Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Association des Centres Distributeurs E. Leclerc - ACD Lec contre Guziewicz Ryszard

Litige No. D2018-0482

1. Les parties

Le Requérant est Association des Centres Distributeurs E. Leclerc - ACD Lec, d’lvry-sur-Seine, France, représenté par Inlex IP Expertise, France.

Le Défendeur est Guziewicz Ryszard, de Varsovie, Pologne.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le nom de domaine litigieux <e-leclerc-carte-cadeau.com> est enregistré auprès d’OVH (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Association des Centres Distributeurs E. Leclerc - ACD Lec auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 2 mars 2018. En date du 2 mars 2018, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 16 mars 2018, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige et informant que la langue du contrat d’enregistrement est le polonais.

Le 16 mars 2018, le Centre a notifié aux parties que la langue du contrat d’enregistrement est le polonais. Le même jour, le Requérant a demandé à ce que le français soit la langue de la procédure. Le Défendeur n’a pas émis de commentaires concernant cette demande.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 22 mars 2018, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur.

Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 11 avril 2018. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 17 avril 2018, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 24 avril 2018, le Centre nommait Louis-Bernard Buchman comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant, qui est une association de droit français régie par la loi du 1er juillet 1901, est titulaire de nombreuses marques enregistrées tant auprès de l’Institut National de la Propriété Industrielle (“INPI”) depuis 1985, s’agissant de marques déposées en France, et notamment de la marque semi-figurative E.LECLERC L enregistrée le 3 décembre 2012 sous le No. 3965535, qu’auprès de l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle s’agissant de marques de l’Union européenne, et notamment de la marque E LECLERC enregistrée le 31 janvier 2005 sous le No. 002700664, suite à un dépôt du 17 mai 2002.

Le Requérant, par sa chaîne de supermarchés et hypermarchés, est leader de la grande distribution en France, avec un chiffre d’affaires en 2017 de 44,83 milliards d’euros réalisé par plus de 680 supermarchés et hypermarchés en France sous l’enseigne “E Leclerc”, employant 127.000 salariés. Il compte également près de 100 magasins “E Leclerc” hors de France, en Espagne, Pologne, Andorre, Slovénie et Portugal.

Le Requérant a réservé de nombreux noms de domaines incluant sa marque E LECLERC, et notamment <e-leclerc.com> dans le site duquel existe une page spécifique “www.e-leclerc.com/catalogue/services/cartes-cadeau” où le Requérant propose aux clients de ses magasins une offre de cartes cadeau.

Le Défendeur a procédé à l’enregistrement du nom de domaine litigieux le 12 décembre 2017. Le nom de domaine litigieux est inactif.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

(i) Le Requérant énonce tout d’abord que le nom de domaine litigieux porte atteinte à ses droits sur ses marques, en ce qu’il contient le signe distinctif E LECLERC qu’il reproduit. Il précise aussi que ses marques ont acquis une indiscutable notoriété. Il estime que le nom de domaine litigieux associe des termes génériques ou descriptifs à une marque notoire de telle sorte qu’une confusion sera créée dans l’esprit du public qui pensera pouvoir rattacher le nom de domaine litigieux au Requérant.

(ii) Le Requérant fait valoir que le Défendeur ne porte pas le nom “Leclerc”, n’a reçu aucune autorisation pour exploiter le nom de domaine litigieux et que celui-ci renvoyait initialement à une page affichant le message “Carte cadeau Hypermarchés” ne disposant d’aucun autre contenu, ce qui témoigne d’absence d’intérêt légitime du Défendeur.

(iii) Le Requérant trouve la preuve de la mauvaise foi du Défendeur au stade de l’enregistrement dans le fait que l’enregistrement du nom de domaine litigieux aurait été fait en présence de marques notoires et dont la connaissance par le Défendeur était d’autant plus certaine que le nom de domaine litigieux renvoyait initialement à une page affichant le message “Carte cadeau Hypermarchés”, ce qui ne peut être une coïncidence. Quant à l’usage de mauvaise foi, il se manifeste dans le fait que le nom de domaine litigieux est détenu passivement, le Requérant soulignant que l’absence d’exploitation peut être considérée par le consommateur comme un signe de désaffection qui sera imputé au Requérant et nuira gravement à son image.

(iv) Le Requérant demande que le nom de domaine litigieux lui soit transféré.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.

