Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Venilia AG et Venilia France contre Dimitri Coquet

Litige No. D2017-1286

1. Les parties

Les Requérants sont Venilia AG de Hünenberg, Suisse, et Venilia France de Vénissieux, France, représentés par Granrut société d’avocats, France.

Le Défendeur est Dimitri Coquet d’Isques, France, représenté par Maître Pascal Reynaud, Avocat, France.

2. Noms de domaine et unité d’enregistrement

Les noms de domaine litigieux <bulgomme-aumetre.net>, <bulgomme.biz>, <bulgomme.boutique>, <bulgomme.site> sont enregistrés auprès de 1&1 Internet AG (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte en anglais a été déposée par Venilia AG et Venilia France auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 4 juillet 2017. En date du 4 juillet 2017, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 10 juillet 2017, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige. Le 14 juillet 2017, le Centre a notifié aux Parties en anglais et en français que la langue du contrat d’enregistrement est le français. Le 17 juillet 2017, le Requérant a déposé une plainte traduite en français. Le même jour, le Centre a reçu un courrier électronique de la part du Défendeur indiquant être d’accord pour que la procédure soit en français.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 18 juillet 2017, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 7 août 2017. Le Défendeur a fait parvenir sa réponse le 19 juillet 2017.

En date du 1er septembre 2017, le Centre nommait Louis-Bernard Buchman comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant est la société suisse Venilia AG titulaire de droits de marque, ainsi que sa société affiliée française Venilia France, licenciée de droits de marque.

Venilia AG est titulaire de la marque de l’Union européenne BULGOMME, déposée le 21 juin 1999 et enregistrée sous le numéro 001215318 le 12 septembre 2000 sur base notamment de la marque française 1595115 enregistrée le 12 avril 1954, et Venilia France est inscrite par l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (“EUIPO”) depuis le 12 mai 2015 comme licenciée de droits sur cette marque (ci-après désignée: “la Marque”).

Le Défendeur est un commerçant de nationalité française, exerçant en nom personnel.

Les quatre noms de domaine litigieux ont été enregistrés par le Défendeur aux dates suivantes : <bulgomme-aumetre.net> le 11 novembre 2011, <bulgomme.biz> le 26 octobre 2013, <bulgomme.boutique> le 23 mars 2015 et <bulgomme.site> le 15 juillet 2015. Le nom de domaine <bulgomme.site> ne renvoie pas les internautes vers un site actif alors que les trois autres noms de domaine renvoient vers des sites marchands qui offrent des produits présentés comme des produits Bulgomme.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

(i) Le Requérant dispose d’un droit sur la Marque.

(ii) Les noms de domaine litigieux portent atteinte aux droits dont est titulaire le Requérant, en ce qu’ils imitent la Marque, et sont susceptibles de créer un risque de confusion dans l’esprit des internautes en leur laissant croire que le Requérant est lié directement ou indirectement aux noms de domaine litigieux, ce qui n’est pas le cas.

(iii) Les nom de domaine litigieux sont constitués de la partie distinctive de la Marque.

(iv) Le Défendeur n’a jamais été autorisé par le Requérant à procéder à l’enregistrement de noms de domaine litigieux. Le Défendeur ne peut justifier d’aucun droit ou intérêt légitime sur les noms de domaine litigieux.

(v) Le Défendeur a enregistré les noms de domaine litigieux et les utilise de mauvaise foi.

(vi) Le Requérant demande que les noms de domaine litigieux lui soient transférés.

B. Défendeur

(i) Le Défendeur a enregistré les noms de domaine litigieux en considérant que la dénomination BULGOMME est devenue du fait de l’inaction du propriétaire de la Marque une désignation usuelle d’un produit, en l’espèce une sous-nappe ou protège-table, et que le propriétaire encourt la déchéance de ses droits au sens de l’article L 714-6 du Code de la Propriété Intellectuelle français.

(ii) Le Défendeur a un intérêt légitime sur les noms de domaine litigieux car il a débuté son activité commerciale dans le domaine textile dès 2007 et il exploite trois sites pour vendre des produits présentés sous la dénomination BULGOMME.

(iii) Il n’a pas enregistré les noms de domaine litigieux de mauvaise foi, n’ayant été informé de l’existence de la Marque qu’en avril 2015, et ne les utilise pas de mauvaise foi, puisqu’il s’agit d’un terme générique.

(iv) La demande du Requérant doit être rejetée.

6. Discussion et conclusions

6.1 Aspects procéduraux

La Commission administrative est tenue d’appliquer le paragraphe 15(a) des Règles d’application qui prévoit que: “La commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux principes directeurs, aux présentes règles et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicable”.

