Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Industeel France contre Moustapha Kissi

Litige No. D2017-1965

1. Les parties

Le Requérant est Industeel France, de Saint Denis, France, représenté par Nameshield, France.

Le Défendeur est Moustapha Kissi, de Pantin, France.

2. Nom de domaine et unité d'enregistrement

Le nom de domaine litigieux <industeelfrance.com> est enregistré auprès de Register.IT SPA (ci-après désigné "l'Unité d'enregistrement").

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Industeel France auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le "Centre") en date du 10 octobre 2017. En date du 10 octobre 2017, le Centre a adressé une requête à l'Unité d'enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 12 octobre 2017, l'Unité d'enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l'ensemble des données du litige.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés "Principes directeurs"), aux Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les "Règles d'application"), et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les "Règles supplémentaires") pour l'application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d'application, le 16 octobre 2017, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 5 novembre 2017. Le Défendeur n'a fait parvenir aucune réponse. En date du 9 novembre 2017, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 16 novembre 2017, le Centre nommait Louis-Bernard Buchman comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu'elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d'application.

4. Les faits

Le Requérant est la filiale française du groupe Arcelormittal, l'un des premiers groupes sidérurgiques mondiaux. Le Requérant est le premier fournisseur européen de tôles d'acier allié ou inoxydable, et emploie 2,300 salariés répartis sur six sites.

Le Requérant est notamment titulaire de la marque internationale INDUSTEEL n° 745241 enregistrée le 5 octobre 2000 sur base de la marque française INDUSTEEL n° 003022821 déposée auprès de l'Institut National de la Propriété Industrielle et enregistrée le 19 avril 2000, et de la marque européenne INDUSTEEL n° 001920438 enregistrée le 18 janvier 2002 (ci-après ensemble désignées: "les Marques").

Le Requérant exploite également les noms de domaine <industeel.info>, <industeel.net> et <industeel.eu>.

Le nom de domaine litigieux <industeelfrance.com> a été enregistré par le Défendeur le 4 octobre 2017, et pointait vers la page parking du fournisseur d'hébergement. Le Défendeur a créé au moins une adresse courriel attachée à ce nom de domaine et l'a utilisée pour envoyer un ou plusieurs courriels.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

(i) Le Requérant dispose d'un droit sur les Marques.

(ii) Le nom de domaine litigieux contient les Marques.

(iii) Le nom de domaine litigieux porte atteinte aux droits dont est titulaire le Requérant, en ce qu'il imite les Marques, et est susceptible de créer un risque de confusion dans l'esprit des internautes en leur laissant croire que le Requérant est lié au site Internet auquel renvoie le nom de domaine litigieux.

(iv) Le Défendeur n'a jamais été autorisé par le Requérant à utiliser les Marques à quelque titre que ce soit. Le Défendeur ne peut justifier d'aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux, le site auquel il renvoie étant un site créé à des fins d'hameçonnage, par usurpation d'identité.

(v) Le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux et l'utilise de mauvaise foi.

(vi) Le Requérant demande que le nom de domaine litigieux lui soit transféré.

B. Défendeur

Le Défendeur n'a pas répondu aux arguments du Requérant.

6. Discussion et conclusions

6.1. Aspects procéduraux

Il est rappelé que la Commission administrative est tenue d'appliquer le paragraphe 15(a) des Règles d'application qui prévoit que: "La commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux principes directeurs, aux présentes règles et à tout principe ou règle de droit qu'elle juge applicable".

Le paragraphe 10(a) des Règles d'application donne à la Commission administrative un large pouvoir de conduire la procédure administrative de la manière qu'elle juge appropriée, conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application, et elle doit aussi veiller à ce que la procédure soit conduite avec célérité (paragraphe 10(c) des Règles d'application).

En conséquence, l'Expert s'est attaché à vérifier, au vu des seuls arguments et pièces disponibles, si l'enregistrement et l'utilisation du nom de domaine litigieux portaient atteinte aux droits du Requérant et si le Défendeur pouvait justifier de droits sur ce nom de domaine.

6.2. Vérification que les conditions cumulatives du paragraphe 4(a) des Principes directeurs sont réunies en l'espèce

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Dans le cadre de l'analyse de la première condition du paragraphe 4(a), la Commission administrative doit se contenter de constater si le droit de marque du Requérant existe ou non.

Au vu des pièces versées au dossier, la Commission administrative constate que le Requérant justifie de droits exclusifs sur la dénomination INDUSTEEL, au titre de marques enregistrées.

Demeure alors la question de la comparaison entre cette dénomination d'une part et le nom de domaine litigieux d'autre part. Or le nom de domaine litigieux <industeelfrance.com> reproduit cette dénomination.

En ce qui concerne l'identité ou la similitude de la Marque par rapport au nom de domaine litigieux, la seule différence consiste à faire suivre dans le nom de domaine litigieux la dénomination "industeel" du mot "france". Cette différence ne saurait aux yeux de la Commission administrative conférer un autre sens au nom de domaine litigieux ni permettre de le distinguer des Marques du Requérant, d'autant que le nom de domaine litigieux reproduit de manière quasi-identique la dénomination sociale du Requérant.

Il est établi par ailleurs que les extensions de nom de domaine de premier niveau (telles que ".com"), nécessaires pour leur enregistrement, sont généralement sans incidence sur l'appréciation du risque de confusion, les extensions pouvant donc ne pas être prises en considération pour examiner la similarité entre la Marque du Requérant et le nom de domaine litigieux, conformément à nombre de décisions déjà rendues (Voir Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003; Accor c. Accors, Litige OMPI No. D2004-0998).

