Le Requérant est Confédération Nationale du Crédit Mutuel de Paris, France, représenté par MEYER & Partenaires, France.
Le Défendeur est "Nom Anonymisé"1 .
Le nom de domaine litigieux <credit-mutuels.com> est enregistré auprès de Cronon AG Berlin, Niederlassung Regensburg (ci-après désigné "l'Unité d'enregistrement").
Une plainte en français a été déposée par Confédération Nationale du Crédit Mutuel auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le "Centre") en date du 4 avril 2017. En date du 6 avril 2017, le Centre a adressé une requête à l'Unité d'enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 7 avril 2017, l'Unité d'enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l'ensemble des données du litige et notant que la langue du contrat d'enregistrement du nom de domaine litigieux est l'allemand. Le 12 avril 2017, le Centre a envoyé un avis aux parties, invitant le Requérant à fournir soit la preuve d'un accord, entre le Requérant et le Défendeur, prévoyant que la procédure se déroule en français; soit déposer une plainte traduite en allemand; soit déposer une demande afin que le français soit la langue de la procédure. Le Défendeur a également été invité à fournir des arguments à cet égard. Le 12 avril 2017, le Requérant a déposé une demande dans laquelle il a demandé que la procédure administrative se déroule en français. Le Défendeur n'a fourni aucun commentaire ou observation à cet égard.
Conformément au paragraphe 11(a) des Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les "Règles d'application") la Commission administrative choisit de rendre sa décision en français pour les raisons suivantes:
- la plainte a été déposée en français ;
- le Requérant est une société de droit français ;
- l'adresse du Défendeur indiquée dans le WhoIs du nom de domaine litigieux est située en France ;
- le nom de domaine litigieux contient des termes en langue française, à savoir "crédit" et "mutuels";
- le Défendeur n'a pas présenté d'objection ;
- les communications informelles du Défendeur étaient en français (voir ci-dessous).
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés "Principes directeurs"), aux Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les "Règles d'application"), et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les "Règles supplémentaires") pour l'application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d'application, le 19 avril 2017, une notification de la plainte en français et en allemand valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 9 mai 2017.
Le Défendeur a soumis des communications informelles le 26 avril 2017 et le 11 mai 2017 faisant notamment état d'une usurpation d'identité. Le Défendeur n'a fait parvenir aucune réponse formelle.
En date du 19 mai 2017, le Centre nommait Christophe Caron comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu'elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d'application.
Le Requérant est la Confédération Nationale du Crédit Mutuel qui représente le groupe Crédit Mutuel comme organe central du réseau. Le Crédit Mutuel est le deuxième groupe français de services bancaires et d'assurances.
Le Requérant est notamment titulaire des marques suivantes, incluant les termes "crédit" et "mutuel":
- la marque française semi-figurative CRÉDIT MUTUEL n° 1475940 enregistrée le 8 juillet 1988, renouvelée, et enregistrée pour des services en classes 35 et 36;
- la marque française semi-figurative CRÉDIT MUTUEL n° 1646012 enregistrée le 20 novembre 1990, renouvelée, et enregistrée pour des produits et des services en classes 16, 35, 36, 38 et 41;
- la marque internationale semi-figurative CRÉDIT MUTUEL n° 570182 enregistrée le 17 mai 1991 et renouvelée;
- la marque verbale de l'Union Européenne CRÉDIT MUTUEL n° 009943135, enregistrée le 5 mai 2011 pour des produits et services en classes 9, 16, 35, 36, 38, 41, 42 et 45.
Le Défendeur a enregistré le nom de domaine <credit-mutuels.com> le 25 juillet 2016.
Le Requérant a décidé de s'adresser au Centre afin d'obtenir le transfert du nom de domaine litigieux à son profit.
En premier lieu, le Requérant soutient que le nom de domaine litigieux enregistré par le Défendeur est similaire au point de prêter à confusion avec ses marques CRÉDIT MUTUEL. Il précise que l'ensemble de ses marques fait l'objet d'une exploitation intensive de la part de l'ensemble des sociétés du groupe CRÉDIT MUTUEL depuis leur dépôt. Le Requérant se prévaut également d'une renommée particulière de ses marques sur le réseau internet. La filiale informatique du Requérant, Euro Information SAS a notamment enregistré des noms de domaines incluant les termes "crédit" et "mutuel" comme <creditmutuel.fr>, réservé le 10 août 1995 et <creditmutuel.com> réservé le 28 octobre 1995. Après avoir rappelé que la jurisprudence UDRP de l'OMPI considère qu'il ne doit pas être tenu compte de l'extension ".com" dans l'appréciation de la confusion, le Requérant soutient que le nom de domaine litigieux <credit-mutuels.com> est la reproduction de la marque antérieure renommée CRÉDIT MUTUEL à laquelle sont adjointes la seule lettre "s" et le tiret "-" . Or, selon le Requérant, ces différences mineures ne sont pas de nature à différencier valablement le nom de domaine litigieux de la marque du Requérant et engendrent un risque de confusion.
