Le Requérant est Sopra Steria Group d’Annecy le Vieux, France, représenté par Herbert Smith Freehills Paris LLP, France.
Le Défendeur est Yvette Brousse de Strasbourg, France.
Le litige concerne le nom de domaine <soprasteria-france.com>.
L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine litigieux est enregistré est Register.IT SPA. (ci-après “l’unité d’enregistrement”)
Une Plainte a été déposée par Sopra Steria Group auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 1er décembre 2015.
En date du 1er décembre 2015, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 2 décembre 2015, l’unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige et des coordonnées désignés dans la Plainte.
Le 2 décembre 2015, le Centre a notifié aux parties que la Plainte avait été déposée en français alors que, d’après les informations reçues par l’unité d’enregistrement, la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux était l’anglais. Par ailleurs, le Centre a demandé au Requérant de fournir alternativement (1) la preuve suffisante d’un accord entre le Requérant et le Défendeur prévoyant que la procédure se déroule en français; ou (2) une plainte traduite en anglais; ou (3) une demande afin que le français soit la langue de la procédure. En fate du 3 décembre 2015, le Requérant a confirmé qu’il demandait que la procédure se déroule en français. Le Défendeur n’a pas répondu à cette demande.
Le Centre a vérifié que la Plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 14 décembre 2015, une notification de la Plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 3 janvier 2016. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 4 janvier 2016, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.
En date du 15 janvier 2016, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Christiane Féral-Schuhl. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
Le Requérant, Sopra Steria Group, est une société issue de la fusion en janvier 2015 du groupe Sopra Group et du groupe Steria. Il est spécialisé dans le conseil et les services dans le domaine des technologies de l’information.
Le Requérant est titulaire des marques suivantes :
- SOPRA STERIA, marque figurative communautaire N° 13623889, déposée le 7 janvier 2015 et enregistrée le 15 mai 2015, pour des produits ou services des classes 9, 16, 35, 36, 38, 41, 42 et 45;
- SOPRA STERIA, marque figurative française N° 4125228, enregistrée le 13 octobre 2014, et modifiée le 03 avril 2015 avec extension à la Polynésie française, pour des produits ou services des classes 9, 16, 35, 36, 38, 41, 42 et,45;
- SOPRA, marque verbale communautaire N° 3233335, déposée le 10 juin 2003 et enregistrée le 3 février 2005, pour des produits ou services des classes 9, 16, 35, 38, 41 et 42;
- SOPRA, marque verbale communautaire N° 9199886, déposée le 24 juin 2010 et enregistrée le 6 décembre 2010, pour des produits ou services des classes 9, 16, 35, 38, 41 et 42;
- SOPRA, marque figurative communautaire N° 12758661, déposée le 3 avril 2014 et enregistrée le 9 octobre 2014, pour des produits ou services des classes 9, 16, 35, 36, 38, 41 et 42;
- SOPRA, marque française N° 3964387, enregistrée le 28 novembre 2012, pour des produits ou services des classes 9, 16, 35, 36, 38, 41 et 42;
- SOPRA, marque figurative française N° 4049619, enregistrée le 25 novembre 2013, pour des produits ou services des classes 9, 16, 35, 36, 38, 41,et 42.
Le Requérant est également titulaire des noms de domaines suivants:
- <soprasteria.com> enregistré le 07 avril 2014;
- <soprasteria.eu> enregistré le 15 avril 2014;
- <soprasteria.fr> enregistré le 15 avril 2014;
- <soprasteriagroup-france.com> enregistré le 20 décembre 2013 ;
- <sopragroup-france.fr> enregistré le 31 décembre 2012.
Le litige porte sur le nom de domaine litigieux <soprasteria-france.com> enregistré par le Défendeur en date du 25 novembre 2015.
C’est dans ces conditions que le Centre a été saisi du litige.
Le Requérant soutient que le nom de domaine litigieux <soprasteria-france.com> est identique ou similaire, au point de prêter à confusion, avec les marques SOPRA STERIA et avec les noms de domaines comprenant le terme “Sopra Steria” sur lesquels il détient des droits exclusifs. Le Requérant soutient également que l’adjonction du terme “France” n’a pas de caractère distinctif et pourrait faire croire qu’il s’agit de la version française du site Internet du Requérant.
Le Requérant fait valoir que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache. En effet, le Requérant indique avoir procédé à une recherche sur les bases de marques françaises, communautaires et internationales désignant la France et démontre que le Défendeur ne détient à ce jour aucune marque SOPRA STERIA ni même SOPRA. En outre, le Requérant précise que le Défendeur ne s’est vu concéder aucune licence d’utilisation des marques SOPRA STERIA.
