Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI
DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE
Sopra Steria Group contre Avy Pade
Litige No. D2015-2125
1. Les parties
Le Requérant est Sopra Steria Group d'Annecy le Vieux, France, représenté par Herbert Smith Freehills Paris LLP, France.
Le Défendeur est Avy Pade de Londres, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord ("Royaume-Uni").
2. Nom de domaine et unité d'enregistrement
Le litige concerne le nom de domaine <sopra-groups.org>.
L'unité d'enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine litigieux est enregistré est Ascio Technologies Inc ("l'unité d'enregistrement").
3. Rappel de la procédure
Une plainte en français a été déposée par Sopra Steria Group auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le "Centre") en date du 23 novembre 2015. En date du 24 novembre 2015, le Centre a adressé une requête à l'unité d'enregistrement du nom de domaine litigieux aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 24 novembre 2015, l'unité d'enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l'ensemble des données du litige, et relevant que la langue du contrat d'enregistrement du nom de domaine litigieux était l'anglais. Le 25 novembre 2015, le Centre a envoyé un courrier électronique aux Parties invitant le Requérant à soumettre la preuve suffisante d'un accord, entre le Requérant et le Défendeur, prévoyant que la procédure se déroule en français; ou, déposer une plainte traduite en anglais; ou, déposer une demande afin que le français soit la langue de la procédure. Le Défendeur était invité à fournir des arguments dans cet égard. Le Requérant a déposé une demande que le français soit la langue de la procédure le 26 novembre 2015.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés "Principes directeurs"), aux Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les "Règles d'application"), et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les "Règles supplémentaires") pour l'application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d'application, le 1 décembre 2015, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 21 décembre 2015. Le Défendeur n'a fait parvenir aucune réponse. En date du 22 décembre 2015, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.
En date du 4 janvier 2016, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Flip Jan Claude Petillion. La Commission administrative constate qu'elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d'application.
4. Les faits
Le Requérant, la société Sopra Steria Group, est spécialisé dans le conseil et les services dans le domaine des technologies de l'information, dont l'édition de logiciels. Le Requérant est notamment titulaire des marques suivantes:
- la marque verbale SOPRA, enregistrée auprès de l'OHMI en date du 3 février 2005 et enregistrée sous le numéro 3233335 dans les classes 9, 16, 35, 38, 41 et 42;
- la marque figurative,
enregistrée auprès de l'OHMI en date du 4 septembre 2009 et enregistrée sous le numéro 7492408 dans les classes 9, 16, 35, 38, 41 et 42.
Le Requérant est également titulaire de divers noms de domaine, dont <sopra-group.org>.
Le nom de domaine litigieux <sopra-groups.org> a été enregistré par le Défendeur le 28 octobre 2015. La page web liée au nom de domaine litigieux est une page "parking" de l'hébergeur One.com.
5. Argumentation des parties
A. Requérant
Le Requérant soutient que le nom de domaine litigieux est semblable, au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant prétend avoir des droits. Le Requérant soutient également que le Défendeur n'a aucun droit ni aucun intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux. Enfin, le Requérant soutient que le Défendeur a enregistré et utilisé le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.
B. Défendeur
Le Défendeur n'a pas répondu à la plainte.
6. Discussion et conclusions
A. Quant à la procédure - Langue de la procédure
Aux termes du paragraphe 11(a) des Principes directeurs, "sauf convention contraire entre les parties ou stipulation contraire du contrat d'enregistrement, la langue de la procédure est la langue du contrat d'enregistrement; toutefois, la commission peut décider qu'il en sera autrement, compte tenu des circonstances de la procédure administrative".
En l'espèce, le contrat d'enregistrement est en anglais. Toutefois, le Requérant a demandé à ce que la langue de la procédure soit le français.
