Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

LIDL Stiftung & Co. KG (LIDL International), SNC LIDL (LIDL France) contre Contact Privacy Inc., Customer 1243146337 / Nom anonymisé

Litige No. D2019-0228

1. Les parties

Les Requérants sont LIDL Stiftung & Co. KG (LIDL International) de Neckarsulm, Allemagne, et SNC LIDL (LIDL France), de Strasbourg, France, représenté par Addax Avocats, France.

Le Défendeur est Contact Privacy Inc., Customer 1243146337, de Toronto, Ontario, Canada / Nom anonymisé1

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le nom de domaine litigieux <service-lidl.com> est enregistré auprès de Google LLC (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par LIDL Stiftung & Co. KG (LIDL International), SNC LIDL (LIDL France) auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 30 janvier 2019. En date du 30 janvier 2019, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 31 janvier 2019, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 13 février 2019, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre une plainte amendée. Le Requérant a déposé une plainte amendée le 15 février 2019.

Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répondaient bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 15 février 2019, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 7 mars 2019. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 13 mars 2019, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 10 avril 2019, le Centre nommait Christian André Le Stanc comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

La société LIDL International est un groupe très connu distribuant par ses filiales, dont la société LIDL France, essentiellement des produits alimentaires, dans un nombre très important de supermarchés en France et à l’étranger. L’enseigne LIDL, notoire dans le secteur de la grande distribution, regroupe plus de 10,000 magasins implantés dans 26 pays d’Europe.

Le Requérant LIDL International est titulaire des marques suivantes :

Marque de l’Union européenne verbale LIDL, n° 001778679 déposée le 27 juillet 2000 et enregistrée le 22 août 2002, régulièrement renouvelée, pour de très nombreux produits ou services.

Marque de l’Union européenne, semi-figurative LIDL, n° 001779784, déposée le 27 juillet 2000 et enregistrée le 12 novembre 2001, régulièrement renouvelée, pour de très nombreux produits ou services.

Le second Requérant, LDL France,bénéficie en France d’une licence d’exploitation concernant les marques précitées .

LIDL International est titulaire notamment des noms de domaine <lidl.com> enregistré depuis le 20 février 2000 et <lidl.net> enregistré depuis le 17 avril 2009, tandis que LIDL France est titulaire du nom de domaine <lidl.fr> enregistré depuis le 21 juillet 1998.

Le nom de domaine litigieux <service-lidl.com> a été enregistré le 27 août 2018.

5. Argumentation des parties

A. Les Requérants

Les Requérants avancent que le nom de domaine <service-lidl.com> est similaire au point de prêter à confusion avec les marques dont ils sont titulaires et licenciés. Le nom de domaine litigieux reprend l’élément distinctif “lidl” des marques des Requérants sans que le terme descriptif “service” puisse écarter le risque de confusion entre le nom de domaine et les marques, ni l’extension générique “.com”. Au contraire même, le terme “service” laisse à penser que le titulaire du nom de domaine est lié économiquement aux Requérants.

Les Requérants soutiennent qu’ils n’ont aucune relation d’affaires avec le Défendeur qu’ils ne connaissent pas. Ils précisent que le défendeur n’est titulaire d’aucune licence qui l’autoriserait à faire usage des marques des Requérants et que ces derniers n’ont jamais permis audit Défendeur de réserver le nom de domaine qui reprend leur marque. Le Défendeur n’est pas non plus connu sous le nom de domaine litigieux qui ne renvoie à aucun site actif et il n’a pas utilisé ce nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi dans la mesure où l’usage de ce nom de domaine n’a servi qu’à commettre des infractions en se faisant passer pour le titulaire des marques LIDL.

Les Requérants relèvent qu’ils font l’objet depuis plusieurs années d’enregistrements de noms de domaine comportant illicitement la marque notoire LIDL pour créer des adresses électronique permettant à des tiers usurpant l’identité de dirigeants de l’entreprise LIDL France de contacter des fournisseurs pour tenter de se faire livrer, sans bourse délier, dans des lieux étrangers aux magasins des Requérants, de grandes quantités de marchandises.

L’enregistrement du nom de domaine a été effectué de mauvaise foi en raison de la notoriété de la marque que ne pouvait pas ignorer le Défendeur et de la constance des pratiques frauduleuses dont les Requérants on fait l’objet. L’utilisation du nom de domaine précisément pour se faire passer pour l’entreprise LIDL France aux fins de se faire remettre des marchandises est également une utilisation de mauvaise foi, actes qui ont donné lieu au dépôt d’une plainte pénale au Procureur de la République de Strasbourg.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.

6. Discussion et conclusions

Le paragraphe 15(a) des Règles d’application prévoit : “La commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux principes directeurs, aux présentes Règles et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicable.”

Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au requérant désireux d’obtenir le transfert à son profit de nom de domaine enregistré par le défendeur de prouver contre ledit défendeur, cumulativement, que :

(i) Le nom de domaine enregistré par le défendeur “est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou services sur laquelle le requérant a des droits” ;

(ii) Le défendeur “n’[a] aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache” ; et

(iii) Le nom de domaine “a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi”.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

La Commission administrative constate qu’effectivement, au vu du dossier communiqué, les Requérants disposent de droits de marque antérieurs à l’enregistrement du nom de domaine litigieux. Elle estime que le nom de domaine <service-lidl.com> est pratiquement identique aux marques LIDL et est en tous cas semblable au point de prêter à confusion avec elles aux yeux des internautes. Le nom de domaine litigieux incorpore entièrement la marque LIDL, distinctive pour les produits ou services concernés et peu importe l’ajout du terme descriptif “service”, insusceptible au contraire d’écarter un risque de confusion. Peu importe également la présence du tiret entre les termes “service” et « lidl » (qui peut susciter chez l’internaute d’attention moyenne une association l’amenant à penser que que le nom de domaine litigieux renvoie au Requérant) ,” ainsi que la présence du nom de domaine générique de premier niveau (“gTLD”) “.com”, nécessaire on le sait pour des raisons purement techniques. Voir la section 1.8 de la Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux principes UDRP, troisième édition(“Synthèse, version 3.0”) (lorsque la marque en question est reconnaissable dans le nom de domaine litigieux, l’ajout d’autres termes ne suffit pas à écarter un risque de confusion) et la section 1.11 (le gTLD n’est pas pris en compte concernant le premier élément). Le Défendeur qui n’a pas répondu à la plainte n’a donc pas contesté ce point.

Pour les raisons exposées ci-dessus, la condition paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est remplie.

B. Droits ou intérêts légitimes

La Commission administrative relève que les Requérants, disposant de marques antérieures distinctives et connues, avance, sans être contredit, que le Défendeur n’a aucune relation avec les Requérants qui ne lui ont concédé aucune autorisation d’enregistrer ou d’utiliser le nom de domaine litigieux et que le Défendeur n’a jamais été connu sous la dénomination des entreprises “Lidl”, n’en est pas un distributeur et n’exerce aucune activité pour le compte des Requérants. Il n’a donc pas pu être constaté une offre de bonne foi de biens ou de services ni d’utilisation non commerciale légitime ou loyale du nom de domaine en cause.

Pour les raisons exposées ci-dessus, la condition paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est remplie.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Les éléments du dossier communiqué établissent que le nom de domaine, enregistré par le Défendeur sous l’identité usurpée d’un responsable de LIDL France, n’a pas servi à la désignation d’un site actif mais à la création d’une adresse électronique : “[…]@service-lidl.com” ensuite utilisée pour envoyer des messages à des fournisseurs français ou étrangers pour leur faire croire, en se faisant passer pour un cadre du Requérant LIDL France, qu’il était intéressé par l’achat de leur produits et pour obtenir desdits fournisseurs la livraison de marchandises que le Défendeur n’avait pas en outre l’intention de payer (Annexe 15 et 18 de la plainte).

Les Requérants dans le passé ont déjà été victimes, depuis 2015, de semblables pratiques par lesquelles des tiers déposaient frauduleusement des noms de domaine tels <fr-lidl.com> ou <snc-lidl.com> et agissaient pareillement . Le transfert de ces noms de domaine a déjà été ainsi ordonné (LIDLStiftung & Co. KG (LIDL Intenational) et LIDL France c. Whois Agent, Whois Privacy Protection Services inc. / Défendeur inconnu, Litige OMPI No. D2016-0316; LIDL Stiftung & Co. Kg (LIDL International) et SNC LIDL (LIDL France) c. nom anonymisé, nom anonymisé, noms anonymisé, Lydia Perez, Litige OMPI No. D2017-1548; LIDL Stiftung & Co. KG (LIDL International) et SNC LIDL (LIDL France) c. Registration Private, Domains By Proxy / Nom anonymisé; Litige OMPI No. D2018-1214; LIDL Stiftung & Co. KG (LIDL International) et SNC Lidl (Lidl France) c. Registration Private, Domains By Proxy / Emanuel Rassi, Litige OMPI No. D2018-1600). La société LIDL France a demandé la sanction pénale de ces agissements en formalisant une plainte contre X pour escroquerie, usurpation d’identité, faux et usage de faux et contrefaçon de marque au procureur de la République de Strasbourg dès le mois de janvier 2015.

Dans ce contexte, la Commission administrative estime que le Défendeur, qui ne pouvait pas ignorer l’existence des marques notoires LIDL, ce que prouve notamment l’usage illicite qui en a été fait dans les courriels évoqués ci-dessus, a enregistré de mauvaise foi le nom de domaine litigieux. Les usages répétés de la marque LIDL dans les courriels adressés à des fournisseurs en se faisant passer pour LIDL France et en usurpant l’identité de responsables de LIDL France constitue de surcroît aux yeux de la Commission administrative un usage de mauvaise foi. Le Défendeur qui n’a pas répondu à la plainte n’a pas non plus contesté ces points.

La condition paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs est donc également remplie.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <service-lidl.com> soit transféré au Requérant LIDL Stiftung & Co. KG (LIDL International).

Christian André Le Stanc
Expert Unique
Le 24 avril 2019


1 Est attachée à la présente décision, en Annexe 1, une instruction de la Commission administrative donnée à l’Unité d’enregistrement en ce qui concerne le transfert du nom de domaine litigieux incluant le nom du défendeur. La Commission administrative a estimé que le nom de domaine litigieux a été enregistré par un tiers qui a usurpé l’identité d’un des employés du Requérant LIDL France. La commission administrative a autorisé le Centre à transmettre l’Annexe 1 à l’Unité d’enregistrement comme faisant partie du dispositif de la décision dans la présente procédure, mais a indiqué que l’Annexe 1 de cette décision ne doit pas être publiée en raison des circonstances du litige.