Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

MONABANQ SA contre Marco Kotchon

Litige No. D2020-0252

1. Les parties

La Requérante est MONABANQ SA, France, représentée par MEYER & Partenaires, France.

Le Défendeur est Marco Kotchon, Bénin.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le nom de domaine litigieux <monab-invest.com> est enregistré auprès de Hostinger, UAB (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée en français par la Requérante auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 31 janvier 2020. Le même jour, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par la Requérante. Le 4 février 2020, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige.

Le 4 février 2020, le Centre a notifié aux Parties, en anglais et en français, que la langue du contrat d’enregistrement était l’anglais. Le même jour, la Requérante a déposé une demande afin que le français soit la langue de la procédure. Le Défendeur ne s’est pas prononcé sur la question de la langue de la procédure.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 14 février 2020, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur en anglais et en français. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 5 mars 2020. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 6 mars 2020, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 19 mars 2020, le Centre nommait Matthew Kennedy comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

La Requérante est une banque française en ligne fondée en 2006 et une filiale du groupe Crédit Mutuel CIC. Elle est titulaire de plusieurs marques dont la marque internationale verbale MONABANQ.COM, déposée et enregistrée le 9 octobre 2007 sous le n° 943266, sous priorité de la marque française FR 07 3 495 583 du 21 septembre 2007, pour identifier des produits et services dans les classes 9, 16, 35, 36 et 38, dont notamment les assurances et les affaires financières. Cet enregistrement est en vigueur. La Requérante a aussi enregistré plusieurs noms de domaine composés de "monabanq" avec un suffixe de domaine de premier niveau, dont <monabanq.com>, qu’elle utilise en relation avec son site officiel.

Le Défendeur est un individu qui serait domicilié au Bénin.

Le nom de domaine litigieux a été enregistré le 27 juin 2019. Selon la plainte, le nom de domaine litigieux dirige l’Internaute vers un site rédigé en français pour "Mona Bank Invest", une entreprise qui serait établie en France et qui propose aux particuliers, aux professionnels et aux entreprises, des offres de prêt et de crédit, de services bancaires et d’assurances. Lors de la navigation sur le site, l’Internaute est invité à se connecter ou à ouvrir un compte en ligne; il doit pour cela, saisir ses coordonnées personnelles de contact, des informations sur ses revenus et ses coordonnées bancaires. Les mentions légales affichées sur le site font référence à l’agrément du soi-disant "Mona Bank Invest" par l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution ("ACPR"). Toutefois, selon les preuves apportées par la Requérante, la consultation du registre de l’ACPR et du Registre du Commerce et des Sociétés français démontre qu’il n’existe aucun organisme autorisé portant la dénomination "Mona Bank Invest".

Le nom de domaine litigieux est désormais inactif.

5. Argumentation des parties

A. Requérante

La Requérante considère que le nom de domaine litigieuxest similaire au point de prêter à confusion avec la marque MONABANQ et la marque MONABANQ.COM, sur lesquelles elle détient des droits. L’élément "monab" constitue de manière évidente l’imitation de la marque MONABANQ. La partie descriptive "invest" est d’importance mineure et ne permet pas d’écarter un risque de confusion induit par l’imitation de la marque MONABANQ.

La Requérante soutient que le Défendeur doit être considéré comme n’ayant aucun droit ni intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux. Il n’existe aucune relation de quelque ordre que ce soit entre le Défendeur et la Requérante pouvant justifier de cet enregistrement. La Requérante n’a accordé au Défendeur aucune autorisation ou licence d’exploitation aux fins d’enregistrer ou d’utiliser le nom de domaine litigieux. Le Défendeur tente de se faire passer, sans autorisation, comme étant ou agissant pour le compte de la Requérante. Un tel comportement, qui plus est dans le domaine des affaires bancaires, est nécessairement illégitime et prohibé par la loi.

Le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi. Les deux éléments "monab" et "invest" sont évocateurs de la Requérante. Il semble dès lors évident que le nom de domaine litigieuxa été enregistré dans le seul but de faire référence aux marques de banque en ligne MONABANQ et MONABANQ.COM, et ce d’autant plus que le Défendeur utilise sur le site la dénomination encore davantage ressemblante “Mona Bank Invest”. Le nom de domaine litigieux est utilisé en relation avec un site en langue française proposant prétendument des services financiers et bancaires, identiques à ceux de la Requérante. L’ensemble des éléments constatés porte à croire que l’usage du nom de domaine litigieux et du site qui lui est associé à un but frauduleux : se faire passer pour la Requérante afin de soutirer aux victimes des informations personnelles et financières, voire de l’argent. En plus de cela, un extrait du contenu textuel du site associé au nom de domaine litigieux est reproduit de manière identique sur d’autres sites aux propriétés similaires. Il s’agit de la démonstration que le Défendeur est coutumier de la création et de l’usage de sites web avec lesquels il se fait passer pour un tiers et dont il est impossible qu’il fasse un usage légitime.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments de la Requérante.

