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Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Alstom et Bombardier Inc. (trading as Bombardier Aerospace) contre Patrick Anfossi

Litige No. D2020-0488

1. Les parties

Les Requérantes sont les sociétés Alstom, France, et Bombardier Inc. (trading as Bombardier Aerospace), Canada, représentées par Lynde & Associes, France.

Le Défendeur est Patrick Anfossi, France, représenté par lui-même.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Les noms de domaine litigieux <alstom-bombardier.com> et <bombardier-alstom.com> sont enregistrés auprès de Namebay (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Alstom et Bombardier Inc. (trading as Bombardier Aerospace) auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 28 février 2020. En date du 28 février 2020, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 3 mars 2020 l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire des noms de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 4 mars 2020, le Centre a envoyé un courrier électronique aux Requérantes avec les données relatives au titulaire des noms de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant les Requérantes à soumettre une plainte amendée. Les Requérantes ont déposé une plainte amendée le 6 mars 2020.

Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répondaient bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 9 mars 2020, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 29 mars 2020. Le Défendeur a fait parvenir sa réponse le 24 mars 2020.

En date du 10 avril 2020 le Centre nommait Christiane Féral-Schuhl comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Les Requérantes sont les sociétés Alstom, société française créée en 1928, et Bombardier Inc., société canadienne opérant sous le nom de Bombardier Aerospace et créée en 1942, et qui font partie des leaders mondiaux dans le domaine des infrastructures de transport.

La société Alstom compte environ 34,000 salariés répartis dans plus de 60 pays, et la société Bombardier Inc. compte quant à elle plus de 60,000 employés et est présente dans 25 pays.

Les Requérantes, faisant partie du même consortium, collaborent depuis plusieurs années sur différents projets relatifs aux infrastructures de transport. Le projet de rachat de la branche ferroviaire de la société Bombardier Inc. par la société Alstom, évoqué dans la presse en janvier 2020, a été rendu officiel le 17 février 2020.

Les Requérantes sont chacune titulaires de droits de propriété intellectuelle respectivement sur les dénominations “Alstom” et “Bombardier”.

Ainsi, la société Alstom est titulaire sur la dénomination “Alstom” de plusieurs marques, parmi lesquelles :

- la marque verbale française n° 98727759 ALSTOM, enregistrée le 10 avril 1998 en classes 6, 7, 9, 11, 12, 16, 19, 24, 35, 36, 37, 38, 39, 41, et 42;

- la marque verbale internationale n° 706292 ALSTOM, enregistrée le 28 août 1998 en classes 1, 2, 4, 6, 7, 9, 11, 12, 13, 16, 17, 19, 24, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, et 42, désignant notamment l’Algérie, l’Allemagne, la Chine, Cuba, l’Égypte, le Japon, le Mexique, le Maroc, le Royaume-Uni, la Fédération de Russie, la Thaïlande, et le Vietnam;

- la marque verbale de l’Union européenne n° 000948729 ALSTOM, déposée le 30 septembre 1998 et enregistrée le 8 août 2001 en classes 1, 2, 6, 7, 9, 11, 12, 13, 16, 17, 19, 24, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, et 42;

- la marque verbale des États-Unis d’Amérique (« États-Unis ») n° 85250501 ALSTOM, déposée le 24 février 2011 et enregistrée le 22 juillet 2014 en classes 1, 6, 7, 8, 9, 11, 12, 16, 17, 19, 24, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, et 45.

La société Alstom est en outre titulaire sur la dénomination “Alstom” de plusieurs noms de domaine, notamment :

- le nom de domaine <alstom.com>, enregistré le 20 janvier 1998 et régulièrement renouvelé depuis lors;

- le nom de domaine <alstom.fr>, enregistré le 10 mai 2009 et régulièrement renouvelé depuis lors; et

- le nom de domaine <alstom.eu>.

