Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Société Nationale des Chemins de Fer Français SNCF contre Assane Amadou

Litige n° D2012-0714

1. Les parties

La Requérante est la Société Nationale des Chemins de Fer Français SNCF, Paris, France, représenté par le Cabinet Santarelli, France.

Le Défendeur est Assane Amadou, Dakar, Sénégal.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <greve-sncf.com>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine litigieux est enregistré est Namebay.

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par la Société Nationale des Chemins de Fer Français SNCF auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après le “Centre”) en date du 5 avril 2012.

Le même jour, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, Namebay, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par la Requérante. Toujours à la même date, l’unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre, confirmant l’ensemble des données du litige. Le 12 avril 2012, le Centre a communiqué aux parties que la plainte ne comportait pas de déclaration selon laquelle la Requérante accepte la compétence judiciaire d’au moins un for expressément désigné, comme le prévoit le paragraphe 3(b)(xiii) des Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et invitant la Requérante à soumettre un amendement à la plainte. La Requérante a déposé une plainte amendée le 13 avril 2012.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application, et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 20 avril 2012, une notification de la plainte, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 10 mai 2012. Le 20 avril 2012, le Centre a reçu une communication du contact technique du Défendeur, selon laquelle le Défendeur accepterait le transfert du nom de domaine litigieux au profit de la Requérante. Le 23 avril 2012, le Centre a accusé réception de la communication du contact technique du Défendeur et a informé les parties sur la possibilité de suspendre la procédure pour régler le litige à l’amiable et éventuellement s’accorder sur le transfert du nom de domaine litigieux. Le 11 mai 2012, la Requérante a communiqué le Centre qu’elle ne souhaitait pas solliciter la suspension de la procédure. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 11 mai 2012, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

Le 21 mai 2012, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Daniel Kraus. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Le nom de domaine litigieux est <greve-sncf.com>. Celui-ci a été enregistré par le Défendeur le 3 décembre 2011.

Pour sa part, la Requérante est une société française de transports ferroviaires connue internationalement. Elle offre notamment ses services en ligne par le biais du site Internet “www.voyages-sncf.com”. Enregistrée au registre du commerce depuis 1955, elle utilise son acronyme depuis 1937. La Requérante est titulaire de la marque SNCF enregistrée en France et à l’étranger, et notamment des marques suivantes :

- La marque française SNCF enregistrée sous le No. 0 3 344 303, en date du 2 mars 2005 et désignant des produits et services en classes internationales 12, 16, 18, 25, 28, 39, 41 et 43.

- La marque française SNCF enregistrée sous le No. 0 3 594 312, en date du 14 août 2008 et désignant des produits et services en classes internationales 9, 16, 18, 24, 35, 36, 38 et 39.

- La marque internationale SNCF enregistrée sous le No. 878 372, en date du 23 août 2005, et désignant des produits et services en classes internationales 12, 16, 18, 24, 25, 28, 35, 39, 41 et 43.

- La marque internationale SNCF enregistrée sous le No. 1001673, en date du 10 septembre 2008, et désignant des produits et services en classes internationales 09, 16, 18, 24, 35, 36, 38, 39 et 42.

Bien que la Requérante ait essayé de contacter le Défendeur à plusieurs reprises avant la présente procédure, ce dernier n’a jamais répondu à ses prises de contact et n’a, préalablement à la présente procédure, pas montré de volonté de transférer le nom de domaine litigieux à la Requérante. Ce n’est qu’après que la présente procédure ait été introduite qu’il a déclaré, par l’intermédiaire de la société Istore, contact technique du Défendeur, être disposé à transférer le nom de domaine litigieux, qu’il n’entendait pas utiliser. Le Défendeur n’a cependant pas répondu formellement à la présente plainte UDRP.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

La Requérante argumente que le nom de domaine litigieux est identique ou semblable, au point de prêter à confusion, aux marques SNCF dont elle est titulaire. Le Défendeur n’aurait aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache. Enfin, le nom de domaine litigieux <greve-sncf.com> aurait été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu à la requête.

