Centro de Arbitraje y Mediación de la OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Pierre Hardy contre Julien Greco

Litige No. D2016-1821

1. Les parties

Le Requérant est Pierre Hardy de Paris, France, représenté par le Cabinet Beau de Loménie, France.

Le Défendeur est Julien Greco de Paris, France.

2. Nom de domaine et unité d'enregistrement

Le nom de domaine litigieux <pierrehardy.paris> est enregistré auprès d'OVH (ci-après désigné "l'Unité d'enregistrement").

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Pierre Hardy auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le "Centre") en date du 8 septembre 2016. En date du 9 septembre 2016, le Centre a adressé une requête à l'Unité d'enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 9 septembre 2016, l'Unité d'enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l'ensemble des données du litige.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés "Principes directeurs"), aux Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les "Règles d'application"), et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les "Règles supplémentaires") pour l'application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d'application, le 15 septembre 2016, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 5 octobre 2016. Le Défendeur n'a fait parvenir aucune réponse. En date du 6 octobre 2016, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 13 octobre 2016, le Centre nommait Marie-Emmanuelle Haas comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu'elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d'application.

4. Les faits

Le Requérant, Pierre Hardy, est un créateur français de grande renommée, particulièrement connu pour ses créations d'accessoires comme les bijoux, les sacs à main et les chaussures.

Le Requérant exerce son activité par le biais de la société Maison Pierre Hardy créée au début de l'année 2000 et titulaire des droits sur la dénomination "Pierre Hardy" à titre de nom commercial et de dénomination sociale.

Pierre Hardy est également titulaire de nombreuses marques à travers le monde, dont des marques françaises et de l'Union européenne :

- Marque française PIERRE HARDY PARIS n°134001169 du 26 avril 2013 en classes 3 et 14 ;

- Marque française PIERRE HARDY n°98755626, du 20 octobre 1998 en classes 3, 18 et 25 ;

- Marque française PIERRE HARDY n°073528156, du 2 octobre 2007 en classes 14, 18 et 25 ;

- Marque de l'Union européenne PIERRE HARDY n°003057081, du 17 février 2003, en classes 3, 9, 14, 18 et 25.

Ces marques sont exploitées par la société Maison Pierre Hardy en tant que licenciée exclusive.

Pierre Hardy est également titulaire du nom de domaine <pierrehardy.com> enregistré le 19 avril 2000 et constamment utilisé depuis pour donner accès à un site Internet, ainsi que de plusieurs extensions dont <pierrehardy.fr> enregistrée le 29 juin 2006.

Les produits de la marque PIERRE HARDY sont commercialisés dans 18 pays et 45 villes mondialement connues dont Paris.

Le Requérant dispose d'une renommée mondiale corroborée par la remise de différents prix, comme le Prix d'Excellence Marie Claire pour "la meilleure ligne de chaussures", ou encore sa collaboration avec la société Hermès pour la création du "Collier Sangle".

Le Requérant a eu connaissance de la réservation du nom de domaine <pierrehardy.paris> enregistré le 2 décembre 2014 par le Défendeur, dénommé Monsieur Julien Greco et domicilié en France à Paris.

Les mentions figurant sur l'extrait WhoIs <pierrehardy.paris> relatives à son adresse postale sont, à l'évidence, fausses.

Le 27 avril 2016, le Requérant a mis en demeure le Défendeur de procéder au transfert, à titre gracieux, du nom de domaine <pierrehardy.paris> et de cesser tout usage dudit nom de domaine.

Le 20 juillet 2016, le Requérant a de nouveau envoyé un courrier au Défendeur pour réitérer la notification de ses droits et pour lui préciser qu'il ne monnayerait pas le transfert du nom de domaine.

Le nom de domaine n'était pas exploité par le Défendeur à la date du dépôt de la plainte.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant affirme que le nom de domaine <pierrehardy.paris> est identique à la dénomination "Pierre Hardy".

Concernant l'absence de droit ou d'intérêt légitime, le Requérant indique que la dénomination "Pierre Hardy" possède une grande renommée et que "Pierre Hardy" est le nom complet du célèbre créateur français.

Le Défendeur ne justifie d'aucun droit antérieur sur la dénomination "Pierre Hardy", il n'est pas connu pour exercer une activité sous cette dénomination et il n'a reçu aucune autorisation de la part du Requérant pour enregistrer le nom de domaine <pierrehardy.paris>.

Le Requérant affirme que le Défendeur n'a aucun droit ni intérêt légitime sur le nom de domaine <pierrehardy.paris> et que cela porte atteinte non seulement à ses droits antérieurs à titre de marque et de noms de domaine mais également à ses droits de personnalité.

