Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Boursorama S.A. contre Jean Claude Bazire

Litige No. D2020-3009

1. Les parties

Le Requérant est Boursorama S.A., France, représenté par Nameshield, France.

Le Défendeur est Jean Claude Bazire, France.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le nom de domaine litigieux <boursoramà.com> (<xn--boursoram-y1a.com>) est enregistré auprès de Cronon AG Berlin, Niederlassung Regensburg (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte en français a été déposée par Boursorama S.A. auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 12 novembre 2020. En date du 12 novembre 2020, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant.

Le 13 novembre 2020, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. L’Unité d’enregistrement, dans sa communication du 13 novembre 2020, a également indiqué au Centre que le nom de domaine litigieux “a été annulé le 10.11.2020 car [l’Unité d’enregistrement avait] identifié l’enregistrement du nom de domaine litigieux comme faux” et a confirmé le blocage du nom de domaine litigieux. Le 18 novembre 2020, le Centre a demandé à l’Unité d’enregistrement de confirmer si le nom de domaine litigieux était disponible pour être enregistré par le Requérant. Le 19 novembre 2020, l’Unité d’enregistrement a indiqué au Centre que le nom de domaine litigieux était disponible pour être enregistré par le Requérant. Le 20 novembre 2020, le Centre a informé le Requérant que le nom de domaine litigieux “a été annulé le 10.11.2020 parce que [l’Unité d’enregistrement avait] identifié l’enregistrement du nom de domaine litigieux comme étant faux” et que le nom de domaine litigieux est disponible pour être enregistré par le Requérant. Le Centre a indiqué au Requérant qu’il pourrait souhaiter contacter rapidement l’Unité d’enregistrement à ce sujet. Le 14 décembre 2020, le Centre a invité le Requérant à lui fournir des informations sur l’avancement de l’enregistrement du nom de domaine litigieux. Le 14 janvier 2021, le Centre a invité l’Unité d’enregistrement à faciliter le transfert du nom de domaine litigieux. Le 22 janvier 2021, le Centre a demandé au Requérant de confirmer s’il souhaitait ou non poursuivre la procédure. Le 25 janvier 2021, le Requérant a demandé au Centre de poursuivre la procédure.

Le 9 et 11 février 2021, l’Unité d’enregistrement a reconfirmé le verrouillage du nom de domaine litigieux.

Le 10 février 2021, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte. Le Requérant a déposé une plainte amendée le 11 février 2021.

Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répondaient bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 16 février 2021, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 8 mars 2021. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 9 mars 2021, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 22 mars 2021, le Centre nommait Christiane Féral-Schuhl comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

La Requérante est la société Boursorama, société anonyme française fondée en 1995 et active en matière de courtage en ligne, d’information financière sur Internet et de banque en ligne. Elle se présente comme une banque en ligne de référence en France, avec plus de deux millions de clients, et son site Internet officiel est un des premiers sites nationaux d’information financière et économique.

Dans le cadre de l’exercice de ses activités, la Requérante est titulaire de droits de propriété intellectuelle, parmi lesquels la marque verbale de l’Union européenne BOURSORAMA n° 001758614, enregistrée le 19 octobre 2001 pour les classes 9, 16, 35, 36, 38, 41 et 42.

La Requérante est également titulaire de nombreux noms de domaine intégrant la marque BOURSORAMA, parmi lesquels <boursorama.com>, enregistré le 1er mars 1998 et redirigeant vers son site officiel.

Le nom de domaine litigieux <boursoramà.com> a été enregistré le 10 novembre 2020.

Au jour du dépôt de la plainte, le nom de domaine résultait sur la page de stationnement du bureau d'enregistrement. Au jour de la présente décision, le nom de domaine litigieux redirige vers une page d’erreur.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

La Requérante avance tout d’abord que le nom de domaine litigieux est identique ou semblable, au point de prêter à confusion, à une marque sur laquelle elle a des droits, considérant que la seule différence entre la marque BOURSORAMA et le nom de domaine litigieux réside dans le remplacement du dernier “a” du terme “Boursorama” par un “à”, différence très légère et subtile au point de passer inaperçue, et ne permettant donc pas d’écarter le risque de confusion.

La Requérante argue, en outre, que le Défendeur n’a aucun droit ni intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux, dès lors qu’il n’est pas connu sous le nom de domaine litigieux comme le démontrent les informations WhoIs relatives à ce dernier, dont il ressort qu’il n’est pas identifié comme “Boursorama”.