6. Discussion et conclusions

6.1. Langue de la procédure

Le paragraphe 11(a) des Règles d’application prévoit que, sauf convention contraire entre les parties, la langue de la procédure est la langue du contrat d’enregistrement. Toutefois, la Commission administrative peut décider qu’il en sera autrement, compte tenu des circonstances de la procédure administrative. En l’espèce, l’Unité d’enregistrement a informé le Centre que la langue du contrat d’enregistrement était l’anglais.

La Requérante a déposé sa plainte en français et demande que la procédure se déroule dans cette même langue. A l’appui de sa demande, la Requérante soutient que le Défendeur a une connaissance suffisante de la langue française pour que le déroulement de la procédure dans cette même langue soit respectueux des droits de la défense. Elle remarque que: (i) le nom de domaine litigieux fait référence à la Requérante qui est domiciliée et dont l’activité est exercée en France; (ii) le nom de domaine litigieux est associé à un site en langue française; et (iii) le Défendeur est domicilié au Bénin, dont la langue officielle est le français.

Les paragraphes 10(b) et (c) des Règles d’application disposent que la Commission administrative doit veiller à ce que les parties soient traitées de façon égale, à ce que chacune ait une possibilité équitable de faire valoir ses arguments, et à ce que la procédure soit conduite avec célérité. Selon une jurisprudence constante, le choix de la langue de la procédure ne doit pas créer une charge excessive pour les Parties. Voir, par exemple, Solvay S.A. c. Hyun-Jun Shin, Litige OMPI No. D2006-0593; Whirlpool Corporation, Whirlpool Properties, Inc. c. Hui’erpu (HK) electrical appliance co. ltd., Litige OMPI No. D2008-0293.

La Commission administrative remarque que la plainte a été déposée en français. Etant donné que le nom de domaine litigieux dirige l’Internaute vers un site Internet rédigé en langue française et qui indique une adresse en France et un numéro de téléphone fixe français permettant aux Internautes d’entrer en relation avec l’opérateur du site, il y a tout lieu de penser que le Défendeur comprend cette même langue. La Commission note également que le Défendeur n’a pas réagi sur la question de la langue de la procédure et n’a pas déposé de réponse. La Commission administrative estime qu’exiger la traduction de la plainte en anglais créerait une charge excessive pour la Requérante et un délai injustifié dans la procédure.

Compte tenu de ces circonstances, selon le paragraphe 11(a) des Règles d’application la Commission administrative décide que la langue de cette procédure est le français.

6.2. Quant au fond

Conformément au paragraphe 4(a) des Principes directeurs, la Commission administrative doit déterminer si sont réunies les trois conditions posées par celui-ci, à savoir :

i) si le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle la Requérante a des droits; et
ii) si le Défendeur n’a pas un droit ou un intérêt légitime à l’utilisation du nom de domaine; et
iii) si le Défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine de mauvaise foi.

En outre, il revient à la Requérante d’apporter la preuve que les trois conditions précédemment énoncées sont cumulativement réunies.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Au vu des éléments de preuve présentés, il est établi que la Requérante est titulaire des marques MONABANQ et MONABANQ.COM.

La Commission administrative constate que le nom de domaine litigieux reprend plusieurs éléments de la marque MONABANQ.COM, à savoir son élément dominant “mona” ainsi que les éléments “b” et “.com”. La substitution de l’élément “-invest” dans le nom de domaine litigieux pour “anq” dans la marque est insuffisante pour écarter tout risque de confusion parce que le nom de domaine litigieux contient toujours suffisamment d’éléments de la marque pour qu’elle reste reconnaissable. Voir la Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux principes UDRP, troisième édition (Synthèse 3.0), section 1.7. La Commission administrative considère alors que le nom de domaine litigieux est suffisamment proche de la marque MONABANQ.COM pour déterminer que le nom de domaine est semblable au point de prêter à confusion.

D’ailleurs, le nom de domaine litigieux dirige l’Internaute vers un site pour “Mona Bank Invest”, ce qui explique le choix de <monab-invest.com> comme nom de domaine. Les deux premiers mots de ce prétendu nom de commerce sont visuellement et phonétiquement presque identiques à “Monabanq” dans MONABANQ.COM, ce qui confirme que le nom de domaine litigieux fait partie d’une tentative d’engendrer la confusion.

Par conséquent, la Commission administrative considère que la première condition posée par le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est remplie.