Il est également porté atteinte aux droits de la société Maison Pierre Hardy à titre de nom commercial et de dénomination sociale.

Concernant l'enregistrement et l'utilisation de mauvaise foi, selon le Requérant le choix du nom de domaine <pierrehardy.paris> par le Défendeur n'est pas un hasard, en raison de la renommée de la marque PIERRE HARDY dans le monde et notamment en France et également en raison de la reconnaissance de la créativité des produits du Requérant par différents magazines, différentes stars internationales telles que Nicole Kidman et Kylie Minogue, ainsi qu'en raison de sa collaboration avec des marques telles que PEUGEOT, NARS ou HERMES.

Le Requérant indique avoir adressé une lettre de mise en demeure au Défendeur en date du 27 avril 2016 lui demandant le transfert, à titre gratuit, du nom de domaine litigieux.

Selon le Requérant, "[f]ace au refus qui lui a été opposé, la société Maison Pierre Hardy a, le 20 juillet 2016, répondu par courrier qu'il n'est pas question de monnayer cette réservation frauduleuse."

Le Requérant indique que le nom de domaine n'est pas exploité par le Défendeur car son seul but est de le revendre contre le paiement d'une somme d'argent avantageuse et d'en tirer ainsi, un profit illégitime.

Le Requérant invoque également la volonté du Défendeur de l'empêcher de développer librement son activité sur le marché français.

Le Requérant affirme que la réservation du nom de domaine <pierrehardy.paris> n'a pas été effectuée pour une exploitation commerciale loyale et honnête mais dans la mauvaise foi la plus manifeste.

B. Défendeur

Le Défendeur n'a pas répondu aux arguments du Requérant.

6. Discussion et conclusions

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

La preuve de l'identité ou de la similitude d'un nom de domaine avec une marque pouvant prêter à confusion peut être constituée en vertu du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs par les circonstances ci-après:

- le nom de domaine est identique à, ou d'une similitude prouvant prêtée à confusion avec une marque commerciale ou une marque de service dans laquelle le requérant a des droits.

Le Requérant justifie de ses droits à titre de marque sur la dénomination "Pierre Hardy", ainsi que de ses droits à titre de noms de domaine et de nom patronymique.

La présente décision est fondée uniquement sur les marques.

Seul un listing des marques a été communiqué, sans aucune copie des marques sur lesquelles la plainte est fondée.

La Commission administrative, en vertu des pouvoirs qui lui sont accordés par l'article 10(a) des règles UDRP, a consulté la base de données des marques françaises et des marques de l'Union européenne. Il a été constaté qu'au 8 septembre 2016, les marques étaient bien au nom de Monsieur Pierre Hardy.

Le nom de domaine litigieux <pierrehardy.paris> reprend en intégralité les marques PIERRE HARDY du Requérant, en particulier sa marque PIERRE HARDY PARIS n°134001169.

Le nom de domaine <pierrehardy.paris> est identique ou similaire aux marques du Requérant, au point de prêter à confusion.

Par conséquent, la Commission administrative considère que la condition édictée au paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est remplie.

B. Droits ou intérêts légitimes

La preuve des droits sur un nom de domaine ou de l'intérêt légitime qui s'y attache peut être constituée, en vertu du paragraphe 4(a) (ii) des Principes directeurs, en particulier, par l'une des circonstances ci-après:

- avant d'avoir eu connaissance du litige, le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services a été utilisé ou des préparatifs sérieux ont été mis en œuvre à cet effet;

- le titulaire est connu sous le nom de domaine considéré, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services; ou

- il fait un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.

Le Requérant affirme que le Défendeur n'est titulaire d'aucun droit antérieur sur la dénomination "Pierre Hardy".

Il affirme qu'il n'a donné aucune autorisation au Défendeur pour procéder à l'enregistrement du nom de domaine <pierrehardy.paris> reprenant en intégralité les marques PIERRE HARDY.

Il n'est fait aucun usage commercial légitime ou loyal du nom de domaine puisque celui-ci n'est pas exploité par le Défendeur.

Par ailleurs, le Défendeur, personne physique dénommée Julien Greco, n'est pas connu pour exercer une activité sous la dénomination "Pierre Hardy".