La société Bombardier Inc. est de son côté titulaire sur la dénomination “Bombardier” notamment des marques suivantes :

- la marque verbale canadienne n° UCA17093 BOMBARDIER, enregistrée le 17 juillet 1942 en classe 12;

- la marque verbale des États-Unis n° 77477345 BOMBARDIER, déposée le 17 mai 2008 et enregistrée le 1er mai 2012 en classes 9, 12, et 37;

- la marque verbale de l’Union européenne n° 002980084 BOMBARDIER, déposée le 17 décembre 2002 et enregistrée le 16 décembre 2005 en classes 4, 7, 9, 12, 25, 37, et 42.

La société Bombardier Inc. est également titulaire sur la dénomination “Bombardier” notamment des noms de domaine suivants :

- le nom de domaine <bombardier.com>, enregistré le 15 janvier 1996 et régulièrement renouvelé depuis lors;

- le nom de domaine <bombardier.fr>, enregistré le 30 octobre 2006 et régulièrement renouvelé depuis lors; et

- le nom de domaine <bombardier.net>, enregistré le 2 mai 1997 et régulièrement renouvelé depuis lors.

Les noms de domaine litigieux <alstom-bombardier.com> et <bombardier-alstom.com> ont été enregistrés le 5 février 2020.

Au jour de la présente décision, les noms de domaine litigieux pointent vers des sites Internet identiques recensant des liens hypertextes renvoyant à des articles de presse évoquant les Requérantes et leur projet commun et proposant un bouton de connexion qui ouvre une fenêtre pop-up sollicitant un nom d’utilisateur et un mot de passe sans lesquels l’internaute est redirigé vers une page d’erreur (“Unauthorized”).

Les Requérantes ont décidé de s’adresser au Centre afin d’obtenir le transfert des noms de domaine litigieux au profit de la société Alstom.

5. Argumentation des parties

A. Requérantes

Les Requérantes soutiennent en premier lieu que les noms de domaine litigieux sont identiques ou semblables, au point de prêter à confusion, aux marques sur lesquelles elles ont des droits.

Les Requérantes considèrent que les noms de domaine litigieux présentent un risque de confusion avec leurs marques ALSTOM et BOMBARDIER dès lors qu’ils associent ces deux marques, avec l’extension “.com” qui ne doit pas être prise en considération dans l’appréciation du risque de confusion.

Les Requérantes soulignent que leurs marques ALSTOM et BOMBARDIER sont reproduites à l’identique dans les noms de domaine litigieux, de manière individualisable puisque séparées par un tiret, de sorte que les internautes penseront que les noms de domaine litigieux appartiennent à l’une ou l’autre des Requérantes et que les sites Internet vers lesquels ils pointent présentent leurs activités.

Les Requérantes estiment que ce risque de confusion est d’autant plus avéré que les marques ALSTOM et BOMBARDIER jouissent d’une renommée internationale, ainsi d’ailleurs que l’ont déjà reconnu plusieurs décisions du Centre s’agissant de la marque ALSTOM.

Les Requérantes rapportent encore qu’il est communément admis que la combinaison en un seul nom de domaine de marques appartenant à deux entités différentes est de nature à entraîner un risque de confusion dès lors qu’elle risque d’amener les internautes à croire que les noms de domaine litigieux sont associés ou ont été déposés avec le consentement des titulaires de ces marques, ce qui est d’autant plus réel en l’espèce compte tenu de l’évolution des Requérantes dans le même secteur d’activité, de leur collaboration passée sur plusieurs projets et de la signature récente d’un protocole d’accord pour l’acquisition par la société Alstom de la branche ferroviaire de la société Bombardier Inc.

Les Requérantes arguent en second lieu de l’absence de droit et d’intérêt légitime du Défendeur sur les noms de domaine litigieux.

Les Requérantes insistent sur le fait qu’elles n’ont jamais autorisé le Défendeur à réserver et à utiliser les noms de domaine litigieux.

Les Requérantes rappellent également que le Défendeur ne leur est aucunement lié, qu’il n’est titulaire d’aucun droit sur les marques ALSTOM et BOMBARDIER et qu’il n’est pas non plus connu sous ces dénominations.

