Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI
DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE
Sanofi contre Benoit Menetrieux
Litige n° D2014-1288
1. Les parties
Le Requérant est la société Sanofi de Paris, France, représenté par Marchais & Associés, France.
Le Défendeur est Monsieur Benoit Menetrieux de Paris, France.
2. Nom de domaine et unité d'enregistrement
Le litige concerne le nom de domaine <sanofi.international>.
L'Unité d'Enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est Key-Systems GmbH dba domaindiscount24.com ("l'Unité d'enregistrement").
3. Rappel de la procédure
Une Plainte a été déposée par le Requérant auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le "Centre") en date du 28 juillet 2014.
En date du 28 juillet 2014, le Centre a adressé une requête à l'Unité d'Enregistrement du nom de domaine litigieux aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 29 juillet 2014, l'Unité d'Enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l'ensemble des données du litige.
Le Centre a vérifié que la Plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés "Principes directeurs"), aux Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les "Règles d'application"), et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les "Règles supplémentaires") pour l'application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d'application, le 5 août 2014, une Notification de la Plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 25 août 2014. Le Défendeur n'a fait parvenir aucune réponse. En date du 26 août 2014, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.
En date du 2 septembre 2014, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Alexandre Nappey. La Commission administrative constate qu'elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d'application.
4. Les faits
Le Requérant est la société française Sanofi spécialisée dans le domaine pharmaceutique et notamment dans la fabrication et la vente de produits avec ou sans prescription médicale.
Le Requérant est la première entreprise pharmaceutique française et était la cinquième au niveau mondial en 2011.
Le Requérant exploite la dénomination "Sanofi" dans le cadre de son activité à titre de dénomination sociale, de nom commercial et d'enseigne depuis plusieurs décennies.
Le Requérant est également titulaire de plusieurs marques constituées ou composées de la dénomination SANOFI parmi lesquelles notamment:
- la marque nominale française (numéro 1 482 708) SANOFI déposée le 11 août 1988 pour des produits et services en classes 1, 3, 4, 5, 10, 16, 25, 28 et 31;
- la marque verbale internationale (numéro 674 936) SANOFI déposée le 11 juin 1997 our des produits et services en classes 3 et 5;
- la marque verbale communautaire (numéro 4 182 325) SANOFI déposée le 15 juillet 1997 pour des produits et services en classes 3 et 5; cette marque a fait l'objet d'un dépôt complémentaire le 8 décembre 2004 pour des produits et services en classes 1, 9, 10, 16, 38, 41, 42 et 44;
- la marque semi-figurative française (numéro 3 831 592) SANOFI déposée le 16 mai 2011 pour des produits et services en classes 1, 3, 5, 9, 10, 16, 35, 38, 40, 41, 42 et 44;
- la marque semi-figurative internationale (numéro 1 091 805) SANOFI déposée le 18 août 2011 pour des produits et services en classes 1, 3, 5, 9, 10, 16, 35, 38, 40, 41, 42 et 44.
Ces marques ont été renouvelées à leur échéance et sont donc en vigueur au jour du dépôt de la Plainte par le Requérant.
Le Requérant est en outre titulaire de plusieurs noms de domaine constitués de la dénomination "sanofi" parmi lesquels notamment:
- <sanofi.com> enregistré le 13 octobre 1995;
- <sanofi.org> enregistré le12 juillet 2001;
- <sanofi.info> enregistré le 24 août 2001;
- <sanofi.biz> enregistré le 19 novembre 2001;
- <sanofi.net> enregistré le 16 mai 2003;
- <sanofi.ca> enregistré le 5 janvier 2004;
- <sanofi.eu> enregistré le 12 mars 2006;
- <sanofi.mobi> enregistré le 20 juin 2006;
- <sanofi.fr> enregistré le 10 octobre 2006;
- <sanofi.tel> enregistré le 17 mars 2011;
- <sanofi.us> enregistré le 16 mai 2012;
Le Requérant présente l'ensemble de son activité ainsi que les produits qu'il commercialise sur un site internet accessible notamment à l'adresse "www.sanofi.fr" ou "www.sanofi.com".