La Requérante ajoute que le Défendeur ne lui est pas affilié et qu’aucune licence ni autorisation ne lui a été accordée aux fins d’une quelconque utilisation de la marque BOURSORAMA ou de l’enregistrement du nom de domaine litigieux.

La Requérante souligne également que le nom de domaine litigieux pointait, au moment du dépôt de la plainte, vers une page parking.

Enfin, la Requérante considère que le nom de domaine litigieux est enregistré et utilisé de mauvaise foi, dès lors en premier lieu que, compte tenu du caractère distinctif et de la réputation de la marque BOURSORAMA, le Défendeur ne pouvait ignorer la marque BOURSORAMA lors de l’enregistrement du nom de domaine litigieux.

La Requérante insiste par ailleurs sur le fait que la faute d’orthographe insérée dans le nom de domaine litigieux relève du typosquattage, pratique constitutive de mauvaise foi.

C’est au regard de l’ensemble de ces éléments que la Requérante sollicite que le nom de domaine litigieux lui soit transféré.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.

6. Discussion et conclusions

Selon le paragraphe 4(a) des Principes directeurs, la Requérante doit prouver que:

(i) le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle la Requérante a des droits; et

(ii) le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache; et

(iii) le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Selon le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs, la Requérante doit démontrer que le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle la Requérante a des droits.

La Commission administrative estime que la Requérante a fourni des éléments prouvant qu’elle est titulaire de droits sur la marque BOURSORAMA.

En l’espèce, le nom de domaine litigieux <boursoramà.com> reprend intégralement la marque BOURSORAMA, à la seule différence du remplacement du dernier “a” du terme “Boursorama” par la lettre accentuée “à”, exemple typique de la pratique dite de “typosquatting”, à laquelle a été ajouté le suffixe “.com”.

De nombreuses décisions rendues sur le fondement des Principes directeurs, ont déjà constaté, que l’incorporation d’une marque reproduite à l’identique au sein d’un nom de domaine est suffisante pour établir que le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion à la marque sur laquelle le requérant a des droits, en particulier dans des cas de typosquatting (voir par exemple Magnum Piering, Inc. c. The Mudjackers and Garwood S. Wilson, Sr., Litige OMPI No. D2000-1525; Bayerische Motoren Werke AG c. bmwcar.com, Litige OMPI No. D2002-0615; Fuji Photo Film U.S.A., Inc. c. LaPorte Holdings, Litige OMPI No. D2004-0971; RapidShare AG, Christian Schmid c. InvisibleRegistration.com, Domain Admin, Litige OMPI No. D2010-1059; Hoffmann-La Roche Inc., Roche Products Limited c. Vladimir Ulyanov, Litige OMPI No. D2011-1474; Swarovski Aktiengesellschaft c. mei xudong, Litige OMPI No. D2013-0150; The American Automobile Association, Inc. c. Cameron Jackson / PrivacyDotLink Customer 2440314, Litige OMPI No. D2016-1671).

La Commission administrative estime que la reproduction intégrale et à l’identique dans le nom de domaine litigieux de la marque BOURSORAMA rend le nom de domaine litigieux similaire à cette marque BOURSORAMA au point de prêter à confusion, le simple remplacement de la lettre “a” par sa version accentuée “à” à la fin du terme “Boursorama” ne permettant de toute évidence pas d’éviter un risque de confusion.

Par ailleurs, la Commission administrative rappelle que l’extension “.com” n’est pas à prendre en considération dans la comparaison du nom de domaine litigieux et de la marque BOURSORAMA, comme les décisions fondées sur les Principes directeurs le jugent depuis longtemps.

La Commission administrative estime donc que le nom de domaine litigieux est similaire au point de prêter à confusion avec la marque détenue par la Requérante, au sens du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.

B. Droits ou intérêts légitimes

Aux termes du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs, la Requérante doit être en mesure de démontrer que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache.

Si la charge de la preuve de l’absence de droit ou d’intérêt légitime du Défendeur incombe à la Requérante, les commissions administratives considèrent qu’il est difficile de prouver un fait négatif. Conformément à la Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux principes UDRP, troisième édition (“Synthèse de l’OMPI, version 3.0”), section 2,1, il est donc généralement admis que la Requérante doit établir prima facie que le Défendeur n’a pas de droit ni d’intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux (voir par exemple Croatia Airlines d.d. c. Modern Empire Internet Ltd., Litige OMPI No. D2003-0455). Il incombe ensuite au Défendeur de renverser cette présomption. S’il n’y parvient pas, la Requérante est présumée avoir satisfait aux exigences posées par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs (voir par exemple Denios Sarl c. Telemediatique France, Litige OMPI No. D2007-0698).