6. Discussion et conclusions

Selon le paragraphe 4(a) des Principes directeurs, le requérant doit prouver chacun des éléments suivants afin d’obtenir le transfert d’un nom de domaine litigieux :

i) le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits;

ii) le défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache; et

iii) le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

Le paragraphe 4(c) des Principes directeurs mentionne trois exemples de circonstances, dont chacune d’elle, si elle a été prouvée, établira les droit ou les intérêts légitimes du défendeur relatifs au nom de domaine relativement au paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs susmentionnés, à savoir :

i) avant d’avoir eu connaissance du litige, le défendeur a utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet;

ii) le défendeur (individu, entreprise ou autre organisation) est connu sous le nom de domaine considéré, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services; ou

iii) le défendeur fait un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.

Enfin, le paragraphe 4(b) des Principes directeurs mentionne une liste non exhaustive de quatre cas de figure qui, dans le cadre du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs ci-dessus, établiront l’existence d’un enregistrement et d’une utilisation de mauvaise foi d’un nom de domaine.

En accord avec le paragraphe 15(a) des Règles d’application, la commission administrative statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux principes directeurs, aux présentes règles et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicable.

En accord avec le paragraphe 14(a) des Règles d’application, si, en l’absence de circonstances exceptionnelles, une partie ne respecte pas l’un quelconque des délais fixés par les Règles d’application ou par la commission administrative, celle-ci poursuit l’instruction de la plainte et rend sa décision; selon la lettre (b) de la même disposition, si, en l’absence de circonstances exceptionnelles, une partie ne se conforme pas aux dispositions ou conditions des présentes règles ou à une instruction de la commission administrative, celle-ci peut en tirer les conclusions qu’elle juge appropriées.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Le nom de domaine litigieux reproduit intégralement la marque SNCF de la Requérante. Or, selon de nombreuses décisions UDRP, le fait qu’un nom de domaine reprenne intégralement la marque de la Requérante, comme dans le cas présent, est suffisant pour établir un risque de confusion entre le nom de domaine litigieux et la marque de la Requérante (Société Nationale des Chemins de Fer Français SNCF v. Transure Enterprise Ltd / Above.com Domain Privacy, Litige OMPI No. D2011-0447; Société Nationale des Chemins de Fer Français SNCF, SNCF International v. Zhao Ke, Litige OMPI No. D2011-1503; Société Nationale des Chemins de Fer Français, SNCF v. Elitebase, Litige OMPI No. D2010-2179; Société Nationale des Chemins de Fer Français, SNCF v. Charlie Kalopungi / Moniker Privacy Services, Litige OMPI No. D2011-0160; Société Nationale des Chemins de Fer Français SNCF v. Above.com Domain Privacy / Transure Enterprise Ltd, Litige OMPI No. D2009-1185).

Par ailleurs, l’adjonction du terme générique “grève” au sein du nom de domaine litigieux n’est pas suffisante pour écarter le risque de confusion. Il en va de même évidemment de l’extension gTLD “.com” , qui n’écarte pas de risque de confusion dans l’esprit du public puisqu’elle est nécessaire pour l’enregistrement du nom de domaine lui-même.

B. Droits ou intérêts légitimes

Le paragraphe 4(c) des Principes directeurs donne des exemples de cas qui peuvent démontrer l’existence de droits ou d’intérêts légitimes dans un nom de domaine : (i) utilisation ou préparation à l’utilisation d’un nom de domaine en relations avec une offre de produits ou services de bonne foi; (ii) le fait que le défendeur est connu sous le nom de domaine considéré; et (iii) usage non commercial légitime ou usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.

Le requérant doit établir au moins prima facie l’existence d’une violation de sa marque sous cet angle; s’il réussit, il appartiendra alors au défendeur de renverser la présomption d’absence de droits ou d’intérêts légitimes (cf. par ex. Atlas Copco Aktiebolag v. Accurate Air Engineering, Inc., Litige OMPI No. D2003-0070).

En l’espèce, la Commission administrative est de l’avis que le Défendeur ne dispose ni de droits ni d’intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux. Le Défendeur n’a aucun droit de propriété intellectuelle ou droit au nom sur le signe SNCF; il n’a par ailleurs obtenu aucune autorisation de la part de la titulaire pour l’exploiter, notamment à titre de nom de domaine. Par ailleurs, aucune des situations susmentionnées n’est remplie.