Le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux <sanofi.international> le 14 avril 2014.
A la date de la présente Décision, le nom de domaine litigieux renvoie vers le site internet officiel du Requérant "www.sanofi.com".
5. Argumentation des parties
A. Requérant
En premier lieu, le Requérant soutient que le nom de domaine litigieux <sanofi.international> est identique ou similaire au point de prêter à confusion avec les droits antérieurs qu'il détient à titre de marque et de noms de domaine sur la marque SANOFI qu'il exploite depuis plus de 40 ans dans le cadre de son activité:
- le Requérant soutient ainsi que le nom de domaine du Défendeur reproduit à l'identique ses marques et noms de domaine antérieurs qui ont un caractère intrinsèquement fortement distinctif, ce qui entraîne irrémédiablement un risque de confusion dans l'esprit du public qui est susceptible de penser qu'il appartient au Requérant;
- le Requérant soutient également que la nouvelle extension ".international" utilisée par le Défendeur et placée après la dénomination "sanofi" augmente le risque de confusion avec ses droits antérieurs puisque le Requérant exerce ses activités à l'échelle internationale;
- le Requérant estime que le Défendeur crée inévitablement un risque de confusion en laissant conduire le nom de domaine litigieux à l'un des sites Web officiels du Requérant;
- le Requérant ajoute que ce risque de confusion est aggravé par la notoriété des marques, dénominations sociales, noms commerciaux, enseignes et noms de domaine du Requérant.
En deuxième lieu, le Requérant soutient que le Défendeur n'a aucun droit sur le nom de domaine litigieux, ni aucun intérêt légitime qui s'y attache:
- le nom du Défendeur ne présente aucune ressemblance avec le terme "sanofi" qui a un fort caractère distinctif, de sorte que le Défendeur n'a ni droit antérieur ni intérêt légitime de nature à justifier l'utilisation de la dénomination "sanofi" qui est renommée en France et au niveau international;
- le Requérant n'a jamais autorisé le Défendeur à faire usage de la dénomination distinctive "sanofi";
- le Défendeur ne fait pas un usage légitime non commercial ou loyal du nom de domaine puisque le nom de domaine litigieux renvoie vers le site officiel du Requérant "www.sanofi.com".
En troisième lieu, le Requérant soutient que le nom de domaine litigieux <sanofi.international> a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi:
- le Requérant soutient que compte tenu de la renommée de la dénomination "sanofi", le Défendeur avait nécessairement connaissance de l'existence de la marque antérieure du Requérant au moment de l'enregistrement du nom de domaine litigieux et a dès lors nécessairement agi de mauvaise foi.
Le Requérant soutient en outre que le Défendeur a enregistré de mauvaise foi d'autres noms de domaine constitués de la dénomination "sanofi" et qu'il est à ce titre poursuivi par le Requérant dans d'autres procédures en cours.
Le Requérant soutient également que le Défendeur se serait rendu coupable de cyber-flying, pratique sanctionnée par la jurisprudence UDRP, puisqu'il aurait modifié le nom du titulaire apparaissant sur le WhoIs du nom de domaine litigieux postérieurement à sa réception de la mise en demeure qui lui a été adressée par le Réquérant.
- le Requérant soutient enfin que le Défendeur utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi dans la mesure où ce dernier redirige vers le site institutionnel du Requérant, créant de ce fait une confusion et surtout alors même que le Requérant n'a aucun contrôle sur cette redirection.
Sur la base de l'ensemble de ces éléments, le Requérant sollicite le transfert de propriété du nom de domaine litigieux <sanofi.international> à son profit.
B. Défendeur
Le Défendeur n'a produit aucune réponse à l'argumentation du Requérant.
6. Discussion et conclusions
La Commission administrative constituée pour trancher le présent litige se cantonnera strictement à l'application des Principes directeurs et des Règles d'application.
Il en résulte qu'elle ne saurait avoir pour mission de trancher un conflit de propriété intellectuelle au regard du droit français des marques mais uniquement de vérifier, pour prononcer ou refuser un transfert de nom de domaine, que les conditions exprimées par les Principes directeurs sont cumulativement réunies.
