CENTRE D’ARBITRAGE ET DE MÉDIATION

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Association des Centres Distributeurs E. Leclerc - A.C.D Lec contre Marie-Laure Neau/Anne-Charlotte Neau/Guillaume Neau/Philippe Neau

LITIGE N° D2013-1793

1. Les parties

Le Requérant est l’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc - A.C.D Lec, Ivry-sur-Seine, France, représenté par Inlex IP Expertise, France.

Le Défendeur est Marie-Laure Neau/Anne-Charlotte Neau/Guillaume Neau/Philippe Neau, Paris, France, représenté par Philippe Neau, France.

2. Noms de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne les noms de domaine <leclerc-parapharmacie-discount.com>, <leclercparapharmaciediscount.com>, <leclerc-pharmacie-discount.com>, <leclercpharmaciediscount.com>

<parapharmacie-leclerc-discount.com>, <parapharmacieleclercdiscount.com>, <pharmacie-leclerc-discount.com> et <pharmacieleclercdiscount.com>.

L'unité d'enregistrement auprès de laquelle les noms de domaine sont enregistrés est Gandi SAS.

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par l’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc - A.C.D Lec auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 21 octobre 2013.

En date du 21 octobre 2013, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement des noms de domaine litigieux, Gandi SAS, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 22 octobre 2013, l’unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 31 octobre 2013, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur (les quatre réservataires ayant procédé conjointement à la réservation des noms de domaine litigieux étant pris ensemble comme Défendeur). Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 20 novembre 2013. Le Défendeur a fait parvenir sa réponse le 19 novembre 2013 (ne contestant pas la réunion des quatre réservataires en cette qualité de Défendeur unique).

En date du 2 décembre 2013, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique Michel Vivant.

La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

L’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc a enregistré diverses marques LECLERC (marque française déposée en 1985 et marque communautaire en 2002) et PARAPHARMACIE E. LECLERC (marque française déposée en 2011).

Le Défendeur a procédé à l’enregistrement des noms de domaine litigieux en 2013.

Faute qu’un accord ait été trouvé entre parties, la procédure a été engagé comme il a été rappelé plus haut.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant fait valoir que ses marques sont exploitées et “ont acquis une indiscutable notoriété”. Il estime que les noms de domaine litigieux associent ainsi des termes génériques à une marque notoire de telle sorte qu’une confusion sera créée dans l’esprit du public qui pensera pouvoir rattacher les noms de domaine litigieux au “Mouvement Leclerc” et fait valoir divers cas qu’il dit similaires.

Il met ensuite en avant le fait que le Défendeur ne porte pas le nom “Leclerc”, ne détient aucun droit sur le terme considéré comme identifiant (marque, nom commercial,…), n’a reçu aucune autorisation pour exploiter celui-ci et enfin que les noms de domaine litigieux sont restés inactifs, ce qui, dit-il, “témoigne d’absence d’intérêt légitime” du Défendeur.

Le Requérant trouve enfin la preuve de la mauvaise foi du Défendeur au stade de l’enregistrement dans le fait que l’enregistrement des noms de domaine litigieux aurait été fait en présence de marques notoires et dont la connaissance par le Défendeur était d’autant plus certaine que “M.-L. Neau” (l’une des personnes physiques couvertes du nom de Défendeur) est pharmacienne. Il voit dans les réservations faites une manœuvre destinée à limiter sa liberté d’action et à ternir sa réputation. Quant à l’usage de mauvaise foi, il se manifeste dans le fait que, des mois après leur enregistrement, les noms de domaine litigieux ne sont pas exploités, le Requérant soulignant qu’un “usage passif” peut constituer un usage de mauvaise foi.

Il considère donc que les conditions sont remplies pour que le transfert des noms de domaine litigieux soit ordonné.

B. Défendeur

Le Défendeur met en avant que le nom “Leclerc” n’est pas qu’une marque, évoquant par exemple le maréchal “Leclerc de Hauteclocque”, et que les noms de domaine “libres de droit”, ne peuvent a priori être considérés comme devant revenir au Requérant.