La question aurait pu se poser de savoir si le Défendeur avait eu un intérêt légitime dans le cas où il aurait enregistré le nom de domaine litigieux afin de coordonner une grève des employés de la SNCF. En l’espèce, nul n’est besoin de répondre à cette question. En effet, d’une part, le Défendeur n’a pas répondu à la requête et n’a donc par la force des choses pas avancé cet argument. Deuxièmement, le Défendeur résidant au Sénégal, il est difficile d’imaginer qu’il a enregistré le nom de domaine litigieux dans ce but.

Le Défendeur ne peut ainsi justifier d’aucun intérêt légitime pour réserver et utiliser le nom de domaine litigieux.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Selon les paragraphes 4(a)(iii) et 4(b) des Principes directeurs, pour être transféré au Requérant, le nom de domaine litigieux doit au surplus avoir été enregistré et être utilisé de mauvaise foi.

En l’espèce, l’on peut partir du principe que le nom de domaine litigieux a été enregistré de mauvaise foi, SNCF étant la dénomination sociale de la Requérante et correspondant également à ses marques et noms de domaine. Il est ainsi difficilement imaginable que le Défendeur ait ainsi enregistré le nom de domaine litigieux par hasard. La marque SNCF de la Requérante est très connue, et il est impossible de considérer que le Défendeur n’avait pas connaissance de cette dernière au moment de l’enregistrement du nom de domaine litigieux; en outre, domicilié au Sénégal, le Défendeur parle très probablement le français, le fait qu’il ait enregistré le nom de domaine litigieux en français (le terme générique “grève” étant un terme français) tendant à fournir un indice à cet effet. Au surplus, la mauvaise foi du Défendeur peut être fondée sur la notoriété ou la réputation de la marque de la Requérante, de sorte que le Défendeur était au courant ou aurait dû être au courant de la notoriété ou de la réputation des marques de la Requérante et des droits qui en découlent (AT&T Corp. v. LAPORTE Holdings Inc., Litige OMPI No. D2004-1088). Par ailleurs, une simple vérification sur le site Internet Google aurait permis de constater la notoriété du nom, voire même de la marque SNCF. Il faut donc considérer que le nom de domaine litigieux a été enregistré de mauvaise foi.

Mais est-il également utilisé de mauvaise foi, sachant que le nom de domaine litigieux ne mène à aucune page internet active? La réponse à cette question doit être apportée sur la base des circonstances du cas d’espèce. Selon les cas, même un usage passif d’un nom de domaine permet de constater qu’il est utilisé de mauvaise foi (Telstra Corporation Limited v. Nuclear Mashmalows, Litige OMPI No. D2000-0003).

En l’espèce, les circonstances suivantes permettent de conclure à une utilisation de mauvaise foi du nom de domaine litigieux :

- Le Défendeur a associé le signe SNCF au terme “grève”, laissant ainsi entendre qu’il est lié, d’une manière ou d’une autre, avec les marques et/ou avec l’activité commerciale de la Requérante;

- Au surplus, le Défendeur n’a apporté aucune preuve d’une utilisation présente ou future de bonne foi du nom de domaine litigieux;

- il n’a par ailleurs pas répondu aux courriers de la Requérante lorsque celle-ci lui a demandé de lui transférer le nom de domaine litigieux, attendant uniquement la présente procédure pour faire savoir, par le biais de la société Istore, qu’elle n’entendait pas faire usage du nom de domaine litigieux. Toutefois, le Défendeur n’a depuis lors jamais entrepris les étapes nécessaires à transférer ledit nom de domaine à la Requérante. Ce comportement fait également douter de la bonne foi du Défendeur.

- Enfin, prenant tous ces éléments en considération, il est difficile d’imaginer que le nom de domaine litigieux puisse être utilisé de manière légitime par le Défendeur qui ne créerait pas de risque de confusion avec les marques de la Requérante.

Au vu de ce qui précède et des circonstances particulières du cas, la Commission administrative conclut que l’usage passif du nom de domaine dans le cas particulier satisfait aux conditions de l’article 4(a)(iii) selon lequel le nom de domaine litigieux est utilisé de mauvaise foi par le Défendeur.

7. Décision

Pour toutes les raisons qui précèdent, et en accord avec les paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <greve-sncf.com> soit transféré à la Requérante.

Daniel Kraus
Expert Unique
Le 4 juin 2012