Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Swiss Life AG et Swiss Life Intellectual Property Management AG contre Yvon Noblet

Litige No. D2020-0354

1. Les parties

Les Requérants sont Swiss Life AG et Swiss Life Intellectual Property Management AG, Suisse, représentés par FMP Fuhrer Marbach & Partners, Suisse.

Le Défendeur est Yvon Noblet, France.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le nom de domaine litigieux <swiss-life-am.com> (ci-après le “Nom de Domaine Litigieux) est enregistré auprès de Register.IT SPA (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Swiss Life AG et Swiss Life Intellectual Property Management AG auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 14 février 2020. En date du 14 février 2020, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 17 février 2020, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du Nom de Domaine Litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 20 février 2020, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du Nom de Domaine Litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte. Le Requérant a déposé une plainte amendée le 23 février 2020.

L’Unité d’enregistrement a aussi indiqué que la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine en conflit est le français. La plainte a été déposée en anglais. Le 20 février 2020, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant, l’invitant à fournir la preuve suffisante d’un accord entre les Parties, la plainte traduite en français, ou une demande afin que l’anglais soit la langue de la procédure. Le Requérant a demandé à ce que le français soit la langue de la procédure et a déposé une plainte amendée en français le 23 février 2020. Par conséquent, conformément au paragraphe 11(a) des Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), le français est la langue de la procédure.

Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répondent bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application, et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 2 mars 2020, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 22 mars 2020. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 23 mars 2020, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 30 mars 2020, le Centre nommait Flip Jan Claude Petillion comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Swiss Life AG (ci-après le “Requérant 1”) et Swiss Life Intellectual Property Management AG (ci-après le “Requérant 2”) font partie du groupe Swiss Life, le plus grand groupe d’assurance-vie de Suisse et l’un des principaux fournisseurs de solutions financières et de prévoyance complètes d’Europe. En 2017, le groupe a réalisé un chiffre d’affaires total de CHF 18,565 milliards et comptait environ 8000 employés. Le Requérant 2 est une filiale du Requérant 1, et est responsable de la gestion de toute la propriété intellectuelle détenue et utilisée au sein du groupe.

Le Requérant 2 est titulaire de nombreuses marques enregistrées dont les suivantes, lesquelles couvrent toutes la France où semble résider le Défendeur:

- La marque verbale française SWISS LIFE n° 99823895, enregistrée le 18 novembre 1999 en classe 36;

- La marque verbale européenne SWISS LIFE n° 003438413, enregistrée le 20 octobre 2006 en classes 9, 16, 35, 36, 38, 41, 42 et 44;

- La marque figurative européenne n° 003438496 représentée ci-dessous, enregistrée le 27 mars 2006 en classes 9, 16, 35, 36, 38, 41, 42 et 44;

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- La marque figurative internationale n° 1127146 représentée ci-dessous, enregistrée le 16 août 2012 en classe 36 :

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Il ressort des pièces fournies par les Requérants que le groupe Swiss Life a notamment une filiale, Swiss Life Asset Management AG, et possède notamment le nom de domaine <swisslife-am.com>.

Le Nom de Domaine Litigieux <swiss-life-am.com> a été enregistré le 2 octobre 2019, et redirige les internautes vers une page qui semble inactive, mentionnant simplement que le Nom Domaine Litigieux est déjà enregistré. Les Requérants apportent la preuve de l’utilisation d’adresses e-mail […]@swiss-life-am.com liées au Nom de Domaine Litigieux.

5. Argumentation des parties

A. Requérants

Les Requérants soutiennent que le Nom de Domaine Litigieux est semblable, au point de prêter à confusion, à leur marque SWISS LIFE sur laquelle les Requérants prétendent avoir des droits. Les Requérants soutiennent également que le Défendeur n’a aucun droit sur le Nom de Domaine Litigieux, ni aucun intérêt légitime. Enfin, les Requérants soutiennent que le Défendeur a enregistré et utilise le Nom de Domaine Litigieux de mauvaise foi. Selon les Requérants, le Nom de Domaine a été enregistré et est utilisé frauduleusement afin d’usurper l’identité d’une filiale du Requérant 1 et ainsi tromper les internautes en offrant des faux contrats de gestion, notamment via des adresses e-mail “[…]@swiss-life-am.com” liées au Nom de Domaine Litigieux.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments des Requérants.

6. Discussion et conclusions

Le paragraphe 15 des Règles d’application prévoit que la Commission administrative statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux Principes directeurs, aux Règles d’application et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicable.

