfums et Beauté et Compagnie, Laboratoire Garnier et Compagnie, L’Oréal SA, L’Oréal USA Creative contre Therese Kerr, Litige OMPI No. D2008-1748; L’oréal, Helena Rubinstein, Lancôme Parfums et Beauté & Cie. contre Spiral Matrix, Litige OMPI No. D2006-0869; L’oreal contre Liao quanyong, Litige OMPI No. D2007-1552; L’Oréal contre Chenxiansheng, Litige OMPI No. D2009-0242), la Commission administrative estime que la Requérante a bien démontré la renommée de la marque L’OREAL.
Dès lors, il n’est pas crédible, selon cette Commission administrative, que la Défenderesse ait pu ignorer l’existence de cette marque lorsqu’elle a procédé à l’enregistrement du nom de domaine litigieux.
Cet élément est aggravé par le fait que la Défenderesse est domiciliée en France, pays dans lequel le siège social de la Requérante est établi et où elle exerce ses activités principales.
Dans de nombreuses décisions UDRP des commissions administratives de l’OMPI ont par le passé considéré que la connaissance par le défendeur des droits de propriété intellectuelle du requérant au moment de l’enregistrement du nom de domaine litigieux, ou tout du moins du fait que le défendeur aurait pu avoir connaissance de ces droits, constitue un indice de la mauvaise foi au moment de l’enregistrement (cf. LEGO Juris A/S contre Reiner Stotte, Litige OMPI No. D2010-0494)
La Commission administrative, en suivant cette jurisprudence UDRP, estime par conséquent que le nom de domaine litigieux a été enregistré de mauvaise foi.
Il résulte également du dossier que le nom de domaine litigieux n’a pas fait l’objet d’une exploitation depuis son enregistrement. La Défenderesse a activé une page d’attente fournie par l’unité d’enregistrement 1&1 Internet AG entre son enregistrement et l’envoi de la lettre de mise en demeure par la Requérante.
Il résulte d’une jurisprudence UDRP bien établie par les commissions administratives de l’OMPI que la détention passive d’un nom de domaine enregistré de mauvaise foi peut constituer un usage de mauvaise foi dès lors que d’autres éléments viennent étayer cette circonstance (cf. Telstra Corporation Limited contre Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003).
En l’espèce, la Défenderesse a été informée par la Requérante de l’atteinte portée à ses droits.
La Défenderesse a fait savoir lors d’une conversation téléphonique avec la Requérante qu’elle était le titulaire du nom de domaine litigieux et qu’elle refusait de transférer le nom de domaine à titre gratuit.
La Défenderesse a lors de ce même entretien indiqué, être disposée à vendre le nom de domaine litigieux à la Requérante.
La Commission administrative en déduit que la Défenderesse utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.
En conséquence, en application du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs et au vu de ce qui précède, la Commission administrative est convaincue que la Défenderesse a enregistré et utilisé le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.
Au regard des éléments développés ci-dessus et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine <loreal-france.info> soit transféré à la Requérante.
Emmanuelle Ragot
Expert Unique
Le 19 décembre 2011