Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Bouygues contre “SA Bouygues Batiment Ile De France”

Litige No. D2015-2307

1. Les parties

Le Requérant est Bouygues de Paris, France, représenté par Nameshield, France.

Le Défendeur est “SA Bouygues Batiment Ile De France” de Guyancourt, France.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <bouygues-batiments.com>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine litigieux est enregistré est Cronon AG Berlin, Niederlassung Regensburg (“l’unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte en français a été déposée par Bouygues auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 18 décembre 2015.

En date du 18 décembre 2015, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 18 décembre 2015, l’unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige. Le 21 décembre 2015, le Centre a envoyé un courrier électronique aux parties, notant que l’anglais était la langue du contrat d’enregistrement, et invitant le Requérant à fournir la preuve d’un accord, entre le Requérant et le Défendeur, prévoyant que la procédure se déroule en français, ou déposer une plainte traduite en anglais, ou déposer une demande afin que le français soit la langue de la procédure. Le Défendeur était également invité à déposer des arguments à cet égard. Le 22 décembre 2015, le Requérant a déposé une demande afin que le français soit la langue de la procédure, à laquelle le Défendeur n’a pas répondu.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 5 janvier 2016, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 25 janvier 2016. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 26 janvier 2016, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 5 février 2016, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Martine Dehaut. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant est un groupe industriel français fondé en 1952, dont les activités s’articulent autour de trois pôles, la construction, les télécoms et les médias. Le groupe Bouygues indique être présent dans plus de 100 pays et employer près de 128,000 collaborateurs et fait état d’un chiffre d’affaires s’élevant en 2014 à EUR 33 milliards.

Le Requérant est titulaire de plusieurs enregistrements de la marque BOUYGUES BATIMENT dont l’enregistrement communautaire No. 1217223, enregistré le 25 juillet 2000, et l’enregistrement international No. 723515, enregistré le 22 novembre 1999 et basé sur un dépôt au pays d’origine (France) No. 99 796730.

Le Requérant a également réservé les noms de domaine <bouygues-batiment.com>, <bouygues-batiment-idf.com> et <bouygues-batiment-international.com>.

Le Requérant indique que la dénomination “Bouygues Bâtiment Ile de France” est le nom de l’une de ses filiales.

Selon les dires du Requérant, le Défendeur a usurpé le nom de cette filiale pour réserver le nom de domaine litigieux. L’adresse mentionnée dans le WhoIs pour le nom de domaine litigieux étant celle de cette filiale du Requérant à Guyancourt, France. La Commission administrative note que le nom de domaine litigieux a été enregistré auprès de l’unité d’enregistrement allemande Cronon, étant observé que les noms de domaine du groupe Bouygues sont réservés quant à eux auprès de l’unité d’enregistrement Corehub, S.R.L.

Il résulte par ailleurs des pièces déposées par le Requérant, et en particulier d’une copie d’écran datée du 15 décembre 2015, que le nom de domaine litigieux, avant d’être bloqué, dirigeait l’internaute vers une page dont le contenu était identique au site Internet du Requérant.

Le Requérant a soumis également des copies d’emails adressés par le Défendeur à certains de ses fournisseurs à partir d’une adresse email incorporant le nom de domaine litigieux.

Le Requérant constatant que le Défendeur était localisé en France et que les emails adressés à ses fournisseurs l’étaient en français, a demandé que la présente procédure soit conduite en français bien que la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux est l’anglais.

Le Défendeur, invité par le Centre à se prononcer sur cette requête, n’a pas répondu.

De même, le Défendeur n’a pas répondu à la présente plainte.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant fait valoir que le nom de domaine litigieux <bouygues-batiments.com> est très proche de sa marque BOUYGUES BATIMENT ainsi que des noms de domaine qu’il a réservés tels que ci-dessus rappelés et précise que l’ajout de la lettre “S” au nom de domaine litigieux ne permet pas d’écarter le risque de confusion avec ses propres marques et noms de domaine.

Le Requérant souligne que le Défendeur a utilisé le nom de sa filiale Bouygues Bâtiment Ile De France pour réserver le nom de domaine litigieux, alors même que celui-ci n’a aucun lien avec le Requérant. Il est précisé que le Défendeur n’a par ailleurs aucun droit ni intérêt légitime à utiliser ni réserver ce dernier, aucune licence ou autorisation quelconque ne lui ayant été accordée à cette fin par le Requérant.

Le Requérant soutient également que la réservation et l’exploitation du nom de domaine litigieux <bouygues-batiments.com> a été fait de mauvaise foi. Celui-ci fait observer sur ce point que le nom de domaine litigieux renvoyait, avant d’avoir été bloqué sur sa demande, à une page Internet dont le contenu était identique au contenu d’une page du Requérant. Ce dernier affirme enfin que le nom de domaine litigieux est utilisé au sein d’adresses email générées à partir du nom de domaine litigieux utilisées auprès de fournisseurs du Requérant à des fins d’escroquerie.

Le Requérant demande en conséquence le transfert du nom de domaine litigieux <bouygues-batiments.com> à son bénéfice.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas déposé de réponse pour contester la présente plainte.

6. Discussion et conclusions

Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au Requérant d’apporter la preuve que les trois conditions suivantes sont réunies cumulativement:

(i) Le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits; et

(ii) Le Défendeur ne dispose d’aucune droit sur le nom de domaine litigieux ni aucune intérêt légitime qui s’y attache; et

(iii) Le nom de domaine litigieux est enregistré et utilisé de mauvaise foi.

