Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

GROUPE CANAL+ contre Marc Martinet

Litige No. D2016-2175

1. Les parties

Le Requérant est GROUPE CANAL+, d'Issy-les-Moulineaux, France.

Le Défendeur est Marc Martinet, de Paris, France.

2. Nom de domaine et unité d'enregistrement

Le nom de domaine litigieux <canalplus-stream.com> est enregistré auprès de GoDaddy.com, LLC (ci-après désigné "l'Unité d'enregistrement").

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par GROUPE CANAL+ auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le "Centre") en date du 27 octobre 2016. En date du 27 octobre 2016, le Centre a adressé une requête à l'Unité d'enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le même jour, l'Unité d'enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l'ensemble des données du litige. Le 31 octobre 2016, le Centre a notifié aux parties, en anglais et en français, que la langue du contrat d'enregistrement relatif au nom de domaine litigieux était l'anglais. Par un email envoyé au Centre le même jour, le Requérant a réitéré sa demande, déjà formulée et argumentée dans la plainte précédemment déposée, afin que le français soit la langue de la procédure. Le Défendeur n'a ensuite fourni aucun commentaire ou observation à cet égard.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés "Principes directeurs"), aux Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les "Règles d'application"), et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les "Règles supplémentaires") pour l'application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d'application, le 15 novembre 2016, une notification de la plainte en anglais et en français valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur.

Conformément au paragraphe 5 des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 5 décembre 2016. Le Défendeur n'a fait parvenir aucune réponse. En date du 7 décembre 2016, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 21 décembre 2016, le Centre nommait Louis-Bernard Buchman comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu'elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d'application.

4. Les faits

Le Requérant est le premier groupe media français, leader dans l'édition des chaînes télévisées premium et thématiques et dans la distribution d'offres de télévision payante, avec plus de 15,3 millions d'abonnements.

Le Requérant est notamment titulaire de la marque française CANAL PLUS, déposée auprès de l'Institut National de la Propriété Industrielle, enregistrée le 5 novembre 1982 sous le numéro 1218827 (ci-après désignée : "la Marque").

Le Requérant est également titulaire de nombreux noms de domaine incluant l'élément CANAL PLUS, dont le nom de domaine <canalplus.com>.

Le nom de domaine litigieux <canalplus-stream.com> a été enregistré par le Défendeur le 7 octobre 2015, et pointe vers un site Internet se qualifiant de meilleur site de streaming gratuit et de meilleur site de streaming français, qui propose aux internautes de visionner des matches de football, de rugby, de tennis, de basket et des compétitions de Formule 1 et d'autres sports.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

(i) Le Requérant dispose d'un droit sur la Marque.

(ii) Le nom de domaine litigieux contient la Marque.

(iii) Le nom de domaine litigieux porte atteinte aux droits dont est titulaire le Requérant, en ce qu'il imite la Marque, et est susceptible de créer un risque de confusion dans l'esprit des internautes en leur laissant croire que le Requérant est lié au site Internet auquel renvoie le nom de domaine litigieux.

(iv) Le Défendeur n'a jamais été autorisé par le Requérant à utiliser la Marque à quelque titre que ce soit. Le Défendeur ne peut justifier d'aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux, le site auquel il renvoie étant un site concurrent illicite.

(v) Le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux et l'utilise de mauvaise foi en détournant la clientèle du Requérant de ses offres légales et en attirant les internautes souhaitant regarder le contenu des chaînes du Requérant sans s'abonner à ses offres officielles payantes.

(vi) Le Requérant demande que le nom de domaine litigieux lui soit transféré.

B. Défendeur

Le Défendeur n'a pas répondu aux arguments du Requérant.

6. Discussion et conclusions

6.1.1. Langue de la procédure

L'unité d'enregistrement a indiqué que le contrat d'enregistrement du nom de domaine litigieux était en langue anglaise. En ce qui concerne la langue de la procédure, le Requérant fait valoir que le Défendeur est domicilié en France, que le contenu du site Internet vers lequel pointe le nom de domaine litigieux est rédigé en langue française, que ces éléments tendent à démontrer la familiarité du Défendeur avec la langue française, et que la langue française devrait être choisie comme langue de la procédure. Le Défendeur ne s'est pas opposé à cette demande. La Commission administrative estime que choisir une autre langue de procédure générerait des frais de traduction et des délais, et faisant application des dispositions du paragraphe 11(a) des Règles d'application et de son pouvoir d'appréciation, décide que le français sera la langue de la procédure.

6.1.2. Défaut de réponse du Défendeur

Selon le paragraphe 14(b) des Règles d'application, la Commission administrative a le pouvoir de tirer du défaut du Défendeur, toutes conclusions qu'elle juge appropriées.

