Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

COLAS, Société Anonyme contre Elliott Murray

Litige No. D2020-2417

1. Les parties

Le Requérant est COLAS, Société Anonyme, France, représenté en interne.

Le Défendeur est Elliott Murray, France.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le nom de domaine litigieux <colas-projects.com> est enregistré auprès de Namebay (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par COLAS, Société Anonyme auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 17 septembre 2020. En date du 17 septembre 2020, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 26 septembre 2020 l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 29 septembre 2020, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte/une plainte amendée. Le Requérant a déposé une plainte amendée le 30 septembre 2020.

L’Unité d’enregistrement a aussi indiqué que la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux est le français. Le 29 septembre 2020, la plainte ayant été déposée en anglais, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant, l’invitant à fournir la preuve suffisante d’un accord entre les Parties pour poursuivre en anglais, une plainte traduite en français, ou une demande afin que l’anglais soit la langue de la procédure. Le Centre a également invité le Défendeur à soumettre ses commentaires. Le Requérant a déposé la plainte traduite en français le 30 septembre 2020. Le Défendeur n’a pas soumis d’observations.

Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répondent bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 7 octobre 2020, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 27 octobre 2020. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 28 octobre 2020, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 17 novembre 2020, le Centre nommait Benjamin Fontaine comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant est la société française Colas, Société Anonyme, acteur majeur dans les activités d’infrastructures de transport et qui est présent dans trois métiers principaux : la route (travaux de construction et d’entretien routiers), les matériaux (production et recyclage de matériaux de construction, principalement granulats et bitume) et le ferroviaire.

Le Requérant exerce ses activités en France et ailleurs sous la marque ombrelle COLAS. La dénomination COLAS fait l’objet de nombreux enregistrements de marque à travers le monde, et sont notamment invoqués à l’appui de la Plainte :

- La marque française COLAS No. 3051318 déposée le 13 septembre 2000, et

- La marque internationale COLAS No. 753190 enregistrée le 16 février 2001.

Le Requérant est également titulaire de divers droits sur la marque semi-figurative COLAS reproduite ci-après :

logo

Cette marque est notamment enregistrée en France sous le No. 4337437 depuis le 10 février 2017.

Le Requérant justifie par ailleurs détenir une filiale dont la dénomination sociale est Colas Projects. Cette société a été immatriculée le 22 août 2018, et elle a essentiellement vocation à gérer des projets de grande envergure.

Le nom de domaine litigieux <colas-projects.com> a été réservé le 28 août 2020. Ce nom de domaine n’héberge pas de site Internet, mais a été utilisé pour créer à tout le moins une adresse email. Ainsi, le Requérant a versé au dossier une copie d’un email adressé le 08 septembre 2020 depuis une adresse […@colas-project.com] à un fournisseur du Requérant. Un individu se présentant comme le “Responsable des Achats Internationaux” de la société Colas y sollicitait la fourniture de matériel nécessaire à la réalisation de projets. Cet email reproduisait notamment en signature le logo du Requérant, tel qu’enregistré à titre de marque et reproduit ci-dessus, et l’adresse de son siège social à Paris.

Alerté par son fournisseur sur cette tentative de fraude, le Requérant a saisi le Centre afin de solliciter le transfert du nom de domaine litigieux.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant expose notamment les arguments suivants à l’appui de sa plainte :

En premier lieu, sur la similitude prêtant à confusion, le Requérant indique que le terme « colas » est parfaitement arbitraire, et donc “particulièrement distinctif”. Il indique que l’ajout du terme « projects » n’est pas susceptible de différencier le nom de domaine litigieux de ses marques, dans la mesure où il est dénué de caractère distinctif.

En second lieu, sur l’absence de droits ou d’intérêt légitime du Défendeur, le Requérant expose notamment que celui-ci n’exerce pas d’activité de bonne foi sous le nom de domaine litigieux, ne semble pas disposer de droits sur les signes COLAS ou COLAS PROJECTS, et enfin qu’il n’a pas été autorisé par lui à utiliser ses marques. Au contraires, l’email envoyé depuis l’adresse email configurée à partir du nom de domaine litigieux démontre bien un usage à des fins frauduleuses.