Compte tenu des faits décrits par le Requérant, non contestés en l'absence de toute réponse, et des moyens de preuve apportés à l'appui de la plainte, la Commission administrative considère que la condition du paragraphe 4(a) (ii) des Principes directeurs est remplie.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Aux fins du paragraphe (4)(a)(iii) des Principes directeurs, la preuve de ce que le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi peut être constituée, en particulier, pour autant que leur réalité soit constatée par la Commission administrative, par les circonstances ci-après:

- les faits montrent que le nom de domaine a été enregistré ou acquis essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d'une autre manière l'enregistrement de ce nom de domaine au requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais déboursés par le titulaire en rapport direct avec ce nom de domaine;

- le nom de domaine a été enregistré en vue d'empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, le titulaire étant coutumier d'une telle pratique;

- le nom de domaine a été enregistré essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d'un concurrent; ou

- en utilisant ce nom de domaine, le titulaire a sciemment tenté d'attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l'Internet sur un site Web ou autre espace en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du Requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l'affiliation ou l'approbation de son site ou espace Web ou d'un produit ou service qui y est proposé.

Au jour de l'enregistrement du nom de domaine, le Défendeur, qui est domicilié en France, ne pouvait pas ignorer la renommée mondiale des marques PIERRE HARDY ainsi que celle du créateur français Pierre Hardy dans le domaine de la mode.

Le choix de l'extension ".paris" associée à PIERRE HARDY n'est pas anodin puisque Monsieur Pierre Hardy possède deux boutiques très connues à Paris et que la ville de Paris est mondialement réputée dans l'univers de la mode.

Le Défendeur a donc procédé à cet enregistrement, visant très clairement ce créateur et en connaissance de ses droits.

L'adresse postale figurant sur l'extrait WhoIs du nom de domaine <pierrehardy.paris> est fantaisiste et à l'évidence fausse, ce qui caractérise une violation de la politique de l'ICANN concernant l'exactitude des données WhoIs devant permettre de contacter les titulaires de noms de domaine, et est un indice de la mauvaise foi du Défendeur.

Il en résulte que le nom de domaine <pierrehardy.paris> a été enregistré en vue de perturber les opérations commerciales du Requérant.

Sur l'usage de mauvaise foi, le Requérant affirme que suite à sa mise en demeure du 27 avril 2016, par laquelle il demandait le transfert à titre gratuit du nom de domaine, un refus lui aurait été opposé et qu'il aurait ainsi adressé un nouveau courrier au Défendeur pour lui indiquer qu'il ne monnayerait pas le transfert du nom de domaine.

Le Requérant indique que le seul but du Défendeur est de revendre le nom de domaine à un prix avantageux au détriment de Pierre Hardy.

Le Requérant ne justifie pas d'une quelconque réaction ou opposition du Défendeur au transfert du nom de domaine à titre gracieux et n'a pas apporté d'éléments de preuve sur la volonté du Défendeur de revendre le nom de domaine au plus offrant, ni même de la bonne réception des deux mises en demeure.

Toutefois, la Commission administrative prend en compte le fait que le nom de domaine <pierrehardy.paris> n'est pas exploité par le Défendeur au jour de la rédaction de la présente décision.

Cependant, la détention passive d'un nom de domaine n'empêche pas de caractériser la mauvaise foi ( Telstra Corporation Limited v. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003et The Coca-Cola Company v. PrivacyProtect.org/ N/A, Stephen Chukwumaobim, Litige OMPI No. D2012-1088).

La Commission administrative conclut que la détention passive du nom de domaine constitue un usage de mauvaise foi en raison des éléments suivants :

- les marques PIERRE HARDY, ainsi que le nom patronymique "Pierre Hardy" sont renommés;

- le Défendeur n'a apporté aucune preuve de sa bonne foi, à défaut d'avoir répondu aux arguments du Requérant dans le cadre de la présente procédure;

- le Défendeur a mentionné, dans l'extrait WhoIs du nom de domaine contesté, une adresse postale inexacte, en violation de ses obligations d'indiquer une adresse postale à laquelle il est joignable ;

- aucun usage légitime du nom de domaine <pierrehardy.paris> par un tiers ayant un autre patronyme, ne peut être envisagé sans autorisation du Requérant;

- le nom de domaine <pierrehardy.paris> est identique aux marques PIERRE HARDY et à la marque PIERRE HARDY PARIS.

L'usage passif du nom de domaine conduit les internautes, pensant accéder au site du Requérant, à un site inactif. Cette situation constitue une utilisation de mauvaise foi du nom de domaine selon les Principes directeurs.

Compte tenu des faits décrits par le Requérant, non contestés en l'absence de toute réponse, et des moyens de preuve apportés à l'appui de la plainte, la Commission administrative considère que la condition du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs est remplie.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(a) des Principes directeurs et 15 des Règles d'application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <pierrehardy.paris> soit transféré au Requérant.

Marie-Emmanuelle Haas
Expert Unique
Le 25 octobre 2016