En vertu du paragraphe 4(a) des Principes directeurs, la procédure administrative n'est applicable qu'en ce qui concerne un litige relatif à un nom de domaine sur la base des critères suivants:
1) le nom de domaine enregistré par le défendeur est identique ou semblable au point de prêter à confusion avec une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits;
2) le détenteur du nom de domaine n'a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légiti me qui s'y attache;
3) le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
A. Identité ou similitude prêtant à confusion
Le Requérant revendique des droits antérieurs (marques et noms de domaine) sur la dénomination SANOFI, reprise à l'identique dans le nom de domaine litigieux <sanofi.international>.
À titre liminaire, la Commission administrative constate qu'un certain nombre de droits invoqués par le Requérant ne sont pas expressément visés dans les Principes directeurs au titre des droits susceptibles de justifier de l'intérêt à agir d'un requérant: les Principes directeurs exigent en effet que soit démontrée l'existence d'un droit sur une marque de commerce ou de service, définition qui ne saurait être étendue à un nom de domaine.
Le Requérant démontre cependant qu'il a des droits sur des marques nominales constituées de la dénomination "sanofi", mais également sur des marques semi-figuratives constituées de la même locution "sanofi" et d'un graphisme représentant un oiseau stylisé dont la silhouette se découpe sur une planète à 3 couleurs, ceci depuis 1988 en France, au plan communautaire et au plan international.
Pour les besoins de la comparaison entre le nom de domaine litigieux et les marques invoquées à son encontre, la jurisprudence retient la partie verbale d'une marque semi-figurative ou complexe lorsqu'une telle marque est invoquée par le Requérant.
Or, la Commission administrative estime que le nom de domaine litigieux <sanofi.international> est similaire au point de prêter à confusion avec la dénomination "sanofi" présente dans les marques antérieures nominales et semi-figuratives du Requérant.
L'ajout de l'extension <.international> par le Défendeur ne vient en aucun cas diminuer le risque de confusion avec les marques antérieures du Requérant.
Au contraire, la Commission administrative estime que, le terme "international" étant un terme descriptif aisément compréhensible tant en langue française qu'en langue anglaise, il renverra le public à la dimension mondiale des activités du Requérant.
A cet égard, il est clairement établi que les noms de domaine génériques de premier niveau ("gTLD") ne doivent pas être prises en compte dans l'évaluation du risque de confusion en vertu du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs, ce qui n'est pas différent dans le présent cas en ce qui concerne l'extension ".international".
Cela a d'ailleurs été jugé récemment dans l'affaire Koninklijke KPN N.V. / Marijn Vlug, Litige OMPI No. D2014-1116 concernant le nom de domaine <kpn.international: "It is well established that gTLDs may typically be disregarded in the assessment under paragraph 4(a)(i) of the Policy (e.g. Telstra Corporation Limited v. Nuclear Marshmallows, WIPO Case No. D2000-0003), and, in the present case at least, this is not different for the new gTLD '.international'".
Dans ce contexte, la Commission administrative estime que le nom de domaine litigieux <sanofi.international> est indiscutablement similaire au point de prêter à confusion avec les marques antérieures SANOFI appartenant au Requérant.
B. Droits ou intérêt légitime
Il appartient au Requérant de démontrer que le Défendeur ne détient aucun droit ou intérêt légitime qui se rapporte au nom de domaine litigieux, à tout le moins qu'il établisse la présomption de cette absence, à charge pour le Défendeur de renverser cette présomption.
En l'espèce, Il apparaît que le nom du Défendeur "Benoit Menetrieux" ne présente aucune ressemblance avec le terme "sanofi".
Par ailleurs, il ressort de la Plainte que le Requérant n'entretient aucun lien avec le Défendeur et n'a pas autorisé ce dernier à utiliser les marques SANOFI sur lesquelles il détient des droits.
