Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Thierry Lasry et la Société Maudal contre Thierry Lasry

Litige n° D2013-0783

1. Les parties

Les Requérants sont Thierry Lasry et la Société Maudal de Boulogne Billancourt, France, représenté par le Cabinet Felzenswalbe, France.

Le Défendeur est Thierry Lasry de Paris, France.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <thierrylasry.org>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine litigieux est enregistré est Register.it SpA (“l’unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par les Requérants auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 2 mai 2013.

En date du 2 mai 2013, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par les Requérants. Le 3 mai 2013, l’unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige. En date du 10 mai 2013, le Centre a envoyé un courrier électronique aux Requérants avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’unité d’enregistrement et invitant les Requérants à soumettre un amendement à la plainte. Les Requérants ont déposé un amendement le 14 mai 2013.

Le 10 mai 2013, le Centre a noté que selon les informations reçues par l’unité d’enregistrement, les données du titulaire du nom de domaine litigieux semblent correspondre à ceux du Requérant Thierry Lasry dans cette affaire. Les Requérants ont répondu que le titulaire du nom de domaine litigieux a usurpé l’identité du Requérant Thierry Lasry.

En date du 10 mai 2013, le Centre a envoyé un courrier électronique aux parties en expliquant que la plainte avait été déposée en français, mais que le contrat d’enregistrement était en anglais, invitant du même coup les Requérants à fournir soit la preuve suffisante d’un accord entre les parties pour que la procédure se déroule en français, soit une plainte traduite en anglais ou une demande motivée pour que le français soit la langue de la procédure. Les Requérants ont déposé le 14 mai 2013 une requête pour que le français soit la langue de la procédure, requête à laquelle le Défendeur n’a pas répondu. S’en est suivie une communication du Centre informant que l’anglais et le français seraient utilisés de concert pour communiquer avec les parties, que la réponse serait acceptée dans l’une ou l’autre de ces langues tout en les informant qu’il appartiendrait à la Commission administrative, une fois nommée, de décider de la langue de la procédure.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 27 mai 2013, une notification de la plainte et amendement de la plainte, en anglais et en français, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 16 juin 2013. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 17 juin 2013, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 24 juin 2013, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Martine Dehaut. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

La Commission administrative prend acte de la demande du Requérant afin que la présente procédure soit conduite en français, bien que l’anglais soit la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux <thierrylasry.org>.

Les Requérants font valoir que les parties à cette procédure sont de nationalité française et que le titulaire du nom de domaine litigieux se présente comme domicilié à Paris, France. Par ailleurs, le site auquel renvoie le nom de domaine litigieux est rédigé en langue française. Cette requête au même titre que la présente plainte est restée sans réponse du Défendeur.

La Commission administrative retient en conséquence qu’il n’a pas été émis d’objection à la demande des Requérants et considérant cette dernière fondée, rendra sa décision en français conformément au paragraphe 11(a) des Règles d’application.

4. Les Faits

Mr Thierry Lasry, l’un des deux Requérants, est titulaire des trois marques suivantes:

- THIERRY LASRY, marque française semi-figurative n°3416214, enregistrée le 14 mars 2006;

- THIERRY LASRY, marque communautaire n°9666108, enregistrée le 15 mars 2011;

- THIERRY LASRY, marque internationale semi-figurative n°1083113, enregistrée le 5 mai 2011.

La société Maudal, le second Requérant, a enregistré et exploite le nom de domaine <thierrylasry.com> pour la vente d’articles de lunetterie dont le premier Requérant est le créateur.

Le Défendeur est identifié sous un prénom et un nom patronyme identiques à ceux du Requérant. Sous cette identité, le Défendeur a réservé un nom de domaine reprenant de façon quasi identique, les marques et nom de domaine ci-dessus rappelés et ce, dans l’extension “.org”.

En réponse à une question du Centre, surpris par cette identité de nom, les Requérants ont déclaré n’avoir aucun lien ni juridique ni économique avec le Défendeur et n’exercer aucun contrôle effectif sur le nom de domaine litigieux <thierrylasry.org>.

Les Requérants ont fait constater par huissier le 19 avril 2013, que l’adresse du Défendeur “16 rue Paul Coisy, 75008” était fictive.

Par ailleurs, le service DHL chargé d’acheminer les pièces relatives à la présente plainte, a informé le Centre que l’adresse et le numéro de téléphone communiqués par celui-ci, étaient erronés.

Selon les Requérants, le Défendeur a usurpé l’identité de Thierry Lasry. De plus, le Défendeur propose à la vente sous le nom de domaine litigieux des articles de lunetterie contrefaisants en reproduisant par ailleurs la marque THIERRY LASRY et la photographie du premier Requérant, ce dont atteste ce dernier en communiquant sa pièce d’identité.

Le paiement des produits contrefaisants n’est aucunement orienté vers le site exploité par la société Maudal mais vers le site Web auprès du nom de domaine litigieux.

Le Défendeur n’a pas déposé d’observations en réponse à cette plainte.

5. Argumentation des parties

A. Les Requérants

Les Requérants font valoir que le nom de domaine litigieux reprend à l’identique les marques dont est titulaire Thierry Lasry ainsi que le nom de domaine réservé par la société Maudal, et prête à confusion avec ces derniers.