A. Langue de la procédure

En vertu des Principes directeurs et du paragraphe 11 des Règles d’application, la langue de la procédure est la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux, en l’espèce l’anglais. Néanmoins, il peut être dérogé à ce principe sur demande justifiée de l’une des parties et sans objection expresse de l’autre partie. Le Requérant a fort justement fait valoir que le Défendeur était localisé en France, et avait échangé avec des tiers des courriels en langue française. Il a pour ces raisons requis que la langue française soit appliquée à la présente procédure. Le Défendeur, invité par le Centre à se prononcer sur cette requête, n’a pas répondu. Conformément au paragraphe 11(a) des Règles d’application et au vu des circonstances de cette procédure, la Commission administrative, libre d’opter pour le choix de la langue anglaise ou du français, a décidé de faire droit à la demande du Requérant en optant pour le français.

B. Identité ou similitude prêtant à confusion

Le Requérant a justifié de ses droits sur la marque BOUYGUES-BATIMENT en soumettant différents enregistrements de cette marque tant en France que sur le plan communautaire et dans certains pays de la convention de Madrid par le truchement d’un enregistrement international. Par ailleurs, la Commission administrative a noté la réservation au nom du Requérant de noms de domaine constitués du signe “bouygues-batiment.com”.

Force est de constater que le nom de domaine litigieux est, si ce n’est identique, à tout le moins quasi-identique au signe constituant les marques dont le Requérant est titulaire ainsi qu’à ses noms de domaine.

Comme énoncé par le Requérant, l’ajout de la lettre “s” au terme “bâtiment” n’est pas de nature à écarter un risque de confusion entre la marque invoquée et le nom de domaine litigieux.

Il en a été décidé ainsi selon le même raisonnement lorsque le nom de domaine litigieux différait de la marque du Requérant par la simple suppression de la lettre “s” dans Hershey Fords corporation and Hershey Chocolate & Confectionary Corporation c. DRP Services, Litige OMPI No. D2003-0084.

La Commission administrative estime en conséquence que la première condition posée par le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est remplie.

C. Droits ou intérêts légitimes

La Commission administrative rappelle qu’il appartient au Requérant d’apporter la preuve que le Défendeur ne dispose d’aucun droit ni intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.

En l’espèce, le Requérant affirme que le Défendeur ne dispose d’aucun droit ni intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux et n’a aucunement été autorisé à réserver et utiliser le nom de domaine litigieux.

Les affirmations du Requérant sont de nature à être considérées comme une preuve prima facie, imposant alors au Défendeur qu’il démontre la légitimité de l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux par lui-même.

Aucune réponse n’ayant été déposée par le Défendeur pour contredire ces allégations, la Commission administrative considère que la deuxième condition posée par le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est remplie.

Cette position est conforme à une jurisprudence bien établie du Centre (Synthèse des avis de Commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux principes UDRP, version 2.0, paragraphe 2.1).

D. Enregistrement et usage de mauvaise foi

En application du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs, le Requérant est invité à prouver que le Défendeur a enregistré et utilisé le nom de domaine litigieux de mauvaise foi. Le paragraphe 4(b) des Principes directeurs donne des exemples non exhaustifs de comportements susceptibles de constituer une telle preuve:

(i) les faits montrent que le Défendeur a enregistré ou acquis le nom de domaine essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au Requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais qu’il peut prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine;

(ii) le Défendeur a enregistré le nom de domaine en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et est coutumier d’une telle pratique;

(iii) le Défendeur a enregistré le nom de domaine essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent; ou

(iv) en utilisant ce nom de domaine, le Défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un espace web ou autre site en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du Requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de son espace ou espace web ou d’un produit ou service qui y est proposé.

En l’espèce, la Commission administrative relève que le Défendeur a réservé le nom de domaine litigieux en usurpant l’identité d’une des filiales du Requérant, à savoir Bouygues Bâtiment Ile De France.

Le Requérant a par ailleurs soumis une copie d’écran montrant que le nom de domaine litigieux conduisait à une page Internet reprenant le contenu de certaines pages de son site.

De plus, la Commission administrative a examiné les copies d’emails adressés aux fournisseurs du Requérant à partir d’une adresse email incluant le nom de domaine litigieux.

La Commission administrative note que dans le domaine <bouygues-batiment.com> des enregistrements Mail Exchanger (“mx”) existent, démontrant ainsi que le nom de domaine litigieux était paramétré et prêt à être utilisé aux fins d’adresser des emails.

Ces courriels visaient à passer des commandes en se faisant passer pour l’entreprise du Requérant et ainsi tromper les fournisseurs de ce dernier à des fins d’escroquerie.

Enfin, la Commission administrative note que le Défendeur n’a pas répondu à la présente plainte pour, le cas échéant, contester les dires du Requérant.

La Commission considère ces faits comme des preuves suffisantes de la mauvaise foi du Défendeur dans l’enregistrement et l’usage du nom de domaine litigieux.

En conséquence, la Commission administrative estime que la troisième condition posée au paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs est remplie.

7. Décision

Pour les motifs ci-dessus exposés et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne le transfert du nom de domaine litigieux <bouygues-batiment.com> au profit du Requérant.

Martine Dehaut
Expert Unique
Le 15 février 2016