La charge de la preuve se situe auprès des Requérants et il résulte aussi bien de la terminologie des Principes directeurs que de décisions préalables de commissions administratives UDRP, que les Requérants doivent prouver chacun des trois éléments mentionnés au paragraphe 4(a) des Principes directeurs afin d’établir que le Nom de Domaine Litigieux peut être transféré.

Dès lors, les Requérants doivent prouver conformément au paragraphe 4(a) des Principes directeurs et selon la balance des probabilités que:

(i) le Nom de Domaine Litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle les Requérants ont des droits; et

(ii) le Défendeur n’a aucun droit sur le Nom de Domaine Litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache; et

(iii) le Nom de Domaine Litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

Par conséquent, la Commission administrative examinera ces critères séparément.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

En premier lieu, les Requérants doivent établir qu’ils ont des droits de marque dont ils sont titulaires. Comme le Requérant 2 démontre être titulaire de plusieurs marques SWISS LIFE, le Requérant 2 a établi qu’il existe des droits de marque dont il est titulaire. La marque du Requérant 2 SWISS LIFE est antérieure à l’enregistrement du Nom de Domaine Litigieux.

La Commission considère que le Nom de Domaine Litigieux <swiss-life-am.com> est semblable à la marque du Requérant 2 en ce qu’il reproduit la marque invoquée dans son entièreté en ajoutant simplement les lettres “am” après la marque, ainsi que des traits d’union entre les différents termes. Selon la Commission, ces ajouts ne sont pas suffisants pour distinguer le Nom de Domaine Litigieux de la marque du Requérant 2 (Voir la Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux principes UDRP, troisième édition (“Synthèse, version 3.0”), section 1.8).

La Commission estime que la similitude entre le Nom de Domaine Litigieux et la marque du Requérant 2 peut prêter à confusion. Dès lors, le Requérant 2 a établi que le premier élément du paragraphe 4(a) des Principes directeurs est rempli.

B. Droits ou intérêts légitimes

Conformément au paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs, les Requérants ont la charge de la preuve pour établir que le Défendeur n’a ni droits ni intérêts légitimes vis-à-vis du Nom de Domaine Litigieux.

Il est de jurisprudence UDRP constante qu’il suffit pour les Requérants de démontrer qu’à première vue (“prima facie”) le Défendeur n’a ni droits ni intérêts légitimes vis-à-vis du Nom de Domaine Litigieux pour qu’il incombe au Défendeur de démontrer le contraire (Voir Synthèse, version 3.0, section 2.1).

La Commission constate que le Défendeur n’est pas connu sous le Nom de Domain Litigieux et qu’il est hautement improbable qu’il ait acquis des droits de marque. Selon les informations obtenues par l’Unité d’enregistrement, le Défendeur se nomme Yvon Noblet. Les Requérants prétendent avoir contacté une personne portant ce nom qui aurait été victime d’un vol de documents d’identité et de piratage de ses comptes en ligne. Selon les Requérants, cela indique que le Défendeur a manifestement fourni de fausses informations lors de l’enregistrement du Nom de Domaine Litigieux. Les Requérants déclarent qu’ils n’ont aucune relation juridique ou économique avec le Défendeur.

Quoi qu’il en soit, la Commission considère que le Défendeur ne fait aucune utilisation légitime ou de bonne foi du Nom de Domaine Litigieux. Même si le site web lié au Nom de Domaine Litigieux n’a pas l’air actif, il apparaît clairement que le Défendeur a utilisé plusieurs adresses e-mail liées au Nom de Domaine Litigieux afin de se faire passer pour une filiale du groupe des Requérants et de tromper des consommateurs dans le but d’obtenir de l’argent et des informations confidentielles. Le Requérant apporte la preuve qu’au moins une personne a été convaincue de verser de l’argent suite à un contact avec une adresse e-mail liée au Nom de Domaine Litigieux. Il est évident qu’un tel usage ne peut en aucun cas être considéré comme un usage de bonne foi du Nom de Domaine Litigieux.

Il est de jurisprudence UDRP constante que l’usage d’un nom de domaine dans le cadre d’activités illégales (comme le hameçonnage, l’usurpation d’identité ou d’autres type de fraude) ne peut jamais conférer de droits ou d’intérêts légitimes dans le chef du défendeur (Voir Synthèse, version 3.0, section 2.13).

