Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Gilead Sciences, Inc. contre Suin Thomas

Litige No. D2020-3082

1. Les parties

Le Requérant est Gilead Sciences, Inc., Etats-Unis d'Amérique, représenté par Law Offices Kopacz, France.

Le Défendeur est Suin Thomas, France.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le nom de domaine litigieux <gilead-science.com> est enregistré auprès de 1&1 IONOS SE (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée en anglais par Gilead Sciences, Inc. auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 17 novembre 2020. En date du 18 novembre 2020, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 19 novembre 2020, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 23 novembre 2020, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte. Le même jour, le Centre a envoyé une communication par courriel en français et en anglais concernant la langue de la procédure. Le Requérant a déposé une plainte amendée en français le 17 décembre 2020.

Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée soient conformes aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 5 janvier 2021, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée en français au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 25 janvier 2021. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 26 janvier 2021, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En raison d'une erreur administrative, le Centre a constaté que le courrier électronique de notification du Centre n'avait pas été envoyé au Défendeur à une adresse électronique supplémentaire. Par souci de précaution, le Centre a accordé un délai de cinq jours supplémentaires jusqu’au 8 février 2021 au Défendeur pour indiquer s'il souhaitait participer à cette procédure. Le Défendeur n’a pas soumis de réponse. Le Centre a informé les parties du début du processus de la nomination de la Commission Administrative en date du 11 février 2021.

En date du 19 février 2021, le Centre nommait Edoardo Fano comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

La langue de la procédure est le français, étant la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux, conformément aux dispositions du paragraphe 11(a) des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant est Gilead Sciences, Inc., une société américaine parmi les sociétés biopharmaceutiques plus importantes au monde, titulaire de plusieurs enregistrements pour les marques GILEAD et GILEAD SCIENCES, parmi lesquels:

- marque américaine GILEAD SCIENCES No. 1,611,838, enregistrée le 4 septembre 1990;
- marque américaine GILEAD No. 3,251,595, enregistrée le 12 juin 2007;
- marque de l’Union Européenne GILEAD No. 003913167, enregistrée le 7 novembre 2005.

L’activité du Requérant se développe sur Internet aussi, à travers plusieurs sites Internet avec des noms de domaine ayant pour objet les marques GILEAD et GILEAD SCIENCES, le principal étant “www.gilead.com”, et, parmi les autres, “www.gileadscience.com” et “www.gileadsciences.com”.

Le nom de domaine litigieux a été enregistré le 21 octobre 2020 et, quand la présente plainte a été déposée, dirigeait vers une page parking de l’Unité d’enregistrement. Au moment de la décision, le nom de domaine litigieux pointe vers un site inactif.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant expose en premier lieu que le nom de domaine litigieux <gilead-science.com> est similaire à sa marque GILEAD et presque identique à sa marque GILEAD SCIENCES.

Le Requérant soutient ensuite que le Défendeur n’a aucun droit ni intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux, étant donné que le Requérant n’a pas autorisé le Défendeur à utiliser ses marques pour l’enregistrement et/ou l’utilisation du nom de domaine litigieux, que le Défendeur ne fait pas un usage légitime non commercial ou un usage loyal du nom de domaine litigieux et que le Défendeur n’est pas connu sous le nom de domaine litigieux.

Enfin, le Requérant prétend que la notoriété de sa marque permet de conclure qu’au moment de l’enregistrement du nom de domaine litigieux le Défendeur ne pouvait qu’avoir connaissance de l’existence des marques du Requérant et que dès lors l’enregistrement du nom de domaine litigieux a été effectué de mauvaise foi. Selon le Requérant, l’absence d’utilisation active du nom de domaine litigieux n’empêche pas de conclure à l’usage de mauvaise foi puisque le 14 décembre 2020 le Défendeur a adressé un email au Requérant en proposant de lui revendre le nom de domaine litigieux, circonstance qui montre que le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux aux fins d’en tirer un profit financier par la vente de celui-ci.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.

6. Discussion et conclusions

Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs énumère trois conditions que le Requérant doit justifier pour obtenir une décision établissant que le nom de domaine litigieux enregistré par le Défendeur soit transféré au Requérant:

(i) le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services dans laquelle le Requérant a des droits; et

(ii) le Défendeur n’a aucun droit ou intérêt légitime au regard du nom de domaine litigieux; et

(iii) le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Selon le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs, le Requérant doit démontrer que le nom de domaine litigieux est identique ou similaire à une marque sur laquelle le Requérant a des droits.

Le nom de domaine litigieux reprend intégralement la marque GILEAD, dont le Requérant a démontré être titulaire, et est presque identique à la marque GILEAD SCIENCES du Requérant. La Commission administrative constate qu’il a déjà été décidé, à plusieurs reprises, que l’incorporation d’une marque dans son intégralité peut être suffisante pour établir que le nom de domaine litigieux est identique ou similaire à la marque enregistrée du Requérant. En ce sens, voir la section 1.7 de la Synthèse de l’OMPI des avis des Commissions administratives sur certaines questions UDRP, version 3.0 ("Synthèse de l’OMPI, version 3.0").

