Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Laboratoires Thea SAS contre Yohan Henrino

Litige No. D2015-0266

1. Les parties

Le Requérant est Laboratoires Théa SAS de Clermont-Ferrand Cedex, France, représenté par le Cabinet Taylor Wessing, France.

Le Défendeur est Yohan Henrino de Paris, France.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <laboratoirethea.com>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est Register.IT SPA.

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 19 février 2015.

En date du 19 février 2015, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 20 février 2015, l’unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige.

D’après les informations que le Centre a reçu de l’unité d’enregistrement, la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux est l’anglais. Par conséquent, le Requérant a du fournir au moins une des preuves suivantes: 1. la preuve suffisante d’un accord, entre le Requérant et le Défendeur, prévoyant que la procédure se déroule en français; ou 2. déposer une plainte traduite en anglais; ou 3. déposer une demande afin que le français soit la langue de la procédure. Une telle demande doit être argumentée et justifiée par des éléments matériels expliquant pourquoi la procédure doit être poursuivie en français. Le Requérant a soumis une demande afin que le français soit la langue de la procédure, à laquelle le Défendeur n’a pas répondu.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 4 mars 2015, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 24 mars 2015. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 25 mars 2015, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 31 mars 2015, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Christophe Caron. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant est la société «Les Laboratoires Théa» fondés en 1994 qui est un groupe pharmaceutique européen dans le domaine de l’ophtalmologie.

Le Requérant est notamment titulaire des marques suivantes :

- La marque française LABORATOIRES THEA, enregistrée sous le numéro 94503566 le 27 janvier 1994 pour les produits et les services de la classe 5.

- La marque française LABORATOIRES THEA, enregistrée sous le numéro 3269443 le 23 janvier 2004 pour les produits et les services des classes 3, 5, 10, 35, 41, 44.

- La marque internationale THEA, enregistrée sous le numéro 996576 le 26 septembre 2008 pour les produits et les services des classes 3, 5, 10, 35, 39, 41, 44.

Le Défendeur est Yohan Henrino, de Paris.

Le 24 septembre 2013, le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux <laboratoirethea.com> qui renvoie à une page blanche.

Le Requérant a décidé de s’adresser au Centre afin d’obtenir la transmission du nom de domaine litigieux à son profit.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant souligne qu’il est titulaire des marques suivantes :

- La marque française LABORATOIRES THEA, enregistrée sous le numéro 94503566 le 27 janvier 1994 pour les produits et les services de la classe 5.

- La marque française LABORATOIRES THEA, enregistrée sous le numéro 3269443 le 23 janvier 2004 pour les produits et les services des classes 3, 5, 10, 35, 41, 44.

- La marque internationale THEA, enregistrée sous le numéro 996576 le 26 septembre 2008 pour les produits et les services des classes 3, 5, 10, 35, 39, 41, 44.

Il ajoute que les Laboratoires Théa ont été fondés en 1994 et constitue le premier groupe pharmaceutique européen indépendant en ophtalmologie et leader dans plusieurs classes thérapeutiques ainsi que dans le domaine du collyre sans conservateur.

Selon le Requérant, l’enregistrement du nom de domaine litigieux porte atteinte à ses droits de propriété industrielle en ce qu’il reprend à l’identique ses marques déposées.

Le Requérant ajoute que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache. Selon le Requérant, ni les Laboratoires Théa, ni aucune des filiales du groupe, n’a jamais concédé de licence d’utilisation de ses marques ou du nom commercial pour l’enregistrement du nom de domaine litigieux.

Enfin, le Requérant considère que le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi. Selon le Requérant, le Défendeur ne pouvait pas ignorer l’existence de ses marques quand il a enregistré le nom de domaine litigieux en 2013. Par ailleurs, le Défendeur n’a développé aucune activité autour du terme LABORATOIRE THEA et n’exploite pas le nom de domaine litigieux. Selon le Requérant, le fait de conserver de manière injustifiée l’enregistrement d’un nom de domaine sans que le site soit actif constitue un acte de rétention injustifiée du nom de domaine litigieux. Enfin, il souligne qu’ayant été informé de l’existence des droits des Laboratoires Théa, le Défendeur n’a pas daigné répondre ni régulariser la situation.

Pour l’ensemble de ces raisons, le Requérant sollicite donc le transfert du nom de domaine litigieux à son profit.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas fait parvenir de réponse au Centre.

6. Discussion et conclusions

La Commission administrative constituée pour trancher le présent litige se cantonnera à l’application des Principes directeurs. Il s’agit donc de vérifier, pour prononcer ou refuser un transfert de nom de domaine, que les conditions exprimées par les Principes directeurs sont cumulativement réunies.

