Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Confédération Nationale Du Crédit Mutuel contre Gota Borl

Litige No. D2019-1705

1. Les parties

Le Requérant est Confédération Nationale Du Crédit Mutuel, représenté par MEYER & Partenaires, France.

Le Défendeur est Gota Borl, France.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le nom de domaine litigieux <credit-mutuelfr.net> est enregistré auprès de NameSilo, LLC (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Confédération Nationale Du Crédit Mutuel auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 18 juillet 2019. En date du 19 juillet 2019, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 19 juillet 2019, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 22 juillet 2019, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte. Le Requérant a déposé une plainte amendée le 24 juillet 2019.

Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répondent bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 26 juillet 2019, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 15 août 2019. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 16 août 2019 le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 26 août 2019, le Centre nommait Christian André Le Stanc comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

La langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux et la Plainte sont en anglais. Néanmoins, la Commission administrative relève que le Requérant est une entreprise française, - la Confédération Nationale du Crédit Mutuel-, a son siège en France et est représentée par un mandataire établi en France. Le Défendeur -qui n’a pas formulé de réponse à la Plainte - apparaît comme domicilié en France, bien que n’ayant pas initialement révélé son identité. Le nom de domaine litigieux évoque une activité bancaire très présente en France et laisse à penser aux internautes qu’il concerne particulièrement cette activité en France en raison de la présence dans ledit nom de domaine des deux caractères “fr” de la norme ISO 3166 des noms de pays correspondant précisément à la France. Ces raisons conduisent la Commission administrative à décider, en application du paragraphe 11(a) des Règles d’application que la Décision sera rendue en français.

4. Les faits

Le Requérant a notamment une activité de banque de détail parfaitement connue du public en France sous le nom de “Crédit Mutuel”, seconde banque et institution financière française disposant notamment de plus de trois mille agences sur le territoire français. Il exploite un portail internet aux adresses “www.creditmutuel.com” et “www.creditmutuel.fr”.

Le Requérant est titulaire de diverses marques, notamment :

- Marque française semi-figurative n° 1475940 CRÉDIT MUTUEL, déposée le 8 juillet 1988, enregistrée pour des services des classes 35 et 36 et régulièrement renouvelée;

- Marque française semi-figurative n° 1646012 CRÉDIT MUTUEL, déposée le 20 novembre 1990, enregistrée pour les produits ou services des classes 16, 35, 36, 38 et 41 et régulièrement renouvelée;

- Marque de l’Union Européenne n° 009943135 CRÉDIT MUTUEL, déposée le 5 mai 2011, enregistrée le 20 octobre 2011 pour les produits ou services des classes 9, 16, 35, 36, 38, 41, 42 et 45 et régulièrement renouvelée;

- Marque internationale semi-figurative n° 570182 CRÉDIT MUTUEL, déposée le 17 mai 1991, enregistrée pour les produits ou services des classes 16, 35, 36, 38 et 41 et régulièrement renouvelée;

Le Requérant ou sa filiale, Euro-information, sont aussi titulaires des noms de domaines suivants :

- <creditmutuel.fr>, enregistré le 10 août 1995, régulièrement renouvelé depuis;

- <creditmutuel.com>, enregistré le 28 octobre 1995, régulièrement renouvelé depuis;

- <creditmutuel.net>, enregistré le 3 octobre 1996;

- <creditmutuel.info>, enregistré 13 septembre 2001.

- <creditmutuel.org>, enregistré le 3 juin 2002, régulièrement renouvelé depuis;

Le Requérant a également obtenu le transfert à son profit par décisions de Commissions administratives en vertu des Principes directeurs notamment des noms de domaine <credit-mutuel-3dsecure.com> (Confédération Nationale du Crédit Mutuel c. Philippe Marie, Litige OMPI No. D2010-1513; <reditmutuel.fr> (Confédération Nationale du Crédit Mutuel c. Adrienne Bonnet, Litige OMPI No. DFR2010-0008); <creditmutuelweb.com> (Confédération Nationale du Crédit Mutuel c. Georges Kershner, Litige OMPI No. D2006-0248), décisions reconnaissant le caractère bien connu de la marque CREDIT MUTUEL.

Le nom de domaine litigieux <credit-mutuelfr.net> a été enregistré le 19 avril 2019.

Il n’y a aucun site actif au nom de domaine litigieux.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant fait état de ses nombreuses marques antérieures très connues rappelées ci-dessus, désignant des activités bancaires ainsi que des noms de domaine dont il est titulaire.

Le Requérant estime que le nom de domaine litigieux <credit-mutuelfr.net> est similaire au point de prêter à confusion avec la marque CREDIT MUTUEL en ce que le nom de domaine comprend la reproduction à l’identique de la marque CREDIT MUTUEL et que le suffixe de premier niveau, l’extension générique “.net”, élément technique nécessaire, ne doit pas être considérée pour l’appréciation du risque de confusion. Le Requérant soutient en outre que l’ajout des deux caractères “fr” dans le nom de domaine litigieux, abréviation du nom de pays France dans le standard ISO, n’altère pas non plus le risque de confusion, comme cela a été relevé dans une décision du Centre (Crédit Industriel et Commercial SA., Confédération Nationale du Crédit Mutuel c. Nobile Ansser, Daniel Vidalzaluc, Katalina Slounig, Litige OMPI No. D2018-2820).