Les Requérantes allèguent en dernier lieu que le Défendeur a enregistré et utilise les noms de domaine litigieux de mauvaise foi, tout d’abord compte tenu de la renommée des marques ALSTOM et BOMBARDIER reproduites entièrement et à l’identique dans les noms de domaine litigieux, que le Défendeur ne pouvait pas ne pas connaître, ce qui est d’autant plus avéré que le Défendeur a inséré sur les sites Internet vers lesquels pointent les noms de domaine litigieux l’image de trains, faisant référence aux activités des Requérantes, et des liens hypertextes renvoyant à des articles de presse qui évoquent le projet d’acquisition par la société Alstom de la branche ferroviaire de la société Bombardier Inc.

Les Requérantes font également valoir que les noms de domaine litigieux ont été réservés quelques jours après l’annonce dans la presse du projet d’acquisition par la société Alstom de la branche ferroviaire de la société Bombardier Inc., de sorte qu’il est peu probable que cette réservation ait été effectuée de façon fortuite.

Les Requérantes déduisent enfin la mauvaise foi du Défendeur du fait qu’il ait opté pour un contrat d’enregistrement permettant l’anonymisation de ses données, tentant ainsi d’usurper l’identité des Requérantes en reproduisant leurs marques et dénominations sociales antérieures renommées.

C’est au regard de l’ensemble de ces arguments et du fait que cette réservation des noms de domaine litigieux les empêche de réserver la combinaison de leurs marques et noms avec l’extension “.com” que les Requérantes sollicitent le transfert des noms de domaine litigieux au profit de la société Alstom.

B. Défendeur

Le Défendeur considère en premier lieu que les noms de domaine litigieux ne peuvent présenter un risque de confusion avec les marques ALSTOM et/ou BOMBARDIER, dès lors que l’ergonomie et la charte graphique choisies pour les sites Internet vers lesquels ils pointent de même que la musique installée sur ces sites Internet n’ont rien en commun avec les chartes graphiques des marques ALSTOM et/ou BOMBARDIER.

Le Défendeur souligne également qu’aucun logo ni référence explicite aux marques ALSTOM et/ou BOMBARDIER via des produits et services n’est présent sur les sites Internet vers lesquels pointent les noms de domaine litigieux, de sorte que les internautes penseront immédiatement que ces sites Internet ne sont aucunement affiliés aux produits et services commercialisés par les Requérantes.

Le Défendeur rappelle en outre qu’il a proposé, en réponse aux sollicitations des conseils des Requérantes, par un email en date du 27 février 2020, d’intégrer un “Disclaimer” sur la page principale des sites Internet vers lesquels pointent les noms de domaine litigieux afin de lever toute ambiguïté, mais qu’aucune réponse ne lui a été transmise, ce dont il déduit que les Requérantes partagent son analyse selon laquelle il n’existe aucun risque de confusion entre les noms de domaine litigieux et les marques des Requérantes.

Le Défendeur ajoute par ailleurs que d’autres noms de domaine non affiliés aux Requérantes utilisent la dénomination ALSTOM, et qu’à sa connaissance les Requérantes n’ont pas engagé de procédure auprès de l’OMPI à l’encontre des titulaires de ces noms de domaine.

Le Défendeur argue en second lieu qu’il présente un intérêt légitime d’utilisation des noms de domaine litigieux afin d’échanger avec des personnes sélectionnées, cela dans un contexte privé, des informations dans le cadre du projet d’acquisition, par la société Alstom, de la branche ferroviaire de la société Bombardier Inc.

Le Défendeur précise que les Requérantes n’ont à ce jour aucune structure organisationnelle, brevet, produit ou service existant associant les dénominations ALSTOM et BOMBARDIER, leur rapprochement n’étant d’ailleurs encore qu’au stade de projet.