Le paragraphe 10(a) des Règles d’application donne à la Commission administrative un large pouvoir de conduire la procédure administrative de la manière qu’elle juge appropriée, conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application, et elle doit aussi veiller à ce que la procédure soit conduite avec célérité (paragraphe 10(c) des Règles d’application).

6.2 En ce qui concerne les conditions du paragraphe 4(a) des Principes directeurs

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Dans le cadre de l’analyse de la première condition du paragraphe 4(a), la Commission administrative doit d’abord constater si le droit du Requérant sur la Marque existe objectivement ou non.

Au vu des pièces versées au dossier, la Commission administrative considère que le Requérant justifie de droits exclusifs sur la dénomination BULGOMME à titre de marque enregistrée.

Demeure alors la question de la comparaison entre cette marque d’une part et les noms de domaine litigieux d’autre part: les noms de domaine litigieux reproduisent totalement l’élément distinctif “BULGOMME”.

En ce qui concerne l’identité ou la similitude de l’élément distinctif “BULGOMME” par rapport aux noms de domaine litigieux, la seule différence consiste en la présence dans l’un des quatre noms de domaine litigieux du suffixe “-aumetre”. Cette différence ne saurait aux yeux de la Commission administrative conférer un autre sens au nom de domaine litigieux <bulgomme-aumetre.net> ni permettre de le distinguer de la Marque du Requérant.

Il est établi par ailleurs que les extensions de nom de domaine (telles que “.biz”, “.boutique”, “.net”, “.site”), nécessaires pour leur enregistrement, sont sans incidence sur l’appréciation du risque de confusion, les extensions pouvant donc ne pas être prises en considération pour examiner la similarité entre la Marque du Requérant et les noms de domaine litigieux, conformément à nombre de décisions déjà rendues (Voir Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI n° D2000-0003; Accor c. Accors, Litige OMPI n° D2004-0998).

La Commission administrative estime que le public en général et les internautes en particulier pourraient penser que les noms de domaine litigieux renvoient aux produits du Requérant, ces noms de domaine litigieux étant similaires à la Marque sur laquelle le Requérant a des droits, au point de prêter à confusion (Voir Citibank Privatkunden AG & Co. KGaA c. PrivacyProtect.org / N/A, indishi india mr.ugala, Litige OMPI n° D2010-1147; Credit Industriel et Commercial S.A., BanqueFédérative du Crédit Mutuel c. Headwaters MB, Litige OMPI n° D2008-1892; Banque Saudi Fransi c. ABCIB, Litige OMPI n° D2003-0656; Islamic Bank of Britain Plc c. Ifena Consulting, Charles Shrimpton, Litige OMPI n° D2010-0509; BPCE c. PrivacyProtect.org / Maksym Pastukhov, Litige OMPI n° D2010-1666).

Dans ces conditions, la Commission administrative constate que l’exigence du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est satisfaite.

B. Droits ou intérêts légitimes

Le Défendeur n’est pas connu sous les noms de domaine litigieux, mais éventuellement sous son nom commercial Koaloo, ou sous le signe semi-figuratif DecoLinge apparaissant sur les sites auxquels renvoient trois des noms de domaine litigieux. En conséquence, la légitimité des intérêts du Défendeur sur les noms de domaine litigieux n’est pas établie au regard du paragraphe 4(c)(ii) des Principes directeurs (Voir Owens Corning Fiberglas Technology, Inc. c. Hammerstone, Litige OMPI n° D2003-0903).

Le Défendeur n’est pas lié au Requérant et n’a pas été autorisé par ce dernier à utiliser la Marque ou à procéder à l’enregistrement de noms de domaine incluant la Marque.

Le nom de domaine litigieux <bulgomme.site> ne renvoie pas les internautes vers un site Internet actif, alors que les trois autres noms de domaine litigieux renvoient les internautes vers des sites marchands, qui offrent des produits présentés comme des produits BULGOMME. Concernant le nom de domaine <bulgomme.site>, la Commission administrative note que bien que le Défendeur allègue avoir été informé de l’existence de la Marque en avril 2015, il a néanmoins postérieurement et en dépit de cette connaissance enregistré le nom de domaine litigieux <bulgomme.site>. De ce fait, l’usage passif que fait le Défendeur du nom de domaine litigieux <bulgomme.site> ne semble pas légitime. Les sites marchands du Défendeur ne présentent pas d’avertissement permettant d’établir l'absence de relation entre le requérant et le Défendeur, et les produits offerts en ligne ne sont pas ou pas exclusivement ceux du Requérant. Cette utilisation des noms de domaine n’est donc pas une utilisation dans le cadre d’une offre de biens ou de services de bonne foi.