Le Requérant affirme également que le Défendeur ne peut pas justifier d’une utilisation du nom de domaine litigieux en relation avec une offre de produits ou de services, ni même avoir effectué des préparatifs sérieux à cet effet. En effet, le Requérant fournit une copie de la page du site Internet vers lequel pointe le nom de domaine litigieux et il apparait que celui-ci est inactif.
Le Requérant soutient enfin que le Défendeur a enregistré et utilise de mauvaise foi le nom de domaine litigieux en ce qu’il a créé des adresses email à partir du nom de domaine litigieux et qu’il s’adresse aux clients du Requérant au nom de son véritable directeur financier ou d’un collaborateur de celui-ci.
Le Requérant précise que le Défendeur fait figurer la dénomination et le logo du Requérant dans ces mails et y insère des courriers à en-tête de ce dernier, un certificat d’immatriculation de société falsifié sous le nom Sopra Steria Groupe Divine Hero SP. Z O.O. et un relevé d’identité bancaire correspondant au nom d’une société établie en Pologne et n’appartenant pas au Requérant.
Selon le Requérant, le Défendeur informe les clients du Requérant d’une délocalisation de la comptabilité de ce dernier et les invite à effectuer les paiements des factures à venir éditées par le Requérant sur un nouveau compte bancaire, leur demandant par ailleurs de confirmer leurs avis de virements à l’adresse mail “[…]@soprasteria-france.com” créée à partir du nom de domaine litigieux.
Le Requérant prétend que le Défendeur vise ainsi à tromper les clients du Requérant et à se faire payer le prix des prestations fournies par le Requérant sur un compte bancaire frauduleux ouvert par le Défendeur.
Le Requérant sollicite en conséquence le transfert du nom de domaine litigieux <soprasteria-france.com> à son profit.
Le Défendeur n’a pas déposé de Réponse.
Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au Requérant de prouver cumulativement que:
(i) le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits;
(ii) le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y rattache;
(iii) le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
A titre liminaire, il convient de résoudre la question de la langue de la procédure, car le Requérant a déposé une demande pour que la procédure se déroule en français.
Selon le paragraphe 11(a) des Règles d’application, sauf convention entre les parties, la langue de la procédure est déterminée par la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux, à moins que la Commission administrative n’en décide autrement au regard des circonstances de la procédure administrative.
En l’espèce, la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux est l’anglais. Toutefois le Requérant a déposé une demande afin que la procédure se déroule en français.
A ce titre, le Requérant fait valoir que :
- d’après la base de données WhoIs le Défendeur est domicilié en France;
- le Défendeur a créé l’adresse de courrier électronique “[…]@soprasteria-france.com” et envoie des emails en langue française sous les noms des dirigeants français du Requérant, se présente dans ces mails comme ayant son domicile professionnel en France et fournit des coordonnées téléphoniques françaises.
Le Défendeur n’a pas déposé d’observation à ce sujet.
Bien que le contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux ait été rédigé en langue anglaise, il ressort clairement du dossier que toutes les parties sont francophones et résident en France, de telle sorte que les droits des parties ne seront pas lésés si la Décision est rédigée en français, tel que demandé par le Requérant.
La Commission administrative décide donc, par application du paragraphe 11 des Règles d’application, que la Décision sera rendue en français.
Selon le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs, le Requérant doit démontrer que le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits.
Le nom de domaine litigieux <soprasteria-france.com> reprend intégralement la marque SOPRA STERIA du Requérant, laquelle est protégée en France ainsi que dans l’Union européenne.
Sur le fondement des Principes directeurs, de nombreuses décisions UDRP ont constaté que l’incorporation d’une marque reproduite à l’identique au sein d’un nom de domaine est suffisante pour établir que le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion à la marque sur laquelle la partie requérante a des droits (Swarovski Aktiengesellschaft c. mei xudong, Litige OMPI No. D2013-0150).
Par ailleurs, l’adjonction du terme “France”, indicateur géographique, à la suite d’un terme protégé à titre de marque ne permet pas de considérer que le nom de domaine litigieux ne reproduit pas la marque (Koninklijke Philips Electronics NV c. Gopan P.K., Litige OMPI No. D2001-0171).
Au vu de ce qui précède, la Commission administrative considère que la condition posée par le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est remplie.
Selon le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs, le Requérant doit démontrer que le Défendeur n’a pas de droits ou d’intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux.
Si la charge de la preuve de l’absence de droits ou d’intérêts légitimes du Défendeur incombe au Requérant, les commissions administratives considèrent qu’il est difficile de prouver un fait négatif. Il est donc généralement admis que le Requérant doit établir prima facie que le Défendeur n’a pas de droit ni d’intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux. Il incombe ensuite au Défendeur d’établir le contraire. S’il n’y parvient pas, les affirmations du Requérant sont réputées exactes (voir Denios Sarl c. Telemediatique France, Litige OMPI No. D2007-0698).
