Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Les Laboratoires Servier contre Cosla Heroe

Litige n° D2016-0645

1. Les parties

Le Requérant est Les Laboratoires Servier de Suresnes, France, représenté par IP Twins S.A.S., France.

Le Défendeur est Cosla Heroe de Meen, France.

2. Nom de domaine et unité d'enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine litigieux <ns01servier.com>.

L'unité d'enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est ELB Group Inc (ci-après désigné "l'Unité d'enregistrement").

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Les Laboratoires Servier auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le "Centre") en date du 4 avril 2016. En date du 4 avril 2016, le Centre a adressé une requête à l'Unité d'enregistrement du nom de domaine litigieux aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 11 avril 2016, l'Unité d'enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l'ensemble des données du litige.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés "Principes directeurs"), aux Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les "Règles d'application"), et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les "Règles supplémentaires") pour l'application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d'application, le 12 avril 2016, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 2 mai 2016. Le Défendeur n'a fait parvenir aucune réponse. En date du 3 mai 2016, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 10 mai 2016, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Christian-André Le Stanc. La Commission administrative constate qu'elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d'application.

4. Les faits

La société Les Laboratoires Servier est à ses dires le premier groupe pharmaceutique français indépendant et le deuxième groupe pharmaceutique français au niveau mondial, présent dans 140 pays et comptant près de 21.400 collaborateurs.

Le Requérant est titulaire de marques, notamment de la marque communautaire nominale SERVIER, n° 4279171, enregistrée le 7 février 2005, renouvelée et désignant des produits et services des classes 5, 35, 41, 42, 44; de la marque internationale SERVIER, n° 814214, enregistrée le 5 août 2003, renouvelée et désignant des produits et services des classes 5, 35, 41, 42 et 44; et de la marque française SERVIER, n° 3218342, enregistrée le 1er avril 2003, renouvelée et désignant des produits et services des classes 5, 35, 41, 42 et 44 (Annexe 4 de la plainte).

Le Requérant a réservé de nombreux noms de domaine comprenant ces marques, ainsi <servier.com>, <servier.fr>, <laboratoires-servier.com> (Annexe 5)

La dénomination sociale du Requérant est "Les Laboratoires Servier".

Relevant l'enregistrement par le Défendeur du nom de domaine litigieux <ns01servier.com> en date du 25 février 2016, le Requérant a adressé le 7 mars 2016 un courriel de mise en demeure au réservataire identifié sur la fiche WhoIs, Cosla Heroe, demandant le transfert immédiat du nom de domaine en cause (Annexe 11 de la plainte) courriel qui demeura sans réponse.

Le Requérant a dès lors engagé auprès du Centre une procédure administrative aux fins d'obtenir le transfert à son profit de ce nom de domaine.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant avance que le nom de domaine litigieux <ns01servier.com> reproduisant la marque SERVIER est à tout le moins similaire au point de prêter à confusion avec cette dernière en ce que l'internaute raisonnablement averti et attentif pourra avoir l'impression que le nom de domaine litigieux est lié au Requérant, d'une manière ou d'une autre; les signes "ns01" pouvant, de surcroît, n'être interprétés que comme une association de données technique (name server ou "serveurs de noms") au terme essentiel et dominant "servier", distinctif.

Le Requérant soutient que le Défendeur n'a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s'y attache. Selon le Requérant, le Défendeur dont le nom de domaine litigieux ne dirige pas vers un site actif n'est pas connu communément sous le nom de domaine litigieux; ne détient aucun droit de marque sur le terme "servier". Le nom de domaine litigieux ne dirigeant sur aucun site actif n'est donc pas utilisé en relation avec une offre de bonne foi de produits ou services et le Requérant n'a nullement autorisé le Défendeur, avec lequel il n'entretenait aucune relation, de quelque façon que ce soit à utiliser les marques SERVIER.

Le Requérant prétend que l'enregistrement opéré de mauvaise foi par le Défendeur a été nécessairement induit par la notoriété du Requérant dont il ne pouvait ignorer l'existence et que le Défendeur est coutumier du dépôt de formes "typosquattées" de noms notoires (par exemple <paypalupdate.net>). Par ailleurs, le Défendeur a utilisé le nom de domaine litigieux de mauvaise foi, en s'abstenant de réagir après avoir été mis en demeure par le Requérant de rétrocéder le nom de domaine litigieux et en en poursuivant la détention. Le Requérant voit un usage de mauvaise foi dans l'attitude du Défendeur qui a délibérément donné à l'unité d'enregistrement des informations d'adresse postale fantaisistes afin de ne pas pouvoir être aisément contacté, notamment dans le cadre de la présente procédure. Enfin la simple détention passive du nom de domaine litigieux ne saurait empêcher que soit reconnu un usage de ce dernier de mauvaise foi, comme cela avait été décidé à l'occasion de l'affaire Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003.

