Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Meetic contre William Gaine

Litige No. D2019-2801

1. Les parties

Le Requérant est Meetic, France, représenté par Nameshield, France.

Le Défendeur est William Gaine, France.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le nom de domaine litigieux <meetic.xyz> est enregistré auprès de OVH (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Meetic auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 15 novembre 2019. En date du 15 novembre 2019, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 18 novembre 2019, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 20 novembre 2019, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte ou une plainte amendée. Le Requérant a déposé une plainte amendée le 21 novembre 2019.

Le Centre a vérifié que la plainte la plainte amendée répondent bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 26 novembre 2019, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur.

Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 16 décembre 2019. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 23 décembre 2019, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 7 janvier 2020, le Centre nommait Louis-Bernard Buchman comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant est une société française titulaire du nom de domaine <meetic.com> (enregistré dès le 30 octobre 2001), exploitant un des principaux sites européens de rencontre, lancé sur mobile dès 2003, ayant près de 6,5 millions de visiteurs dans 15 pays et en 13 langues.

Le Requérant est titulaire de plusieurs marques contenant le terme “Meetic”, dont

- la marque internationale numéro 783549, enregistrée le 27 mai 2002,
- la marque française numéro 3505029, enregistrée le 6 juin 2007,
- la marque de l’Union européenne numéro 005046594, enregistrée le 21 juin 2007,
- la marque internationale numéro 1089074, enregistrée le 22 juillet 2011,
- la marque de l’Union européenne numéro 010145654, enregistrée le 1er décembre 2011,
ci-après ensemble désignées: “la Marque”.

Le Défendeur est William Gaine, dont l’adresse renseignée est située en France.

Le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux <meetic.xyz> le 28 janvier 2019.

Le nom de domaine litigieux avant sa suspension renvoyait les internautes vers un site contenant deux articles en langue française et après clic sur l’onglet connexion, vers une page sur laquelle figurait un logo comprenant les termes “Meetic Circle”.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

(i) Le Requérant dispose d’un droit sur la Marque.

(ii) Le nom de domaine litigieux contient la Marque.

(iii) Le nom de domaine litigieux porte atteinte aux droits dont est titulaire le Requérant, en ce qu’il imite la Marque, et est susceptible de créer un risque de confusion dans l’esprit des internautes en laissant croire que le site vers lequel pointait le nom de domaine litigieux est lié au Requérant.

(iv) Le Défendeur n’a jamais été affilié au Requérant ni autorisé par lui à utiliser la Marque à quelque titre que ce soit. Le Défendeur ne peut justifier d’aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.

(v) Le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux et l’utilise de mauvaise foi en entendant proposer des services concurrents de ceux du Requérant tout en tirant profit de la notoriété du Requérant.

(vi) Le Requérant demande que le nom de domaine litigieux lui soit transféré.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.

6. Discussion et conclusions

6.1. Aspects procéduraux – langue de la procédure

L’Unité d’enregistrement a indiqué que le contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux était en langue française. En ce qui concerne la langue de la procédure, le Requérant a demandé que la langue de la procédure soit le français. Le Défendeur ne s’est pas opposé à cette demande.

Il appartient à la Commission administrative de se prononcer sur la langue de la procédure. La Commission administrative, faisant application des dispositions du paragraphe 11(a) des Règles d’application et de son pouvoir d’appréciation, décide que le français sera la langue de la procédure.

Par ailleurs, il est rappelé que la Commission administrative est tenue d’appliquer le paragraphe 15(a) des Règles d’application qui prévoit que: “La commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux principes directeurs, aux présentes règles et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicable.”

Le paragraphe 10(a) des Règles d’application donne à la Commission administrative un large pouvoir de conduire la procédure administrative de la manière qu’elle juge appropriée, conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application, et elle doit aussi veiller à ce que la procédure soit conduite avec célérité (paragraphe 10(c) des Règles d’application).

En conséquence, la Commission administrative s’est attachée à vérifier, au vu des seuls arguments et pièces disponibles, si l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux portaient atteinte aux droits du Requérant et si le Défendeur pouvait justifier de droits sur ce nom de domaine.

6.2. Vérification que les conditions cumulatives du paragraphe 4(a) des Principes directeurs sont réunies en l’espèce

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Dans le cadre de l’analyse de la première condition du paragraphe 4(a), la Commission administrative doit se contenter de constater si le droit de marque du Requérant existe ou non.

Au vu des pièces versées au dossier, la Commission administrative constate que le Requérant justifie de droits exclusifs sur la dénomination MEETIC, à titre de marque enregistrée.

Demeure alors la question de la comparaison entre cette dénomination d’une part et le nom de domaine litigieux d’autre part. Or le nom de domaine litigieux reproduit intégralement cette dénomination.

