Le Requérant est Carrefour, France, représenté par IP Twins S.A.S., France.
Le Défendeur est Dani Lapo, France.
Le nom de domaine litigieux <carrefour-services.pro> est enregistré auprès de Hosting Concepts B.V. d/b/a Openprovider (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).
Une plainte a été déposée par Carrefour auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 5 mai 2020. En date du 5 mai 2020, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 6 mai 2020, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 6 mai 2020, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte. Le Requérant a déposé une plainte amendée le 7 mai 2020. Le Requérant a par la suite déposé une seconde plaine amendée contenant les mesures de réparation demandées le 11 mai 2020.
L’Unité d’enregistrement a aussi indiqué que la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux est l’anglais. Le 6 mai 2020, la plainte ayant été déposée en français, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant, l’invitant à fournir la preuve suffisante d’un accord entre les Parties, la plainte traduite en anglais, ou une demande afin que le français soit la langue de la procédure. Le Requérant a confirmé sa demande afin que le français soit la langue de la procédure le 7 mai 2020. Le Défendeur n’a pas soumis d’observations.
Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répondaient bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 26 mai 2020, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative en anglais et en français, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 15 juin 2020. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 16 juin 2020, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.
En date du 23 juin 2020, le Centre nommait Louis-Bernard Buchman comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
Le Requérant est la société française Carrefour, un des leaders mondiaux de la grande distribution et le pionnier en 1968 du concept d’hypermarché, cotée à la bourse de Paris. Elle dispose de plus de 12.000 magasins exploités en propre ou en franchise dans plus de 30 pays (dont la France où elle a son siège), avec plus de 384.000 collaborateurs. En 2018, son chiffre d’affaires était de EUR 76 milliards. Carrefour propose également à sa clientèle des services de banque, d’assurance, de voyages et de spectacles.
Le Requérant est titulaire de très nombreuses marques enregistrées consistant en la dénomination CARREFOUR, parmi lesquelles:
- la marque de l’Union européenne CARREFOUR n° 005178371 enregistrée le 30 août 2007;
- la marque française CARREFOUR n° 1487274 enregistrée le 2 septembre 1988 (et consistant en le renouvellement de l’enregistrement n° 1066804 du 11 septembre 1978);
- les marques internationales CARREFOUR n° 351147, enregistrée le 2 octobre 1968, et n° 353849, enregistrée le 28 février 1969
(ci-après ensemble désignées: “la Marque”).
En outre, le Requérant est titulaire de plusieurs noms de domaine incorporant la Marque, dont <carrefour.com>, enregistré le 25 octobre 1995.
Le Défendeur est Dani Lapo, dont l’adresse renseignée est située en France.
Le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux <carrefour-services.pro> en date du 24 avril 2020.
Le nom de domaine litigieux avant sa suspension renvoyait les internautes vers une page active imitant une page du site CARREFOUR Banque du Requérant, et présentant un risque d’hameçonnage. A la date à laquelle la présente décision est rendue, le nom de domaine litigieux est inactif.
(i) Le Requérant dispose d’un droit sur la Marque.
(ii) Le nom de domaine litigieux contient la Marque.
(iii) Le nom de domaine litigieux porte atteinte aux droits dont est titulaire le Requérant, en ce qu’il imite la Marque, et est susceptible de créer un risque de confusion dans l’esprit des internautes en laissant croire que le site vers lequel pointait le nom de domaine litigieux est lié au Requérant.
(iv) Le Défendeur n’a jamais été affilié au Requérant ni autorisé par lui à utiliser la Marque à quelque titre que ce soit. Le Défendeur ne peut justifier d’aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux, le fait de se faire passer pour le Requérant pouvant en outre lui permettre de récupérer les informations personnelles des utilisateurs et manifestant une intention frauduleuse allant à l’encontre de tout droit ou intérêt légitime.
(v) Le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux et l’utilise de mauvaise foi.
(vi) Le Requérant demande que le nom de domaine litigieux lui soit transféré.
Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.
L’Unité d’enregistrement a indiqué que le contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux était en langue anglaise. En ce qui concerne la langue de la procédure, le Requérant a demandé que la langue de la procédure soit le français en vue d’assurer le règlement rapide du litige, à des coûts raisonnables, compte tenu des circonstances de l’espèce et en particulier du fait qu’il n’existe selon lui aucun doute quant à une compréhension suffisante de la langue française par le Défendeur.