B. Défendeur

Le Défendeur, sollicité de répondre à la plainte qui lui a été adressée par le Centre le 12 avril 2016 n'a pas jugé utile de s'exprimer.

6. Discussion et conclusions

Le paragraphe 15(a) des Règles d'application prévoit : "La commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux Principes directeurs, aux présentes Règles et à tout principe ou règle de droit qu'elle juge applicable".

Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au requérant désireux d'obtenir le transfert à son profit du nom de domaine enregistré par le défendeur de prouver contre ledit défendeur, cumulativement, que:

i) Le nom de domaine "est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou services sur laquelle le requérant a des droits";

ii) Le Défendeur "n'a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s'y attache" et

iii) Le nom de domaine "a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi".

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Le Requérant justifie de ses droits de marque sur le signe notoire SERVIER.

Les marques, en vigueur, s'étendent à de nombreux pays (Annexe 4 de la plainte). Le fait que le Défendeur ait ajouté les quatre signes "ns01" à la marque SERVIER – signes éventuellement compris comme une donnée technique de nom et de numéro de serveur – n'empêche pas de considérer que le nom de domaine litigieux <ns01servier.com> est à tout le moins similaire à la marque SERVIER et engendre une confusion, tenant spécialement le fort caractère distinctif et la notoriété établie de ladite marque (Résultats fournis par le moteur de recherche Google: Annexe 9 de la plainte). Les experts UDRP sont par ailleurs d'accord que normalement l'extension ".com" n'entre pas en ligne de compte à cet égard.

Le Défendeur, taisant, ne conteste pas ces points.

La Commission administrative estime dès lors que le nom de domaine litigieux est identique ou à tout le moins semblable au point de prêter à confusion avec les marques dont le Requérant est titulaire (voir, par exemple, Groupe Lactalis c. John Kleedofer / Privacy Protection Service INC d/b/a Privacy Protect.org, Litige OMPI No. D2014-0133; et Groupe Lactalis c. C.B, Litige OMPI No. D2016-0025).

B. Droits ou intérêts légitimes

La Commission administrative prend acte de ce que le Requérant indique n'avoir pas accordé d'autorisation quelconque au Défendeur d'user des marques du Requérant, lequel Défendeur n'est pas apparemment connu sous le nom de domaine litigieux. Le dossier ne révèle pas d'usage commercial de bonne foi du nom de domaine litigieux de la part du Défendeur et l'Annexe 6 de la plainte établit que ce nom de domaine ne dirige vers aucun site actif qui aurait pu établir l'existence d'une offre commerciale légitime.

En application du paragraphe 4(c) des Principes directeurs ou autrement, le Défendeur, taisant en réponse à la plainte, n'identifie pas, en réplique, ses droits et intérêts légitimes dans le nom de domaine litigieux.

La Commission administrative estime dès lors que le Requérant a démontré que le Défendeur n'a pas de droits ni d'intérêts légitimes au regard du nom de domaine litigieux.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Le Requérant établit la notoriété des marques SERVIER (Annexe 9 de la plainte). La Commission administrative estime qu'en enregistrant le nom de domaine litigieux <ns01servier.com>, le Défendeur ne pouvait pas sérieusement ignorer l'existence de ces marques, en sorte que l'enregistrement a été effectué de mauvaise foi. La Commission administrative relève, par ailleurs, que le Défendeur est coutumier d'une pratique de dépôt de signes notoires "typosquattés" (Annexe 10 de la plainte). Le Défendeur, taisant, ne contredit pas ce point.

Quand bien même le nom de domaine litigieux ne renverrait pas vers un site actif, cette situation n'empêche nullement de considérer que certains indices puissent révéler un usage de mauvaise foi de ce nom de domaine, comportant une marque notoire (voir Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmellows, supra). La Commission administrative constate que le Défendeur s'étant abstenu de réagir aux courriels de mise en demeure qui lui ont été adressés par le Requérant et ayant continué sa détention passive du nom de domaine litigieux, cette attitude constitue un usage de mauvais foi du nom de domaine litigieux.

De même la Commission administrative estime que les données postales fantaisistes fournies par le Défendeur à l'Unité d'enregistrement lors de la réservation du nom de domaine litigieux ont permis au Défendeur de compliquer les contacts notamment à l'occasion de la menée de la présente procédure, ce fait révélant un usage de mauvaise foi du nom de domaine litigieux.

Le Défendeur, là encore taisant, ne conteste pas davantage ces observations.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, conformément aux paragraphes 4(a) des Principes directeurs et 15 des Règles d'application, la Commission administrative estime que le Requérant a établi que le nom de domaine litigieux est identique ou à tout le moins semblable au point de prêter à confusion à des marques sur lesquelles le Requérant a des droits, que le Défendeur n'a aucun droit ou intérêt légitime au regard dudit nom de domaine et que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

La Commission administrative en conséquence ordonne que le nom de domaine litigieux <ns01servier.com> soit transféré au Requérant.

Christian-André Le Stanc
Expert Unique
Le 20 mai 2016