6. Discussion et conclusions

6.1. Aspects procéduraux

6.1.1. Langue de la Procédure

En ce qui concerne la langue de la procédure, l’Unité d’enregistrement a indiqué que la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux est le polonais. Dans la mesure où la plainte du Requérant est rédigée en français, le Centre a invité le 16 mars 2018 le Requérant à soumettre une requête contenant des arguments pour que la langue de la procédure soit le français, et le Défendeur à contester la langue dans laquelle la plainte a été déposée. Le même jour, le Requérant a requis que le français soit la langue de la procédure, en arguant du fait que l’Unité d’enregistrement est une société française, qu’à la date du dépôt de la plainte du Requérant, l’adresse du Défendeur figurant sur la base de données de l’Unité d’enregistrement était située en France, que le nom de domaine litigieux contient les mots français “carte cadeau”, qu’initialement, le nom de domaine litigieux pointait vers une page affichant le message en français “Carte cadeau Hypermarchés” et enfin que le Requérant est incapable de communiquer en polonais et que traduire dans cette langue la plainte et ses annexes entraînerait des frais considérables et des délais procéduraux.

Considérant que le Défendeur n’a pas objecté à cette requête, la Commission administrative, faisant application du pouvoir discrétionnaire qu’elle tient du paragraphe 11(a) des Règles d’application, décide que le français sera la langue de la procédure.

6.1.2. Défaut de réponse du Défendeur

La Commission administrative est tenue d’appliquer le paragraphe 15(a) des Règles d’application qui prévoit que: “La commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux principes directeurs, aux présentes règles et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicable”.

Le paragraphe 10(a) des Règles d’application donne à la Commission administrative un large pouvoir de conduire la procédure administrative de la manière qu’elle juge appropriée, conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application, et elle doit aussi veiller à ce que la procédure soit conduite avec célérité (paragraphe 10(c) des Règles d’application).

En conséquence, l’Expert s’est attaché à vérifier, au vu des arguments et pièces disponibles, si l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux portaient atteinte aux droits du Requérant et si le Défendeur pouvait justifier de droits sur ce nom de domaine.

Selon le paragraphe 14(b) des Règles d’application, la Commission administrative a le pouvoir de tirer du défaut du Défendeur toutes conclusions qu’elle juge appropriées.

Au cas présent, la Commission administrative constate que le Défendeur n’a réfuté aucun des faits allégués par le Requérant.

En particulier, le Défendeur, par son défaut, n’a fourni à la Commission administrative aucun des éléments prévus par les paragraphes 4(b) et (c) des Principes directeurs qui lui aurait permis de conclure que le Défendeur jouit de droits ou justifie d’intérêts légitimes concernant le nom de domaine litigieux, ou qu’il a agi de bonne foi en enregistrant et utilisant le nom de domaine litigieux.

6.2. En ce qui concerne les conditions du paragraphe 4(a) des Principes directeurs

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Tout d’abord, conformément à nombre de décisions UDRP déjà rendues (Cf.,Telstra Corporation Limited v. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003; Accor v. Accors, Litige OMPI No. D2004-0998), il est établi que l’extension du nom de domaine, suffixe nécessaire pour l’enregistrement du nom de domaine, est sans incidence sur l’appréciation du risque de confusion, l’extension “.com” pouvant donc ne pas être prise en considération pour examiner la similarité entre les marques du Requérant et le nom de domaine litigieux.

En second lieu, le Requérant justifie avoir enregistré diverses marques E LECLERC. Les Principes directeurs se bornent à exiger qu’une marque existe. La seule question que doit donc se poser la Commission administrative est de savoir si le nom de domaine litigieux est bien semblable aux marques en cause au point de prêter à confusion avec celles-ci au sens du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.

La partie dominante et non générique du nom de domaine litigieux est le signe distinctif “leclerc”.

La marque E LECLERC qui jouit d’une réelle notoriété, en France notamment, mais également en Pologne où le Défendeur semble être établi et où le Requérant dispose de magasins sous enseigne E Leclerc, est totalement reproduite dans l’expression “e-leclerc-carte-cadeau”.

Reste la question de savoir si l’ajout des mots “carte-cadeau” à “e-leclerc” dans le nom de domaine litigieux est de nature à créer une distance suffisante avec les marques du Requérant pour que le nom de domaine litigieux ne prête pas à confusion avec lesdites marques.

Cette différence ne saurait aux yeux de la Commission administrative conférer un autre sens au nom de domaine litigieux ni permettre de le distinguer des marques du Requérant.