D’après le paragraphe 4(c) des Principes directeurs, si la Commission administrative considère les faits comme établis au vu de tous les éléments de preuve présentés par le Défendeur, la preuve de ses droits sur le nom de domaine ou de son intérêt légitime qui s’y attache peut-être constituée, en particulier, par l’une des circonstances ci-après:

i) avant d’avoir eu connaissance du litige, le Défendeur a utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet;

ii) le Défendeur (individu, entreprise ou autre organisation) est connu sous le nom de domaine considéré, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services;

ou le Défendeur fait un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.

En l’espèce, la Requérante établit de façon générale qu’elle n’a pas autorisé le Défendeur à utiliser sa marque BOURSORAMA ou à enregistrer le nom de domaine litigieux, ne lui étant pas affiliée.

La Commission administrative considère ainsi que la Requérante a établi prima facie l’absence de droits ou d’intérêts légitimes du Défendeur. Il appartenait donc au Défendeur de démontrer ses droits ou intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux, ce qu’il n’a pas fait.

En tout état de cause, aucune des circonstances prévues par le paragraphe 4(c) des Principes directeurs ne semble remplie en l’espèce.

Par conséquent, et conformément aux paragraphes 4(a)(ii) et 4(c) des Principes directeurs, la Commission administrative considère que le Défendeur n’a aucun droit ni intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux <boursoramà.com>.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Selon le paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs, la Requérante doit démontrer que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi par le Défendeur.

Le paragraphe 4(b) ajoute que la preuve de ce que le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi peut être constituée, en particulier, pour autant que leur réalité soit constatée par la Commission administrative, par les circonstances ci-après:

(i) les faits montrent que le nom de domaine a été enregistré ou acquis essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au Requérant qui est propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celle‑ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais qu’elle peut prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine;

(ii) le nom de domaine a été enregistré en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine;

(iii) le nom de domaine a été enregistré essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent; ou

(iv) en utilisant le nom de domaine, le Défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les internautes sur un site Internet ou autre espace en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du Requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation du site ou espace Internet ou d’un produit ou service qui y est proposé.

Tout d’abord, la Commission administrative rappelle que cette liste de circonstances devant permettre d’établir la mauvaise foi du Défendeur est non exhaustive.

En l’espèce, la Commission administrative considère en premier lieu que le Défendeur ne pouvait ignorer l’existence de la marque antérieure de la Requérante au moment de l’enregistrement du nom de domaine litigieux, non seulement compte tenu de sa notoriété déjà reconnue dans plusieurs décisions rendues sur le fondement des Principes directeurs, mais également de ce que le nom de domaine litigieux la reproduit intégralement et à l’identique, sauf à remplacer la lettre “a” fermant le terme “Boursorama” par sa version accentuée “à”, ce qui est un exemple typique de la pratique dite de “typosquattage”.

Cette reproduction intégrale et exclusive de la marque de la Requérante, à un détail insignifiant près, a pour conséquence d’induire en erreur les internautes qui chercheraient à atteindre le site Internet de la Requérante (voir par exemple Puravankara Projects Limited c. Saurabh Singh, Litige OMPI No. D2014-2054).

Par ailleurs, la Commission administrative considère que la faute d’orthographe insérée dans le nom de domaine litigieux, à savoir le remplacement de la dernière lettre “a” du terme “Boursorama” par sa version accentuée “à”, exemple typique de la pratique dite de “typosquattage”, contribue à établir la mauvaise foi du Défendeur dans l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux, puisque cette faute d’orthographe aura pour effet de détourner les internautes cherchant à atteindre le site Internet de la Requérante.

Enfin, le fait que le nom de domaine litigieux ait pointé, au moment du dépôt de la plainte, vers une page parking, et redirige au jour de la présente décision vers une page d’erreur, ne tend pas à écarter la mauvaise foi du Défendeur dans l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux.

Au regard de l’ensemble de ces circonstances, la Commission administrative considère que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi par le Défendeur, conformément aux paragraphes 4(a)(iii) et 4(b) des Principes directeurs.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <boursoramà.com> (<xn--boursoram-y1a.com>) soit transféré à la Requérante.

Christiane Féral-Schuhl
Expert Unique
Le 5 avril 2021