En vertu du paragraphe 4(a) des Principes directeurs, la procédure administrative n’est applicable qu’en ce qui concerne un litige relatif à une accusation d’enregistrement abusif d’un nom de domaine sur la base des critères suivants :

i) Le nom de domaine enregistré par le Défendeur est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits;

ii) Le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine, ni aucun intérêt légitime qui s’y attache;

iii) Le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi, dont le paragraphe 4(b) des Principes directeurs donne quelques exemples non limitatifs.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Le Requérant prouve qu’il est titulaire des marques suivantes :

- La marque française LABORATOIRES THEA, enregistrée sous le numéro 94503566 le 27 janvier 1994 pour les produits et les services de la classe 5;

- La marque française LABORATOIRES THEA, enregistrée sous le numéro 3269443 le 23 janvier 2004 pour les produits et les services des classes 3, 5, 10, 35, 41, 44;

- La marque internationale THEA, enregistrée sous le numéro 996576 le 26 septembre 2008 pour les produits et les services des classes 3, 5, 10, 35, 39, 41, 44.

Il existe une quasi-identité, et en tout état de cause une très forte similarité, entre le nom de domaine litigieux <laboratoirethea.com> et les marques LABORATOIRES THEA du Requérant. En effet, le seul retrait de la lettre “s” à la fin du terme “laboratoire” ne saurait conférer la moindre distinctivité au nom de domaine litigieux, au regard des marques antérieures du Requérant. L’internaute d’attention moyenne aura nécessairement le sentiment d’accéder au site officiel du Requérant par le biais d’un nom de domaine autorisé.

Le caractère particulièrement distinctif des marques LABORATOIRES THEA ne fait qu’accentuer ce risque de confusion, d’autant que “Laboratoires Théa” est aussi la dénomination sociale du Requérant.

Le nom de domaine litigieux est donc quasi-identique, et en tout état de cause similaire au point de prêter à confusion, aux marques LABORATOIRES THEA sur lesquelles le Requérant a des droits.

Pour ces raisons, la Commission administrative considère que la première condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs est remplie.

B. Droits ou intérêts légitimes

Le Défendeur n’a aucun droit, ni aucun intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux puisqu’il n’est pas démontré que la dénomination «laboratoirethea» corresponde à l’un de ses titres de propriété intellectuelle, ni à son nom patronymique, ni à un signe sous lequel il exerce une activité commerciale. En outre, il n’a jamais été autorisé par le Requérant à utiliser cette dénomination.

Enfin, le Défendeur n’a pas utilisé, dans le passé, ce nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services puisque le nom de domaine litigieux dirige les internautes vers une page blanche. Il ne peut donc se prévaloir d’un quelconque intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.

Pour ces raisons, la Commission administrative considère que la seconde condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs est remplie.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Le choix du nom de domaine litigieux ne peut être le fruit du hasard. Les marques LABORATOIRES THEA sont particulièrement distinctives de sorte que le Défendeur a nécessairement choisi le nom de domaine litigieux <laboratoirethea.com> en ayant connaissance des droits antérieurs de la société Laboratoires Théa. Le Défendeur ne saurait dès lors arguer de sa bonne foi lorsqu’il a enregistré le nom de domaine litigieux.

Par ailleurs, l’enregistrement par le Défendeur d’un nom de domaine qui ne se différencie des marques du Requérant que par l’omission d’une seule lettre est caractéristique d’une pratique de typosquatting. Le Défendeur profite ainsi des éventuelles omissions des internautes pour les attirer par erreur vers son site.

Quant à l’usage du nom de domaine litigieux, il est également effectué de mauvaise foi puisque, comme le prouve le Requérant, le Défendeur n’exploite pas le nom de domaine litigieux qui renvoie vers une page blanche. En effet, il est de jurisprudence constante que la simple détention passive peut être assimilée à un usage de mauvaise foi.

Le Défendeur a donc enregistré et utilisé le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.

Pour ces raisons, la Commission administrative considère que la troisième condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs est remplie.

7. Décision

Vu les paragraphes 4(a) des Principes directeurs et 15 des Règles, la Commission administrative constate que :

Le nom de domaine litigieux est semblable au point de prêter à confusion, avec les marques de produits ou de services sur lesquelles le Requérant a des droits;

Le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux, ni aucun intérêt légitime qui s’y attache;

Le Défendeur a enregistré et utilisé le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.

La Commission administrative constate que les trois conditions requises par le paragraphe 4(a) des Principes directeurs sont cumulativement réunies et décide en conséquence, le transfert au profit du Requérant du nom de domaine litigieux <laboratoirethea.com>.

Christophe Caron
Expert Unique
Le 14 avril 2015