Au cas présent, la Commission administrative constate que le Défendeur, titulaire du nom de domaine litigieux <canalplus-stream.com>, n'a réfuté aucun des faits allégués par le Requérant.

En particulier, le Défendeur, par son défaut, n'a fourni à la Commission administrative aucun des éléments prévus par le paragraphe 4(c) des Principes directeurs qui lui aurait permis de conclure que le Défendeur jouit de droits ou justifie d'intérêts légitimes concernant le nom de domaine litigieux <canalplus-stream.com>, ou qu'il a agi de bonne foi en enregistrant et utilisant le nom de domaine litigieux <canalplus-stream.com>.

Par ailleurs, il est rappelé que la Commission administrative est tenue d'appliquer le paragraphe 15(a) des Règles d'application qui prévoit que : "La commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux principes directeurs, aux présentes règles et à tout principe ou règle de droit qu'elle juge applicable".

Le paragraphe 10(a) des Règles d'application donne à la Commission administrative un large pouvoir de conduire la procédure administrative de la manière qu'elle juge appropriée, conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application, et elle doit aussi veiller à ce que la procédure soit conduite avec célérité (paragraphe 10(c) des Règles d'application).

En conséquence, l'Expert s'est attaché à vérifier, au vu des seuls arguments et pièces disponibles, si l'enregistrement et l'utilisation du nom de domaine litigieux portaient atteinte aux droits du Requérant et si le Défendeur pouvait justifier de droits sur ce nom de domaine.

6.2. Vérification que les conditions cumulatives du paragraphe 4(a) des Principes directeurs sont réunies en l'espèce

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Dans le cadre de l'analyse de la première condition du paragraphe 4(a), la Commission administrative doit se contenter de constater si le droit de marque du Requérant existe ou non.

Au vu des pièces versées au dossier, la Commission administrative constate que le Requérant justifie de droits exclusifs sur la dénomination CANAL PLUS, à titre de marque enregistrée.

Demeure alors la question de la comparaison entre cette dénomination d'une part et le nom de domaine litigieux d'autre part. Or la partie dominante et non générique du nom de domaine litigieux est l'élément distinctif "canalplus".

La Marque est totalement reproduite dans l'expression "canalplus".

En ce qui concerne l'identité ou la similitude de la Marque par rapport au nom de domaine litigieux, les seules différences consistent en la présence, dans le nom de domaine litigieux, du tiret suivi du suffixe "stream".

Le mot anglais "stream" (en français, "courant" ou "flux") renvoie au terme "streaming" dont il constitue une abréviation, le streaming étant d'après le site Wikipedia un mode continu de diffusion de contenus, en direct ou en léger différé, qui n'apparait pas directement sous forme de fichier sur le disque dur du destinataire, car les données sont téléchargées en continu dans sa mémoire vive, rapidement transférées vers un écran ou un lecteur (pour leur affichage) puis remplacées par de nouvelles données, de sorte que leur stockage n'est que provisoire (cas de la vidéo à la demande).

Ce terme non distinctif semble être devenu générique, et l'ajout d'un tiret suivi d'un tel suffixe ne saurait aux yeux de la Commission administrative conférer un autre sens au nom de domaine litigieux ni permettre de le distinguer de la Marque du Requérant. Il est même susceptible d'aggraver le risque de confusion.

Il est établi par ailleurs que les extensions de nom de domaine (telles que ".com"), nécessaires pour leur enregistrement, sont généralement sans incidence sur l'appréciation du risque de confusion, les extensions pouvant donc ne pas être prises en considération pour examiner la similarité entre la Marque du Requérant et le nom de domaine litigieux, conformément à nombre de décisions déjà rendues (Voir Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003; Accor c. Accors, Litige OMPI No. D2004-0998).

La Commission administrative estime que le public en général et les internautes en particulier pourraient penser que le nom de domaine litigieux renvoie au Requérant, ce nom de domaine litigieux étant similaire à la Marque sur laquelle le Requérant a des droits, au point de prêter à confusion (voir Citibank Privatkunden AG & Co. KGaA c. PrivacyProtect.org / N/A, indishi india mr.ugala, Litige OMPI No. D2010-1147; Credit Industriel et Commercial S.A., BanqueFédérative du Crédit Mutuel c. Headwaters MB, Litige OMPI No. D2008-1892; Banque Saudi Fransi c. ABCIB, Litige OMPI No. D2003-0656; Islamic Bank of Britain Plc c. Ifena Consulting, Charles Shrimpton, Litige OMPI No. D2010-0509; BPCE c. PrivacyProtect.org / Maksym Pastukhov, Litige OMPI No. D2010-1666).