En second lieu, le Requérant soutient que le Défendeur n'a aucun droit sur le nom de domaine litigieux, ni aucun intérêt légitime qui s'y attache. Il précise qu'il n'existe aucune relation de quelque ordre que ce soit entre eux pouvant justifier de cet enregistrement et que le Défendeur n'est pas un agent ni un salarié du Crédit Mutuel. Le Requérant n'a accordé au Défendeur aucune autorisation ou licence d'exploitation aux fins d'enregistrer ou d'utiliser le nom de domaine litigieux. Enfin, le Requérant indique que les coordonnées nominatives et postales mentionnées au WhoIs du nom de domaine litigieux correspondent à celles d'une personne dont l'identité a été usurpée, ce qui est confirmé par le dépôt d'une plainte par cette personne usurpée. Le Requérant soutient en conséquence qu'il ne peut exister aucun intérêt légitime ni pour l'usurpé ni pour l'usurpateur dont le seul élément d'identité connu est une adresse de courrier électronique.
En troisième et dernier lieu, le Requérant considère que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi. Il indique que le simple choix du nom de domaine litigieux caractérise la mauvaise foi du Défendeur au moment de l'enregistrement du nom de domaine. En effet, selon le Requérant, la jurisprudence considère que la renommée de la marque du Requérant créé une présomption de mauvaise foi. Il ajoute que l'adjonction d'une seule lettre aussi habituelle que le "s" dans le nom de domaine litigieux démontre la volonté de créer un risque de confusion car l'internaute aura le sentiment de se trouver sur un site internet du Crédit Mutuel. En outre, le Requérant précise que l'adresse de courriel électronique utilisée dans le WhoIs – qui est le seul élément d'identification du véritable Défendeur puisque les autres données ont été usurpées – a été répertoriée sur un forum public comme étant liée à des activités frauduleuses de type "spam". Cette adresse électronique se retrouve également dans les contacts de plusieurs autres noms de domaine –dont le nom de domaine <interpol-gouv.net> qui reproduit une marque renommée d'un organisme international - mais se rattache à des personnes aux identités différentes à chaque fois, ce qui constitue un élément supplémentaire pour démontrer la mauvaise foi du titulaire. Enfin, le Requérant soutient que l'inactivité du site doit être considérée comme une détention passive constitutive d'usage de mauvaise foi notamment parce que le titulaire a utilisé des coordonnées usurpées pour l'enregistrement du nom de domaine en litige et que le titulaire est coutumier de cette pratique puisqu'il détenait plusieurs noms de domaine sous des identités différentes alors que l'adresse email restait identique. Le Requérant ajoute qu'il n'existe aucun élément permettant de justifier d'un quelconque usage de bonne foi du nom de domaine litigieux. Enfin, il spécifie qu'en tant que groupe bancaire, il est confronté régulièrement à des tentatives de contrefaçon et de phishing et qu'il se doit de protéger ses clients.
Le Requérant sollicite, donc, au vu de ce qui précède, le transfert du nom de domaine litigieux à son profit.
Le Défendeur n'a pas répondu aux arguments du Requérant, mais a soumis deux communications concernant l'usurpation d'identité traitée par la Commission administrative ci-dessus.
La Commission administrative constituée pour trancher le présent litige se cantonnera à l'application des Principes directeurs. Il s'agit donc de vérifier, pour prononcer ou refuser un transfert de nom de domaine, que les conditions exprimées par les Principes directeurs sont cumulativement réunies.
En vertu du paragraphe 4(a) des Principes directeurs, la procédure administrative n'est applicable qu'en ce qui concerne un litige relatif à une accusation d'enregistrement abusif d'un nom de domaine sur la base des critères suivants :
(i) Le nom de domaine enregistré par le détenteur est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits ;
(ii) Le détenteur du nom de domaine n'a aucun droit sur le nom de domaine, ni aucun intérêt légitime qui s'y attache ;
(iii) Le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi, dont le paragraphe 4(b) des Principes directeurs donne quelques exemples non limitatifs.
Le Requérant a justifié de ses droits sur la marque CRÉDIT MUTUEL en soumettant la copie de plusieurs enregistrements ayant effet en France et à l'étranger tels que ci-dessus rappelés. Il justifie également de la renommée de sa marque en France.
Le nom de domaine litigieux <credit-mutuels.com> reprend à l'identique le signe CRÉDIT MUTUEL. L'adjonction de la lettre habituelle "s" et d'un tiret sont des différences mineures qui ne suffisent pas à écarter le risque de confusion. Par ailleurs, le domaine de premier niveau générique ("gTLD). "com" ne peut avoir aucune incidence sur l'appréciation de ce risque.
Le nom de domaine litigieux est donc similaire au point de prêter à confusion avec la marque antérieure et renommée CRÉDIT MUTUEL sur laquelle le Requérant a des droits.
Pour ces raisons, la Commission administrative considère que la première condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs est remplie.