Le Défendeur rapporte également qu’il ne fait aucun usage commercial des noms de domaine litigieux et n’a aucune intention de détourner les consommateurs à des fins lucratives en créant une confusion sur les marques, produits et services en cause, puisque leur utilisation se fait dans un cadre bien précis et entre particuliers, l’objectif des sites Internet vers lesquels pointent les noms de domaine litigieux étant d’échanger, avec des personnes sélectionnées, des informations sur l’acquisition annoncée de la branche ferroviaire de la société Bombardier Inc. par la société Alstom, étant entendu que ces informations ne sont pas publiques et que leur accès requiert un identifiant et un mot de passe attribués par l’administrateur de ces sites Internet.

Le Défendeur fait en outre état de ce que les noms de domaine litigieux étant disponibles à la date de leur enregistrement, le 5 février 2020, il ne pouvait imaginer que les Requérantes souhaiteraient les réserver, ce qu’elles auraient pu faire durant les mois précédents.

Le Défendeur estime enfin que les noms de domaine litigieux ont été réservés et son utilisés dans un cadre privé et sans mauvaise foi, dès lors qu’ils ont été enregistrés afin de pouvoir échanger sur un projet d’acquisition en cours entre les Requérantes, et non pas en vue d’empêcher les Requérantes de reprendre leurs marques sous forme de noms de domaine, ni de tenter sciemment d’attirer, à des fins lucratives, les internautes sur les sites Internet vers lesquels pointent les noms de domaine litigieux.

Le Défendeur insiste sur le fait qu’il n’est pas un concurrent des Requérantes et qu’il n’a pas enregistré les noms de domaine litigieux dans le but de perturber les opérations commerciales des Requérantes.

Le Défendeur fait enfin valoir que c’est sans mauvaise foi qu’il a opté pour un contrat d’enregistrement anonyme, dès lors que cela lui est proposé et que l’objet des sites Internet vers lesquels pointent les noms de domaine litigieux est d’échanger des informations entre personnes privées, de sorte que le Défendeur n’avait aucune volonté particulière d’usurpation d’identité des Requérantes mais seulement de protection de ses données personnelles.

Le Défendeur attire l’attention sur le fait que l’unité d’enregistrement avec lequel il a contracté propose à qui le souhaite d’entrer en contact avec les personnes qui enregistrent des noms de domaine par son intermédiaire, et que c’est d’ailleurs par ce biais que les Requérantes ont contacté le Défendeur le 25 février 2020 et que le Défendeur a pu leur répondre par un email daté du 27 février 2020, de sorte que le Défendeur n’a aucunement cherché à cacher son identité aux Requérantes.

C’est au regard de l’ensemble de ces arguments que le Défendeur demande à conserver les noms de domaine litigieux.

6. Discussion et conclusions

A. Consolidation

Selon le paragraphe 4(f) des Principes directeurs, en cas de litiges multiples entre un Défendeur et un Requérant, l’une des parties peut demander de regrouper les litiges par-devant une seule Commission administrative. Cette requête doit être soumise à la première Commission administrative désignée pour instruire un litige en cours entre les parties. La Commission administrative peut regrouper une partie ou l’ensemble des litiges sur lesquels elle a à statuer, à son entière discrétion, sous réserve que les litiges regroupés sont régis par ces Principes directeurs.

De même, le paragraphe 10(e) des Règles d’application prévoit que la Commission administrative peut statuer sur la demande d’une partie de consolider plusieurs litiges portant sur des noms de domaine conformément aux Principes directeurs et à ces règles.

En l’espèce, les Requérantes ont sollicité la consolidation de leurs procédures engagées à l’encontre des noms de domaine litigieux, compte tenu de leur grief commun contre le Défendeur, qui est le titulaire des deux noms de domaine litigieux.

La Commission administrative note que les marques ALSTOM et BOMBARDIER, dont sont respectivement titulaires chacune des Requérantes, sont associées dans chacun des noms de domaine litigieux, dans un contexte de rapprochement entre leurs deux sociétés, de sorte qu’elles présentent bel et bien un intérêt commun dans la présente procédure.

