Le Requérant est Carrefour, France, représenté par IP Twins S.A.S., France.
Le Défendeur est Geoffroy Pichon, France.
Le nom de domaine litigieux <carrefourbio.shop> est enregistré auprès de OVH (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).
Une plainte a été déposée par Carrefour auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 12 juin 2020. En date du 12 juin 2020, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 15 juin 2020, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 16 juin 2020, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte. Le Requérant a déposé une plainte amendée le 16 juin 2020.
Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répondaient bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 24 juin 2020, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 14 juillet 2020. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 15 juillet 2020, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.
En date du 30 juillet 2020, le Centre nommait Michel Vivant comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
La société Carrefour détient plusieurs centaines de droits de marque comportant la dénomination Carrefour. Parmi ceux-ci peuvent être relevées une marque de l’Union européenne CARREFOUR n° 5178371 enregistrée le 30 août 2007, une marque de l’Union européenne CARREFOUR n° 8779498 enregistrée le 13 juillet 2010, diverses marques internationales dont une marque CARREFOUR n°351147 enregistrée le 2 octobre 1968 et une autre marque CARREFOUR n°353849, enregistrée le 28 février 1969.
Le nom de domaine litigieux <carrefourbio.shop> a été enregistré le 18 avril 2020.
Au moment du dépôt de la plainte, le nom de domaine litigieux pointait vers la page parking de l’Unité d’enregistrement.
Le Requérant fait état des nombreuses marques CARREFOUR qu’il détient et, s’appuyant notamment sur plusieurs décisions antérieures des commissions administratives, affirme le caractère notoire de ces marques.
Il soutient que le nom de domaine litigieux reproduit à l’identique et “en position d’attaque” les marques antérieures, reprenant dans son intégralité lesdites marques. Il soutient encore que l’association du terme “bio” à ces marques est de nature à accroitre le risque de confusion, dès lors que ce terme correspond à l’un de ses domaines d’activité. Il ajoute que l’extension “.shop” du nom de domaine litigieux n’a pas être prise en compte. Ainsi, pour le Requérant, le nom de domaine litigieux est semblable, au point de prêter à confusion, à ses marques au sens du Paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.
Le Requérant fait ensuite valoir que le Défendeur n’est pas connu, comme personne physique ou morale, à travers le nom de domaine litigieux, qu’il ne détient aucune marque CARREFOUR, qu’il n’utilise pas réellement le nom de domaine (qui renvoie seulement à une “page par défaut d’Unité d’enregistrement”), qu’il n’a reçu de sa part aucune autorisation d’utiliser le nom de domaine litigieux. Mettant l’accent sur la rapidité de sa réaction qui, dit-il, montre bien sa volonté de ne pas autoriser l’usage de ses marques, il conclut de tout cela que le Défendeur doit être considéré comme n’ayant aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.
Enfin, le Requérant soutient que le Défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi. Il fait valoir, pour cela, que les marques antérieures CARREFOUR jouissent d’une telle renommée qu’il est inconcevable que le Défendeur les ait ignorées, la proximité des marques d’une part et du nom de domaine litigieux d’autre part ne pouvant s’expliquer que par une volonté de tromper la vigilance des internautes. Il ajoute encore qu’il faut “prendre en compte l’ensemble des faits dans la détermination de l’enregistrement et de l’utilisation de mauvaise foi du nom de domaine contesté” (reproduction d’une marque notoire, absence de réponse du Défendeur, utilisation d’un service de protection d’anonymisation…). L’enregistrement et l’utilisation de mauvaise foi du nom de domaine litigieux sont ainsi, dit-il, démontrés.
Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.
Le Requérant est titulaire de nombreuses marques CARREFOUR enregistrées bien avant la date à laquelle le nom de domaine litigieux ne le soit (dont, comme le met spécialement en avant le Requérant, une marque de l’Union européenne CARREFOUR n° 5178371 enregistrée le 30 août 2007, une marque de l’Union européenne CARREFOUR n° 8779498 enregistrée le 13 juillet 2010, diverses marques internationales dont une marque CARREFOUR n° 351147 enregistrée le 2 octobre 1968 et une autre marque CARREFOUR n° 353849, enregistrée le 28 février 1969).
Le nom de domaine litigieux incorpore la marque du Requérant CARREFOUR dans son entièreté, ce qui a toujours été considéré par les commissions administratives comme la manifestation forte d’une pratique de cybersquattage. Qui plus est, l’adjonction d’un terme tel que “bio” n’est aucunement de nature à empêcher le nom de domaine litigieux d’être identique à la marque du Requérant ou de présenter au moins une similitude avec celle-ci prêtant à confusion (cf. section 1.8 de la Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux Principes UDRP, troisième édition (“Synthèse, version 3.0”)).
En conséquence, la Commission administrative considère que le nom de domaine litigieux est semblable à la marque du Requérant au point de prêter à confusion, au sens du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.
Ainsi que l’observe le Requérant, le Défendeur ne s’est pas fait connaître à travers le nom de domaine litigieux qu’au demeurant il n’utilise pas. Il ne détient aucune marque CARREFOUR et n’a reçu aucune autorisation de la part du Requérant d’utiliser ses marques.
La Commission administrative observe, en outre, que, si le Défendeur avait bien des droits ou intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux, il aurait été facile pour lui de ne pas faire défaut et de faire valoir ses arguments.
Aussi il apparaît à la Commission administrative que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache au sens du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs.
Les marques CARREFOUR sont des marques bien connues à travers le monde de telle sorte que le caractère notoire de celles-ci a été plusieurs fois affirmé par les commissions administratives dans les décisions UDRP (Voir Carrefour v. Perfect Privacy, LLC / Milen Radumilo, Litige OMPI No. D2019-2610; ou Carrefour v. Contact Privacy Inc. Customer 0155401638 / Binya Rteam, Litige OMPI No. D2019-2895). Ainsi est-il hors de doute que le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux en toute connaissance de cause et en méconnaissance des droits du Requérant.
Par ailleurs, aucun usage véritable n’est fait du nom de domaine litigieux qui se borne en l’état à renvoyer à une page d’unité d’enregistrement. Or une telle pratique d’“usage passif”, spécialement quand est incluse dans le nom de domaine litigieux une marque connue, sans but apparent légitime, est clairement condamnée par les commissions administratives (cf. par exemple Telstra Corporation Limited v. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003; ou Confédération Nationale du Crédit Mutuel v. Balley Arthur, Touvet-Gestion, Litige OMPI No. D2015-2221). L’utilisation du nom de domaine litigieux doit donc être tenu pour un usage de mauvaise foi.
La Commission administrative fait en outre sienne l’observation du Requérant selon laquelle il faut prendre en compte l’ensemble des faits dans la détermination de l’enregistrement et de l’utilisation de mauvaise foi du nom de domaine litigieux, tout convergeant en l’espèce (reproduction d’une marque notoire, absence de réponse du Défendeur) pour faire tenir les agissements du Défendeur pour des agissements de mauvaise foi.
Ainsi la Commission administrative juge caractérisés l’enregistrement comme l’usage de mauvaise foi au sens du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs.
Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <carrefourbio.shop> soit transféré au Requérant.
Michel Vivant
Expert Unique
Le 13 août 2020