B. Droits ou intérêts légitimes

Le paragraphe 4(c) des Principes directeurs dispose que la preuve des droits du défendeur sur le nom de domaine litigieux ou de son intérêt légitime qui s’y attache aux fins du paragraphe 4(a)(ii) peut être constituée, en particulier, par l’une des circonstances ci-après:

“i) avant d’avoir eu connaissance du litige, [le défendeur a] utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet;

ii) [le défendeur est] connu sous le nom de domaine considéré, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services; ou

iii) [le défendeur fait] un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.”

En ce qui concerne les première et troisième circonstances énoncées ci-dessus, le Défendeur utilise le nom de domaine litigieux en relation avec un site qui propose des offres de prêt et de crédit, de services bancaires et d’assurances. Le nom de domaine litigieux est suffisamment similaire à la marque MONABANQ.COM de la Requérante pour engendrer la confusion mais la Requérante déclare qu’elle n’a accordé au Défendeur aucune autorisation ou licence d’exploitation aux fins d’enregistrer ou d’utiliser le nom de domaine litigieux. Au vu de l’ensemble de ces circonstances, la Commission administrative ne considère pas que l’utilisation du nom de domaine litigieux soit en relation avec une offre de bonne foi conforme au paragraphe 4(c)(i) des Principes directeurs, ni qu’elle soit un usage non commercial légitime ou un usage loyal conforme au paragraphe 4(c)(iii) des Principes directeurs.

En ce qui concerne la deuxième circonstance énoncée ci-dessus, le nom du Défendeur est “Marco Kotchon”, pas “monab-invest” ni “monab”. Rien dans le dossier indique que le Défendeur soit connu sous le nom de domaine litigieux conformément au paragraphe 4(c)(ii).

En résumé, la Commission administrative considère que la Requérante a établi une preuve prima facie que le Défendeur n'a pas un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux. Le Défendeur n'a pas réfuté cette preuve prima facie parce qu'il n'a pas allégué un tel droit ou intérêt légitime.

Par conséquent, la Commission administrative considère que la deuxième condition posée par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est remplie.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Le paragraphe 4(b) des Principes directeurs dispose que la preuve de ce que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi peut être constituée aux fins du paragraphe 4(a)(iii), en particulier dans certains cas de figure, dont le quatrième est le suivant :

“(iv) en utilisant ce nom de domaine, [le défendeur a] sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un site Web ou autre espace en ligne [lui] appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de [son] site ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé.”

L’Unité d’enregistrement a confirmé que le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux le 27 juin 2019, ce qui est bien postérieur au dépôt et à l’enregistrement en 2007 de la marque MONABANQ.COM de la Requérante. Le nom de domaine litigieux reprend plusieurs éléments de la marque MONABANQ.COM, dont l’élément dominant “Mona”, tout en substituant “-invest” pour “anq”, le mot “invest” (“-investir” en anglais) étant étroitement lié aux activités de la Requérante. Le nom de domaine litigieux dirige l’Internaute vers un site pour “Mona Bank Invest”, un prétendu nom de commerce dont les deux premiers mots sont visuellement et phonétiquement presque identiques à “Monabanq” dans la marque MONABANQ.COM. Les preuves de l'activité de la Requérante depuis au moins 2010 conduisent la Commission administrative à considérer que la marque MONABANQ.COM bénéficie d'une certaine réputation, notamment en France, pays dans lequel Mona Bank Invest serait domicilié également. Le Défendeur ne présente aucune explication de son choix du nom de domaine litigieux. Au vu de ce qui précède, la Commission administrative estime que le Défendeur devait être au courant de l’existence des droits de marque de la Requérante au moment de l’enregistrement du nom de domaine litigieux.

Le Défendeur utilise le nom de domaine litigieux en relation avec un site pour l’entreprise “Mona Bank Invest” qui propose des offres de prêt et de crédit, de services bancaires et d’assurances. Ce sont les mêmes types de services que propose la Requérante. Malgré une référence sur le site à l’agrément de “Mona Bank Invest” par l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution ("ACPR") et une adresse en France, la consultation du registre de l’ACPR ainsi que du Registre du Commerce et des Sociétés français démontre qu’il n’existe aucun organisme autorisé portant la dénomination “Mona Bank Invest”. Au vu de l’ensemble de ces circonstances, la Commission administrative considère qu’en utilisant le nom de domaine litigieux, le Défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur son site, en créant une probabilité de confusion avec la marque de la Requérante en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de son site ou d’un produit ou service qui y est proposé, conforme au paragraphe 4(b)(iv).

Par conséquent, la Commission administrative considère que la troisième condition posée par le paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs est remplie.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <monab-invest.com> soit transféré à la Requérante.

Matthew Kennedy
Expert Unique
Le 22 mars 2020