Le Défendeur a eu l’opportunité de répondre aux arguments susmentionnés mais ne l’a pas fait.

Dès lors, la Commission considère que les Requérants ont démontré que le Défendeur n’a ni droits ni intérêts légitimes vis-à-vis du Nom de Domaine Litigieux. Le critère repris au paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est donc rempli.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Les Requérants doivent apporter la preuve sur la balance des probabilités que le Nom de Domaine Litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi (Voir Synthèse, version 3.0, section 4.2; Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003; Control Techniques Limited c. Lektronix Ltd, Litige OMPI No. D2006-1052).

Le paragraphe 4(b) des Principes directeurs prévoit une liste non-exhaustive de circonstances qui peuvent constituer la preuve qu’un nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi. Cette liste comprend le cas où en utilisant un nom de domaine, le défendeur a essayé intentionnellement d’attirer, à des fins commerciales, des utilisateurs d’Internet sur son site web ou toute autre destination en ligne en créant un risque de confusion avec la marque du requérant quant à la source, au parrainage, à l’affiliation ou à l’approbation de son site web ou destination en ligne ou d’un produit ou service offert sur celui-ci.

En l’espèce, il est inconcevable que le Défendeur n’avait aucune connaissance des Requérants et des droits de marque du Requérant 2 lors de l’enregistrement du Nom de Domaine Litigieux. Les Requérants fournissent des copies de plusieurs e-mails provenant d’une adresse e-mail liée au Nom de Domaine Litigieux. Ces e-mails mentionnent maintes fois la marque verbale SWISS LIFE, ou même certaines marques figuratives du Requérant 2. Les marques verbales et figuratives susmentionnées se retrouvent également sur plusieurs documents mentionnant une adresse e-mail “[…]@swiss-life-am.com” liée au Nom de Domaine Litigieux, ainsi que le nom d’une entreprise “Swiss Life Asset Management GmbH” similaire à la filiale Swiss Life Asset Management AG du groupe des Requérants. Cette filiale du groupe des Requérants semble utiliser le nom de domaine <swisslife-am.com>, qui est quasi identique au Nom de Domaine Litigieux et qui indique que les lettres “am” peuvent être considérés comme une abréviation de “asset management”.

Il est dès lors évident que le Défendeur avait connaissance des marques du Requérant 2, qui en outre sont notoires. En outre, certaines pièces des Requérants suggèrent que le Défendeur a fourni de fausses informations lors de l’enregistrement du Nom de Domaine afin de cacher sa véritable identité. Selon la Commission, cela démontre, ou à tout le moins suggère, l’enregistrement de mauvaise foi du Nom de Domaine Litigieux (Voir Synthèse, version 3.0, section 3.2.1; Red Bull GmbH v. Credit du Léman SA, Jean-Denis Deletraz, Litige OMPI No. D2011-2209; Nintendo of America Inc. v. Marco Beijen, Beijen Consulting, Pokemon Fan Clubs Org., and Pokemon Fans Unite, Litige OMPI No. D2001-1070; and BellSouth Intellectual Property Corporation v. Serena, Axel, Litige OMPI No. D2006-0007).

Les Requérants démontrent que le Défendeur a utilisé plusieurs adresses e-mail liées au Nom de Domaine Litigieux afin de se faire passer pour une filiale du groupe des Requérants et de tromper des consommateurs dans le but d’obtenir de l’argent et des informations confidentielles, parfois avec succès. La Commission administrative considère que ceci démontre sur la balance de probabilités que le Nom de Domaine Litigieux a été utilisé par le Défendeur dans le but d’attirer, à des fins lucratives, les internautes en créant une probabilité de confusion avec les marques du Requérant 2 (Voir Synthèse, version 3.0, section 3.4).

En ne soumettant pas de réponse à la plainte, le Défendeur n’a pris aucune initiative pour contester ce qui précède. Conformément au paragraphe 14 des Règles d’application, la Commission administrative devra en tirer les conclusions qu’elle estime appropriées.

La Commission déduit des faits et circonstances susmentionnés que le Nom de Domaine Litigieux a été enregistré et utilisé de mauvaise foi. Par conséquent, la Commission considère que les Requérants ont satisfait le critère énoncé au paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le Nom de Domaine Litigieux <swiss-life-am.com> soit transféré au Requérant 2 (Swiss Life Intellectual Property Management AG).

Flip Jan Claude Petillion
Expert Unique
Le 13 avril 2020