S’agissant des Principes directeurs, et concernant le premier point posé au paragraphe 4(a)(i) de ceux-ci, il fait précisément valoir que la dénomination “Leclerc” ne peut être réduite à une marque.

Sur le deuxième point, il déclare faire un “usage non commercial loyal” des noms de domaine litigieux et qu’ “il ne serait être question de les utiliser pour nuire à la réputation de la marque Leclerc”.

Sur le troisième point enfin, il déclare que les noms de domaine litigieux n’ont pas été enregistrés en vue d’empêcher le Requérant d’utiliser sa marque, ni de perturber ses opérations commerciales (observant qu’il n’y a pas de lien de concurrence entre eux), ni d’attirer sciemment les internautes en créant une confusion. Il dit aussi qu’il n’y a rien d’illégal à ne pas utiliser un nom de domaine.

6. Discussion et conclusions

Question procédurale: Consolidation de la plainte

La Commission administrative note que la plainte est dirigée contre quatre entités distinctes. Toutefois, ces entités ont le même nom de famille “Neau” et il semblerait par conséquent que les noms de domaine litigieux soient détenus par la même entité. De plus, ces noms de domaine conduisent à la même page Internet et ont été enregistrés auprès de la même unité d’enregistrement. Au vu de ces éléments, et du fait que le Défendeur ne s’y soit pas opposé, la Commission administrative accepte la consolidation de la plainte.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

L’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc – A.C.D Lec – justifie avoir enregistré diverses marques LECLERC et PARAPHARMACIE E. LECLERC. Le fait que le nom “Leclerc” ne soit pas réductible à une marque est dépourvu de pertinence. Les Principes directeurs se bornent à exiger qu’une marque existe et il est de fait fréquent qu’une marque ne soit que la reprise du nom du fondateur (comme “Cartier” ou “Renault”), voire d’un tiers, et/ou qu’elle empêche l’utilisation commerciale par un tiers de son patronyme (comme “Martini” à qui fut valablement opposée la marque “Martini”).

La seule question que doit donc se poser la Commission administrative est de savoir si les noms de domaine litigieux sont bien semblables aux marques en cause ou au moins “semblables au point de prêter à confusion” avec celles-ci au sens du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.

On observera que le Requérant s’appuie sur les marques LECLERC et PARAPHARMACIE E. LECLERC et que, plus précisément, la question est donc de savoir si l’adjonction du terme “discount” et le passage de “parapharmacie” à “pharmacie” toujours avec l’adjonction du terme “discount” dans les noms de domaine litigieux sont de nature à créer une distance suffisante avec les marques du Requérant pour que les noms de domaine litigieux ne prêtent pas à confusion avec lesdites marques.

En premier lieu, il doit être relevé que soit la marque en son entier soit l’élément dominant de la marque, à savoir le nom “Leclerc”, est repris dans tous les noms de domaine litigieux. Ce qui a toujours été relevé comme un fort indice de cybersquatting.

En second lieu, l’adjonction d’un terme comme “discount” n’est pas de nature à affecter l’essence de la marque pour s’inspirer d’une formule utilisée par la commission administrative dans une décision concernant le nom de domaine <leclercassurance.com> où était donc également en cause l’adjonction du visa d’un “service” particulier à la marque LECLERC (“The mere fact that the Respondent has added to the Leclerc mark the suffixes “assurance” and the gTLD “.com” does not effect the essence of the matter”) (Association des Centres Distributeurs E. Leclerc - A.C.D Lec v. Domain Administrator, Litige OMPI No. D2011-0117). La même chose fut jugée à propos de l’adjonction du mot “billeterie” dont il a été considéré qu’il était sans incidence, le nom de domaine en cause étant <leclercbilleterie.com> (Association des Centres Distributeurs Leclerc - ACD LEC v. Optura Pty Ltd, Litige OMPI No. D2011-1239). La Commission administrative ajoutera ici que l’adjonction d’un terme tel que “discount” ne peut en réalité que renforcer le sentiment d’un lien entre les noms de domaine litigieux et les marques LECLERC, l’internaute percevant nécessairement cette mention comme un rappel de la marque et une déclinaison de celle-ci à partir d’une offre spécifique de discount (cf., dans le sens d’un tel renforcement de la confusion, Yves Saint Laurent, S.A.S. v. WhoisGuard / University of Paris, Jacky Lee, Litige OMPI No. D2013-0571).