Il est établi par ailleurs que les extensions de noms de domaine (telles que “.com” ou “.xyz”), nécessaires pour leur enregistrement, sont généralement sans incidence sur l’appréciation du risque de confusion, les extensions pouvant donc ne pas être prises en considération pour examiner la similarité entre la Marque du Requérant et le nom de domaine litigieux, conformément à nombre de décisions déjà rendues sous les Principes directeurs (voir Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003; Accor c. Accors, Litige OMPI No. D2004-0998).

La Commission administrative estime que le public en général et les internautes en particulier pourraient penser que le nom de domaine litigieux renvoie au Requérant, ce nom de domaine litigieux étant similaire à la Marque sur laquelle le Requérant a des droits, au point de prêter à confusion (voir MEETIC c. René Vilmont, Litige OMPI No. D2019-0412).

Dans ces conditions, la Commission administrative constate que l’exigence du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est satisfaite.

B. Droits ou intérêts légitimes

Il est admis que, s’agissant de la preuve d’un fait négatif, une commission administrative ne saurait se montrer trop exigeante vis-à-vis d’un requérant. Lorsqu’un requérant a allégué le fait que le défendeur n’a aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine, il incombe au défendeur d’établir le contraire, puisque lui seul détient les informations nécessaires pour ce faire. S’il n’y parvient pas, les affirmations du requérant sont réputées exactes (Eli Lilly and Company c. Xigris Internet Services, Litige OMPI No. D2001-1086; Do The Hustle, LLC c. Tropic Web, Litige OMPI No. D2000-0624).

Aucun élément du dossier ne révèle qu’avant la naissance du litige, le Défendeur ait utilisé le nom de domaine litigieux, ou un nom correspondant au nom de domaine litigieux, en relation avec une offre de bonne foi de produits ou services ou qu’il ait fait des préparatifs sérieux à cet effet.

Le Défendeur n’est en aucune manière affilié au Requérant et n’a pas été autorisé par ce dernier à utiliser la Marque ou à procéder à l’enregistrement d’un nom de domaine incluant la Marque.

Par ailleurs, le mutisme conservé par le Défendeur, qui a choisi de ne pas répondre à la plainte dans la présente procédure, ne permet pas de penser qu’il ferait un usage légitime et non commercial du nom de domaine litigieux.

Dans ces conditions, la Commission administrative est d’avis que le Défendeur n’ayant pas de droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache, l’exigence du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est satisfaite.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

La mauvaise foi doit être prouvée dans l’enregistrement comme dans l’usage.

En ce qui concerne l’enregistrement de mauvaise foi, la bonne foi du Défendeur lors de l’enregistrement ne ressort d’aucun document soumis au dossier.

La Commission administrative estime que le choix comme nom de domaine d’une marque déposée ne peut être le fruit d’une simple coïncidence, dès lors que le Défendeur propose des services concurrents de ceux du Requérant en utilisant les termes “Meetic Circle”.

Dans ces circonstances, la Commission administrative estime plus qu’improbable qu’au moment où il a enregistré le nom de domaine litigieux, le Défendeur ait pu ne pas avoir connaissance de la Marque.

En outre, l’usage de mauvaise foi du nom de domaine litigieux par le Défendeur peut aussi résulter du fait que son usage de bonne foi ne soit d’aucune façon plausible (voir Audi AG c. Hans Wolf, Litige OMPI No. D2001-0148), compte tenu de la spécificité de l’activité du Requérant.

Enfin, certaines commissions administratives ont même estimé que dans certaines circonstances, les personnes qui réservent des noms de domaine ont l’obligation de s’abstenir d’enregistrer et d’utiliser un nom de domaine qui soit identique ou similaire à une marque détenue par d’autres, et qu’enfreindre notamment les dispositions du paragraphe 2 des Principes directeurs, qui dispose que: “En demandant l’enregistrement d’un nom de domaine ou le maintien en vigueur ou le renouvellement d’un enregistrement de nom de domaine, vous affirmez et nous garantissez que … b) à votre connaissance, l’enregistrement du nom de domaine ne portera en aucune manière atteinte aux droits d’une quelconque tierce partie …”, peut être constitutif de mauvaise foi.

La Commission administrative conclut qu’en détenant et utilisant le nom de domaine litigieux dans le but de tirer profit de la notoriété du Requérant et en ne se manifestant pas dans la présente procédure administrative, le Défendeur a procédé à un enregistrement et à une utilisation de mauvaise foi du nom de domaine litigieux.

Il en résulte que les trois éléments prévus au paragraphe 4(a) des Principes directeurs sont cumulativement réunis.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <meetic.xyz> soit transféré au Requérant.

Louis-Bernard Buchman
Expert Unique
Le 21 janvier 2020