En l’espèce, le Requérant démontre qu’il n’a pas autorisé le Défendeur à utiliser ses marques et qu’aucune marque française ou communautaire comprenant le terme “Sopra Steria” n’a été enregistrée par le Défendeur.
La Commission administrative considère que le Requérant a établi prima facie l’absence de droit ou d’intérêt légitime du Défendeur. Il appartenait donc au Défendeur de démontrer ses droits ou intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux, ce qu’il n’a pas fait.
Au vu de ces éléments, et compte tenu de la conduite du Défendeur analysée ci-dessous, la Commission administrative considère que la condition posée par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est remplie.
Selon le paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs, le Requérant doit démontrer que le Défendeur a enregistré et qu’il utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.
Le paragraphe 4(b) des Principes directeurs dispose qu’aux fins du paragraphe 4(a)(iii), la preuve de ce que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisés de mauvaise foi peut être constituée, en particulier, pour autant que leur réalité soit constatée par la Commission administrative, par les circonstances ci-après:
(i) les faits montrent que le Défendeur a enregistré ou acquis le nom de domaine litigieux essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au Requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais que le Défendeur peut prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine:
(ii) le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et le Défendeur est coutumier d’une telle pratique:
(iii) le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent ou:
(iv) en utilisant le nom de domaine litigieux, le Défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un site Web ou autre espace en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du Requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de son site ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé.
S’agissant de l’enregistrement du nom de domaine litigieux par le Défendeur, la Commission administrative constate que le Défendeur ne pouvait ignorer l’existence des marques antérieures du Requérant au moment de l’enregistrement des noms de domaine litigieux et ce, pour plusieurs raisons :
- les marques du Requérant ont été déposées et enregistrées notamment en France bien avant l’enregistrement du nom de domaine litigieux, de sorte qu’une simple recherche sur les bases de données de marques aurait permis au Défendeur de constater l’existence des droits antérieurs du Requérant;
- le Défendeur a exploité le nom de domaine pour créer des adresses de courriers électroniques et communiquer avec les clients du Requérant en se faisant passer pour le Requérant.
La Commission administrative considère donc que le choix du nom de domaine litigieux était intentionnel et que le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.
S’agissant de l’usage de mauvaise foi, la Commission administrative constate que le nom de domaine litigieux ne renvoie vers aucune page Web active.
La Commission administrative rappelle que le fait que ce nom de domaine renvoie à une page Web inexploitée à ce jour ne signifie pas pour autant qu’il n’y a pas utilisation dudit nom de domaine par le Défendeur au sens des Principes directeurs et qu’une telle utilisation passive ne puisse être considérée comme de mauvaise foi (voir Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003).
Toutefois la Commission administrative relève que de nombreuses décisions UDRP ont considéré que cela constitue un indice de mauvaise foi, qui peut être corroborée par d’autres éléments (voir Ladbroke Groupe Plc c. Sonoma International LDC, Litige OMPI No. D2002-0131; et Intel Corporation c. The Pentium Group, Litige OMPI No. D2009-0273).
Or, la Commission administrative relève que le Défendeur a volontairement exploité le nom de domaine litigieux afin de se doter d’adresses de courriers électroniques pouvant laisser penser aux personnes avec lesquelles il communiquait qu’il faisait partie de la société du Requérant.
Le Défendeur, par l’intermédiaire de ces adresses, a prétendu être le Directeur financier du Requérant, ou encore un de ses collaborateurs. L’objectif poursuivi par le Défendeur était de tromper les clients du Requérant afin qu’ils modifient les coordonnées bancaires du Requérant pour les remplacer par les siennes, et donc se faire frauduleusement payer les prestations réalisées par le Requérant. Il apparait donc clairement que le Défendeur souhaitait délibérément créer une confusion à cet égard avec les marques du Requérant.
La Commission administrative considère ainsi que l’utilisation passive du nom de domaine litigieux <soprasteria-france.com> par le Défendeur doit être considérée comme de mauvaise foi.
En conséquence, en application du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs, la Commission administrative estime que le Défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.
Pour les raisons exposées ci-dessus, la Commission administrative estime que les conditions du paragraphe 4(a)(i), (ii) et (iii) des Principes directeurs sont cumulativement réunies pour le nom de domaine litigieux <soprasteria-france.com>.
En conséquence, conformément au paragraphe 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <soprasteria-france.com> soit transféré au Requérant.
Christiane Féral-Schuhl
Expert Unique
Le 29 janvier 2016