Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

État français, représenté par le ministre de l’Éducation nationale contre Monsieur Anthony Kuntz, Kreactive Technologies

Litige No. D2018-1003

1. Les parties

Le Requérant est l’État français, représenté par le ministre de l’Éducation nationale, représenté par l’Agence du patrimoine immatériel de l’État, de Paris, France.

Le Défendeur est Monsieur Anthony Kuntz, Kreactive Technologies, de Lyon, France, représenté par Dahan Avocats, France.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le nom de domaine litigieux <parcoursup.net> est enregistré auprès de Gandi SAS (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par l’État français, représenté par le ministre de l’Éducation nationale, auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 7 mai 2018. En date du 8 mai 2018, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 9 mai 2018, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 15 mai 2018, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 4 juin 2018. Suite à la demande du Défendeur, le Défendeur a disposé d’un délai de quatre jours supplémentaires et avait donc jusqu’au 8 juin 2018 pour répondre à la plainte déposée. Le Défendeur a fait parvenir sa réponse le 6 juin 2018.

En date du 20 juin 2018, le Centre nommait Louis B. Buchman comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant est l’État français, représenté par le ministre de l’Éducation nationale.

Le Requérant a déposé auprès de l’Institut National de la Propriété Industrielle le 8 novembre 2017 la marque PARCOURSUP, enregistrée sous le numéro 17 4 402 722 (ci-après désignée: “la Marque”).

Le Défendeur est une personne physique de nationalité française.

Le nom de domaine litigieux a été enregistré par le Défendeur le 21 novembre 2017.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

(i) Le Requérant dispose d’un droit sur la Marque. Par ailleurs, il a enregistré et utilise comme nom de domaine <parcoursup.fr>.

(ii) Le nom de domaine litigieux porte atteinte aux droits dont est titulaire le Requérant, en ce qu’il imite la Marque, et est susceptible de créer un risque de confusion dans l’esprit des internautes en leur laissant croire que le Requérant est lié directement ou indirectement au nom de domaine litigieux, ce qui n’est pas le cas.

(iii) Le nom de domaine litigieux est constitué de la partie distinctive de la Marque.

(iv) Le Défendeur n’a jamais été autorisé par le Requérant à procéder à l’enregistrement du nom de domaine litigieux. Le Défendeur ne peut justifier d’aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.

(v) Le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux et l’utilise de mauvaise foi.

(vi) Le Requérant demande que le nom de domaine litigieux lui soit transféré.

B. Défendeur

(i) Le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux dans le but d’aider les lycéens internautes concernés par leur entrée dans l’enseignement supérieur à s’orienter dans le nouveau système mis en place par le Requérant, à titre gratuit.

(ii) Le Défendeur a un intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux car il l’exploite de bonne foi sans créer de risque de confusion ni concurrencer le Requérant.

(iii) Il a offert de rencontrer le Requérant pour lui proposer un partenariat mais ce dernier a décidé de ne pas donner suite à cette offre.

(iv) La demande du Requérant doit être rejetée.

6. Discussion et conclusions

6.1 Aspects procéduraux

La Commission administrative est tenue d’appliquer le paragraphe 15(a) des Règles d’application qui prévoit que: “La commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux principes directeurs, aux présentes règles et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicable”.

Le paragraphe 10(a) des Règles d’application donne à la Commission administrative un large pouvoir de conduire la procédure administrative de la manière qu’elle juge appropriée, conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application, et elle doit aussi veiller à ce que la procédure soit conduite avec célérité (paragraphe 10(c) des Règles d’application).

6.2 En ce qui concerne les conditions du paragraphe 4(a) des Principes directeurs

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Dans le cadre de l’analyse de la première condition du paragraphe 4(a), la Commission administrative doit d’abord constater si le droit du Requérant sur la Marque existe objectivement ou non.

Au vu des pièces versées au dossier, la Commission administrative considère que le Requérant justifie de droits exclusifs sur la dénomination “PARCOURSUP” à titre de marque enregistrée.

Demeure alors la question de la comparaison entre cette dénomination d’une part et le nom de domaine litigieux d’autre part. Or, le nom de domaine litigieux reproduit totalement l’élément distinctif PARCOURSUP.

Il est établi par ailleurs que les extensions de nom de domaine telles que “.net”, suffixes nécessaires pour leur enregistrement, sont sans incidence sur l’appréciation du risque de confusion, les extensions pouvant donc ne pas être prises en considération pour examiner la similarité entre la Marque du Requérant et les noms de domaine litigieux, conformément à nombre de décisions déjà rendues (Voir Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003; Accor c. Accors, Litige OMPI No. D2004-0998).

La Commission administrative estime que le public en général et les internautes en particulier pourraient penser que le nom de domaine litigieux renvoie aux services du Requérant, ce nom de domaine litigieux étant similaire à la Marque sur laquelle le Requérant a des droits, au point de prêter à confusion (Voir Citibank Privatkunden AG & Co. KGaA c. PrivacyProtect.org / N/A, indishi india mr.ugala, Litige OMPI No. D2010-1147; Credit Industriel et Commercial S.A., BanqueFédérative du Crédit Mutuel c. Headwaters MB, Litige OMPI No. D2008-1892; Banque Saudi Fransi c. ABCIB, Litige OMPI No. D2003-0656; Islamic Bank of Britain Plc c. Ifena Consulting, Charles Shrimpton, Litige OMPI No. D2010-0509; BPCE c. PrivacyProtect.org / Maksym Pastukhov, Litige OMPI No. D2010-1666).