Par ailleurs, l’affirmation du Défendeur selon lequel ses droits sur les noms de domaine litigieux seraient légitimes en raison du fait que la dénomination BULGOMME serait devenue usuelle parce que le Requérant aurait passivement laissé la Marque devenir une désignation usuelle du produit (sous-nappe ou protège-table), n’est étayée par aucune décision judiciaire de déchéance. La Commission administrative n’est pas compétente pour se prononcer sur cette question. Il appartient à l’EUIPO par voie directe ou aux Tribunaux des marques de l’UE d’évaluer le bien-fondé de cet argumentaire.

Enfin, la Commission administrative note que le Défendeur ne fait pas actuellement un usage non-commercial légitime des trois autres noms de domaine litigieux, mais un usage à des fins lucratives.

La Commission administrative est d’avis, dans ces conditions, que le Défendeur n’a pas de droits ou d’intérêts légitimes qui s’attachent aux noms de domaine litigieux.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

La mauvaise foi doit être prouvée dans l’enregistrement comme dans l’usage.

En ce qui concerne l’enregistrement de mauvaise foi des quatre noms de domaine litigieux, la bonne foi du Défendeur lors de leur enregistrement ne ressort d’aucun document soumis au dossier, et sa mauvaise foi est établie en ce qui concerne l’enregistrement du nom de domaine litigieux <bulgomme.site>.

En effet, le Requérant et le Défendeur ont respectivement soumis au dossier les mises en demeure envoyées au Défendeur le 2 avril 2015 et le 3 septembre 2015 de cesser de porter atteinte aux droits du Requérant sur la Marque.

Dès lors, il est prouvé que le Défendeur a eu connaissance des droits du Requérant sur la Marque et qu’il a maintenu en vigueur les noms de domaine litigieux en contravention avec le paragraphe 2 des Principes directeurs, qui dispose que: “En demandant l’enregistrement d’un nom de domaine ou le maintien en vigueur ou le renouvellement d’un enregistrement de nom de domaine, vous affirmez et nous garantissez que … b) à votre connaissance, l’enregistrement du nom de domaine ne portera en aucune manière atteinte aux droits d’une quelconque tierce partie …”.

En ce qui concerne l’enregistrement de mauvaise foi des trois autres noms de domaine litigieux <bulgomme-aumetre.net>, <bulgomme.biz> et <bulgomme.boutique> par le Défendeur, le Requérant et le Défendeur interviennent tous deux dans le secteur des revêtements de tables.

Dans ce secteur, le Défendeur avait manifestement connaissance, au moment où il a réservé les noms de domaine litigieux, de la notoriété de la Marque, mais fort de sa seule intime conviction, il a estimé le Requérant déchu de ses droits, sans aucune justification.

Par ailleurs, l’usage de mauvaise foi des trois noms de domaine litigieux <bulgomme-aumetre.net>, <bulgomme.biz> et <bulgomme.boutique> par le Défendeur peut aussi résulter du fait que leur usage de bonne foi ne soit d’aucune façon plausible (voir Audi AG c. Hans Wolf, Litige OMPI No. D2001-0148), compte tenu de la spécificité de l’activité du Requérant.

La Commission administrative note à cet égard que le Défendeur et le Requérant sont concurrents en ce qui concerne la vente du même type de produit.

Concernant l’usage du nom de domaine litigieux <bulgomme.site>, celui-ci ne fait pas l’objet d’une exploitation.

Toutefois, la simple immobilisation d’un nom de domaine, sans raison d’être, peut être constitutive d’un usage de mauvaise foi.

Des décisions administratives UDRP ont déjà et à plusieurs reprises pu retenir que la détention d’un nom de domaine sans qu’un site Internet actif y corresponde pouvait, dans certains cas, être considérée comme une utilisation de mauvaise foi du nom de domaine (voir Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI n° D2000-0003; Christian Dior Couture SA c. Liage International Inc., Litige OMPI n° D2000-0098; ACCOR c. S1A, Litige OMPI n° D2004-0053et Westdev Limited c. Private Data, Litige OMPI n° D2007-1903).

Enfin, certaines commissions administratives ont même estimé que dans certaines circonstances, les personnes qui réservent des noms de domaine ont l’obligation de s’abstenir d’enregistrer et d’utiliser un nom de domaine qui soit identique ou similaire à une marque détenue par d’autres, et qu’enfreindre cette obligation peut être constitutif de mauvaise foi.

La Commission administrative conclut qu’en détenant et utilisant les noms de domaine litigieux aux fins de détourner la clientèle du Requérant de ses offres légales, le Défendeur a procédé à une utilisation de mauvaise foi des noms de domaine litigieux.

Il en résulte que les trois éléments prévus au paragraphe 4(a) des Principes directeurs sont cumulativement réunis.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que les noms de domaine litigieux <bulgomme-aumetre.net>, <bulgomme.biz>, <bulgomme.boutique>, <bulgomme.site> soient transférés au Requérant.

Louis-Bernard Buchman
Expert Unique
Le 15 septembre 2017