Par conséquent, la Commission administrative, considérant que les Requérantes ont un grief commun contre le Défendeur et qu’il serait équitable et efficace sur le plan procédural de permettre la consolidation de leurs plaintes, décide de consolider les procédures engagées par les Requérantes contre les noms de domaine litigieux enregistrés par le Défendeur.

Selon le paragraphe 4(a) des Principes directeurs, les Requérantes doivent prouver que :

(i) le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur lesquelles les Requérant ont des droits; et

(ii) le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache ; et

(iii) le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

B. Identité ou similitude prêtant à confusion

Selon le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs, les Requérantes doivent démontrer que le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle les requérantes ont des droits.

La Commission administrative estime que les Requérantes ont fourni des éléments prouvant qu’elles sont titulaires de droits sur les marques ALSTOM et BOMBARDIER.

En l’espèce, les noms de domaine litigieux <alstom-bombardier.com> et <bombardier-alstom.com> reprennent intégralement les marques ALSTOM et BOMBARDIER dont sont respectivement titulaires chacune des Requérantes, simplement séparées par un tiret, la seule différence entre les deux noms de domaine litigieux étant l’inversion des places de chacune de ces dénominations en leur sein.

De nombreuses décisions ont déjà constaté, sur le fondement des Principes directeurs, que l’incorporation d’une marque reproduite à l’identique au sein d’un nom de domaine est suffisante pour établir que le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion à la marque sur laquelle le requérant a des droits (voir par exemple Magnum Piering, Inc. c. The Mudjackers and Garwood S. Wilson, Sr., Litige OMPI No. D2000-1525; Bayerische Motoren Werke AG c. bmwcar.com, Litige OMPI No. D2002-0615; RapidShare AG, Christian Schmid c. InvisibleRegistration.com, Domain Admin, Litige OMPI No. D2010-1059 Hoffmann-La Roche Inc., Roche Products Limited c.Vladimir Ulyanov, Litige OMPI No. D2011-1474; Swarovski Aktiengesellschaft c. mei xudong, Litige OMPI No. D2013-0150; The American Automobile Association, Inc. c. Cameron Jackson / PrivacyDotLink Customer 2440314, Litige OMPI No. D2016-1671).

Plus encore, des commissions administratives ont d’ores et déjà eu l’occasion de juger que, lorsque la marque du requérant est reconnaissable dans le nom de domaine litigieux, l’ajout d’autres marques tierces est insuffisant en soi pour éviter de conclure à un risque de confusion avec la marque sur laquelle le requérant a des droits (voir par exemple Chevron Corporation c. Young Wook Kim, Litige OMPI No. D2001-1142; Yahoo! Inc. c. CPIC NET et Syed Hussain, Litige OMPI No. D2001-0195; Bayerische Motoren Werke AG c. Gary Portillo, Litige OMPI No. D2012-1937; Guccio Gucci SpA c. Brenda Hawkins, Litige OMPI No. D2013-0603; Decathlon SAS c. Nadia Michalski, Litige OMPI No. D2014-1996; Go Sport c. Clara Toussaint, Litige OMPI No. D2015-0389; Cummins Inc. c. Dennis Goebel, Litige OMPI No. D2015-1064; Philip Morris USA Inc. c. Whoisguard Protected, Whoisguard, Inc. / MARK JAYSON DAVID, Litige OMPI No. D2016-2194; Aldi GmbH & Co. KG, Aldi Stores Limited c. Ronan Barrett, Litige OMPI No. D2016-2219).

La Commission administrative estime que la reproduction intégrale et à l’identique dans les noms de domaine litigieux de chacune des marques ALSTOM et BOMBARDIER rend les noms de domaine litigieux similaires à ces marques ALSTOM et BOMBARDIER, au point de prêter à confusion.