Le Requérant ajoute que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache. Le Requérant affirme, en effet, que le Défendeur n’a aucune relation avec le Requérant qui n’a concédé à quiconque aucune autorisation aux fins d’enregistrer ou d’utiliser le nom de domaine litigieux et que le Défendeur n’est pas connu sous le nom de domaine litigieux ni par aucune combinaison des termes “credit mutuel fr”. Par ailleurs, le nom de domaine litigieux n’ayant pas correspondu à un site actif, on ne saurait relever une offre de bonne foi de produits ou services ni un usage non commercial légitime ou un usage loyal conformément au paragraphe 4(c) des Principes directeurs.

Le Requérant soutient enfin que le nom de domaine litigieux a été enregistré de mauvaise foi car la marque jouit d’une grande renommée ce qui crée une présomption prima facie que le Défendeur a enregistré ce nom de domaine aux fins de le vendre au Requérant ou à un concurrent ou pour tenter d’attirer à des fins lucratives les utilisateurs de l’Internet en créant un risque de confusion avec la marque du Requérant. La présence du code “fr” dans le nom de domaine litigieux démontrant de plus fort la connaissance par le Défendeur de l’existence du Requérant et de ses activités en France, accroissant délibérément le risque de confusion pour les internautes.

Pareillement, le Requérant relève la détention passive du nom de domaine litigieux par le Défendeur, alors que la marque est renommée, et prétend donc que le Défendeur fait un usage de mauvaise foi du nom de domaine en cause. Le Requérant souligne à cet égard qu’en tant qu’établissement bancaire il doit faire face à de continuelles tentatives d’hameçonnage et doit protéger ses clients contre ces fraudes.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.

6. Discussion et conclusions

Le paragraphe 15(a) des Règles d’application prévoit : “La commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux principes directeurs, aux présentes règles et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicable.”

Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au requérant désireux d’obtenir le transfert à son profit de nom de domaine enregistré par le défendeur de prouver contre ledit défendeur, cumulativement, que :

(i) Le nom de domaine enregistré par le défendeur “est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou services sur laquelle le requérant a des droits”;

(ii) Le défendeur “n’[a] aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache”; et

(iii) Le nom de domaine “a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi”.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

La Commission administrative constate qu’effectivement, au vu du dossier communiqué, le Requérant dispose de droits sur la marque CREDIT MUTUEL. Elle estime que le nom de domaine litigieux <credit‑mutuelfr.net> n’est pas identique à la marque du Requérant mais est semblable à celle-ci au point de prêter à confusion. Peu importe, en effet, le suffixe “.net” nécessaire pour des raisons techniques. Peu importe également l’adjonction aux termes “credit-mutuel” des deux lettres “fr” qui constituent le code ISO du pays France. L’internaute d’attention moyenne ne fera pas de différence et sera conduit à penser que la marque CREDIT MUTUEL est explicitée dans le domaine territorial français.

La Commission administrative considère que le Requérant a satisfait la première condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs.

B. Droits ou intérêts légitimes

La Commission administrative relève que le Requérant, titulaire de marques notoirement connues du public (v. supra décisions citées), avance sans être contredit que le Défendeur n’a aucune relation avec le Requérant qui ne lui a concédé aucune autorisation d’enregistrer ni d’utiliser le nom de domaine litigieux et que ce Défendeur qui ne souhaitait pas faire connaître son identité n’a jamais été connu sous la dénomination “Crédit Mutuel”. La Commission administrative juge que la preuve prima facie de l’absence de droit ou d’intérêt légitime est ainsi rapportée, d’autant que le Requérant établit que le nom de domaine litigieux ne dirige pas vers un site actif. Il n’a donc pas pu être constaté sous le nom de domaine litigieux d’offre de bonne foi de biens ou de services ni d’utilisation non commerciale légitime ou loyale du nom de domaine litigieux.

La Commission administrative considère donc que le Requérant a satisfait la deuxième condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Le Requérant établit que ses marques CREDIT MUTUEL sont notoirement connues du public. La Commission administrative estime alors que le Défendeur - qui a dissimulé son identité mais qui paraît être domicilié en France - ne pouvait ignorer l’existence des marques CREDIT MUTUEL au moment de l’enregistrement du nom de domaine litigieux, d’autant que ledit défendeur y a incorporé le symbole “fr” référant au pays “France”, démontrant ce faisant sa connaissance du Requérant et l’existence de ses activités en France pour commercialiser ultérieurement ce nom de domaine ou tenter d’attirer, à des fins lucratives des utilisateurs de l’Internet, ce qui accroît le risque de confusion.

De la même manière, la Commission administrative estime que la détention passive par le Défendeur du nom de domaine litigieux portant atteinte à la marque renommée du Requérant traduit un usage de mauvaise foi (v. section 3.3 de la synthèse 3.0 des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux principes UDRP, Troisième édition (« Synthèse, version 3.0 »), spécialement en raison de ce que le Requérant est un établissement bancaire en butte à des tentatives fréquentes d’hameçonnage qu’il se doit de prévenir.

En tout cas le Défendeur qui n’a pas répondu à la plainte ne conteste donc pas avoir enregistré et utilisé le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.

Ainsi, la Commission administrative constate que la troisième condition du paragraphe 4 (a) des Principes directeurs est elle aussi remplie.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <credit-mutuelfr.net> soit transféré au Requérant.

Christian André Le Stanc
Expert Unique
Le 9 septembre 2019