La Commission administrative estime que le public en général et les internautes en particulier pourraient penser que le nom de domaine litigieux, qui allie “carte-cadeau” et “e-leclerc”, est une offre spécifique du Requérant, renvoyant aux services du Requérant, ce nom de domaine litigieux étant similaire aux marques sur lesquelles le Requérant a des droits, au point de prêter à confusion (Cf., Association des Centres Distributeurs E. Leclerc - A.C.D Lec v. Olivier Brocheriou, Litige OMPI No. D2007-1506) etAssociation des Centres Distributeurs E. Leclerc - A.C.D Lec v. PrivacyProtect.org/Private Registration, Litige OMPI No. D2010-1529).

Dans ces conditions, la Commission administrative constate que l’exigence du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est satisfaite.

B. Droits ou intérêts légitimes

Aucun élément du dossier ne révèle que le Défendeur utilise le nom de domaine litigieux, ou un nom correspondant au nom de domaine litigieux, en relation avec une offre de bonne foi de produits ou services ou qu’il ait fait des préparatifs sérieux à cet effet.

Le Défendeur n’est en aucune manière affilié au Requérant et n’a pas été autorisé par ce dernier à utiliser ses marques ou à procéder à l’enregistrement d’un nom de domaine incluant l’élément distinctif “e-leclerc” desdites marques. Il n’est ni licencié, ni tiers autorisé à utiliser les marques, y compris à titre de nom de domaine.

L’enregistrement de plusieurs marques et de noms de domaine par le Requérant incluant l’élément distinctif “leclerc” est antérieur de plusieurs années à l’enregistrement du nom de domaine litigieux.

Le Défendeur étant une personne physique qui n’est pas connue sous le nom de domaine litigieux, la légitimité des intérêts du Défendeur sur le nom de domaine litigieux n’est pas établie (Cf., Owens Corning Fiberglas Technology, Inc. v. Hammerstone, Litige OMPI No. D2003-0903).

Enfin, la Commission administrative note que le Défendeur ne fait pas actuellement un usage non commercial légitime ou loyal du nom de domaine litigieux.

La Commission administrative est d’avis, dans ces conditions, que le Défendeur n’a pas de droits ou d’intérêts légitimes qui s’attachent au nom de domaine litigieux.

C. Enregistrement et utilisation de mauvaise foi

La mauvaise foi doit être prouvée dans l’enregistrement comme dans l’utilisation.

En ce qui concerne l’enregistrement de mauvaise foi, la Commission administrative estime qu’il est hors de doute que le choix comme nom de domaine d’un signe incorporant entièrement la marque notoire E LECLERC du Requérant ne peut être le fruit du hasard et qu’il est certain que le Défendeur, qu’il réside en France ou en Pologne, avait connaissance de cette marque.

En effet, le site Internet auquel renvoyait le nom de domaine réservé par le Requérant annonçait “Carte cadeau Hypermarchés”.

Par ailleurs, le nom de domaine litigieux ne semble pas faire l’objet d’une exploitation.

La simple immobilisation d’un nom de domaine, sans raison, peut être constitutive d’un usage de mauvaise foi.

Des décisions administratives UDRP ont déjà et à plusieurs reprises pu retenir que la détention d’un nom de domaine sans qu’un site actif y corresponde pouvait, dans certains cas, être considérée comme une utilisation de mauvaise foi du nom de domaine (voir Telstra Corporation Limited v. Nuclear Marshmallows,supra; Christian Dior Couture SA v. Liage International Inc., Litige OMPI No. D2000-0098; ACCOR v. S1A, Litige OMPI No. D2004-0053et Westdev Limited v. Private Data, Litige OMPI No. D2007-1903).

En outre, l’usage de mauvaise foi du nom de dom-aine litigieux par le Défendeur peut aussi résulter du fait que son usage de bonne foi ne soit d’aucune façon plausible (voir Audi AG v. Hans Wolf, Litige OMPI No. D2001-0148), compte tenu de la spécificité de l’activité du Requérant.

Certaines commissions administratives ont même estimé que dans certaines circonstances, les personnes qui réservent des noms de domaine ont l’obligation de s’abstenir d’enregistrer et d’utiliser un nom de domaine qui soit identique ou similaire à une marque détenue par d’autres, et qu’enfreindre cette obligation peut être constitutif de mauvaise foi.

Enfin, en ne répondant pas à la lettre de mise en demeure envoyée par le conseil du Requérant, et en ne se manifestant pas dans la présente procédure administrative, le Défendeur manifeste une utilisation de mauvaise foi du nom de domaine litigieux.

En conséquence, la Commission administrative conclut que le Défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <e-leclerc-carte-cadeau.com> soit transféré au Requérant.

Louis-Bernard Buchman
Expert Unique
Le 8 mai 2018