Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Bouygues contre Angelique Benetti

Litige No. D2019-1101

1. Les parties

Le Requérant est Bouygues, France, représenté par Nameshield, France.

Le Défendeur est Angelique Benetti, Royaume-Uni.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le nom de domaine litigieux <bouygues-construction-tp.com> est enregistré auprès de Gandi SAS (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Bouygues auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 13 mai 2019. En date du 13 mai 2019, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 14 mai 2019, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 17 mai 2019, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte ou une plainte amendée. Le Centre a également indiqué au Requérant que la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux était l’anglais. La plainte ayant été déposée en français, le Centre a invité le Requérant à fournir la preuve suffisante d’un accord entre les parties pour que la procédure se déroule en français, ou une plainte traduite en anglais ou encore une demande motivée pour que le français soit la langue de la procédure.

Le Requérant a déposé une requête motivée pour que le français soit la langue de la procédure et a déposé une plainte amendée modifiant les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux le 17 mai 2019.

Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répondent bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 27 mai 2019, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 16 juin 2019. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 17 juin 2019, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 25 juin 2019, le Centre nommait William A. Van Caenegem comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant est un groupe industriel français diversifié avec des activités importantes dans la construction. Le Requérant est le titulaire de la marque BOUYGUES CONSTRUCTION. Ladite marque est enregistrée : marque Internationale n° 732339 enregistrée le 13 avril 2000 ; marque de l’Union européenne n° 1589159 enregistrée le 16 mai 2001 ; et marque française n° 99820969 enregistrée le 3 novembre 1999.

Le Requérant est aussi titulaire de noms de domaine comprenant la marque BOUYGUES CONSTRUCTION, parmi eux <bouygues-construction.com> enregistré le 29 novembre 2009 et <bouygues-construction.fr> enregistré le 29 janvier 2012.

Le nom de domaine litigieux a été enregistré le 10 octobre 2018.

Le nom de domaine litigieux n’est pas lié à un site web actif. Le Requérant indique qu’il a été utilisé dans le cadre d’une tentative d’hameçonnage. Les services liés au nom de domaine ont été désactivés par l’Unité d’enregistrement à la demande du Requérant.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant est un groupe industriel diversifié avec des activités dans la construction, les télécoms et les médias. Le Requérant est le titulaire de la marque BOUYGUES CONSTRUCTION. Le chiffre d’affaires du Requérant s’élevait à 33,138 milliards d’euros en 2014. Fin 2014, le groupe était présent dans plus de 100 pays et employait près de 128 000 personnes.

Le Requérant affirme que le nom de domaine litigieux <bouygues-construction-tp.com> est très semblable à sa marque enregistrée BOUYGUES CONSTRUCTION. L’ajout des lettres “tp” (pour ‘travaux publics’) ne modifie pas l’impression générale qu’il est lié au Requérant. Selon le Requérant, le nom de domaine litigieux ne permet pas d’éviter le risque de confusion avec ses propres marques et noms de domaine.

Le Requérant indique que le nom de domaine litigieux a été enregistré en anonyme, et soutient que le Défendeur n’y a ni droit ni légitime intérêt. Le Défendeur n’est pas lié de quelque manière avec le Requérant. Aucune licence ni autorisation n’a été accordée par le Requérant au Défendeur pour lui permettre d’enregistrer le nom de domaine litigieux.

Le Requérant affirme que le nom de domaine litigieux a été utilisé dans le cadre d’une tentative d’hameçonnage via l’utilisation d’adresses email de type « [...]@bouygues-construction-tp.com » et utilisant le logo du Requérant dans le but d’usurper l’identité de ces contacts. Ces adresses emails ont été frauduleusement utilisées auprès de fournisseurs du Requérant.

Le fait qu’il s’est fait passer pour le Requérant et a repris son logo, indique que le Défendeur avait réellement connaissance des droits du Requérant lorsqu’il a enregistré le nom de domaine litigieux. Le Requérant affirme que l’enregistrement et l’utilisation d’un nom de domaine similaire, source de confusion, tout en connaissant les droits du Requérant, indique un enregistrement et une utilisation de mauvaise foi. Le fait d’utiliser un nom de domaine dans le cadre d’un stratagème d’hameçonnage démontre un enregistrement et une utilisation de mauvaise foi.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.

6. Discussion et conclusions

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Le nom de domaine litigieux n’est pas identique à la marque déposée BOUYGUES CONSTRUCTION du Requérant. Mais cette marque à caractère distinctif est immédiatement et pleinement reconnaissable dans le nom de domaine litigieux.

Par conséquent, la Commission administrative considère que le nom de domaine litigieux est similaire à la marque BOUYGUES CONSTRUCTION du Requérant au point de prêter à confusion au sens du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.

B. Droits ou intérêts légitimes

Le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux en anonyme. Le Défendeur n’est pas lié au Requérant, et aucune licence ni autorisation ne lui a été accordée. Le nom de domaine litigieux a été utilisé dans le cadre d’une tentative d’hameçonnage. Cette dernière activité n’est pas une offre de bonne foi de biens ou de services au sens du paragraphe 4(c)(i), ni un usage non-commercial ou loyal au sens du paragraphe 4(c)(iii). Le Défendeur n’a pas répondu aux preuves apportées par le Requérant.

Par conséquent, la Commission administrative considère que le Défendeur ne bénéficie pas de droits ou d’intérêts légitimes dans le nom de domaine litigieux au sens du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

La composition du nom de domaine litigieux indique bien que le Défendeur était conscient au moment de l’enregistrement du nom de domaine de la marque BOUYGUES CONSTRUCTION et des droits y associés du Requérant. Au moment de l’enregistrement, ladite marque du Requérant était très bien établie dans plusieurs pays. Le Défendeur a utilisé le nom de domaine litigieux dans le cadre d’une tentative d’hameçonnage via l’utilisation de fausses adresses emails et en utilisant le logo du Requérant. Ces adresses emails ont été utilisées pour envoyer des communications électroniques à des fournisseurs du Requérant dans un but frauduleux.

Par conséquent, la Commission administrative considère que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi au sens du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <bouygues-construction-tp.com> soit transféré au Requérant.

William A. Van Caenegem
Expert Unique
Le 9 juillet 2019