Le Requérant invoque de surcroît, à l’appui de cette demande, le fait que l’emploi du français ne serait pas préjudiciable aux droits du Défendeur, celui-ci étant domicilié en France.
Il appartient donc à la Commission administrative de se prononcer sur la langue de la procédure. Le Défendeur ne s’est pas opposé à cette demande. La Commission administrative, estimant que choisir une autre langue de procédure générerait des frais de traduction et des délais, et faisant application des dispositions du paragraphe 11(a) des Règles d’application et de son pouvoir d’appréciation, décide que le français sera la langue de la procédure.
Par ailleurs, il est rappelé que la Commission administrative est tenue d’appliquer le paragraphe 15(a) des Règles d’application qui prévoit que: “La commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux principes directeurs, aux présentes règles et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicable.”
Le paragraphe 10(a) des Règles d’application donne à la Commission administrative un large pouvoir de conduire la procédure administrative de la manière qu’elle juge appropriée, conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application, et elle doit aussi veiller à ce que la procédure soit conduite avec célérité (paragraphe 10(c) des Règles d’application).
En conséquence, la Commission administrative s’est attachée à vérifier, au vu des seuls arguments et pièces disponibles, si l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux portaient atteinte aux droits du Requérant et si le Défendeur pouvait justifier de droits sur ce nom de domaine.
Dans le cadre de l’analyse de la première condition du paragraphe 4(a), la Commission administrative doit se contenter de constater si le droit de marque du Requérant existe ou non.
Au vu des pièces versées au dossier, la Commission administrative constate que le Requérant justifie de droits exclusifs sur la dénomination “carrefour”, à titre de marque enregistrée.
Demeure alors la question de la comparaison entre cette dénomination d’une part et le nom de domaine litigieux d’autre part. Or le nom de domaine litigieux reproduit l’élément distinctif de cette dénomination.
En ce qui concerne l’identité ou la similitude de la Marque par rapport au nom de domaine litigieux, la seule différence consiste en l’ajout d’un tiret suivi du terme “services” dans le nom de domaine litigieux. Cette différence ne saurait aux yeux de la Commission administrative conférer un autre sens au nom de domaine litigieux ni permettre de le distinguer de la Marque.
Il est établi par ailleurs que les extensions de nom de domaine (telles que “.pro”), nécessaires pour leur enregistrement, sont généralement sans incidence sur l’appréciation du risque de confusion, les extensions pouvant donc ne pas être prises en considération pour examiner la similarité entre la Marque du Requérant et le nom de domaine litigieux, conformément à nombre de décisions UDRP déjà rendues (voir Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003; Accor c. Accors, Litige OMPI No. D2004-0998).
La Commission administrative estime que le public en général et les internautes en particulier pourraient penser que le nom de domaine litigieux renvoie au Requérant, ce nom de domaine litigieux étant similaire à la Marque sur laquelle le Requérant a des droits, au point de prêter à confusion (voir Citibank Privatkunden AG & Co. KGaA c. PrivacyProtect.org / N/A, indishi india mr.ugala, Litige OMPI No. D2010-1147; Credit Industriel et Commercial S.A., BanqueFédérative du Crédit Mutuel c. Headwaters MB, Litige OMPI No. D2008-1892; Banque Saudi Fransi c. ABCIB, Litige OMPI No. D2003-0656; Islamic Bank of Britain Plc c. Ifena Consulting, Charles Shrimpton, Litige OMPI No. D2010-0509; BPCE c. PrivacyProtect.org / Maksym Pastukhov, Litige OMPI No. D2010-1666).
Dans ces conditions, la Commission administrative constate que l’exigence du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est satisfaite.
Il est admis que, s’agissant de la preuve d’un fait négatif, une commission administrative ne saurait se montrer trop exigeante vis-à-vis d’un requérant. Lorsqu’un requérant a allégué le fait que le défendeur n’a aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine, il incombe au défendeur d’établir le contraire, puisque lui seul détient les informations nécessaires pour ce faire. S’il n’y parvient pas, les affirmations du requérant sont réputées exactes (Eli Lilly and Company c. Xigris Internet Services, Litige OMPI No. D2001-1086; Do The Hustle, LLC c. Tropic Web, Litige OMPI No. D2000-0624).