Les Requérants n’ont donné aucune autorisation au Défendeur d’enregistrer et d’exploiter le nom de domaine litigieux et confirment n’avoir aucun lien économique ou juridique avec celui-ci.

Le Défendeur n’a donc aucun intérêt légitime dans ce nom et a manifestement agi de mauvaise foi en usurpant l’identité du premier Requérant pour créer une confusion et détourner sa clientèle à des fins lucratives. L’usage d’une fausse identité vient conforter la mauvaise foi du Défendeur.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas déposé d’observations en réponse.

6. Discussion et conclusions

Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au Requérant d’apporter la preuve que les trois conditions suivantes sont réunies cumulativement:

i) Que le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle il détient des droits;

ii) Que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache;

iii) Que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

La Commission administrative examinera ci-après le respect de ces trois conditions.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

La Commission administrative constate tout d’abord que les Requérants ont dûment apporté la preuve des droits de marque qu’ils détiennent sur le signe identique THIERRY LASRY pour désigner notamment des articles de lunetterie ainsi que sur le nom de domaine <thierrylasry.com>.

Le nom de domaine litigieux <thierrylasry.org> reproduit de manière quasi-identique les marques des Requérants sous réserve de l’absence d’espace entre le prénom et le patronyme, propre à la nomination sur l’Internet ainsi que le nom de domaine réservé par la société Maudal dans une autre extension.

La Commission administrative considère en conséquence que la première condition posée par le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est remplie.

B. Droits ou intérêts légitimes

La Commission administrative note que les Requérants n’ont donné aucune autorisation au Défendeur pour la réservation et l’usage du nom de domaine litigieux <thierrylasry.org>.

Par ailleurs, la Commission administrative prend également note de la déclaration des Requérants selon laquelle ils n’exercent aucun contrôle effectif sur le nom de domaine litigieux, et ce en réponse au Centre qui observait dans sa communication du 10 mai 2013 que “les coordonnées du titulaire de l’enregistrement du nom de domaine litigieux semblent correspondre à celles du Requérant” et interrogeait ce dernier sur le point de savoir si celui-ci n’exerçait pas un contrôle effectif sur le nom de domaine litigieux.

Le Défendeur n’ayant pas déposé d’observations en réponse, et n’ayant pas formulé d’objections aux arguments des Requérants, la Commission administrative considère que le Défendeur ne dispose d’aucun droit ni intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux et juge en conséquence la seconde condition posée par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs remplie.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

En application du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs, les Requérants sont invités à prouver que le Défendeur a enregistré et utilisé le nom de domaine litigieux de mauvaise foi. Le paragraphe 4(b) donne des exemples non exhaustifs de comportements susceptibles de constituer une telle preuve:

(i) les faits montrent que le défendeur a enregistré ou acquis le nom de domaine essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais qu’il peut prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine;

(ii) le défendeur a enregistré le nom de domaine en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et est coutumier d’une telle pratique;

(iii) le défendeur a enregistré le nom de domaine essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent; ou

(iv) en utilisant ce nom de domaine, le défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un espace Web ou autre site en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de son espace ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé.

En l’espèce, il résulte des pièces du dossier que la Commission administrative a dûment examinées, que l’identité et l’adresse du Défendeur ne permettent pas de localiser ce dernier et s’avèrent fausses.

Ceci résulte clairement du “Procès-verbal du constat d’huissier” établi le 19 avril 2013 sur demande des Requérants ainsi que des différentes tentatives du Centre pour contacter le Défendeur dans le cadre de cette procédure. Le service DHL utilisé pour acheminer la plainte au Défendeur a ainsi adressé un email en date du 28 mai 2013 informant le Centre que l’adresse et le numéro de téléphone du Défendeur n’étaient pas corrects. L’huissier en charge du constat susvisé déclarait quant à lui ne pas avoir localisé à Paris (France) de rue correspondant à l’adresse indiquée par le Défendeur pour la réservation du nom de domaine litigieux.

Par ailleurs, la Commission administrative constate au vu de la carte d’identité du Requérant Thierry Lasry, que le Défendeur a reproduit sur son site la photographie de ce dernier.

Il n’entre pas dans les fonctions de la Commission administrative d’apprécier si les produits mis en vente sur le site en cause sont des produits contrefaisants comme l’indiquent les Requérants.

Néanmoins, la présence sur le site en cause de la photographie du Requérant pour tromper l’internaute et l’attirer à des fins lucratives vers son propre site, constitue en tout état de cause l’indice d’une exploitation de mauvaise foi du nom de domaine litigieux.

Cette volonté de cacher ses coordonnées réelles est un symbole supplémentaire d’un comportement de mauvaise foi du Défendeur, comme il en a été disposé par la jurisprudence UDRP.

Le Défendeur n’ayant apporté aucune réponse susceptible de contester les dires des Requérants et de justifier sa position, la Commission administrative considère que l’ensemble des faits précités indique la mauvaise foi du Défendeur dans la réservation et l’exploitation du nom de domaine litigieux <thierrylasry.org>.

Au vu de ces différents éléments, la Commission administrative considère que les dispositions du paragraphe 4(b) des Principes directeurs sont remplies, en particulier dans ses dispositions 4(b)(iv).

7. Décision

Compte tenu des conclusions qui précèdent et en application des paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <thierrylasry.org> soit radié.

Martine Dehaut
Expert Unique
Le 8 juillet 2013