Enfin, en troisième lieu, la même observation peut être faite quant au passage du terme “parapharmacie” au terme “pharmacie”. L’internaute ne peut percevoir un nom de domaine qui allie “pharmacie” et “discount” que comme une offre spécifique du Requérant.

La Commission administrative est donc d’avis que les noms de domaine litigieux sont semblables au point de prêter à confusion avec les marques détenues par le Requérant au sens de l’article 4(a)(i) des Principes directeurs.

B. Droits ou intérêts légitimes

Comme le fait observer le Requérant, le Défendeur ne porte pas le nom de “Leclerc” (ce qui aurait pu éventuellement expliquer voire justifier l’usage de ce nom, même s’il convient de relever que cela ne constitue pas une justification automatique, tout étant question d’espèce), il n’est pas connu sous ce nom, il n’a reçu aucune autorisation pour l’utiliser.

A quoi d’ailleurs le Défendeur n’oppose aucun argument, se bornant à affirmer que l’usage qu’il fait des noms de domaine litigieux est loyal.

Enfin, la Commission administrative note que le Défendeur ne fait pas un usage non commercial légitime des noms de domaine litigieux.

La Commission administrative est donc d’avis que le Défendeur n’a aucun droit sur les noms de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s'y attache au sens de l’article 4(a)(ii) des Principes directeurs.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

S’agissant de l’enregistrement de mauvaise foi, il est hors de doute que le choix d’une marque indiscutablement notoire, qui a construit son image sur une politique consistant à “casser” les prix, en lui adjoignant précisément le terme “discount” qui renvoie à la même idée, ne peut être le fruit du hasard. L’enregistrement a indubitablement été fait en toute connaissance de cause. D’autant que “Marie-Laure Neau”, l’un des réservataires des noms de domaine litigieux, pharmacienne de son état, non seulement connaissait comme tout un chacun en France les marques LECLERC, mais aussi ne pouvait ignorer de par sa qualité l’investissement de LECLERC dans le secteur de la santé.

Si la Commission administrative n’est pas en mesure de savoir quelle a été la motivation du Défendeur, il est toutefois certain que de Défendeur, résidant en France, avait connaissance de la marque notoire du Requérant. Par ailleurs, que la simple immobilisation d’un nom de domaine, sans raison d’être, peut être constitutive d’un usage de mauvaise foi.

L’utilisation passive d’un nom de domaine a été reconnue par la jurisprudence UDRP comme pouvant être une forme d’utilisation de mauvaise foi du nom de domaine.

Il est d’ailleurs remarquable qu’ici encore le Défendeur n’apporte aucune justification au comportement qui a été le sien, se bornant à procéder par affirmations comme quoi il n’a pas voulu “empêcher le Requérant de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine” ou encore perturber ses opérations commerciales.

Pour la Commission administrative, l’enregistrement et l’usage de mauvaise foi des noms de domaine litigieux au sens de l’article 4(a)(iii) des Principes directeurs est clairement établi.

7. Décision

Pour les raisons précédemment développées, sur la base des paragraphes 4 a des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que les noms de domaine litigieux <leclerc-parapharmacie-discount.com>, <leclercparapharmaciediscount.com>, <leclerc-pharmacie-discount.com>, <leclercpharmaciediscount.com>, <parapharmacie-leclerc-discount.com>, <parapharmacieleclercdiscount.com>, <pharmacie-leclerc-discount.com> et <pharmacieleclercdiscount.com> soient transférés au Requérant.

Michel Vivant
Expert Unique
Le 10 décembre 2013