Le Requérant fournit la preuve d'un email envoyé d'une adresse liée au nom de domaine litigieux, à savoir "[adresse]@sopra-groups.org". Cet email a été envoyé le lendemain de l'enregistrement du nom de domaine litigieux par le Défendeur. Bien que l'email soit rédigé en anglais, la Commission administrative constate que l'expéditeur de l'email se présente comme étant le dirigeant du Requérant basé en France. L'expéditeur de l'email mentionne également l'adresse du siège social du Requérant ainsi que des coordonnées de téléphone et de télécopie françaises. Enfin, il invite le destinataire de l'email à se rendre sur la version française du site internet du Requérant.
Bien que le Centre ait notifié la demande de langue du Requérant au Défendeur en français ainsi qu'en anglais, le Défendeur ne s'est pas opposé à cette demande.
La Commission administrative considère que dans ces circonstances, il est justifié que la langue de la présente procédure administrative soit le français.
B. Quant au fond
Le paragraphe 15 des Règles d'application prévoit que la Commission administrative statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux Principes directeurs, aux Règles d'application et à tout principe ou règle de droit qu'elle juge applicable.
La charge de la preuve se situe auprès du Requérant et il résulte aussi bien de la terminologie des Principes directeurs que de décisions préalables de commissions administratives UDRP, que le Requérant doit prouver chacun des trois éléments mentionnés au paragraphe 4(a) des Principes directeurs afin d'établir que le nom de domaine litigieux peut être transféré.
Dès lors, le Requérant doit prouver conformément au paragraphe 4(a) des Principes directeurs et selon la balance des probabilités que:
(i). le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits; et
(ii). le Défendeur n'a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s'y attache; et
(iii). le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
Par conséquent, la Commission administrative examinera ces critères séparément.
B.1. Identité ou similitude prêtant à confusion
En premier lieu, le Requérant doit établir qu'il a des droits de marques de fabrique ou de service dont il est titulaire. Le Requérant étant titulaire de diverses marques relatives à au signe SOPRA, le Requérant a établi qu'il existe un droit de marque de fabrique ou de service dont il est titulaire.
La Commission administrative considère que le nom de domaine litigieux <sopra-groups.org> est semblable aux marques du Requérant en ce que le nom de domaine reproduit la marque SOPRA en y ajoutant simplement un trait d'union et le mot "groups" (voir SAP AG c. Domains by Proxy, Inc. / Sales, Litige OMPI No. D2009-0264 et Swarovski Aktiengesellschaft c. A. S., Litige OMPI No. D2012-0629).
Le mot "groups" étant une simple traduction du terme générique "groupes", la Commission administrative estime qu'il n'est pas de nature à empêcher la similitude entre le nom de domaine litigieux et les marques du Requérant.
Puisque le nom de domaine litigieux est semblable à des marques dont le Requérant est le titulaire, la similitude entre le nom de domaine litigieux et les marques du Requérant peut prêter à confusion. Dès lors, le Requérant a établi que le premier élément du paragraphe 4(a) des Principes directeurs est rempli.
B.2. Droits ou intérêts légitimes
Conformément au paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs, le Requérant a la charge de la preuve pour établir que le Défendeur n'a ni droits ni intérêts légitimes vis-à-vis du nom de domaine litigieux.
Il est de jurisprudence constante qu'il suffit pour le requérant de démontrer qu'à première vue ("prima facie") le défendeur n'a ni droits ni intérêts légitimes vis-à-vis un nom de domaine pour renverser la charge de la preuve au détriment du défendeur (Voir: Champion Innovations, Ltd. c. Udo Dussling (45FHH), Litige OMPI No. D2005-1094; Croatia Airlines d.d. c. Modern Empire Internet Ltd., Litige OMPI No. D2003-0455; Belupo d.d. c. WACHEM d.o.o., Litige OMPI No. D2004-0110).
Il ressort du paragraphe 4(c) des Principes directeurs qu'il y a lieu de reconnaître droit ou un intérêt légitime sur un nom de domaine, notamment lorsque le défendeur apporte la preuve de ses droits sur le nom de domaine ou son intérêt légitime qui s'y attache, cette preuve pouvant être constituée par l'une des circonstances ci-après:
(i) Avant d'avoir eu connaissance du litige, le Défendeur a utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet;
(ii) Le Défendeur est connu sous le nom de domaine, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services; ou
(iii) Le Défendeur fait un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.