Pour ce qui concerne enfin l’adjonction de l’extension générique de premier niveau (“gTLD”) “.com”, la Commission administrative rappelle qu’il a également été établi dans plusieurs décisions UDRP que les extensions de premier niveau ne sont pas un élément distinctif pris en considération lors de l’évaluation du risque de confusion entre la marque du Requérant et le nom de domaine litigieux. Voir la section 1.11 de la Synthèse de l’OMPI, version 3.0.

En conséquence, la Commission administrative conclut que le nom de domaine litigieux est semblable au point de prêter à confusion aux marques du Requérant au sens du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.

B. Droits ou intérêts légitimes

Conformément au paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs, le Requérant doit être en mesure de prouver l’absence de droits ou intérêts légitimes du Défendeur sur le nom de domaine litigieux. Dans la mesure où il peut être difficile d’apporter une preuve négative, il est généralement admis que le Requérant doit établir prima facie que le Défendeur n’a pas de droits ni d’intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux. Il incombe ensuite au Défendeur de renverser cette présomption et, s’il n’y parvient pas, le Requérant est présumé avoir satisfait aux exigences posées par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs. Voir en ce sens, la section 2.1 de la Synthèse de l’OMPI, version 3.0.

En l’espèce, la Commission administrative constate que le Requérant a établi que le Défendeur n’a ni droit, ni intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux. En effet, le Requérant n’a pas autorisé le Défendeur ni à utiliser ses marques GILEAD et GILEAD SCIENCES ni à enregistrer un nom de domaine incorporant ces marques, le nom de domaine litigieux n’est pas utilisé par le Défendeur en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, pas plus qu’il n’en fait un usage non commercial légitime ou loyal, et le Défendeur n’est pas généralement connu sous le nom de domaine litigieux. Le Défendeur, n’ayant pas répondu à la plainte du Requérant, n’a apporté aucun élément pour démontrer un droit ou à tout le moins un intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.

Au vu de ce qui précède, la Commission administrative considère que la deuxième condition du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs a été remplie.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Le paragraphe 4(b) des Principes directeurs prévoit que chacune des circonstances mentionnées ci-après de manière non exhaustive, peut démontrer un enregistrement ou une utilisation de mauvaise foi d’un nom de domaine tel que prévu au paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs, si la Commission administrative les considère comme prouvées:

(i) circonstances indiquant que le nom de domaine a été enregistré ou acquis (par le défendeur) essentiellement dans le but de vendre, louer ou céder de toute autre manière l’enregistrement du nom de domaine au requérant qui est le propriétaire de la marque commerciale ou de la marque de service, ou à un concurrent de ce plaignant, à titre onéreux pour une contrepartie dépassant vos débours documentés liés directement au nom de domaine; ou

(ii) le nom de domaine a été enregistré (par le défendeur) dans le but d’empêcher le propriétaire de la marque commerciale ou de la marque de service de refléter la marque dans un nom de domaine correspondant, dans la mesure où (le défendeur a) adopté un comportement de ce type; ou

(iii) le nom de domaine a été enregistré (par le défendeur) essentiellement pour interrompre l’activité d’un concurrent; ou

(iv) en utilisant le nom de domaine, (le défendeur a) essayé intentionnellement d’attirer, à des fins commerciales, des utilisateurs d’Internet sur le site Internet (du défendeur) ou toute autre destination en ligne en créant un risque de confusion avec la marque du requérant quant à la source, au parrainage, à l’affiliation ou à l’approbation du site Internet (du défendeur) ou destination en ligne ou d’un produit ou d’un service offert sur celui-ci.

Compte tenu de la réputation des marques GILEAD et GILEAD SCIENCES, le Défendeur connaissait probablement l’existence des marques du Requérant au moment de l’enregistrement du nom de domaine litigieux. La Commission administrative considère donc que le nom de domaine litigieux a été enregistré de mauvaise foi par le Défendeur.

S’agissant de l’utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur, la Commission administrative relève qu’il renvoyait à une page parking de l’Unité d’enregistrement, ce qui, s’agissant d’un nom de domaine incluant une marque notoire, laisse penser que cette détention passive traduit un usage de mauvaise foi., selon la décision Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003 et la section 3.3 de la Synthèse de l’OMPI, version 3.0.

En outre, le fait que le Défendeur ait essayé de revendre le nom de domaine litigieux au Requérant quand la présente plainte avait déjà été déposée et qu’il n’ait pas daigné prendre part à la procédure pour tenter de justifier ses actes conforte la Commission administrative dans son opinion que le nom de domaine litigieux objet de la présente procédure a été utilisé de mauvaise foi.

Dès lors, selon la Commission administrative, la mauvaise foi du Défendeur est établie tant au niveau de l’enregistrement que de l’utilisation de nom de domaine litigieux, conformément au paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <gilead-science.com> soit transféré au Requérant.

Edoardo Fano
Expert Unique
Le 23 février 2021