La Commission administrative estime que le public en général et les internautes en particulier pourraient penser que le nom de domaine litigieux renvoie au Requérant, ce nom de domaine litigieux étant similaire aux Marques sur lesquelles le Requérant a des droits, au point de prêter à confusion (voir Citibank Privatkunden AG & Co. KGaA c. PrivacyProtect.org / N/A, indishi india mr.ugala, Litige OMPI No. D2010-1147; Credit Industriel et Commercial S.A., BanqueFédérative du Crédit Mutuel c. Headwaters MB, Litige OMPI No. D2008-1892; Banque Saudi Fransi c. ABCIB, Litige OMPI No. D2003-0656; Islamic Bank of Britain Plc c. Ifena Consulting, Charles Shrimpton, Litige OMPI No. D2010-0509; BPCE c. PrivacyProtect.org / Maksym Pastukhov, Litige OMPI No. D2010-1666).

Dans ces conditions, la Commission administrative constate que l'exigence du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est satisfaite.

B. Droits ou intérêts légitimes

Il est admis que, s'agissant de la preuve d'un fait négatif, une commission administrative ne saurait se montrer trop exigeante vis-à-vis d'un requérant. Lorsqu'un requérant a allégué le fait que le défendeur n'a aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine, il incombe au défendeur d'établir le contraire, puisque lui seul détient les informations nécessaires pour ce faire. S'il n'y parvient pas, les affirmations du requérant sont réputées exactes (Eli Lilly and Company c. Xigris Internet Services, Litige OMPI No. D2001-1086; Do The Hustle, LLC c. Tropic Web, Litige OMPI No. D2000-0624).

Aucun élément du dossier ne révèle qu'avant la naissance du litige, le Défendeur ait utilisé le nom de domaine litigieux, ou un nom correspondant au nom de domaine litigieux, en relation avec une offre de bonne foi de produits ou services ou qu'il ait fait des préparatifs sérieux à cet effet.

Le Défendeur n'est en aucune manière affilié au Requérant et n'a pas été autorisé par ce dernier à utiliser la Marque ou à procéder à l'enregistrement d'un nom de domaine incluant la Marque.

Par ailleurs, le mutisme conservé par le Défendeur, qui a choisi de ne pas répondre à la plainte dans la présente procédure, ne permet pas de penser qu'il ferait une utilisation légitime et non commerciale ou loyale du nom de domaine litigieux.

Dans ces conditions, la Commission administrative est d'avis que le Défendeur n'ayant pas de droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s'y attache, l'exigence du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est satisfaite.

C. Enregistrement et utilisation de mauvaise foi

La mauvaise foi doit être prouvée dans l'enregistrement comme dans l'utilisation.

En ce qui concerne l'enregistrement de mauvaise foi, la bonne foi du Défendeur lors de l'enregistrement ne ressort d'aucun document soumis au dossier.

La Commission administrative estime que le choix comme nom de domaine de marques enregistrées en leur accolant le mot "france" (ce qui ne saurait conférer un sens différent à la dénomination "industeel", ni permettre de la distinguer des Marques), ne peut être le fruit d'une simple coïncidence.

De surcroît, le Défendeur a effectué cette réservation dans le but d'hameçonner les internautes en créant des adresses de messagerie similaires à celles utilisées par des employés du Requérant.

De fait, le nom de domaine litigieux a permis d'usurper l'identité du Requérant auprès de ses clients, en leur laissant croire que le Requérant a modifié ses coordonnées bancaires, afin de détourner le paiement de factures du Requérant vers un compte bancaire n'appartenant pas au Requérant.

Dans ces circonstances, la Commission administrative estime plus qu'improbable qu'au moment où il a enregistré le nom de domaine litigieux, le Défendeur ait pu ne pas avoir connaissance des Marques.

La simple immobilisation d'un nom de domaine, sans raison, peut aussi être constitutive d'une utilisation de mauvaise foi.

Des décisions administratives UDRP ont déjà et à plusieurs reprises pu retenir que la détention d'un nom de domaine sans qu'un site Internet actif y corresponde pouvait, dans certains cas, être considérée comme une utilisation de mauvaise foi du nom de domaine (voir Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003; Christian Dior Couture SA c. Liage International Inc., Litige OMPI No. D2000-0098; ACCOR c. S1A, Litige OMPI No. D2004-0053; et Westdev Limited c. Private Data, Litige OMPI No. D2007-1903).

En outre, compte tenu de la spécificité de l'activité du Requérant, l'usage de mauvaise foi du nom de domaine litigieux par le Défendeur peut résulter du fait que son usage de bonne foi ne soit d'aucune façon plausible (Voir Audi AG c. Hans Wolf, Litige OMPI No. D2001-0148).

Enfin, certaines commissions administratives ont même estimé que dans certaines circonstances, les personnes qui réservent des noms de domaine ont l'obligation de s'abstenir d'enregistrer et d'utiliser un nom de domaine qui soit identique ou similaire à une marque détenue par d'autres, et qu'enfreindre cette obligation peut être constitutif de mauvaise foi.

La Commission administrative conclut qu'en détenant et utilisant frauduleusement le nom de domaine litigieux à des fins d'hameçonnage et en ne se manifestant pas dans la présente procédure administrative, le Défendeur a procédé à une utilisation de mauvaise foi du nom de domaine litigieux.

Il en résulte que les trois éléments prévus au paragraphe 4(a)(i) à (iii) des Principes directeurs sont cumulativement réunis.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d'application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <industeelfrance.com> soit transféré au Requérant.

Louis-Bernard Buchman
Expert Unique
Le 20 novembre 2017