Dans ces conditions, la Commission administrative constate que l’exigence du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est satisfaite.

B. Droits ou intérêts légitimes

Le Défendeur étant une personne physique qui n’est pas connue sous le nom de domaine litigieux, la légitimité des intérêts du Défendeur sur le nom de domaine litigieux n’est pas établie (Voir Owens Corning Fiberglas Technology, Inc. c. Hammerstone, Litige OMPI No. D2003-0903).

Le Défendeur n’est pas lié au Requérant et n’a pas été autorisé par ce dernier à utiliser la Marque ou à procéder à l’enregistrement d’un nom de domaine incluant la Marque.

La Commission administrative note que bien que le Défendeur soutienne qu’il a proposé un partenariat au Requérant, une telle proposition non acceptée par le Requérant ne confère au Défendeur aucun droit ou intérêt légitimes sur le nom de domaine litigieux.

Enfin, la Commission administrative note que le Défendeur ne fait pas actuellement une utilisation non-commerciale légitime du nom de domaine litigieux, puisque le site auquel renvoie le nom de domaine litigieux comporte un lien vers le site commercial “digischool.fr” dont le Défendeur est actionnaire.

La Commission administrative est d’avis, dans ces conditions, que le Défendeur n’a pas de droits ou d’intérêts légitimes qui s’attachent au nom de domaine litigieux.

C. Enregistrement et utilisation de mauvaise foi

La mauvaise foi doit être prouvée dans l’enregistrement comme dans l’utilisation.

En ce qui concerne l’enregistrement de mauvaise foi du nom de domaine litigieux, la bonne foi du Défendeur lors de l’enregistrement ne ressort d’aucun document soumis au dossier. Le fait que la phrase suivante figure dans les mentions légales du site du Défendeur: “Important: Parcoursup.net n’est pas le site officiel de la plateforme mise en place par le Ministère de l’éducation nationale. Pour vous rendre sur le portail officiel, rendez-vous sur Parcoursup.fr” ne saurait par elle-même constituer une preuve de bonne foi, dès lors que sa visibilité pour l’internaute d’attention moyenne est douteuse.

Certes, il n’est pas établi, ni même allégué par le Requérant, que le Défendeur et le Requérant soient concurrents et que le Défendeur ait enregistré le nom de domaine litigieux “essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent”, au sens du paragraphe 4(b)(iii) des Principes directeurs.

Néanmoins, la Commission administrative estime qu’il est hors de doute que le choix comme nom de domaine d’un signe incorporant entièrement la dénomination PARCOURSUP ne peut être le fruit du hasard et qu’il est certain que le Défendeur, qui réside en France et qui argue être actif dans le domaine du soutien aux lycéens, avait connaissance de cette dénomination, annoncée nationalement sur tous les médias le jour même où le Défendeur a procédé à son enregistrement.

En ce qui concerne l’utilisation de mauvaise foi du nom de domaine litigieux, le Requérant soumet au dossier une mise en demeure, envoyée le 13 mars 2018 au Défendeur, de cesser de porter atteinte aux droits du Requérant sur la Marque.

Dès lors, il est prouvé que le Défendeur a eu connaissance des droits du Requérant sur la dénomination PARCOURSUP et qu’il a maintenu en vigueur le nom de domaine litigieux en contravention avec le paragraphe 2 des Principes directeurs, qui dispose que: “En demandant l’enregistrement d’un nom de domaine ou le maintien en vigueur ou le renouvellement d’un enregistrement de nom de domaine, vous affirmez et nous garantissez que … b) à votre connaissance, l’enregistrement du nom de domaine ne portera en aucune manière atteinte aux droits d’une quelconque tierce partie …”.

Certaines commissions administratives ont ainsi estimé que dans certaines circonstances, les personnes qui réservent des noms de domaine ont l’obligation de s’abstenir d’enregistrer et d’utiliser un nom de domaine qui soit identique ou similaire à une marque détenue par d’autres, et qu’enfreindre cette obligation peut être constitutif de mauvaise foi.

En outre, l’utilisation de mauvaise foi du nom de domaine litigieux par le Défendeur peut aussi résulter du fait que son utilisation de bonne foi ne soit d’aucune façon plausible (voir Audi AG v. Hans Wolf, Litige OMPI No. D2001-0148), compte tenu de la spécificité de l’activité du Requérant.

La Commission administrative conclut qu’en détenant et utilisant le nom de domaine litigieux aux fins de détourner les internautes du site officiel du Requérant <parcoursup.fr> à des fins lucratives, le Défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <parcoursup.net> soit transféré au Requérant.

Louis B. Buchman
Expert Unique
Le 4 juillet 2018