La Commission administrative n'a connaissance d'aucun droit ou intérêt légitime du Défendeur sur le nom de domaine litigieux, étant donné que le Défendeur n'a présenté aucune défense.
Par ailleurs, le Requérant affirme qu'il n'existe aucune relation de quelque ordre que ce soit avec le Défendeur, lequel n'est ni un agent ni un salarié du CRÉDIT MUTUEL. Aucune autorisation ou licence d'exploitation aux fins d'enregistrer ou d'utiliser le nom de domaine litigieux n'aurait été accordée au Défendeur par le Requérant.
Enfin, étant donné que les coordonnées nominatives et postales contenues dans le WhoIs du nom de domaine litigieux ont vraisemblablement été usurpées, comme en témoigne la plainte pour usurpation d'identité déposée par la personne concernée, le Défendeur, dont le seul élément d'identité connu dans le WhoIs est une adresse de courrier électronique qui n'a aucun sens perceptible pour les tiers, ne peut raisonnablement pas se prévaloir d'un intérêt légitime.
La Commission administrative tient la deuxième condition posée par le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs comme remplie.
Concernant l'enregistrement du nom de domaine litigieux, le choix de ce nom de domaine ne peut être le fruit du hasard, étant donné que le Requérant fournit des éléments permettant de démontrer que la marque CRÉDIT MUTUEL est connue en France afin de désigner le Requérant et notamment sur internet. Le Défendeur a donc volontairement fait référence à la marque du Requérant en enregistrant le nom de domaine <credit-mutuels.com> qui ne diffère de la marque du Requérant que par les adjonctions mineures de la lettre"s" et d'un tiret. Le Défendeur ne saurait dès lors arguer de sa bonne foi lorsqu'il a enregistré le nom de domaine litigieux.
Par ailleurs, il peut être déduit des circonstances d'espèce que le nom de domaine est utilisé de mauvaise foi. En effet, le site en relation avec le nom de domaine litigieux est inactif. Or, comme l'ont reconnu, à plusieurs reprises, différentes Commissions administratives, une utilisation de mauvaise foi d'un nom de domaine peut être démontrée, même en l'absence d'une exploitation du site internet, auquel le nom de domaine litigieux renvoie, ou d'une quelconque action positive de la part du Défendeur. Ainsi, l'inactivité d'un nom de domaine peut, dans certaines circonstances, constituer un usage passif de mauvaise foi (v. par exemple Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003).
En l'espèce, la Commission administrative a relevé plusieurs éléments permettant d'établir un usage passif de mauvaise foi du nom de domaine, bien que le site auquel celui-ci renvoie soit inactif (i), la marque renommée du Requérant est reproduite, dans son intégralité, au sein du nom de domaine litigieux (ii), il a été démontré que le Défendeur a utilisé des coordonnées nominatives et postales usurpées pour l'enregistrement du nom de domaine litigieux (iii); le Défendeur est coutumier de cette pratique puisque plusieurs autres noms de domaine ont été enregistrés avec la même adresse de courrier électronique mais sous des identités différentes (iv), le Défendeur a notamment réservé le nom de domaine
<interpol-gouv.net> correspondant à un organisme international officiel sous le même adresse de courrier électronique (v), l'adresse de courriel électronique utilisée dans le WhoIs a été répertoriée sur un forum public comme étant liée à des activités frauduleuses de type "spam" (vi) ; enfin, le Défendeur s'est abstenu, malgré la possibilité qui lui était offerte, de justifier d'une utilisation de bonne foi, réelle ou envisagée par lui, du nom de domaine litigieux.
Pour ces raisons, la Commission administrative considère que la troisième condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs est remplie
Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d'application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <credit-mutuels.com> soit transféré au Requérant.
Christophe Caron
Expert Unique
Le 1er juin 2017
1 La Commission administrative considère que les éléments qui ont été portés à sa connaissance dans le cadre de la plainte du Requérant sont suffisants pour présumer d'une usurpation d'identité s'agissant des coordonnées nominatives et postales du Défendeur. Ces éléments justifient d'anonymiser les coordonnées nominatives et postales du Défendeur, personne physique, de la présente décision, comme le Requérant l'a d'ailleurs lui-même demandé. La Commission administrative a cependant joint à la présente décision une Annexe 1 contenant le nom et les coordonnées du Défendeur, telles qu'elles figurent dans le WhoIs du nom de domaine litigieux, afin que l'Unité d'enregistrement dispose de l'intégralité des éléments nécessaires au transfert du nom de domaine. Le Centre est expressément autorisé à transmettre cette Annexe 1, faisant partie intégrante de la décision, à l'Unité d'enregistrement. Toutefois, la Commission administrative ordonne, au Centre, conformément au paragraphe 4(j) des Principes Directeurs et au paragraphe 16(b) des Règles d'application, que l'Annexe 1 de la présente Décision ne soit pas publiée en raison des présentes circonstances exceptionnelles. (V. par exemple Banco Bradesco S.A. c. FAST-12785241 Attn. Bradescourgente.net / Nom anonymisé, Litige OMPI No. D2009-1788.)