Le Requérant apporte la preuve de l'enregistrement de ses marques SOPRA, lesquelles ne sont pas contestées par le Défendeur et sont antérieures à l'enregistrement du nom de domaine litigieux. Selon le Requérant, le Défendeur n'a pas reçu de licence, mandat ou contrat de mission du Requérant pour enregistrer le nom de domaine litigieux. Le Requérant déclare qu'il n'existe d'ailleurs aucun lien entre lui et le Défendeur. Dès lors, la Commission administrative considère que le Requérant a démontré qu'à première vue, le Défendeur n'a ni droits ni intérêts légitimes vis-à-vis du nom de domaine litigieux.
De plus, la Commission administrative constate que le nom de domaine litigieux renvoie vers une page "parking", et n'est utilisé que par l'entremise d'une adresse email liée à ce nom de domaine. Le Requérant démontre que cette adresse email a été utilisée afin d'envoyer un email à un tiers en usurpant l'identité du dirigeant du Requérant, notamment en utilisant les coordonnées du Requérant. Le nom de domaine litigieux n'est donc manifestement pas utilisé d'une manière qui justifierait d'un droit ou un intérêt légitime sur celui-ci.
En outre, le Défendeur ne démontre pas avoir un quelconque droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.
Dès lors, la Commission administrative considère que le critère repris au paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est rempli.
B.3. Enregistrement et usage de mauvaise foi
Le Requérant doit apporter la preuve sur la balance des probabilités que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi (Voir Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003; Control Techniques Limited c. Lektronix Ltd, Litige OMPI No. D2006-1052).
Le paragraphe 4(b) des Principes directeurs prévoit une liste non-exhaustive de circonstances qui peuvent constituer la preuve que le nom de domaine litigieux a été enregistré et utilisé de mauvaise foi. Cette liste comprend le cas où en utilisant le nom de domaine litigieux, le défendeur a essayé intentionnellement d'attirer, à des fins commerciales, des utilisateurs d'internet sur son site web ou toute autre destination en ligne en créant un risque de confusion avec la marque du requérant quant à la source, au parrainage, à l'affiliation ou à l'approbation de son site web ou destination en ligne ou d'un produit ou service offert sur celui-ci.
La Commission administrative constate que les marques SOPRA invoquées par le Requérant ont été enregistrées avant l'enregistrement du nom de domaine litigieux.
Le Requérant démontre qu'une adresse email liée au nom de domaine litigieux a été utilisée afin d'envoyer un email à un tiers en usurpant l'identité du dirigeant du Requérant, notamment en utilisant les coordonnées du Requérant.
Au vu de ce qui précède, la Commission administrative estime que le Défendeur connaissait parfaitement le Requérant et devait par conséquent être au courant de l'existence de droits de marques du Requérant au moment de l'enregistrement du nom de domaine litigieux.
Sans aucune autorisation de la part du Requérant, le Défendeur utilise une adresse email liée au nom de domaine litigieux dans le but de contracter avec un ou plusieurs tiers en se faisant passer pour le Requérant. La Commission administrative considère que ceci démontre sur la balance de probabilités que le nom de domaine litigieux a été réservé par le Défendeur dans le but d'attirer, à des fins lucratives, les internautes pour les inciter à répondre à son email, en créant une probabilité de confusion avec les marques du Requérant quant à l'origine de l'adresse email utilisée.
En ne soumettant pas de réponse à la plainte, le Défendeur n'a pris aucune initiative pour contester ce qui précède. Conformément au paragraphe 14 des Règles d'application, la Commission administrative devra en tirer les conclusions qu'elle estime appropriées.
La Commission administrative déduit des faits et circonstances susmentionnés que le nom de domaine litigieux a été enregistré et utilisé de mauvaise foi. Par conséquent, la Commission administrative considère que le Requérant a satisfait le critère énoncé au paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs.
7. Décision
Pour toutes les raisons susmentionnées, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d'application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine <sopra-groups.org> soit transféré au Requérant.
Flip Jan Claude Petillion
Expert Unique
Le 18 janvier 2016