La Commission administrative souligne à ce titre que l’association des marques ALSTOM et BOMBARDIER au sein des noms de domaine litigieux prête d’autant plus à confusion que les Requérantes respectivement titulaires de chacune de ces marques évoluent dans le même secteur d’activité, collaborent depuis de nombreuses années et qu’un protocole d’accord a récemment été signé entre elles et rendu public afin d’encadrer l’acquisition de la partie ferroviaire de l’une des Requérantes, la société Bombardier Inc., par l’autre, la société Alstom.

Par ailleurs, la Commission administrative rappelle que l’extension “.com” n’est pas à prendre en considération dans la comparaison des noms de domaine litigieux et des marques ALSTOM et BOMBARDIER, comme les décisions fondées sur les Principes directeurs le jugent depuis longtemps.

En outre, la Commission administrative insiste sur le fait que le contenu du site Internet associé au nom de domaine litigieux n’est pas généralement pertinent dans le cadre de l’évaluation de la similitude entre les noms de domaine litigieux et les marques (voir par exemple Harry Winston Inc. et Harry Winston SA c. Jennifer Katherman, Litige OMPI No. D2008-1267).

Enfin, la Commission administrative considère que la circonstance évoquée par le Défendeur selon laquelle d’autres noms de domaine enregistrés par des tiers reproduisent la marque ALSTOM ne saurait suffire à éviter la caractérisation d’une similitude prêtant à confusion entre les noms de domaine litigieux et les marques des Requérantes.

La Commission administrative estime donc que les noms de domaine litigieux sont similaires au point de prêter à confusion avec les marques détenues par les Requérantes, au sens du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.

C. Droits ou intérêts légitimes

Aux termes du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs, les Requérantes doivent être en mesure de démontrer que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache.

Si la charge de la preuve de l’absence de droit ou d’intérêt légitime du Défendeur incombe aux Requérantes, les commissions administratives considèrent qu’il est difficile de prouver un fait négatif. Il est donc généralement admis que les Requérantes doivent établir prima facie que le Défendeur n’a pas de droit ni d’intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux (voir par exemple Croatia Airlines d.d. c. Modern Empire Internet Ltd., Litige OMPI No. D2003-0455). Il incombe ensuite au Défendeur de renverser cette présomption. S’il n’y parvient pas, les Requérantes sont présumées avoir satisfait aux exigences posées par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs (voir par exemple Denios Sarl c. Telemediatique France, Litige OMPI No. D2007-0698).

En l’espèce, les Requérantes établissent de façon générale qu’elles n’ont pas autorisé le Défendeur à utiliser leurs marques ALSTOM et/ou BOMBARDIER ou à enregistrer les noms de domaine litigieux, n’ayant aucune relation avec lui.

La Commission administrative considère ainsi que les Requérantes ont établi prima facie l’absence de droits ou d’intérêts légitimes du Défendeur. Il appartenait donc au Défendeur de démontrer ses droits ou intérêts légitimes sur les noms de domaine litigieux.

A ce titre, la Commission administrative ne tiendra pas compte de l’argument du Défendeur consistant à souligner que les Requérantes n’ont à ce jour aucune structure organisationnelle, brevet, produit ou service existant associant les dénominations ALSTOM et BOMBARDIER, et que leur rapprochement n’est encore qu’au stade de projet, dès lors que cet argument n’est pas de nature à démontrer les éventuels droits ou intérêts légitimes du Défendeur sur les noms de domaine litigieux.

Il en est de même de l’argument du Défendeur selon lequel les noms de domaine litigieux étaient disponibles à la date de leur enregistrement de sorte qu’il ne pouvait imaginer que les Requérantes souhaiteraient les réserver.

Le Défendeur argue en second lieu qu’il présente un intérêt légitime d’utilisation des noms de domaine litigieux afin d’échanger avec des personnes sélectionnées et gérées, cela dans un contexte privé, des informations dans le cadre du projet d’acquisition par la société Alstom de la branche ferroviaire de la société Bombardier Inc.