Aucun élément du dossier ne révèle qu’avant la naissance du litige, le Défendeur ait utilisé le nom de domaine litigieux, ou un nom correspondant au nom de domaine litigieux, en relation avec une offre de bonne foi de produits ou services ou qu’il ait fait des préparatifs sérieux à cet effet.
Le Défendeur n’est en aucune manière affilié au Requérant et n’a pas été autorisé par ce dernier à utiliser la Marque ou à procéder à l’enregistrement d’un nom de domaine incluant la Marque.
Par ailleurs, le mutisme conservé par le Défendeur, qui a choisi de ne pas répondre à la plainte dans la présente procédure, ne permet pas de penser qu’il ferait un usage légitime et non commercial du nom de domaine litigieux.
Au contraire, le Requérant argue de la possibilité pour le Défendeur de faire usage du nom de domaine litigieux à des fins frauduleuses.
Dans ces conditions, la Commission administrative est d’avis que le Défendeur n’ayant pas de droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache, l’exigence du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est satisfaite.
La mauvaise foi doit être prouvée dans l’enregistrement comme dans l’usage.
En ce qui concerne l’enregistrement de mauvaise foi, la bonne foi du Défendeur lors de l’enregistrement ne ressort d’aucun document soumis au dossier.
La Commission administrative estime que le choix comme nom de domaine d’une marque notoire telle que la Marque, reconnue comme telle par nombre de décisions de commissions administratives (voir notamment Carrefour c. Yunjinhua, Litige OMPI No. D2014-0257; Carrefour c. Park KyeongSook, Litige OMPI No. D2014-1425 ; Carrefour c. VistaPrint Technologies Ltd., Litige OMPI n° D2015-0769; Carrefour c. WhoisGuard, Inc., WhoisGuard Protected / Robert Jurek, Katrin Kafut, Purchasing clerk, Starship Tapes & Records, Litige OMPI No. D2017-2533; Carrefour c. Jane Casares, NA, Litige OMPI No. D2018-0976; Carrefour c. Jean-Pierre Andre Preca, Litige OMPI No. D2018-2857), en la faisant suivre d’un tiret et de l’élément “services” (qui ne saurait conférer un sens différent à la dénomination “carrefour”, ni permettre de le distinguer de la Marque), ne peut être le fruit d’une simple coïncidence.
De surcroît, le Défendeur a effectué cette réservation dans le but manifeste de se faire passer pour le Requérant en renvoyant les internautes vers un site présentant une grande similitude avec le site Carrefour Banque du Requérant.
Dans ces circonstances, la Commission administrative estime plus qu’improbable qu’au moment où il a enregistré le nom de domaine litigieux, le Défendeur ait pu ne pas avoir connaissance de la Marque.
Il est établi que le site vers lequel pointait le nom de domaine litigieux pouvait être utilisé à des fins frauduleuses par hameçonnage.
En outre, l’usage de mauvaise foi du nom de domaine litigieux par le Défendeur peut aussi résulter, en certaines circonstances, du fait que son usage de bonne foi ne soit d’aucune façon plausible (voir Audi AG c. Hans Wolf, Litige OMPI No. D2001-0148), compte tenu de la spécificité de l’activité du Requérant.
Enfin, certaines commissions administratives ont même estimé que dans certaines circonstances, les personnes qui réservent des noms de domaine ont l’obligation de s’abstenir d’enregistrer et d’utiliser un nom de domaine qui soit identique ou similaire à une marque détenue par d’autres, et qu’enfreindre notamment les dispositions du paragraphe 2 des Principes directeurs, qui dispose que: “En demandant l’enregistrement d’un nom de domaine ou le maintien en vigueur ou le renouvellement d’un enregistrement de nom de domaine, vous affirmez et nous garantissez que … b) à votre connaissance, l’enregistrement du nom de domaine ne portera en aucune manière atteinte aux droits d’une quelconque tierce partie …”, peut être constitutif de mauvaise foi.
La Commission administrative conclut qu’en détenant et utilisant le nom de domaine litigieux à des fins frauduleuses et en ne se manifestant pas dans la présente procédure administrative, le Défendeur a procédé à une utilisation de mauvaise foi du nom de domaine litigieux.
Il en résulte que les trois éléments prévus au paragraphe 4(a) des Principes directeurs sont cumulativement réunis.
Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <carrefour-services.pro> soit transféré au Requérant.
Louis-Bernard Buchman
Expert Unique
Le 2 juillet 2020