La Requérante est l’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc - A.C.D. Lec, France, représenté par Inlex IP Expertise, France.
Le Défendeur est pierre patron, France.
Le nom de domaine litigieux <e-leclerc-eu.com> est enregistré auprès de Ligne Web Services SARL (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).
Une plainte a été déposée par Association des Centres Distributeurs E. Leclerc - A.C.D. Lec auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 19 août 2019. En date du 19 août 2019, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par la Requérante. Le 20 août 2019, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 20 août 2019, le Centre a envoyé un courrier électronique à la Requérante avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant la Requérante à soumettre une plainte amendée. La Requérante a déposé une plainte amendée le 20 août 2019.
Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répondaient bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 22 août 2019, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 11 septembre 2019. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 12 septembre 2019, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.
En date du 19 septembre 2019, le Centre nommait Emmanuelle Ragot comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
La Requérante appartient à la première enseigne de commerçants indépendants, le Mouvement E. Leclerc.
La Requérante est titulaire de plusieurs marques françaises et de l’Union Européenne et internationale composées du nom E. LECLERC et notamment de la marque de l’Union Européenne E LECLERC n°002700664 déposée le 17 mai 2002 et enregistrée le 31 janvier 2005 et exploitée dans plus de 750 magasins E Leclerc sur le territoire de l’Union Européenne.
La marque a été enregistrée antérieurement à la réservation du nom de domaine litigieux.
La marque bénéficie d’une notoriété dans le secteur de la distribution en Europe.
La Requérante détient par ailleurs les noms de domaine <e-leclerc.com>; <e-leclerc.pt>; <e-leclerc.es> antérieurement au nom de domaine litigieux.
Le Défendeur, malgré l’existence de ces droits privatifs protégés par le droit des marques, a procédé à l’enregistrement du nom de domaine litigieux <e-leclerc-eu.com> le 5 avril 2019.
La Requérante fait partie d’une association connue de distributeurs en France.
La Requérante se présente sous l’acronyme l’A.C.D. Lec (Association des Centres Distributeurs E. LECLERC), association française appartenant à la première enseigne de commerçants indépendants et tenant son nom du fondateur du Mouvement E. Leclerc, - Monsieur Edouard Leclerc.
Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments de la Requérante.
Selon le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs, la Requérante doit démontrer que le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle la Requérante a des droits.
En l’espèce, il est incontestable que la Requérante est titulaire de la marque verbale de l’Union Européenne E. LECLERC.
Il est admis que le fait de reprendre à l’identique une marque dans un nom de domaine peut suffire à établir que ce dernier nom de domaine est identique ou similaire au point de prêter à confusion avec la marque sur laquelle la Requérante a des droits.
Bien évidemment, la marque E. LECLERC constitue l’élément prédominant du nom de domaine litigieux et l’élément ajouté “eu” constitue un terme descriptif et ne permet pas d’écarter le risque de confusion avec les droits de la Requérante sur sa marque et noms de domaines.
L’association de la marque notoire E. LECLERC avec le sigle “eu”, ces lettres pouvant être lues en tant que sigle anglais pour “European Union” (Union Européenne), territoire sur lequel la Requérante exploite sa marque, n’empêchent nullement de conclure que la marque de la Requérante est reconnaissable dans le nom de domaine.
Au vu de ce qui précède, la Commission administrative considère que la condition posée par le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est remplie.
Selon les Principes directeurs, paragraphe 4(a)(ii), la Requérante doit démontrer que le Défendeur n’a pas de droit ou d’intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.
Dans la décision Do the Hustle, LLC c. Tropic Web, Litige OMPI No. D2000-0624, la Commission administrative a considéré que, s’agissant d’un fait négatif presque impossible à démontrer, à partir du moment où les requérantes ont allégué que le défendeur n’avait aucun droit ni intérêt légitime en relation avec le nom de domaine litigieux, il était au défendeur d’établir l’existence de ses droits. Partant, la Requérante doit établir prima facie que le Défendeur ne détient aucun droit ou intérêt légitime, pour qu’il revienne au Défendeur de produire des arguments ou des preuves pour établir ses droits. A défaut, la Requérante est présumée avoir satisfait aux exigences posées par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs.
Tel est le cas en l’espèce. La Requérante n’a jamais consenti de droit ou d’autorisation au Défendeur en relation avec l’enregistrement et l’exploitation de noms de domaine reprenant la marque E. LECLERC. De surcroît, le Défendeur n’apporte aucun élément d’information susceptible de démontrer l’existence d’un intérêt légitime ou d’un droit. Il n’apparaît pas non plus que le Défendeur ait utilisé le nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ni qu’il en ait fait un usage loyal.
Il apparaît au contraire que ce nom de domaine est utilisé afin de faciliter la commission de plusieurs infractions dont est victime la Requérante, ainsi que des tiers.
Partant, la Commission administrative considère que la condition posée par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est satisfaite.
Selon les Principes directeurs, paragraphe 4(a)(iii), la Requérante doit démontrer que le Défendeur a enregistré et qu’il utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.
La Commission administrative admet, eu égard à la notoriété de la marque E. LECLERC, qu’il ne fait aucun doute que le Défendeur connaissait la marque de la Requérante et que son usurpation via l’enregistrement du nom de domaine résulte d’une volonté et d’un ensemble de manœuvres frauduleuses afin de détourner un certain volume de biens de la Requérante.
L’utilisation des lettres “eu” dans le nom de domaine renforce le risque de confusion car les utilisateurs peuvent penser qu’ils sont sur le site de la Requérante en référence à ses activités dans l’Union Européenne.
Le site litigieux n’est aujourd’hui pas lié à un site web actif et donnait lieu, au moment de la plainte, à une page d’attente du bureau d’enregistrement Ligne Web Services – LWS et laissait craindre des tentatives de phishing du fait de la collecte déloyale de données à l’insu des internautes pensant se diriger sur un nom de domaine officiel de la Requérante.
Dans tous les cas, il est de jurisprudence constante que la détention passive d’un nom de domaine peut être reconnue comme une utilisation de mauvaise foi dans certaines circonstances.
La Commission administrative considère que la condition posée au paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs est remplie et que le Défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.
Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <e-leclerc-eu.com> soit transféré au Requérant.
Emmanuelle Ragot
Expert Unique
Le 1 octobre 2019