Le Défendeur prétend détenir des droits et intérêts légitimes sur les noms de domaine litigieux de son absence d’usage commercial de ces noms de domaine litigieux, et de son absence d’intention de détourner les consommateurs à des fins lucratives en créant une confusion sur les marques, produits et services en cause, précisant que l’objectif des sites internet vers lesquels pointent les noms de domaine litigieux est d’échanger, avec des personnes sélectionnées, des informations sur l’acquisition annoncée de la branche ferroviaire de la société Bombardier Inc. par la société Alstom, et que ces informations ne sont pas publiques, leur accès requérant un identifiant et un mot de passe attribués par l’administrateur de ces sites internet.

Or, le paragraphe 4(c)(iii) des Principes directeurs prévoit effectivement que la preuve de l’intérêt légitime du Défendeur attaché au nom de domaine litigieux peut être rapportée lorsqu’il est fait une “une utilisation non commerciale légitime ou loyale du nom de domaine, sans intention d’en tirer des profits commerciaux en détournant de façon trompeuse les utilisateurs ou en ternissant l’image de la marque commerciale ou de la marque de service en question”.

En l’espèce, la Commission administrative constate que le Défendeur fait bien des noms de domaine litigieux un usage non commercial détaché de toutes fins lucratives, et qu’il ne s’agit pas non plus pour lui de ternir les marques ALSTOM et BOMBARDIER mais seulement de réunir sur une même page une liste de liens hypertextes pointant vers des articles de presse relatifs à l’acquisition annoncée de la branche ferroviaire de la société Bombardier Inc. par la société Alstom.

Néanmoins, pour constituer l’exception prévue au paragraphe 4(c)(iii) des Principes directeurs, il est encore nécessaire que cet usage apparaisse légitime ou loyal.

Or, si la Commission administrative admet que la poursuite d’un objectif d’information du public puisse constituer un tel usage légitime ou loyal, il lui apparaît en revanche justifié de considérer que la poursuite de cet objectif n’implique pas le droit pour le Défendeur de pouvoir utiliser des noms de domaine strictement identiques aux marques des Requérantes, laissant ainsi courir le risque que les sites Internet vers lesquels pointent les noms de domaine litigieux soient assimilés à des site Internet officiels relatifs à l’acquisition annoncée de la branche ferroviaire de la société Bombardier Inc. par la société Alstom.

Il y a lieu selon la Commission d’administrative de s’aligner sur des décisions antérieures rendues dans des affaires où le droit de critique était invoqué comme utilisation non commerciale légitime ou loyale par le Défendeur, et dans lesquelles il a alors été considéré que le droit de critiquer ne s’étendait pas nécessairement à l’enregistrement et à l’utilisation d’un nom de domaine identique ou similaire à la marque du Requérant, particulièrement lorsque le Défendeur utilisait la marque seule comme nom de domaine (c’est-à-dire, <marque.tld>), dès lors que les internautes pouvaient alors penser avoir affaire au titulaire de ladite marque, à tort (voir par exemple Skattedirektoratet c. Eivind Nag, Litige OMPI No. D2000-1314; The First Baptist Church of Glenarden c. Melvin Jones, Litige OMPI No. D2009-0022; Puravankara Projects Limited c. Saurabh Singh, Litige OMPI No. D2014-2054).

Plus encore, il apparait que les sites Internet vers lesquels pointent les noms de domaine litigieux permettent également à des internautes, sélectionnés par l’administrateur de ces sites sur des critères inconnus, d’échanger entre eux des informations sur ce projet d’acquisition par la société Alstom de la branche ferroviaire de la société Bombardier Inc.

Ces échanges requérant une connexion préalable au moyen d’identifiant et mot de passe fournis par l’administrateur de ces sites, il est à ce stade impossible de savoir de quelle nature sont les informations échangées à ce sujet, ni quels sont les types de personnes qui peuvent y avoir accès.

Au regard de ces éléments, la Commission administrative n’estime pas pouvoir considérer que l’exception prévue au paragraphe 4(c)(iii) des Principes directeurs est constituée en l’espèce.