Il est avéré qu'à la date de la présente Décision le nom de domaine litigieux <sanofi.international> renvoie au Web site internet officiel du Requérant "www.sanofi.com", ce qui ne constitue pas en tant que tel un intérêt légitime à détenir le nom de domaine litigieux en l'absence d'une autorisation expresse du Requérant.
Cela a d'ailleurs été jugé à plusieurs reprises, voir notamment:
Groupe Auchan v. Slawomir Cynkar, Litige OMPI No. D2009-0314:
"The fact that the disputed domain names now direct to one of the Complainant's websites "www.group-auchan.com" does not diminish the fact that they are used in bad faith. This is not a legitimate offer of goods or services. Respondent is not authorized to use Complainant's trademark AUCHAN in any way. Beside this the Complainant has no control over this re-direction which could therefore be changed by the sole will of Respondent at any time."
La Commission administrative estime que le Requérant a établi une présomption d'absence de droit ou d'intérêt légitime qui n'a pas été renversée par le Défendeur puisque ce dernier n'a pas pris part à la procédure.
Dans ces conditions, la Commission administrative estime que le Défendeur n'a pas de droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s'y attache.
C. Enregistrement et usage de mauvaise foi
Le Requérant soutient que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi par le Défendeur.
Concernant l'enregistrement du nom de domaine <sanofi.international>, la Commission administrative considère que la dénomination choisie par le Défendeur n'a rien d'usuel ou de générique puisqu'elle est protégée à titre de marque en France et au niveau communautaire au bénéfice du Requérant.
Au surplus, l'ancienneté de ces marques et le rayonnement mondial indéniable de l'activité du Requérant depuis plusieurs décennies sous la dénomination "sanofi" conduisent la Commission administrative à considérer que ces marques bénéficient d'une incontestable notoriété, tant en France, pays dans lequel le Défendeur est également domicilié, qu'au niveau international.
La notoriété de la marque SANOFI a d'ailleurs été reconnue à de multiples reprises dans des décisions rendues sous l'égide des Principes directeurs, notamment dans les affaires suivantes:
- Sanofi v. Farris Nawas, Litige OMPI No. D2014-0705;
- Sanofi v. Kevin Murdock/Med Chem, Inc/Vessel Medical, Inc, Litige OMPI No. D2013-2086;
- Sanofi v. Bo Li, Litige OMPI No. D2013-1971;
- Sanofi v. vddfwees qqweadsgg, Litige No. OMPI D2013-1740.
Dans ce contexte, la Commission administrative considère que le Défendeur ne pouvait pas ignorer l'existence des droits du Requérant au moment où il a enregistré le nom de domaine litigieux <sanofi.international>.
Cet enregistrement a donc été fait de mauvaise foi par le Défendeur.
Quant à son usage, il est également effectué de mauvaise foi puisque, comme le démontre le Requérant, le nom de domaine litigieux <sanofi.international> a fait l'objet d'une redirection vers le site Internet "www.sanofi.com" du Requérant.
Ce renvoi prouve au besoin que le Défendeur connaissait l'existence de la société Requérante SANOFI et de ses droits sur la dénomination "sanofi".
Cette redirection vers le site Internet du Requérant, sans son autorisation, constitue assurément un usage de mauvaise foi. En effet, à défaut de contrôle du Requérant sur le nom de domaine litigieux, le Défendeur pourrait aisément et à tout moment modifier la redirection du nom de domaine litigieux vers un contenu susceptible de porter atteinte aux intérêts du Requérant. Il pourrait également l'utiliser à titre de support de courrier électronique et désorganiser gravement les activités du Requérant ou détourner sa clientèle à son profit.
Voir sur ce point, Groupe Auchan v. Slawomir Cynkar, Litige OMPI No. D2009-0314.
Dans ces conditions, la Commission administrative estime que le Défendeur a enregistré et qu'il utilise le nom de domaine litigieux <sanofi.international> de mauvaise foi.
7. Décision
Au regard des éléments développés ci-dessus et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d'application, la Commission administrative ordonne le transfert du nom de domaine <sanofi.international> au profit du Requérant.
Alexandre Nappey
Expert Unique
Le 9 septembre 2014