Dans ces conditions, la Commission administrative constate que l'exigence du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est satisfaite.

B. Droits ou intérêts légitimes

Il est admis que, s'agissant de la preuve d'un fait négatif, une commission administrative reconnait que lorsqu'un requérant a allégué le fait que le défendeur n'a aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine, il incombe au défendeur d'établir le contraire, puisque lui seul détient les informations nécessaires pour ce faire. S'il n'y parvient pas, les affirmations du requérant sont réputées exactes (Eli Lilly and Company c. Xigris Internet Services, Litige OMPI No.D2001-1086; Do The Hustle, LLC c. Tropic Web, Litige OMPI No. D2000-0624).

Le Défendeur étant une personne qui n'est pas connue sous le nom de domaine litigieux, la légitimité des intérêts du Défendeur sur le nom de domaine litigieux n'est pas manifeste, et le contenu du site auquel il renvoie dénote un usage commercial du nom de domaine litigieux.

Le Défendeur n'est en aucune manière affilié au Requérant et n'a pas été autorisé par ce dernier à utiliser la Marque ou à procéder à l'enregistrement d'un nom de domaine incluant la Marque.

Par ailleurs, le mutisme conservé par le Défendeur, qui a choisi de ne pas répondre à la mise en demeure du Requérant ni à sa plainte dans la présente procédure, ne permet pas de penser qu'il ferait un usage légitime et non commercial du nom de domaine litigieux

Dans ces conditions, la Commission administrative est d'avis que le Défendeur n'ayant pas de droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s'y attache, l'exigence du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est satisfaite.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

La mauvaise foi doit être prouvée dans l'enregistrement comme dans l'usage.

En ce qui concerne l'enregistrement de mauvaise foi, la bonne foi du Défendeur lors de l'enregistrement ne ressort d'aucun document soumis au dossier. Bien au contraire, l'adresse indiquée par le Défendeur à l'Unité d'enregistrement lors de l'enregistrement du nom de domaine litigieux est délibérément inexacte, puisqu'il n'existe à Paris ni de rue de la Marée, ni de code postal 75000.

La Commission administrative estime que le choix comme nom de domaine de l'élément distinctif d'une marque en lui ajoutant un tiret et le suffixe "stream" (qui ne saurait conférer un sens différent à la dénomination "canalplus", ni permettre de la distinguer de la Marque), ne peut être le fruit d'une simple coïncidence.

De surcroît, le Défendeur a effectué cette réservation dans le but avoué d'attirer les internautes, en créant une grande similitude avec la Marque et les noms de domaine du Requérant.

En effet, le nom de domaine litigieux renvoie à un site Internet qui offre expressément "Tous les évènements sportifs en direct que vous ne pourriez pas voir gratuitement sur les chaînes canal+ …"

Dans ces circonstances, la Commission administrative estime plus qu'improbable qu'au moment où il a enregistré le nom de domaine litigieux, le Défendeur ait pu ne pas avoir connaissance de la Marque, qui jouit, en France notamment, d'une réelle notoriété, reconnue par des décisions administratives UDRP antérieures (voir Canal + France, Groupe Canal + SA c. Private Whois Service / Internet.bs Corp, Litige OMPI No. DTV2010-0014; et Canal + Francec. Moniker Privacy Services / Janice Liburd, Litige OMPI No. D2010-2044).

En outre, l'usage de mauvaise foi du nom de domaine litigieux par le Défendeur peut aussi résulter du fait que son usage de bonne foi ne soit d'aucune façon plausible (Voir Audi AG c. Hans Wolf, Litige OMPI No. D2001-0148), compte tenu de la spécificité de l'activité du Requérant.

Enfin, certaines commissions administratives ont même estimé que dans certaines circonstances, les personnes qui réservent des noms de domaine ont l'obligation de s'abstenir d'enregistrer et d'utiliser un nom de domaine qui soit identique ou similaire à une marque détenue par d'autres, et qu'enfreindre cette obligation peut être constitutif de mauvaise foi.

La Commission administrative conclut qu'en détenant et utilisant le nom de domaine litigieux aux fins de détourner la clientèle du Requérant de ses offres légales, en ne répondant pas à la mise en demeure du Requérant du 17 octobre 2016 dans le délai imparti et en ne se manifestant pas dans la présente procédure administrative, le Défendeur a procédé à une utilisation de mauvaise foi du nom de domaine litigieux.

Il en résulte que les trois éléments prévus au paragraphe 4(a) des Principes directeurs sont cumulativement réunis.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d'application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <canalplus-stream.com> soit transféré au Requérant.

Louis-Bernard Buchman
Expert Unique
Le 4 janvier 2017