Par conséquent, et conformément aux paragraphes 4(a)(ii) et 4(c) des Principes directeurs, la Commission administrative considère que le Défendeur n’a aucun droit ni intérêt légitime sur les noms de domaine litigieux <alstom-bombardier.com> et <bombardier-alstom.com>.

D. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Selon le paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs, les Requérantes doivent démontrer que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi par le Défendeur.

Le paragraphe 4(b) ajoute que la preuve de ce que le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi peut être constituée, en particulier, pour autant que leur réalité soit constatée par la Commission administrative, par les circonstances ci-après :

(i) les faits montrent que le nom de domaine a été enregistré ou acquis essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au Requérant qui est propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celle-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais qu’elle peut prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine;

(ii) le nom de domaine a été enregistré en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine;

(iii) le nom de domaine a été enregistré essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent; ou

(iv) en utilisant le nom de domaine, le Défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un site Web ou autre espace en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du Requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation du site ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé.

Tout d’abord, la Commission administrative rappelle que cette liste de circonstances devant permettre d’établir la mauvaise foi du Défendeur est non exhaustive.

En l’espèce, la Commission administrative considère en premier lieu que le Défendeur ne pouvait ignorer l’existence des marques antérieures des Requérantes au moment de l’enregistrement des noms de domaine litigieux, ce qui n’est au demeurant pas contesté par le Défendeur, dès lors en particulier que les sites vers lesquels pointent les noms de domaine litigieux proposent notamment une liste de liens hypertextes pointant vers des articles de presse évoquant les Requérantes.

Le Défendeur indique d’ailleurs expressément dans ses écritures que l’objectif des sites Internet vers lesquels pointent les noms de domaine litigieux est d’échanger des informations sur l’acquisition annoncée de la branche ferroviaire de la société Bombardier Inc. par la société Alstom, ce dont la Commission administrative déduit qu’il était ainsi en mesure de s’assurer de l’absence de droits de tiers sur les termes composant les noms de domaine litigieux, ce qu’il aurait dû faire avant de les enregistrer.

En outre, il est admis que la nature du nom de domaine litigieux constitue un critère supplémentaire d’évaluation de la mauvaise foi, or la Commission administrative souligne à nouveau que les noms de domaine litigieux sont constitués de l’association des marques des Requérantes reproduites in extenso, séparées par un simple tiret.

Ceci a pour conséquence d’induire en erreur, ou à tout le moins de “surprendre”, les internautes qui souhaiteraient obtenir des informations officielles sur l’acquisition annoncée de la branche ferroviaire de la société Bombardier Inc. par la société Alstom (voir par exemple Puravankara Projects Limited c. Saurabh Singh, Litige OMPI No. D2014-2054).

Le préjudice des Requérantes résulte ainsi de la confusion causée par l’attraction initiale exercée sur les sites Internet du Défendeur par le biais de l’emprunt des marques des Requérantes, peu important à ce titre que le Défendeur ait proposé l’insertion sur ses sites Internet d’un “Disclaimer” qui, quand bien même il aurait effectivement été inséré, aurait été insuffisant à pallier ce détournement des internautes (voir par exemple Estée Lauder Inc. c. estelauder.com, estelauder.net and Jeff Hanna, Litige OMPI No. D2000-0869).

Dès lors, sans préjuger de la licéité ou non de l’échange d’informations réalisé par le Défendeur par le biais des sites Internet vers lesquels pointent les noms de domaine litigieux, ce qui n’entre pas dans les attributions de la Commission administrative, et au seul regard de la nature des noms de domaine litigieux enregistrés et utilisés par le Défendeur, la Commission administrative considère établi le critère de la mauvaise foi requis aux paragraphes 4(a)(iii) et 4(b)(i) des Principes directeurs.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que les noms de domaine litigieux <alstom-bombardier.com> et <bombardier-alstom.com> soient transférés à la société Alstom.

Christiane Féral-Schuhl
Expert Unique
Le 15 avril 2020