En troisième lieu, sur l’enregistrement et l’usage de mauvaise foi, le Requérant estime que l’importance significative de ses activités – plus de EUR 13 milliards de chiffre d’affaire, plus de 50.000 employés, une présence dans 50 pays – impliquent que la marque COLAS bénéficie d’une forte réputation et en fait une cible idéale pour des activités frauduleuses. Le Requérant estime avoir été ciblé par le Défendeur à des fins frauduleuses, comme le démontre l’email adressé à l’un de ses fournisseurs.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.

6. Discussion et conclusions

Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au requérant d’apporter la preuve que les trois conditions suivantes sont réunies cumulativement :

- Le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits,

- Le défendeur ne dispose d’aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache,

- Le nom de domaine est enregistré et utilisé de mauvaise foi.

La Commission administrative examine ci-après le bien-fondé de l’argumentation des parties sur ces trois points.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

On rappellera à toutes fins utiles que la dénomination sociale Colas Projects de la filiale de la Requérante ne peut être invoquée à l’appui de la plainte, à défaut d’être un droit de marque.

En revanche, le Requérant a dûment établi être titulaire de droits sur la marque COLAS.

Celle-ci est reproduite en position d’attaque dans le nom de domaine litigieux. Elle demeure parfaitement autonome et perceptible par le public, en dépit de l’adjonction du vocable “projects”, qui en tout état de cause est séparé par un trait d’union. Dans ces conditions et conformément à la jurisprudence UDRP du Centre, il existe bien une similitude prêtant à confusion entre les marques COLAS du Requérant et le nom de domaine litigieux. En ce sens, voir la section 1.7 de la Synthèse de l’OMPI des avis des Commissions administratives sur certaines questions UDRP, version 3.0 (“Synthèse de l’OMPI, version 3.0”).

La première condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs est donc remplie.

B. Droits ou intérêts légitimes

Le paragraphe 4(c) des Principes directeurs énumère de manière non-exhaustive un certain nombre de circonstances de nature à établir les droits ou les intérêts légitimes du défendeur sur le nom de domaine telles que:

(i) avant d’avoir eu connaissance du litige, le défendeur a utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet; ou

(ii) le défendeur (individu, entreprise ou autre organisation) est connu sous le nom de domaine litigieux, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services; ou

(iii) le défendeur fait un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.

Comme il est habituel dans la mise en œuvre des Principes directeurs, il suffit au Requérant d’apporter la preuve prima facie que le Défendeur n’a pas de droits ou intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux. Cette preuve a été dûment rapportée sous forme d’un email reprenant les signes distinctifs du Requérant et utilisé dans le cadre d’une tentative de fraude auprès d’un partenaire commercial. Aussi et à défaut d’éléments apportés par le Défendeur susceptibles de contredire l’argumentaire et les preuves du Requérant, la Commission administrative confirme que le Défendeur ne peut invoquer en l’espèce de droits ou d’intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux.

La seconde condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs est donc également remplie.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Selon le paragraphe 4(b) des Principes directeurs, la réalisation de l’une des circonstances suivantes est susceptible d’établir que le nom de domaine a été enregistré et utilisé de mauvaise foi:

i) les faits montrent que le défendeur a enregistré ou acquis le nom de domaine essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais qu’il peut prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine; ou

ii) le défendeur a enregistré le nom de domaine en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et est coutumier d’une telle pratique; ou

iii) le défendeur a enregistré le nom de domaine essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent; ou

iv) en utilisant ce nom de domaine, le défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un espace Web ou autre site en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de son espace ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé.

En application des Principes directeurs, le Requérant ne peut obtenir gain de cause qu’à la double condition d’établir que le nom de domaine litigieux a été enregistré de mauvaise foi, et est utilisé de mauvaise foi.

En l’espèce, la mauvaise foi du Défendeur est manifeste. Ce dernier a enregistré un nom de domaine qui non seulement reprend à l’identique la marque COLAS du Requérant, mais il l’a configuré en reproduisant à l’identique la dénomination sociale d’une filiale de ce dernier. Par suite, il a configuré à tout le moins une adresse email à partir du nom de domaine litigieux et a contacté un fournisseur du Requérant, en usurpant son identité, dans un but purement frauduleux.

Partant, la dernière condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs est également satisfaite. Le Requérant est bien fondé à solliciter le transfert du nom de domaine litigieux à son profit.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <colas-projects.com> soit transféré au Requérant.

Benjamin Fontaine
Expert Unique
Le 27 novembre 2020